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L'Elu auto-proclamé des Monarchistes fait son entrée ! La Compétition, Elixir et le Gouvernement sont en crise et les Anarchistes demandent la démission du Chef du Conseil.
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Un blocus Anarchiste est en cours à Vanawi, sous surveillance des forces de l'ordre.

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Rage Against the Machine [OS]
Natsume Enodril-Miyano

Rage against the machine

Ou quand on refoule (encore) un truc
Je m'attendais un peu à ne pas retrouver de vacations à la rentrée. La thèse traîne, traîne, traîne tellement que même ma directrice commence à grimacer lorsque vient le moment de demander un renouvellement au secrétariat. Mon contrat doctoral étant terminé, je me suis retrouvé avec un salaire en fin de mois beaucoup moins important qu'avant, et... Et il faut bien payer les factures. Même si cela fait deux ans que j'ai ouvert la pension, il faudra encore une année ou deux avant que je puisse en vivre complètement. Et pour être honnête, je commence à avoir hâte. Le précariat, c'est supportable quand on est étudiant ; on se dit que c'est une étape, et c'en est une. Une espèce de période où on a le droit de se plaindre de manger des pâtes car c'est inscrit que les choses doivent se  passer ainsi, et parce que vous savez que vous serez plus ou moins tranquille après. C'est beaucoup moins drôle quand vous travaillez toute la journée, que vous avez un gamin à charge et que la banque vous fait bien comprendre que vous n'avez pas intérêt à rater la moindre échéance.
Tout ça pour dire, et je vous promets que j'arrêterais de geindre après ça, qu'il a bien fallu trouver quelque chose. Un peu par dépit, je n'ai donc pas eu la conscience de refuser lorsque l'on m'a proposé de faire des heures de remplacement en maths et en SVT dans un lycée du coin ; ou du moins, je vais être en honnête, je n'en avais pas vraiment les moyens. Et n'allez pas voir de mépris de ma part pour l'enseignement dans le secondaire, juste... Ce n'était pas vraiment de gaieté de cœur, même si j'essaie de faire un travail à peu près correct. La motivation manque, il faut le dire.

C'est donc sans surprise que j'accueille souvent la sonnerie comme une libération. Bien qu'elle soit très pénible pour mes tympans (et j'ai promis à Samaël que j'en parlerais à ma psy), ils sont apaisés dès lors que les élèves sortent de la pièce, me laissant quelques minutes de pause pour essayer de remettre mes idées en place. Je commence à m'habituer à la transition, au rythme, et dans tous les cas, je n'ai pas trop le choix, alors je fais comme je peux ; heureusement pour moi, j'ai toujours été plutôt doué pour m'adapter, quand bien même l'incertitude me rend naturellement nerveux. Au delà des problèmes de locaux et autres, il y avait évidemment le budget (parce que bon, faudrait pas qu'on donne des sous à ceux qui enseignent aux gamins gratuitement et à leurs activités, faut pas déconner, hein), et...
Et les gamins. Si j'étais plus ou moins à l'aise avec de jeunes adultes car j'avais la tâche de matières plus complexes et donc plus aisées à expliquer (réduire quelque chose d'ardu est bien plus difficile), ainsi que le fait qu'ils étaient plus calmes, je n'avais jamais, jusque là, enseigné à des lycéens. Le vacarme, les premières semaines, m'a beaucoup, beaucoup fatigué. La nécessité de remettre de l'ordre régulièrement, de surveiller, de faire plus ou moins le flic de temps à autre alors que j'ai horreur de ça (je veux dire, si ils trichent et que je ne les chope pas, bah tant mieux pour eux) font que je n'ai littéralement pas eu le temps de faire autre chose de mes semaines, déjà bien chargées avec la pension à gérer. Fort heureusement, Maxime et Yann font leur travail merveilleusement bien (et quand j'aurais plus de fonds, il faudra que je leur réserve une bonne prime de noël) ; Samaël et Kagami, quant à eux, me tirent un énorme service en se chargeant d'Axel quand je ne peux vraiment plus le faire. Je ne peux pas nier, toutefois, que ma fatigue est conséquente ces temps-ci. Je n'ai même pas touché à ma thèse depuis juillet dernier. Le retard que je prends m'angoisse d'autant plus et je culpabilise davantage chaque soir lorsque je consens à m'arrêter pour passer un peu de temps avec ma famille. Je ne devrais pas, et je le sais, mais... Tout ça commence à peser son poids sur ma santé mentale et mon état physique, aussi. Je n'en ai parlé à personne, car je déteste qu'on me materne, mais ma respiration est plus hasardeuse, ces temps-ci. Je me remets encore de ma jambe cassée, alors ça n'aide pas, mais... Je ne sais pas. Je suppose que les vacances seront l'occasion de respirer ; une semaine et demie, ça devrait aller, non... ? Je n'ai pas trop le choix, de toute façon. Mes finances sont bien trop dans le rouge pour que je puisse refuser les heures qu'on me propose. La rentrée, les nécessités, les factures et tant d'autres choses n'attendront pas. De toute façon, quand j'ai dû retaper ma l2 à cause de mon amnésie traumatique, c'était bien plus intense. Si j'étais honnête, j'avouerais que c'était autre chose, que ce n'était que deux mois et que je n'avais que ça à faire. Mais je ne le suis pas du tout.

Les noms, en revanche, ne me viennent pas aisément. En même temps, j'ai beaucoup de mal à associer les visages aux noms, pour une raison que j'ignore (et je sentirais presque le regard blasé de mon compagnon et son « c'est quand que tu vas voir ta psy au fait » mais je suis très doué pour regarder à côté). Les premiers jours, j'emmêlais tout et j'avais un peu la honte de leur demander de mettre leurs petits cartons à la fin du mois, mais je crois que cela commence à venir. Ou du moins, juste assez pour que je retienne celui de l'élève en face de moi.

