Je dois avoir l'air d'un imbécile heureux, à l'instant. Et en même temps, ce n'est pas comme si je cherchais à cacher ma joie. Le sourire béat sur mon visage alors que je regarde l'Ortide se dandiner à côté de moi doit même me donner un peu l'air creepy, à vrai dire, mais si vous saviez comme je m'en fous, hein. À peu près autant que des gens qui débattent pour savoir ce qu'il y a de mieux entre le café et le thé (le thé, duh). Et pourtant, j'ai les gants plein de terre et de boue, à farfouiller dans le sol.
J'avais besoin d'un spécimen introuvable dans mon jardin, pour la simple raison que je ne l'avais jamais fait pousser, et ignorait son existence jusque là. Au détour d'une conversation par mails avec une collègue pourtant, cette dernière m'avait indiqué que je trouverais probablement quelque chose d'intéressant si je prenais la peine de passer par les plaines fleuries. Et, pour être honnête, j'ai un peu utilisé cette excuse pour me lever au petit-matin et aller parcourir les étendues florales de Nuva Eja.

Cela faisait un moment que je n'y ai été pas allé, à vrai dire. Passé une sale expérience avec un Chacripan, que je ne détaillerais pas sous peine de perdre toute forme de dignité, il est assez évident que cet endroit est l'un de mes favoris sur l'île entière, même si m'y rendre est toujours un peu compliqué. Ça ne me dérange pas de m'y rendre à l'aube, toutefois, sachant qu'en plus, j'ai une petite idée pour la suite.
J'ai fouillé pendant une bonne demie-heure avant de trouver, tout de même. Mais j'ai l'habitude, et même si mes genoux se plaignent de l'effort que je leur demande, ça ne me dérange pas. Ça valait le coût. Avec une délicatesse infinie, je fais doucement sortir les racines de la fleur que je veux prélever, et la dépose dans un bocal ouvert, déjà rempli de terre, que j'emporterai chez moi pour une observation détaillé, puis une tentative de plantation. Excité comme une puce à l'idée de voir une trentaine de ces choses germer du côté du champ des pollinisateurs, je ne fais pas trop attention à ce que font mes pokémon.
Pour les faire sortir, et aussi avec un motif ultérieur, j'ai demandé à Ushiwaka, mon Ortide, et Emiya le Carabing, un de ses plus proches amis, de venir avec moi. Vu leurs difficultés avec les autres pokémon de l'élevage, ça ne peut pas leur de mal, de toute façon. Et, accroupi, les scrutant d'un air curieux, une lueur de tendresse passe dans mes yeux quand je les vois jouer, certes avec brutalité, dans le champ, sans se soucier du reste. Un rictus amusé s'étire un peu sur mes lèvres et je glousse comme un gros mièvre. Non, vraiment, je préfère ça aux galères qui me sont tombées dessus en fin d'année dernière.

J'hésite à les interpeller. Ils sont sans doute plus intéressés par le fait de jouer ensemble, et ça ne m'étonne guère. Ces deux-là ne se sont jamais lâchés, et ce n'est pas pour rien que je suis toujours plus ou moins obligé de prendre l'un avec moi quand je veux voir l'autre. Je ne m'en plains pas, d'ailleurs : ils sont de tels aimants à problèmes que je suis toujours plus rassuré de les voir accompagnés que seuls. Je soupire un peu, et décide de les laisser à leur jeu. J'ai bien le temps d'aborder le sujet important, après tout. Enfin, important... Surtout pour Waka, en réalité. Ce n'était pas si rare que j'assiste à de tels événements, mais c'était toujours un peu particulier quand il s'agissait de mes propres pokémon.
En outre, mon attention fut capturée par autre chose. Un petit bruit me fit froncer les sourcils, perplexe, et je me tournais quasiment tout de suite. Sous mes yeux surpris, un Trompignon sautillait entre les fleurs, l'air ailleurs, le regard confus. Je m'en voulus d'être tout d'abord admiratif, mais rien à faire : malgré les grognements étranges du pokémon, et la bave qui coulait au coin de ses lèvres, j'arrivais tout de même à le trouver particulièrement mignon, par un miracle probablement assimilable à de l'idiotie. Mais plus je le regardais, plus je devais avouer que quelque chose paraissait clocher.

Calmement, je me relève et fais quelques pas en la direction de ce dernier, veillant tout de même à ne pas être trop brusque. Vu les caractéristiques de cette espèce et les capacités qu'il pourrait connaître, je ne veux pas me risquer à finir noyé sous les poudres paralysantes. Mais il semble assez pacifiste, alors j'approche sans crainte dans le regard. Quand je me pose finalement à côté de lui, il ne jette vers moi qu'un regard curieux, et un sourire enthousiaste. Je crois qu'il est juste content de voir quelqu'un d'autre, en vérité. Je le lui rends plus distraitement et doucement, mais  ce sont ses yeux qui attirent mon attention.
Ses pupilles sont quelque peu... Dilatées. Oh. Bon. Je n'avais pas vraiment prévu de tomber sur un Trompignon défoncé en venant ici, tiens... Il me ferait presque penser à Mell, sur le moment. Hm. Vaut mieux pas que je dise ça souvent, je crois.

« Tu... Te sens bien, Trompignon ? »

Il me répond en se laissant tomber sur moi, un grand sourire idiot au visage, avant de glousser comme un enfant. Je crois que ça doit dire oui.