Zéro (de conduite) II

Les maths, ça pue

« Maëlle... Tu te souviens, l'année dernière, quand tu avais du mal à lire ? »

Elle me regarde tout à coup, ses yeux toujours rougis mais qui se calment peu à peu. Elle hoche de la tête, esquissant un sourire en se rappelant probablement de ce temps-là.

« Y'a un monsieur qui m'a appris pour pas que j'ai du retard. »

Maëlle avait eu beaucoup de mal à apprendre à lire, avec la méthode qu'ils enseignaient à l'école. Son frère et moi l'aidions un peu, mais ce fut l'aide d'un accompagnateur qui lui apporta le plus de soutien. C'était un homme très gentil qui l'a suivi durant toute sa progression et qui lui a permis de rattraper le niveau des autres. Ce retard la dérangeait beaucoup, il faut dire. Elle se sentait inférieure, qu'elle m'avouait parfois. Enfin, ce n'était pas son mot exact, mais elle était 'nulle'. Oui, c'est ça. 'Nulle'. 'Les autres ils font que se moquer de moi'. 'Pourquoi j'arrive pas à apprendre, papa ?'. 'Je suis pas normale ?'. 'Je suis moins intelligente ?'. Aaah... L'intelligence. Belle bêtise que de juger des être humains là-dessus par des simples chiffres sur des bouts de papier, de ce que j'en pense. Maëlle n'avait pas besoin de ça, mais c'est sur elle que c'était tombé. Nous ne savons toujours pas la raison exacte pour laquelle elle avait du mal, d'ailleurs, mais la technique utilisée ne marchait pas. Lorsqu'on lui demandait de lire au tableau, sa maîtresse me racontait qu'elle restait silencieuse dans ces moments-là. Elle fut passée pour insolente jusqu'au jour où elle avait fini par fondre en larmes en classe. J'ai alors expliqué à sa professeure et nous avons trouvé des solutions ensemble.

« C'est ça. Tout le monde se moquait de toi. Aujourd'hui, je te vois dévorer tous les livres que je t'achète. Et plus personne n'ose se moquer, à présent. »

C'est à un point où même son frère est étonné, d'ailleurs. Et même, pour la première fois, devancé par sa sœur. C'est même elle qui insiste pour que je la laisse lire l'histoire du soir. Quelques fois, même, je la vois écrire dans sa chambre quand elle ne joue pas avec ses peluches ou qu'elle ne dessine pas. Et je m'en fiche qu'elle ait du retard par rapport aux autres. C'est ma fille, et j'en serai toujours fier.

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Enfin, elle me fait un début de sourire, avant de sécher ses larmes. On dirait que ça va un peu mieux. Elle vient même se blottir un peu contre moi que je lui donne un câlin. Soulagé de constater que j'ai pu au moins lui remonter le moral, je caresse ses cheveux lisses, laissant les vagues et la brise marine nous bercer. Dante refait des bonds dans l'océan, lui aussi rasséréné, tandis que Ariel se retourne pour contempler l'horizon infinie qui défile devant nous. Il est loin, le temps où je devais rentrer sur le bateau pour l'heure du dîner avant qu'on ne me gronde pour avoir laisser filer l'heure. Quand je n'aidais pas aux cuisines, il était toutefois tellement tentant de monter sur le dos de la Lokhlass pour une petite traversée nocturne. Je retrouve les mêmes sensations qui me parcouraient alors chaque fois que je me permets une balade en solitaire lorsque mes enfants sont à l'école. Cela me fait plaisir de voir que ma fille prend autant de plaisir que moi à aller en mer. Elle aurait pu être malade sur les flots, mais ses grands yeux curieux se tournent vers la côté de Baguin qui s'éloigne progressivement. Puis, elle descend en s'aidant des pics sur la carapace de mon alliée pour se pencher un peu. Je la retiens par le bassin pour éviter qu'elle ne fasse une mauvaise chute. Alors elle tend son bras pour effleurer l'océan, avant de plonger sa main tout à fait. Malin, l'Otaria se place juste en dessous pour recevoir des gratouilles en prime. Il arrive toutefois à faire rire la fillette, ce qui me met un peu de baume au cœur.