« … Oui, Misha ? »

Je me demande ce qu'iel veut, surtout à la fin du cours. D'ordinaire, c'est même la première personne à partir, parfois carrément cinq à dix minutes avant la sonnerie (et sous mon regard un peu blasé car le bruit n'est pas accessoire). Puisqu'iel ne parle pas trop non plus en général, et qu'iel a l'air très à l'aise avec ses camarades de classe, je me demande ce qui peut passer par la tête de ce.tte gamin.e blond.e, élancé.e et aux yeux verts très vifs lorsqu'iel se pose devant mon bureau, l'air plein.e d'hésitation. Malgré ses vêtements colorés et très « rock » (que j'apprécie beaucoup même si je n'ai jamais eu le cran de m'habiller comme ça étant ado), l'assurance n'est pas son lot pour le moment. En soi, ses notes ne sont pas excellentes mais elles sont loin d'être mauvaises aussi, alors ce n'est probablement pas une réclamation quant à une notation ou une incompréhension. Faut dire que je ne suis pas vraiment habitué non plus à ce qu'on vienne me parler à la fin de l'heure, ce que je ne saisis pas trop. Probablement que mon statut de remplaçant leur fait se dire que ça ne veut pas la peine... ? Dans tous les cas, l'adolescent.e paraît mal à l'aise devant moi, alors j'essaie de détendre mon regard.

« S'cusez moi, monsieur, c'est juste, hm... Vous savez, le devoir maison qu'on doit rendre lundi... ?
- ... Oui ? »

Ah. Je la connais, cette chanson, mais je m'efforce de simuler l'ignorance, ne voulant pas l'intimider, alors j'attends qu'iel explicite ses propos. Iel semble gêné, ce qui va dans le sens d'une demande un peu piteuse, mais bon... J'ai été à sa place, aussi. Je peux lui donner le bénéfice du doute.

« … Je pourrais vous le rendre mardi ? J'ai un truc à faire ce week-end, et, euh, enfin, hm...
- Je vous l'avais donné il y a deux semaines pourtant, non ? »

Un regard en coin, je me contente de cette remarque, peut-être un peu cruelle. D'accord, d'accord, je suis peut-être en train de faire le vieux chiant, là, mais... Mais c'est important, de les faire à l'avance, ses devoirs, même si ça paraît largement inutile, pour éviter ce genre de soucis, bâcler ou même en faire trop d'un coup. Enfin, je prends des accommodations pour mes élèves à besoins spécifiques, mais sauf si je me trompe, je crois que le souci n'est pas là. Misha a l'air quelque peu gêné.e, me faisant me dire qu'iel doit se rendre compte de ça.

« Je sais, je sais, je... Je voulais le faire j'vous jure, mais y'a eu des soucis et, euh... Y'a la manif ce week-end et avec le collectif j'dois gérer les papiers et le trajet alors... »

Iel bredouille et balbutie, le regard baissé. Je peux sentir son malaise jusque là, et il noue dans mon ventre quelque chose de désagréable. Même quand ils exagèrent, je n'aime jamais mettre mes élèves dans la mouise ; et généralement, ils n'abusent pas trop, lorsque l'on leur laisse une seconde chance. L'école « sévérité à tout prix » n'a jamais vraiment été la mienne. Néanmoins, un petit détail me passe par l'oreille, et je plisse un peu les sourcils.

« Le collectif... ?  La manif... ? »

Alors non, je sais ce que c'est, hein, mais je suis juste étonné d'entendre que Misha fait partie de quelque chose du genre. Ou du moins, je n'en avais jamais entendu parler avant, tout comme la « manif » dont il parle comme si je devais savoir de quoi il s'agit. Manque de pot, j'ai la conscience politique d'un rôti de porc et je ne suis pas vraiment au fait de tout ce qui se passe. Du moins, surtout ces temps-ci, avec la dose de travail que j'ai sur le dos et mes cernes qui se font de plus en plus prononcées. Mais pour être honnête... Je regarde aussi pas mal ailleurs. Depuis l'incident qui a causé la mort de quelqu'un sur l'île de Regirock, je zappe de plus en plus. Je regarde ailleurs, je ravale ma frustration, je m'agace en silence, ignorant tout ce qui pourrait faire bouillir quelque chose en moi qui me met mal à l'aise. Alors oui, j'ai l'air un peu neuneu, là, à attendre qu'un.e gamin.e m'explique des choses pareilles. Iel a même l'air relativement étonné.e, haussant des sourcils avant de reprendre la parole.

« Bah, euh, monsieur, celui des lycéens anarchistes ! On a le syndic de la fac qui va venir avec nous pour la manif anar de ce jeudi, alors il faut qu'on s'organise, mais on a reçu des papiers en retard et ça complique tout... »

Iel pourrait bien être en train de me raconter n'importe quoi que je n'irais pas chercher. Et à vrai dire, je n'ai pas envie de le faire. Tout au plus, je lae laisse développer pour ne pas lae gêner, mais je sens qu'iel s'embourbe dans ses propos. Je me demande, un peu naïvement, si iel est intimidé par quelque chose. Sentant que la conversation risque de durer longtemps sinon (je vous avoue qu'un peu égoïstement j'aimerais que ça se termine, aussi), j'essaie donc de lui envoyer une bouée de sauvetage.

