Crépuscule.
Le ciel se parsemait d'étoiles, préparant l'arrivée de la nuit.
Alam essuya son front crasseux, et retira les gants de ses mains. La terre serait humidifée par la fin de journée. Il eut un sourire doux pour ses plants, tandis que le bateau familial tanguait. La petite barge était trop petite pour les quatre membres des Williams, mais il y faisait bon vivre, pour eux qui s'étaient toujours entassés comme des rattatas dans un terrier.
Gabriel était assis près du bastinguage, jambes pendant dans le vide. La mer était une harmonique constante à leurs oreilles. Il taquina son plus jeune frère sur son loisir récréatif. Les plantes, les fleurs, c'était pour les filles. Une truelle toqua contre le bois du pont, manquant de peu l'oreille de Gabriel qui éclata de rire, ignorant la moue boudeuse de Alam. Il détestait qu'on se moque de ses chéris verdoyants, Alam. Et comme toujours, son crétin de grand frère n'en faisait qu'à sa tête. Ecchymoses et bleus étaient leur quotidien, à ces deux idiots trop susceptibles. Ils appréciaient à petite mesure cette vie maritime, due à leurs parents biologistes marins. La mer était leur vie, à eux qui voyageaient de port en port. Ils passaient parfois quelques mois dans des villes différentes, de l'Europe à Kanto, apprenant sur le tas les langues et les cultures. Leurs parents prenaient le relais des diverses écoles où ils passaient rapidement quand ils étaient longtemps à quai. Il s'agissait de bribes de savoir, et c'est dans une ville uniquement constituée d'arbres que le petit Alam vit naître son amour des plantes. Il se mit à réclamer tous les livres, tous ce qui pouvait se faire sur le sujet, afin de pouvoir cultiver et embellir le bateau de fleurs et de légumes. Autant lier l'utile à l'agréable.
Gabriel s'était promis que dès qu'il aurait seize ans, il resterait à terre pour découvrir le plancher des Ecrémeuhs. Alam l'enviait ; de quatre ans son cadet, il se savait trop serviable et trop un bon fils pour oser se rebeller contre ce destin déjà tout tracé. Gabriel ne voulait pas étudier la faune pokémon marine, ni même l'impact humain sur le milieu marin. Il voulait être libre, Gabriel. Il voulait faire sa vie, tracer sa voie.
Il était courageux Gabriel.
Il l'enviait si fort, Alam.
Ils ne savaient pas que la nuit tomberait si vite.
Si vite.

Les lettres s'enchaînaient, toujours aussi brèves mais pleines de ces mots d'aventure. Gabriel appréciait son tout nouveau métier : apprenti du champion d'Amanil. Lui, qui s'était si souvent moqué d'Alam pour sa préférence aux plantes, se retrouvait entouré de pokémons plantes.
Une caresse à Rosa, et Alam replia la nouvelle lettre de Gabriel. Il s'inquiétait un peu : Gabriel parlait d'un Régime en place, d'une politique faite de peur et de répression, de coups fourrés, de tensions. Il était tête brûlée, Gabriel. Mais Alam ne pouvait rien pour lui. Le petit frère espérait juste qu'il ne serait pas trop fou pour se jeter à corps perdu dans ce conflit.
Il rejoignit ses parents, accepta d'aider à réparer une fuite dans le toit, et alla s'allonger sur le pont une fois la lune levée. La bulbizarre s'assit près de lui. Leurs quatre prunelles observaient l'astre lunaire, tous deux rêveurs, tous deux mélancoliques. Rosa avait connu Gabriel, et si elle l'avait aimé, elle comprenait combien son absence peinait Alam. Gabriel était le plus joyeux, sur ce bateau. Il était l'étincelle, le soleil, quand Alam était la douceur, la timidité et la lune. Et à présent, Alam semblait ailleurs. De plus en plus.
Gabriel s'était arrêté sur cette île, Enola, où le championnat se déroulait chaque année. Gabriel avait été attiré par cette foule hétéroclite, ce climat centré sur lui-même, les illusions des ports et des habitants. Dans quoi s'était-il encore fourré ?

Cher petit frère,

je voudrais tellement te parler de mon poste d'apprenti champion. C'est véritablement sublime. Mais si seulement il n'y avait que ça ... Ici, c'est devenu difficile : c'est clairement la guerre. Le Régime fait des siennes. Je ne sais pas si cette lettre sera interceptée.
J'ai peur, Alam.
Je ne sais ce qui sortira de tous ces conflits, de tous ces morts, et je devine un horizon particulièrement sombre. Je ferais de mon mieux pour venir en aide à cette ville que j'apprécie.
Personne ne mérite de mourir.
Mais que peut-on faire, pour ses idéaux, hormis se battre pour eux ?
Dis à maman et à papa que je les aime,
et je t'aime, toi aussi,

Gabriel.

