« Sam... Sam, tu vois bien comme il a déjà du mal avec Axel... »

Il se crispe une fois de plus. Ses dents se serrent, ses poings pareillement. Sa mère touche des cordes sensibles, le teste, voit jusqu'où elle peut le faire aller. Que son fils déverse sa peine si cette dernière la consume, elle ne lui en voudra pas. Il sait, au fond, qu'elle a raison. L'admettre, toutefois, c'est autre chose. Comme si ce n'était pas déjà évident, après tout, que le Miyano avait des difficultés dans son nouveau rôle de... 'père', même si Sam bien sûr préférera parler de 'tuteur' ou de 'parrain'. Car c'est ça, après tout, qu'il est auprès du petit. Si seulement le géniteur de celui-ci avait pu au moins attendre un peu avant de se rendre... Axel aurait pu avoir le temps de connaître mieux Clive et Natsume... Natsume aurait eu bien d'autres occupations au même moment. Comme par exemple s'occuper de l'épouser, pense naïvement notre nounours. Mais même ses fantasmes les plus fous n'arriveront pas à atteindre la réalité, et c'est pour l'instant un deuil qu'il n'est pas prêt à faire. Il en profite en plus pour mettre ses maux de tête sur le compte de la discussion qui devient pour lui de plus en plus pénible à supporter, mais Lyra ne lâchera pas le morceau, et il en est conscient. Après tout, il ne s'agit pas de savoir quoi acheter à la boulangerie du coin, mais d'une étage dans une relation qui est censée durer. Et pour avoir éperdument aimé deux fois dans sa vie, elle se disait qu'elle pouvait bien aider son enfant à gérer la sienne, puisqu'il est en train lentement mais dangereusement d'en perdre le fil.

Mais pour Samaël, ce fut trop. Grinçant des dents, ses répliques tardent certes à venir mais ce n'est que parce qu'il tente de se modérer. Le vase, cependant, tend à déborder. Alors le ton devient plus sec, plus hargneux. Il se met sur la défensive et aboierait presque comme un roquet. Il ignore même la présence des Pokémon autour et en particulier le bruit que fait un Cheniti sauvage bien insistant.

« Natsume n'est pas le père d'Axel. »

Et il insiste bien en plus sur le mot pour faire comprendre son point de vue quand bien même il faudrait être aveugle ou sourd pour ne pas savoir les sentiments de l'Enodril à ce sujet. Il avait des rêves, des espoirs... Des projets de vie qu'il ne comptait partager avec personne d'autre que l'éleveur de ses pensées. Quoi de plus normal, en somme ? Il avait bien le droit d'éprouver ce genre de désirs innocents à condition qu'il respectait l'avis de sa moitié. Mais c'est là le hic. Et c'est exactement la raison de la présence de Lyra aujourd'hui. Son but n'est pas de briser tout ce que l'imaginaire que son fils a construit mais l'aider à accepter l'abandon de certains de ses rêves. Aussi riche soit-il, le Maître Dresseur pourrait bien s'acheter les alliances les plus chères de l'île qu'elles ne resteraient, en somme, que de vulgaires anneaux dorés si son envie d'engagement n'est pas réciproque. Et avec des 'si', on pourrait refaire le monde...

Et assez. Lyra en a assez de voir le cadet souffrir de la sorte en se perdant dans des illusions. Elle doit lui dire la vérité en face maintenant, ou jamais. Et si c'est quelqu'un qui doit le faire, il vaut mieux que ce soit elle. Le plus jeune n'a pas de respect plus grand que celui qu'il éprouve pour sa mère ; celle qui l'a élevé avec Ikaël, qui a dû s'occuper de son fils quand son mari s'est fait capturé puis tué, celle qui l'a toujours supporté et qui le supporte encore aujourd'hui. Mais Samaël ne dit pas tout. Sa relation avec Axel la peine car pour connaître les deux protagonistes, elle sait qu'ils pourraient bien s'entendre si seulement l'Elite voulait bien lui donner une chance. Un chance qu'il peine à lui donner en raison du lien qui l'unit à Natsume, mais pas que. Une grande partie vient de l'imagination de Sam, bien sûr, qui lui joue des tours. Hallucinations, fausses idées, interprétations... Plus la fatigue et le stress qui commence à monter de jour en jour. Alors à force de se raccrocher autant à des idées farfelues comme celle du mariage, entre autre, le moindre détail fâcheux peut s'évarérer un énorme problème de son point de vue. Il faudrait déjà, en premier lieu, qu'il avoue que la base du problème, c'est lui. Alors si le ton de Samaël monte, celui de sa mère n'est pas en reste, mais si son timbre est toujours un peu plus doux. Elle veut se faire entendre, mais pas lui donner l'impression qu'elle lui fait des reproches.

« Ne fais pas celui qui ne veut pas voir, leur relation est du pareil au même, tu le vois bien. »

« Cela n'a rien à voir. Natsume ne fait que rendre service à Clive parce qu'il n'est pas capable lui-même de s'occuper de ses propres responsabilités ! »

Ça y est. Il feule. Marche plus vite. Manque d'écraser au passage un ou deux Mimigal sous son passage qu'il ne remarque que trop tard alors qu'il sent que sa vision devient floue à quelques reprises. Ce n'est pas la première fois que ça lui fait ça ; mais s'il devrait s'en inquiéter, son esprit est largement ailleurs. Et Arceus sait qu'il aimerait, pour une fois, s'occuper de sa pile de dossiers plutôt que de continuer la discussion ou même d'écouter ce que sa mère a encore à lui dire. Il manque encore de trébucher, mais en mélangeant ses propres pieds. Il aimerait s'enfuir. Continuer d'être lâche. S'enfermer dans son bureau pour ne plus songer à tout ça. Mais une fois qu'il rentrera à la maison, il sait que le sujet reviendra comme une vague déferlante. Qu'elle finira par l'engloutir s'il ne décide pas à faire quelque chose. À réfléchir sur lui-même et sur son égoïsme.

« Et alors ? Natsume prend soin d'Axel de son plein gré, tu le sais très bien. Et tu as dit que tu le soutiendrais.
- C'est ça, que je le soutenais, pas que j'allai me mettre soudainement à le considérer comme son père. Qu'est-ce que vous avez tous avec Axel, de toute façon ? Il n'était même pas censé... C'était un... Un... »

Il laisse sa phrase en suspens en se rendant compte de ce qu'il allait dire. Mais en relevant le visage vers sa mère, il reste pétrifié pendant un instant devant son regard inhabituellement froid et blessé. Alors même s'il conserve de la colère due à son égocentrisme, ses mots se perdent. Il n'arrive plus à les sortir.