« … Et donc, vous avez besoin d'un délai à cause de ça, si j'ai compris.
- B-bah, euh... Si vous voulez bien ? Je sais que c'est ma faute et tout mais... V-vous pouvez me retirer deux ou trois points si jamais ! »

Je l'ai vu relever le regard, des lueurs d'espoir dans les yeux alors qu'iel me fixe comme si j'étais sur le point de lui donner de l'eau alors qu'il mourrait de soif. Sur le moment, je ne peux pas m'empêcher de lae fixer d'un air désabusé, quelque peu blasé malgré tout par le fait que cela veut dire que je vais encore avoir des corrections à faire en fin de semaine (car quand on dit oui à un, c'est les autres qui réclameront, même en petit nombre), ce qui ne m'arrange vraiment pas. Si je travaille encore un samedi soir, je crois que Sam aura ma tête ; mais bon, c'est un peu un cas exceptionnel, non... ?

« … Dans mon casier au grand maximum mercredi matin. Sinon, ça sera un zéro. »

Finalement, c'est dans un soupir que je finis par céder, l'air un peu lassé mais plutôt mou, en somme. Instantanément, la lumière revient sur le visage de mon élève qui semble comme reprendre vie, un immense sourire au visage. Voilà qu'iel sursaute presque, posant ses mains sur mon bureau avec une force qui me surprend, l'air surexcité.e.

« Merci, monsieur ! Merci beaucoup ! »

Déconcerté, je cligne bêtement des yeux, marmonnant vaguement un « euh pas de quoi » probablement trop familier, plus qu'incertain devant le comportement que je devrais avoir. Est-ce trop rigide, pas assez rigide... ? Nerveux, je ne retiens pas une gesticulation de ma main sur mon pantalon, m'interrogeant sur la raison d'une telle joie. Misha n'avait pas l'air de trop y croire, en somme. L'on dirait que je l'ai vraiment pris de court ; est-ce que ses autres profs l'auraient envoyé balader avant, ou même maintenant... ?
Dans tous les cas, je m'attendais à ce qu'iel s'en aille maintenant, puisque je suppose qu'iel doit avoir cours après moi, mais voilà qu'iel se met à fouiller dans son sac avec précipitation, passant au delà de plusieurs feuillées abîmées et froissées, jusqu'à en sortir un petit pamphlet parfaitement propre et sans aucune pliure. Iel me tend l'objet sur le bureau, le faisant glisser sans un mot, avant de sourire d'un air un peu gêné.

« … Et euh, enfin, si vous voulez venir, ça serait cool, alors... »

J'examine vaguement ce qu'iel m'a tendu, reconnaissant le logo et les slogans d'une association que je connaissais de l'université. Surpris, je hausse les sourcils. Sur le moment, j'hésite à lae rappeler à l'ordre ; normalement, on a pas le droit de discuter de ça en cours, mais... Je ne sais pas. Probablement qu'iel voulait faire de bonne foi et me montrer que ce n'était pas du pipeau, tout ça, et puis... Je sais pas. J'ai toujours été très mal à l'aise avec le fait d'interdire de discuter de ce qui régit la vie en commun dans des lieux où l'on est justement sensé apprendre à débattre et réfléchir par soi-même. Et en vérité, quelque chose d'autre m'interroge ; pense-t-iel que cela m'intéresserait... ? Est-ce que je lui aurais donné cette impression... ? Silencieux, je finis donc par hocher de la tête, une expression polie sur le visage.

« Bonne journée, Misha. Vous allez être en retard. »

Comme si iel se rappelait soudainement de ce léger détail, voilà qu'iel bredouille quelques excuses avant de saisir son sac et de se tailler comme une fusée. Inconsciemment, même si iel fait claquer la porte derrière lui, je me retrouve tout de même à sourire légèrement. Bah, y sont pas méchants, dans le fond, ces gamins... Peut-être même que je les aime bien. Peut-être. Pas quand ils beuglent pendant une demie-heure, certes, mais de temps à autre.... M'enfin. J'ai d'autres choses à faire.


« Oh ! Oh, m'sieur Miyano, m'sieur ! »

Aïe. Moi qui espérait être discret en passant par la porte principale aujourd'hui... C'est cramé. Faut dire que la voiture m'a lâché en chemin (et qui qui qui avait avoir le droit à une facture du garagiste... ? C'est moiiiii) et que du coup, je n'avais pas trop envie de faire un énorme détour par la rue opposée à mon arrêt de bus. J'espérais ne pas être repéré par les élèves (et non, je ne flippe pas devant des lycéens, c'est faux), mais il faut croire que j'ai raté mon coup. M'arrêtant, je détourne vaguement le regard pour reconnaître qui m'appelle, avant de cligner des yeux en reconnaissant Misha. Lae blondinet.te a fait quelques pas rapides en ma direction, l'air joyeux, me tirant un haussement de sourcils. Je ne sais pas trop ce qu'iel veut, mais iel a l'air assez heureux.se de me voir, ce qui ne peut que susciter ma curiosité. Bon, en vrai, j'aimerais aussi avoir le temps de prendre un thé avant le début des cours, mais... On fait avec ce qu'on peut. Attentif malgré ma flemme, j'attends donc qu'iel s'explique, ce qui ne tarde pas à se faire.

