« H'aanit ? Tu as vu quelque chose ? »

La Kungfouine ne répond pas. Au lieu de cela, elle plisse les yeux et renifle encore davantage. Quelque chose la perturbe, depuis qu'ils sont arrivés ici. Roxanne n'est pourtant pas de service, et sûrement pas dans cette région. C'est d'ailleurs assez rare qu'elle sorte de ses montagnes familières pour aller s'aventurer vers les grandes étendues de l'est. Pas que les plaines ne soient pas de son goût, mais ce n'est pas exactement la même chose. Du Bahute, Roxanne pourrait dessiner une carte fournie et détaillée d'un simple souvenir, tant elle a dessiné les contours de ces roches au fil de ses pas. C'est comme une seconde maison, un peu poussiéreuse, froide et encombrée, mais une maison malgré tout. Sûrement qu'elle y met trop d'affectif, dans le fond, et qu'il y a longtemps que ses rondes ne sont plus plus un travail ; mais là encore, l'on pourrait objecter que Roxanne n'a pas vraiment autre chose que son travail, dans sa vie. Un « détail » qui n'a pas l'air de vraiment la déranger, dans le fond.

Pourtant, aujourd'hui, elle s'était dit qu'un peu de nouveauté ne lui ferait pas de mal. Un problème s'était en effet poser au bout d'un moment : à force de ne cotôyer que les montagnes froides du Nord, elle n'avait plus beaucoup d'inspiration pour peindre quoi que ce soit d'autre. Et même cette inspiration-là finissait par s'étioler, ne la laissant plus qu'avec de vagues traces grisâtres sans âme, sans but, implantées mécaniquement sur la surface d'une toile qu'il aurait mieux valu ne pas gâcher pour cela. Au début, elle avait refusé d'y réfléchir. Trop arrogante et pas franchement motivée à changer ses petites habitudes, elle avait claqué de la langue comme une diva en râlant sur « ah, l'inspiration des artistes ! » ou un truc du genre avant de détourner son attention du canevas. Quelques jours avaient ensuite passé, et malgré une incroyable détermination à cacher son vide par le biais de vêtements jetés par dessus « au hasard », il avait bien fallu qu'elle admette qu'à ce rythme, elle ne ferait rien de nouveau. Une idée qui, en soi, lui était complètement insupportable.
Elle se souvenait s'être plaint devant l'une de ses subordonnées, qui, en balançant sûrement une idée au hasard pour que la ranger la plus âgée cesse donc de se plaindre comme une enfant capricieuse, lui avait dit qu'elle ne risquerait rien à tenter de « changer d'air ».

Et changer d'air, cela passait donc par prendre de son temps libre pour aller directement dans un endroit aux antithèses de ses habitudes. Les terres fertiles avaient donc été un choix relativement logique.
Toutefois, alors qu'elle marchait depuis seulement quelques minutes, s'étant enfin éloignée de la ville par le biais de ses grands pieds, voilà que sa Kungfouine se mettait à s'agiter. Un comportement qui n'est pas habituel, en provenance d'H'aanit.

Roxanne n'ira pas prétendre qu'elle comprend intimement ses pokémon ou lit dans leurs pensées. Elle avait toujours trouvé ça un peu prétentieux, d'oser croire que l'on pouvait connaître quelqu'un jusqu'à le défausser de tout ce qui pouvait faire son individualité. Toutefois, la Kungfouine est dans son équipe depuis sufisamment longtemps pour qu'elle soit quelque peu intriguée par ses manières divergentes.Et, visiblement, ce n'est pas la Chlorobulle qui passe par là, tentant de siffloter un air entre des feuilles, qui la perturbe. Non, vu la manière dont ses oreilles gigotent à la recherche d'un autre son, plus fin, plus discret, que les oreilles de Roxanne ne peuvent entendre, ce doit être autre chose. Car voilà que son regard se bouge, allant se perdre un peu plus au nord, tandis qu'Olbéric, qui juste là restait religieusement debout aux côtés de sa dresseuse, relève un regard intéressé vers la même direction.