Nocturne.
Alam retourna les décombres de l'arène d'Amanil, les doigts gourds et pleins de sang. La ville n'était que cendres et ruines. Comme l'île, comme une plaie sanglante sur le paysage. Il avait été là après la bataille, bien sûr ; leur voyage jusqu'à Enola avait été trop long, trop lent.
A contrecoeur, ses parents l'avaient laissé là ; ils avaient proposé de venir, inquiets eux aussi pour Gabriel. Alam les avait protégé, leur avait fait promettre de ne pas venir. C'était par téléphone qu'il leur avait apprit la disparition, puis la mort de Gabriel quand ils avaient trouvé le cadavre.
Une balle dans la poitrine.
Si certains avaient trouvé la mort dans les catastrophes, comme des dégâts collatéraux, c'était des hommes qui avaient mit fin à la vie de Gabriel.
Alam regardait cette ville, toute de suie noire, de flammes rouges et de sang carmin vêtue. C'était triste à en mourir.
Il avait été si malade, en aidant Amanil à sortir de ses cendres.
Il avait vomi de si nombreuses fois, l'estomac vide, la gorge irritée, la nausée ne voulant pas passer devant tant de violence, ou ce qu'il en restait.
C'est dans cette situation d'entraide, d'espoir, qu'il rencontra Lysandre. Le fantominus devait être l'amas spectral des morts des environs. Comme un symbole fantômatique des morts. C'était à la fois très fort et très triste. Mais des spectres, que peut-il venir d'autre que la rage ou le pardon ?
Alam pria de si nombreuses fois pour tout soit pardonné.
Et qu'il ne se sente plus coupable d'avoir laissé son frère se faire tuer. Trop lâche. Trop stupide.
Trop ... trop.

Aube.
Car après la nuit, et les étoiles, vient l'aube orangée qui précède le soleil.
Car après toutes les guerres, la famine, la peur, l'humain prend toujours le pas sur la noirceur.
Alam s'éleva en tant que nouveau champion d'Amanil. Ses aspirations, ses envies mais aussi sa générosité et sa bienveillance envers la ville et ses habitants, puis ses compétences en tant qu'agriculteur et arboriculteur l'amenèrent à rapidement prendre cette place - comme si elle lui revenait de droit.
Héritage de son défunt frère.
Secret gardé, au coeur d'une poitrine creuse.
Il trouverait celui qui avait logé cette balle meurtrière. Il voulait comprendre, il voulait savoir.
Mais la vengeance attendrait.
Car Amanil, elle, n'attendrait pas.
S'occuper des vivants, puis s'occuper des morts.
Il sera toujours temps demain d'honorer ceux qui sont tombés.
Les habitants le mirent très souvent au défi. Poussant dans les retranchements ce champion débutant, ils l'aidèrent à se perfectionner, à s'améliorer. Alam en avait besoin ; il avait connu bien des combats, ceux spontanées et enfantins avec Rosa et d'autres dresseurs étant plus jeunes, puis ceux matures, réfléchis, quand il avait grandi et qu'il n'acceptait plus tous les défis comme un garçon trop fier. Alam s'exerça également avec la Milice de la ville, n'appréciant guère le côté militaire et martial, mais il savait que la protection passait par cela. Heureusement pour lui, il n'était pas entièrement aux commandes et n'était que co-chef de la Milice. Il pouvait se reposer sur quelqu'un pour diriger tout cela ; lui qui n'avait pas d'envie agressive ou de force puissante préférait laisser aux autres le commandement de ce genre de choses. Pourtant, il appréciait le côté plus stratégique, comme le déploiement de troupes, la protection en tant que telle. Il était plus stratège que combattant ; il était loin d'être parfait, le champion d'Amanil, mais il faisait pourtant beaucoup d'efforts pour réellement aider sa ville.
Car Amanil était à présent sa cité, comme elle était celle de ses habitants.
Il ne pouvait laisser tomber ces gens, qui avaient connus son frère. Il cacha d'ailleurs ce secret, enfoui en lui ; il camoufla son nom de famille, esquiva les questions. Qui savait quelle personne avait tué Gabriel ? Elle pouvait se cacher parmi ces gens, mais c'était une brûlure au coeur, car Alam avait apprit à leur faire confiance.
Il songeait souvent à sa vie sur ce bateau familial, à cet avenir qu'il avait délaissé. A ce fardeau qu'il venait de prendre, pour son frère, en son honneur, en son souvenir. Il n'avait jamais eu de ville comme celle-ci, car il avait souvent bougé, ici et là. Il avait sûrement beaucoup de lacunes, voyageur plutôt que sédentaire. Il avait beaucoup à apprendre.
Mais il le ferait avec ces gens d'Amanil.
Ses concitoyens.
Ses nouveaux amis.