« Promis, j'vous embête pas, c'est juste... J'avais un truc à vous donner, pour la dernière fois !
- Si c'est pour l'exercice optionnel, c'est trop t-
- Non, non ! J'veux dire, pour vous dire merci d'avoir pris mon DM en r'tard ! Vous avez même pas retiré de points ! »

Je ne dirais pas qu'il n'y avait déjà pas grand chose à retirer là-dedans, car ce serait probablement mal accueilli. Et puis, dans tous les cas, je suis tellement surpris qu'iel tienne à faire un point là-dessus que je lae fixe avec surprise, les sourcils haussés. Je ne pensais pas que c'était grand chose, en vrai. Tout au plus, cela m'a mis un peu dans la panade car j'avais prévu d'en finir avec tous ces DM pour ce week-end, mais... Enfin bon. Je suppose que je peux me flatter l'ego et me dire que je suis quelqu'un de généreux pendant trois secondes, ça ne mange pas de pain.
Je m'attendais, en soi, à ce que ce soit tout, mais j'avais tort, puisque lae lycéen.ne fouille de nouveau dans son sac à la recherche de quelque chose. Le voyant venir, je prends l'initiative de l'arrêter, ne serait-ce que parce que je ne compte pas venir (mine de rien, quand on a un gosse sur les bras, c'est compliqué, et oui je ne suis pas du tout en train de me chercher des excuses).

« Si c'est pour un prospectus...
- Hein ? Non, non ! C'est un œuf ! »

Iel me fixe avec amusement, gloussant devant mon expression choquée tandis qu'il déballe de son sac à dos ce qui est, effectivement, un œuf. Dire que je m'attendais à ça aurait été un grossier mensonge que je ne me permets pas. L'air ébahi, je ne réagis pas tout de suite, un peu sur les fesses. Là, clairement, à neuf heures le matin, je n'aurais pas imaginé me retrouver avec un élève qui m'offre un pokémon de bout en blanc. Misha a l'air, contrairement à moi, très à l'aise.

« Vous aviez dit que vous étiez éleveur plante, non ? Parce que ma Sucreine elle a eu un petit et euh, je sais pas à qui le donner, et... »

Je ne sais pas si iel pipeaute pour que je le crois ou si c'est la vérité, mais je m'en fiche un peu, en soi. Je ne vais pas mentir, je cherche un Croquine depuis un moment déjà, car c'est un pokémon qui manque à mon élevage ; jusque là, toutefois, je n'avais pas réussi à m'en procurer un. Qu'on me l'offre comme ça me surprend donc et me rendrait presque guilleret, mais... Mais il y a un petit souci, et je grimace en y pensant, embêté à l'idée de devoir refuser ou de décevoir mon élève.

« … Ce n'est pas très réglementaire, vous savez ? »-

Je ne voudrais pas qu'on croit que je fais des privilèges, ou qu'iel a ainsi « acheté » ma clémence quant à son retard. Toujours un peu guindé, j'ai tendance à suivre les règles inutiles dans la simple volonté de ne pas me stresser. Mais là, néanmoins, je me sens un peu faible, me contentant de les répéter comme un perroquet pour éviter de penser au fait qu'accepter ne me prendrait que deux secondes ; une hésitation qui doit se ressentir, puisque voilà que Misha insiste, une moue boudeuse sur le visage.

« B-bah, je sais, mais, euh... Vous allez pas me faire le ramener chez moi, quand même ? Je vais devoir me le taper toute la journée sinon ! »

Sa complainte me tirerait presque un lever d'yeux au ciel tend elle est plaintive, mais... Mais je dois avouer que fait un argument de plus pour contrebalancer l'égoïste en moi-même qui ne demande qu'à dire oui. Je passe plusieurs secondes à fixer l’œuf, pris par une hésitation on ne peut plus intense, examinant de temps à autre attentivement le visage de lae cadet.te. Finalement, c'est dans un soupir que je cède à nouveau, tentant tout de même de me donner un air grincheux pour être crédible.

« Alors faites-moi plaisir et soyez à l'heure, aujourd'hui. J'aimerais ne pas encore devoir refaire l'appel car votre groupe est arrivé vingt minutes en retard. »

Ma tête de cochon ne semble absolument pas l'intimider. Au contraire même, puisqu'iel sourit davantage, bien content.e d'ellui.

« Promis, m'sieur ! »

Et moi, alors que je suis laissé là, sur un parking de lycée avec un œuf dans les mains, eh bien, croyez-moi ou pas, mais je me sens con comme un bâton de me sentir de relative bonne humeur. Je vais finir par croire Yann, quand il dit que je me ramollis avec les gosses...



« M'sieur... On peut parler de ce qui s'est passé, ce week-end... ? »

Je l'ai bien vu à leurs mines déconfites et mornes dans le couloir, que cette conversation serait inévitable. Pour être tout à fait honnête, je n'ai moi-même appris la nouvelle qu'en ouvrant ma boîte mail hier soir et en découvrant qu'il se trouvait-là un mail de la direction, visiblement adressée à tout le bahut. J'ai mis un temps, en le lisant, à vraiment comprendre. Puis, j'ai regardé les infos, fait le tour des sites, et... Et je ne sais pas. Sur le moment, ça ne s'est pas intégré tout de suite à mon cerveau. Même ce matin, j'avais du mal à croire ce que j'avais lu. Il a fallu que j'envoie un mail en urgence à une collègue pour en avoir la confirmation, et le siège vide dans ma classe m'en a paru encore plus criant. Je m'attendais presque à ce qu'un retard finisse par le remplir, comme si je l'espérais presque, mais... Mais non. Vu la tête de son amie, ça ne sera pas le cas.