Sans trop attendre, la Kungfouine fit quelques pas pressés, amenant la femme aux cheveux violets à s'avancer pour pouvoir suivre son rythme : ce qu'elle fit avec une certaine maladresse, d'ailleurs, prise par surprise par l'empressement de la jeune femelle. Foulant des touffes d'arbres sous ses pieds, elle finit vite par se rendre compte que ce qui avait attiré l'attention d'H'aanit n'était rien de plus qu'un groupe d'enfants en train de jouer. Enfin, en apparence.
Car, en effet, plus ses pas la reprochaient, plus elle ne pouvait que constater qu'ils n'étaient pas réellement en train de jouer, en réalité, et semblaient plutôt en train de s'acharner sur un point encore inconnu à ses yeux.

« Non mais, attends, c'est moi qui l'ait ! »

La voix criarde d'un gamin, probablement pas plus âgé qu'un jeune collégien, vient lui donner un indice quant à la raison qui les poussait à maltraiter un pauvre Roucool qu'ils tentaient chacun l'un l'autre de récupérer, sans aucune pensée pour la bête qui se trouvait à geindre et pleurnicher devant la peine infligée. Quelque chose dans son ventre s'agita, et son expression se durcit très légèrement, de manière presque imperceptible. Elle fut vite repérée, toutefois, et puisque les enfants s'étaient relevés d'un coup, des expressions paniquées sur le visage, il y avait fort à parier qu'ils avaient conscience de ce qu'ils faisaient. Roxanne ne vit même pas l'intérêt de lever le ton, vu leur peur apparente. Olbéric se chargeait déjà bien assez des grognements pour ça.

« Oh, bande de petits... »

Elle ne finit pas sa phrase : ce fut suffisant pour qu'ils s'enfuient bien lâchement, sous les grognements incessants d'Haanit. Si elle ne partait pas à leur poursuite, c'était bien à cause du regard insistant de sa dresseuse, mais il était clair et que ses pieds la démangeaient, vu la manière qu'elle avait de gratter le sol avec violence. Le remarquant, Roxanne ne put réprimer un petit sourire fier.

L'image de rangers en tant que sauveurs de la nature et des pauvres petits pokémon était probablement une image d'Epinal, comme celle de la compétition en tant que garant de la sécurité ; la bonne blague étant que tous les régimes les plus sécuritaires étaient aussi ceux où l'on désirait le moins traîner tardivement dans les rues le soir. Toutefois, et probablement autant par sincère désir de bien faire que par une certaine arrogance et un ego assez démesuré, Roxanne aime à se dire que sa participation à l'oeuvre d'Elixir est en partie destinée à la cause des pokémon ainsi qu'à celles des espaces naturels. Cela sonne bien, il faut le dire, et ce n'est probablement pas étranger au plaisir qu'elle prend à le répéter ad infinitam. Malgré tout, pourtant, et en dépit de la manière agaçante qu'elle peut avoir de se flatter l'ego pour un rien, il reste pourtant que sa motivation est sincère, et qu'elle ne plaisante pas vraiment lorsqu'elle dit vouloir « faire tout ce qu'elle peut pour chaque pokémon ». Il serait toutefois difficile de savoir si elle se rend compte de l'impossibilité de la tâche, en réalité, ou si elle entretient elle-même le mensonge pour se rassurer. L'un comme l'autre la laissait dans son petit monde, de toute façon.

Dans les faits, toutefois, la voilà en train de chouchouter un Roucool avec toute la douceur possible, prenant bien soin de vérifier qu'aucune aile ne soit cassé. Elle aurait été embêtée de trouver une quelconque trace de douleur subsistante, ou d'en infliger plus, d'ailleurs. Bien qu'elle n'avait aucune formation médicale au delà de celle de premiers secours à laquelle elle avait eu le droit, elle était toutefois une élève très appliquée quand elle le désirait, surtout si cela pouvait servir, au final. Et visiblement, malgré une claire maladresse, c'était bel et bien possible pour elle que de faire quelque chose de délicat sans tout briser à chaque mouvement de la main.