Je sens que l'humeur est basse. Et à vrai dire, la mienne aussi. Ces derniers temps, je crois que mes antidépresseurs ne sont d'aucune utilité contre ma fatigue grandissante et mes... Mon état, on va dire. L'événement de ce week-end était juste un détail de plus. Enfin, un « détail »... C'est loin d'en être un. Simplement, il s'agit d'une portion d'eau dans un vase déjà plein. Je ne réalise pas encore, fatigué et las malgré ma mine illisible, ne souhaitant pas davantage alerter les gamins. Leurs regards inquiets se posent vers moi à la recherche d'une réponse, d'une explication, de paroles rassurantes et calmes qu'ils sont en droit d'attendre d'un adulte censé les guider, même partiellement. Hier, je n'ai presque pas dormi de la nuit en imaginant ce moment ; j'avais cherché des mots, des paroles à bredouiller pour les satisfaire, mais... Rien n'est venu. Absolument rien.  

« Je... Je ne vous demanderais pas de travailler durant ce cours. Prenez le temps de parler entre vous, les devoirs à rendre sont bien sûr reportés. »

Ce n'est rien. Ce n'est strictement rien, et c'est encore moins quelque chose qui s'apparente à des paroles satisfaisantes. Qu'est-ce que je peux leur dire, de toute façon... ? 

« Vous pensez que Misha va aller en prison... ? »

Les propos timides et craintifs d'une adolescente me font sortir – légèrement – de ma torpeur. Elle vocalise les craintes de pas mal d'autres de ses camarades ; je sais, en plus, qu'il y en a parmi eux qui y étaient, samedi. Sans doute qu'ils doivent se demander si ils auraient pu être à sa place. Immédiatement, comme pour les rassurer alors je n'en suis pas tellement sûr moi-même, je reprends la parole en hochant négativement de la tête.

« Non, non... Ils ont prolongé la garde à vue, mais il y a un délai légal et une enquête préliminaire à terminer, déjà.
- C'est quoi, une enquête préliminaire... ? »

Je me raccroche à des mots, à des principes, mais la question d'un gamin me rappelle d'une manière on ne peut plus claire que tout ça, ce n'est que du blabla et des concepts. Rien de bien concret, comme le fait que leur camarade est actuellement en train de croupir dans une cellule d'isolement pour une sombre histoire de « matériel d'émeute » trouvé dans son sac après qu'il y ait eu de « l'agitation », de ce que j'ai compris. J'aurais beau leur sortir un « c'est normal ne vous inquiétez pas », ça ne changerait rien, hormis peut-être faire remonter un goût de vomi dans ma gorge. Les jolis mensonges, ce n'est pas mon style ; faut dire, j'en ai entendu bien assez étant gamin, venant d'une famille de politicards en tous genres. J'ai toutefois bien du mal à dire les choses telles qu'elles sont, me retrouvant à simuler une forme d'assurance que je ne maitrise même pas, rendant mes paroles plus lentes et hésitantes, avec quelques accélérations inconscientes causées par le stress.

« C'est... C'est ce qu'on fait avant de poursuivre des charges auprès de quelqu'un. Dans ce cas-là, je suppose qu'ils veulent récupérer un maximum de preuves et de témoignages avant de relâcher Misha. »

J'évite de dire que normalement, on évite de mettre des gens en garde à vue sans preuves directes. Et les flics auront beau dire autant qu'ils veulent que « il fallait ne prendre aucun risques en premier lieu », ça a toujours un sale goût dans ma bouche. En même temps, j'explique, j'utilise leurs termes, leurs principes, mais tout ça a un parfum rance à mes yeux. Je n'ai jamais caché mon dégoût pour les institutions, quoi qu'elles puissent être. Sans doute que le gosse battu de sept ans qui a vu sa mère dépérir à petit feu et sa sœur souffrir pendant des années, que ce gamin-là qui a vu tout ce que l'argent et le pouvoir pouvaient acheter et dissimuler, qui a compris qu'il y avait ceux qui se taisaient et ceux qui exploitaient, probablement qu'il est responsable de l'agitation dans ma poitrine, depuis quelques jours. Depuis quelques mois, même. Je l'entendais déjà pester il y a quelques années, lorsque la milice s'était formée, puis lors de leurs échecs retentissants avec les centres pour pokémon de régimeux, puis, enfin, après cet accident dramatique sur l'île. Je ne l'écoutais pas, jusque là. Je le prenais pour une petite voix rance, une rancune personnelle, une vieille habitude qu'il ne fallait pas encourager.
D'un autre côté, quand vous allez vous marier avec Sirius, vous évitez d'ouvrir votre gueule sur le fait que, en vrai, ça vous emmerderait pas du tout si on annonçait que la milice allait être dissoute, qu'Elixir botterait son cul en dehors de la recherche scientifique et des programmes d'aide sociale car vous n'avez aucune confiance en une entreprise capitaliste pour viser le bien-être général et que, tout de même, il faudrait envisager des réformes un peu plus costaudes que quelques arrangements à la-va-vite quand le taux de pauvreté de votre pays explose. Et quand, en plus de ça, vous n'avez même pas la nationalité et on a bien vite fait de vous rappeler que vous « n'êtes pas d'ici non », bah vous fermez votre gueule. Vous lui claquez une beigne, au gosse, et vous ravaler votre frustration, vous changez de chaîne lorsque quelque chose passer à la télé, vous évitez les questions, vous sortez des vague phrases pour esquiver le sujet lors des discussions. Et ça marche, au début.

Ça marche, et vous vous retrouvez, un lundi matin, à expliquer à des gosses de seize ans pourquoi quelque chose qui a l'air incroyablement brutal et excessif est en fait tout à fait légal et « normal ». Vous vous retrouvez là, comme un con, à justifier tout ça. À n'offrir rien de plus.
Je n'ai jamais voulu enseigner, à la base. Jugez-moi si vous le voulez, mais l'on a pas tous la possibilité de choisir ce que l'on peut faire pour combler les fins de moi, et je ne suis pas né avec une « vocation ». Oh, j'admire les gens qui peuvent le faire, mais ce n'est pas le salaire ridicule, l'absence de considération et la dose de travail, tant mental que physique, qui me motivent. Pour autant, pendant un long moment, une pensée me traverse.
C'est vraiment ça, que je veux leur apprendre... ? Être aussi...
Les mots exacts ne me viennent pas. Je ne sais pas quoi, exactement, mais quelque chose dans mon comportement actuel m'irrite énormément. Ça me gratte, ça me brûle, ça me pince, ça fourmille, ça grogne dans mon ventre, ça hurle dans mes tripes. Ça me fait chier. Ça m'emmerde, de faire ça, d'être comme ça. De jouer au lâche, au petit bourge privilégié de merde qui regarde ailleurs parce que ça le met à l'aise, car c'est plus agréable pour le confort de son cul. D'attendre, de regarder, les fesses vissées à ma chaise, sans rien dire. J'ai la gorge nouée, mais je ne crois pas que ce soit à cause de l'ambiance morose.

Malgré tout, sans que je sache vraiment comment, je finis par relever un peu la tête, le regard plus calme, mais parcouru par des étincelles coléreuses. Je me rappelle avoir entendu quelques chuchotements dans les couloirs, avoir vu des flyers passer, une date, et...

« Je viendrais avec vous, ce jeudi. »

Pour une fois, je ne sors pas la moindre excuse piteuse pour justifier une absence : je n'en ai plus envie.


J'ai l'habitude de la colère. J'en avais l'habitude, du moins. Je la connais plutôt bien, du coup ; un peu comme un ami toxique que, au fil du temps et à force de thérapie, on a relégué au fond de son téléphone, dans la catégorie « j'irais le voir pour récupérer mon chargeur de portable mais c'est tout ». La frustration, l'indignation, l'énervement, refouler contre tout ce qu'on trouve et qui pourra le supporter, je connais plutôt bien. Si l'on devait définir mon adolescence, ou du moins la première partie, on pourrait l'intituler « cracher sa haine du monde contre tous les autres et surtout ceux qui n'ont rien fait car on en devient un gros con égocentrique et autocentré quand on a mal en permanence ». Maintenant, je n'ai plus mal, ou du moins, plus d'une manière qui soit comparable. La colère, l'énervement, pourtant, reviennent de temps à autre. J'ai toujours peur qu'elle s'accroche de nouveau, alors je tends l'autre joue, souvent, je trouve des solutions alambiquées, j'évite les confrontations. J'ai toujours peur, quelque part, de recommencer. Parce qu'au fond, c'est pas mal semblable à une drogue ; on n'en raccroche pas si facilement. Il faut des années de thérapie, à trébucher, à tituber, pour arriver à quelque chose de satisfaisant. Oh, n'allez pas entendre ce que je n'ai pas dit : les saloperies faites n'en sont pas moins ignobles et méritent tout autant la condamnation. Simplement... Je sais que j'aimais ça, fut un temps, et je ne veux plus aimer ça.

Parce que lorsqu'il n'y a plus rien, quand tu sais que la douleur ne partira pas, qu'elle ne refluera pas, qu'elle t'étouffera dans tes larmes, que tu devras les taire et les ravaler car tu ne peux plus et tu n'as même plus envie de les laisser sortir, il n'y a plus qu'elle. Quand ta poitrine qui s'arrache, quand tu as l'impression que tout en toi vomit une marée épaisse de peine et de lames effilées, qu'un mazout de venin va finir par déborder de ta poitrine au bord de l'explosion, elle est là, bourgeonnante, dans le creux de ta poitrine. Comme une étincelle de chaleur dans un désert glacial, l'éclat d'une sensation électrique entre des marées d'apathie plus noire que le goudron. Alors, parce que tu as mal, bien trop mal, et parce que tu n'en peux plus de t'étouffer seul dans ton poison, tu la saisis au vol. Soudainement, la douleur se fait muette. Tu la sens encore contre ta peau, dans tes veines, dans les frémissements de ton corps fatigué. Mais elle se tait, anesthésiée, devenue invisible. Elle est là, mais tu n'as plus à la regarder. Sa pression t'étouffe encore, mais tu n'as plus mal, alors qu'est-ce que tu t'en fiches, des avertissements qu'on te donne. La colère, elle, te protège comme un cocon, une chaleur qui t'appartient à toi seul, qu'on ne retirera pas, après trop de temps passé dans un blizzard glacé. On ne peut plus te la retirer, maintenant, car tu t'y accroches, tu la saisis et tu ne la laisses plus partir, t'en enveloppant entièrement alors que tu titubes vaguement pour lever des jambes. Elle est devenue ton vêtement, et quand tu te relèves, elle te donne l'air plus grand que tu ne l'es. Tu sens quelque chose. Et bon sang, qu'est-ce que c'est mieux que rien.
Alors tu t'en fiches, du reste. Tu ne vois pas pourquoi tu y ferais attention, après ça. Tu la laisses prendre le contrôle, glisser entre tes pensées, susurrer à tes interdits les plus fragiles, s’immiscer dans tes veines pour les embraser d'étincelles brûlantes et désagréables.