La petite bête n'était pas trop abîmée, d'ailleurs, ce qui devait sûrement aider. Mais voilà qu'en quelques minutes à peine, elle agitait déjà ses plumes, et commençait à sautiller sur place dans un signe d'impatience manifeste. Amusée, Roxanne esquissa un sourire mi-attendri, mi-amusé.

« Doucement, doucement ; regarde, je te libère. »

Elle s'exécuta bien vite, éloignant ses mains et faisant un pas en arrière de sa position accroupie (bien ridicule d'ailleurs). Ce faisant, l'oiseau put enfin étendre ses ailes, juste assez pour que, après quelques pas supposés donner de l'élan, il ne s'envole sans trop de mal. La ranger, contente, poussa un petit "yoohoo" d'excitation, satisfaite ; autrement plus joviale que la Chlorobule grognant dans un coin, du coup.

Une bonne chose de faite, dans tous les cas. Un rictus bêtement fier sur le visage, elle replaça distraitement les quelques mèches de cheveux qui avaient été mises en vrac par ses mouvements, tandis qu'H'aanit regardait l'oiseau s'envoler petit à petit au loin. Olbéric, qui n'avait pas dit un mot ou même manifesté sa simple présence depuis le début de cette sortie, eut au moins le mérite de relever très légèrement la tête, gardant un regard envieux vers le Roucool disparaissant peu à peu dans l'horizon.

« Merci de nous y avoir guidé, H'aanit. Tu as une assez bonne ouïe, de ce que je vois. »

Elle s'était brièvement retournée vers la Kungfouine, lui offrant l'esquisse d'un sourire tendre et amical, mise d'une assez bonne humeur par les agissements de la femelle. C'est-à-dire qu'elle n'e parle pas beaucoup, dans les faits, et est toujours restée à l'écart ; un fait que Roxanne ne cherche pas à changer, puisque cela était déjà en soi un immense progrès par rapport à son caractère d'il y a quelques années. En outre, tant qu'elle était heureuse ainsi, il n'y avait pas non plus besoin de la seriner à faire un quelconque changement quant à son caractère. La ranger n'avait pas à se plaindre de ses manières, et lorsqu'elle faisait quelque chose de bien, la femme aux cheveux violets n'en était que plus fière. D'autant plus qu'à première vue, elle n'aurait pas cru qu'H'aanit se serait forcément préoccupé de ça : sans être insensible, la Kungfouine lui avait toujours paru tant dans son petit monde qu'elle en oubliait le reste. Visiblement, elle avait tort. Au moins, même si cette sortie ne lui donnait aucune forme d'inspiration, elle aurait appris quelque chose. H'aanit, de son côté, haussa vaguement les épaules avant de continuer à s'avancer, laissant le signal tacite qu'elle n'attendait que le fait de progresser dans les herbes. Roxanne réagit à ce moment là, les yeux grands ouverts et la bouche formant un 'o'.

« Ooh, pardon, Ninitte ! J'arrive, j'arrive ! Olbéric, tu regardes les fleurs, ou tu nous suis ? »

Le chat de feu poussa une sorte de soupir mêlé à un vague grognement agacé qui voulait sûrement dire quelque chose de semblable à un 'moui moui ça va' avant de faire quelques pas rapides vers sa dresseuse et la Kungfouine. Un peu ensommeillé, le vieux matou devait avouer avoir du mal à suivre le rythme. Ptobablement aussi car il aurait bien aimé rester lové sur le lit de sa dresseuse  le matin entier (pour une fois qu'ils ne se levaient pas trop tôt) avant d'aller paresser l'après-midi, le nez toujours près de sa nourriture. Malgré toute l'affection qu'il avait pour Roxanne, il ne pouvait pas s'empêcher de se dire qu'elle exagérait un peu, tout de même.