Sauf qu'au bout d'un moment, c'est toi, qu'elles bouffent. Toi, et les autres que tu as déjà fait souffert par ton comportement. Elles ont faim, et tes gesticulations ne leur suffisent plus : c'est sur toi, maintenant, qu'elle se jette. Et elle te dévore, lentement, progressivement, jusqu'à ne plus laisser que le trognon creusé, vide et sec de ton cœur qui, tu le sais,  est dans un bien pire état qu'avant. La couverture a disparu, la douleur est revenue, mais tu n'as plus rien pour la supporter : tu avais tout jeté pour elle. Et il faut, honteusement, essayer de rattraper tes conneries.
Et t'as quinze ans. T'as quinze ans, et tu dois tout reconstruire avec des cendres. Alors tu fais n'importe quoi, tu brûles les autres, tu réessaies, et t'as une chance incroyable, parce que ça marche, ça tient la route. Et t'as conscience que tout ça, c'est surtout du hasard. C'est fragile. Tu le sens, tu le sais, on te l'a dit. Alors tu fais tout pour ne plus t'engager dans quoi que ce soit qui pourrait y ressembler, même quand ça n'a rien à voir. Ta colère envers une société qui, dans la majorité de ses individus, n'a rien fait, et ta colère envers un système, tu ne les différencies plus ; tu ne t'autorises pas à le faire. Tu ne devrais pas, tu as déjà fait assez de bêtises comme ça, après tout.

Puis bon. Tout le monde sait. Tout le monde le sait, au fond, que t'es une bombe à détonation, dont on ne sait pas vraiment ce qui allumera la mèche. Ils ne le disent pas, mais ça crève des yeux dans leurs regards, dans leurs crispations, dans leurs sourires gênés et dans leurs formules des politesses. Quand on te regarde du coin de l’œil, parce qu'on sait que t'es toujours un peu sanguin, dans le fond, et que la moindre remarque, le moindre signe de ton corps, dans ton ton, dans ta voix, tout est synonyme de risque. Alors tu fais gaffe. Tu fais gaffe, et tu flippes. Tu flippes souvent, tout seul, avec tes pensées.

Alors oui, j'ai l'habitude, et c'est bien ça qui me fait peur, à l'heure actuelle. Parce que je suis là, enfermé dans la pouponnière pour rester avec mes pensées, un mercredi soir, prétextant une quelconque dose de travail importante pour échapper aux questions de ma famille ou de mes amis. Je n'ai pas vraiment envie de voir des regards inquiets sur ma pomme aujourd'hui, ou même d'avoir à donner des explications.
L’œuf que je fixe depuis tout à l'heure ne cesse de bouger. Je sais que l'éclosion est proche, mais ça n'arrange pas ma situation. La culpabilité remonte en des houles régulières, à chaque fois que je repense au sourire  et à la mine joyeuse de mon élève lorsqu'il me l'avait offert. D'ordinaire, je serais fou de joie face à une pareille arrivée, mais mon humeur est morne, et j'ai bien du mal à me sentir impatient. J'aimerais presque qu'il naisse plus tard, ou du moins, pas ce soir.

Il bouge. Il bouge de plus en plus, et je sens, déjà, que le moment arrive : la coquille se fissure, se craquelle. Les sons familiers d'une éclosion sonnent presque durement à mes oreilles, ce soir. Je n'arrive pas à les apprécier comme il se doit ; j'ai la sensation que petits coups après coups sont autant de rappels de la situation dans laquelle je suis, et la bêtise qui me parcoure alors que, comme un pleutre, je regarde cet œuf naître en me lamentant pathétiquement sur ma terreur ridicule de ne pas être impeccable sur tous les points. Parce que dans le fond, ça l'est. Pourquoi diable est-ce que je n'aurais pas le droit d'affirmer ce qui me dérange... ? Pourquoi diable est-ce que je me culpabilise tant d'aller accompagner quelques uns de mes élèves demain, alors que je sens la frustration et l'énervement me rogner les veines depuis trois jours... ?

Alors que je vois la petite Croquine ouvrir lentement ses yeux sur moi et pousser de petits geignements clairs, je viens doucement porter mes bras vers elle pour la tenir contre moi. En sentant sa chaleur, je me sens rassuré. Non, je n'ai rien d'effrayant, même alors que cet agacement que je ressens depuis des mois, voir des années, se libère tranquillement des chaînes que je lui mettais jusque là. Parce que j'estime que j'ai le droit d'estimer qu'on va dans le mur, avec ces méthodes, parce que j'ai le droit d'être frustré que deux groupes de capitalistes se mêlent autant de la vie publique, parce que j'ai le droit de trouver qu'ils sont aussi incapables que dangereux, que ce soit par leur inconscience ou par leur parfaite conscience. J'ai le droit d'être en colère de voir deux entreprises en train de se battre comme des chiens enragés et affamés pour le contrôle, tant symbolique que financier, sur tout ce qui appartient à tout le monde, et ce qui devrait être géré par tout le monde. Et j'ai le droit, aussi, de bouillir de rage en me disant que je ne pourrais pas présenter cette petite Croquine à celui qui me l'a offert tout de suite. Même si cela arrivera, la frustration, je le pense, est légitime.

« Bonjour, toi. Excuse-moi de t'accueillir ainsi. »

J'arrive, malgré tout ça et le goût rance au fond de ma bouche, à esquisser le début d'un sourire timide. C'est idiot, mais je me sens mieux. Vraiment mieux. Comme libéré d'un poids dont j'ignorais jusque là l'existence. Je ne sais pas trop où suivre cette piste me mènera, mais je n'ai plus vraiment envie de regarder ailleurs.


« Mais vous vous foutez de moi.
- Absolument pas, monsieur l'agent. »

Je crois que cela fait deux heures que ça dure, en tout. J'aurais presque pitié du pauvre bougre, qui m'a l'air exténué, mais en même temps, c'est lui qui insiste à poser les mêmes questions en espérant une réponse différente à chaque fois. Je ne suis pas non plus né de la dernière pluie : j'ai choisi l'option « je ne dirais rien sans présence de mon avocat » depuis le début, ce qui est la seule option à prendre quand on est un tant soit peu intelligent et qu'on ne souhaite pas se cramer comme un idiot. En outre, je suis tout autant fatigué, mais je tiens bien le coup ; savoir que je lui complique la vie au maximum me satisfait plutôt bien. Ce serait un ado, la tâche aurait été très aisée : tu les intimides un peu, et ils blanchissent de peur. Un adulte, en plus de ça un peu habitué à ce genre de scènes, c'est tout autre chose, alors le moindre centième de pitié que je peux ressentir disparaît bien vite. Je sens toutefois que son exaspération continue à grandir.

« Vous avez affirmé, lorsque l'officière vous a arrêté, avoir été le détenteur des objets trouvés dans ces sacs, malgré le fait que vos étudiants semblent clairement en être les originaires, entre ça et les insultes, dont vous affirmez être l'auteur... ? »

Je hoche à nouveau de la tête en baillant bruyamment, prenant à peine le temps de couvrir ma bouche parce que je commence sincèrement à avoir la flemme. C'est très chiant, hein, je ne vous cache pas, mais... Bah, je n'ai pas vraiment peur de quoi que ce soit. Et même si je risque de me prendre une amende très salée... Je suis satisfait, aussi. Très satisfait. Tant pis, je ferais une nuit blanche et je retournerais au boulot dès demain comme si de rien n'était. Je préfère de loin passer une soirée en garde à vue que d'imaginer d'autres de mes élèves dans une cellule, même temporaire. Bien que... Bien que les complications s'annoncent nombreuses. Je ne regrette absolument pas de mentir pour les protéger, mais je crois que ce mensonge va s'accompagner par mon renvoi ; une perspective qui m'inquiéterait presque si je n'étais pas complètement déconnecté de ce genre de soucis à l'heure actuelle. J'aurais le temps de m'inquiéter plus tard. Et de toute façon, ça restera mon petit secret.


Livie Vulpino n'est pas vraiment du genre à détester les soirées de garde. Ou du moins, les heures nocturnes ne la dérangent pas plus que ça quand iel sait que c'est pour un client connu, ou pour une cause à peu près décente. Dans le cas ci-présent, si iel avait été surpris de recevoir un appel de Natsume Miyano à cette heure-ci, surtout en provenance d'un commissariat (Livie n'aurait jamais cru qu'un type aussi guindé et coincé soit du genre à se mettre dans la panade, encore plus après une manif, mais visiblement, les apparences, tout ça), l'avocat.e s'était très vite mis.e à la tâche. L'affaire était mineure, de toute façon ; outrage à agent et refus d'obtempérer, ce n'était jamais fun en soi, mais sauf si les flics en question portaient plainte, et il y avait fort à parier que ce ne serait pas le cas, il n'y avait pas de raison de s'inquiéter. De toute façon, Miyano avait été assez intelligent pour choisir de fermer sa bouche sur les circonstances de son interpellation jusqu'à ce que son avocat.e arrive (ce qui lui permettrait très probablement de s'en sortir avec une amende, tout au plus), alors Livie ne s'inquiétait pas plus que ça. C'était pénible, certes, mais ce serait vite terminé. Bien que le choix d'insultes répertoriées dans le procès-verbal ait été... Coloré, si iel pouvait parler ainsi. Puis, il y avait cette histoire de « groupement dans le but de commettre des dégradations » qui lae tracassait un peu ; les faits ne tenaient absolument pas debout, si bien que même si Miyano insistait pour les reconnaître, le service de police lui-même ne paraissait pas être d'accord et désirait abandonner les charges. Ils semblaient plus soupçonneux du groupe de lycéens qu'il accompagnait, mais contre qui, vu que l'éleveur continuait d'affirmer avoir été le seul détenteur des objets trouvés, ils n'avaient rien. Sans doute qu'ils lâcheraient prise ; après tout, ils avaient autre chose à faire, et ce n'était que des points mineurs.
Manque de pot, un léger détail l'embêtait alors qu'iel essayait de boucler son dossier pour que l'éleveur soit relâché au plus vite et qu'aucun prolongement ne soit demandé. Alors, dans un réflexe somme toute très naïf et né d'un désir de bien faire, iel avait pris initiative de saisir le téléphone fixe et, un sourire léger au visage, d'appeler.

« Oui, bonjour monsieur Enodril...? Excusez-moi de vous déranger à une heure pareille, c'est au sujet de la garde à vue de votre compagnon. Il me faudrait une photocopie de sa carte d'identité et de son titre de séjour, vous pensez pouvoir me fournir ça par mail... ? »

Contacter le domicile était après tout la solution la plus simple pour obtenir ces papiers rapidement ; voilà donc pourquoi Livie ne se rendait absolument pas compte que, mine de rien, iel aurait peut-être dû y réfléchir à deux fois. Mais Livie, ce soir-là, se coucha avec l'intime satisfaction d'avoir rondement mené sa soirée, sans trop se rappeler que son client, spécifiquement, lui avait demandé de ne pas appeler chez lui. La fatigue, malheureusement, et l'impatience de bien faire, étaient très mauvaises conseillères, chez le pot de blanco.


FIN

O
C
T
O
B
R
E

2
0
2
4
Obtention de Mitsuru
Natsume Enodril-Miyano
Natsume Enodril-Miyano
Eleveur
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Ven 25 Oct 2019 - 1:51
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