« … Mais qu'il est beau ! Regarde, tu as vu ? »

… Et qu'elle s'émerveillait avec une voix trop forte, aussi. Surtout pour un simple petit Nidoran, d'ailleurs, mais rien à faire : voilà que la ranger s'était accroupie, portant son visage dans ses mains, des étoiles dans les yeux alors qu'elle observait le pokémon avec toute l'admiration du monde dans le creux de son regard.

« Mais quelles jolies couleurs ! Avec le paysage en fond, ces contrastes, en plus... ! »

Olbéric laisse échapper un long grognement las, ses traits faciaux tombant pour exprimer un fort déplaisir alors qu'il se rend compte qu'il n'est certainement pas prêt de retrouver son nid douillet  d'aussi tôt. Généralement, lorsque sa dresseuse se met à s'extasier ainsi, en gazouillant avec adoration devant la plus insignifiante bestiole qui soit, cela veut dire qu'elle compte rester là pendant un bon moment.Car le Nidoran semble avoir attiré son attention d'une manière relativement impressionante : la voilà agenouillée à côté du jeune mâle, le dévisageant sous tous les coins, un sourire radieux aux lèvres. Le Félinferno ne comprend pas vraiment ce qu'elle lui trouve, à ce lapin violet ; n'est-il pas bien plus majestueux, avec ses teintes de rouge et de noir, les motifs dans son pelage, et l'équilibre délicat de leur répartition ? Un sentiment d'agacement lui passe par la poitrine, et, décidé à être remarqué, le vieux félin détourne le regard, se concentrant avec un certain dramatisme sur un tout autre point. Malheureusement pour lui, personne ne le remarque ; H'aanit est déjà occupée à faire la sieste, et Roxanne a mieux à faire, visiblement. Piteux, il grommelle et croise les bras.
De son côté, la chef Ranger n'a pas tardé à sortir son carnet. Alternant des coups d'oeil entre les champs dorés et la créature violette qui se trouve devant elle, ses yeux brillent d'une curiosité presque enfantine. Devant elle, le Nidoran semble quelque peu étonné, mais il ne s'éloigne pas pour autant. Ses oreilles remuent très légèrement, et il tourne la tête, bougeant sa patte comme pour se mettre dans une position plus dynamique. Etonnée, Roxanne écarquilla les sourcils, avant qu'un début de sourire amusé et attendri ne s'étire sur ses lèvres.

« Oh, tu as l'âme d'un modèle, toi. Tu veux bien rester comme cela quelques secondes... ? »

Elle aurait été déçue par un refus, mais ce ne fut pas le cas. Au lieu de cela, elle put glousser bêtement, contente, et griffona machinalement sur son carnet, ne s'inquiétant que de prendre note des traits principaux, et traçant des traits grossiers pour savoir où placer les ombres et colorier correctement par la suite. Il ne fallut pas longtemps pour qu'elle ait tout ce dont elle avait besoin, ou du moins ce qu'elle avait besoin de noter le plus rapidement possible. Mais en regardant son brouillon, puis la vision qu'elle allait reconstituer mais probablement avec bien moins de charme, une hésitation embêtée lui fit faire la moue. Une idée, toutefois, passait à ce moment-là par sa tête. Avec lenteur, elle vint décrocher une ball vide à sa ceinture et la posa au sol, juste devant le Nidoran.

« Dis-moi... Je crois que j'aurais besoin de te voir un peu plus pour te rendre hommage proprement, tu serais d'accord pour me suivre ? »

La petite créature prit quelques secondes, avant de répondre par un hochement de tête curieux. Un sourire satisfait sur le visage, Roxanne se dit qu'au final, ce n'était peut-être pas une si mauvaise idée que ça que de s'éloigner de ses terrains habituels.