« Tu cherches quoi, ici, papa ?
- Héhé... Je vais te laisser deviner. »

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« Hmm... Un Magicarpe ?
- Hn-hn.
- Oh, je sais ! C'est un Vorstér... Un Virast...
- Héhé, non, ce n'est pas un Vorastérie non plus. »

Je la laisse se triturer les ménages encore un peu, comme je sais qu'elle n'aime pas avoir la réponse tout de suite. Comme Noah, elle aime bien deviner d'abord par elle-même en donnant toutes les réponses possibles pour être sûre de trouver. Ariel la regarde avec un sourire amusé, faisant fuir les quelques poissons qui viendraient nous déranger. Ma Lokhlass heureusement, elle, sait quel Pokémon je recherche activement ici et scrute à son tour les flots pour être certaine de ne pas le manquer. Bon, ce n'est pas un Pokémon très commun, l'est même plutôt rare. Mais j'en rêve depuis des années, et on m'a dit que je pourrai en trouver dans l'océan autour de l'île. C'est vraiment une chose que Enola accueille des espèces aussi variées. Encore faut-il les trouver, mais je ne me découragerai pas. Je sais être patient et surtout motivé, quand je le veux. Je ne vais pas retenir ma fille éternellement pour la journée, cependant, puisqu'elle a sûrement d'autres choses à faire que d'accompagner son papa au milieu de l'eau. Y'a sûrement plus passionnant pour une enfant, même si ses yeux bleus cherchent avec curiosité le Pokémon que je pourrais chercher dans les environs.

« Tu peux me donner un indiceeee ?
- Hmm... Ce n'est pas un Pokémon très grand. Il ressemble à un poisson. Il n'est pas très beau, d'ailleurs. Et il a un regard vide. Mais peut-être que tu le verras aujourd'hui, si la chance nous sourit. »

Bon, je n'en espère pas tant, mais j'ai bien le droit de rêver, non ?

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« Hmm... Hmmmm... J'arrive pas à trouver.
- Alors dans ce cas, ce sera la surprise, s'il se montre aujourd'hui. »

Mais à peine avoir prononcé ces mots que j'entends l'estomac de Maëlle gargouiller. Je regarde ma montre avant de constater que, effectivement, nous sommes déjà dans l'après-midi. Oups, le temps est passé si vite ?.. Vrai que c'est l'heure de son goûter, et j'ai zappé de l'emmener avec moi.

« Tu as faim, ma puce?
- Un peu... On rentre ?
- On va commencer, ouais.
- Oooh... Je ne verrai pas le Pokémon, alors ?
- Peut-être une autre fois. Mais ne t'en fais pas. Quand je l'aurai, tu seras la première à le savoir. »

Ce petit privilège insignifiant a l'air pourtant de ravir la fillette. Elle aime bien qu'on lui confie des secrets, faut dire. Se sentir utile et importante, j'ai remarqué que ça lui était plutôt cher. Sans doute un des effets de son complexe par rapport à son frère.

« Oh, papa, regarde ! Il est tout rose ! »

Curieux, je suis la direction qu'elle me pointe avec son doigt pour découvrir, en effet, avec surprise, qu'un Qwilifish chromatique et donc tout rose vient de nous rejoindre. Il tourne en rond autour d'Ariel et Dante en se pavanant pour montrer sa jolie couleur. Pour se moquer gentiment, l'Otaria se met à imiter sa démarche très fab en redressant sa tête d'un air faussement hautain. L'agitation de l'otarie fait naître un rire à ma fille tandis que le Pokémon magenta ne semble, lui, pas apprécier qu'on se fiche de lui. Il se met à battre des nageoires et à cracher de l'eau sur le mâle blanc pour se venger, mais ce dernier ne lui répond qu'avec des attaques eau plus fortes et qui finissent par énerver le Pokémon sauvage à la couleur inhabituelle.

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« Hé ! Arrêtez, tous les deux ! »

Bon euh là... Je m'attendais pas à ce qu'il y ait carrément une petite baston entre Dante et la bouboule piquante rose. Le Qwilfish est pourtant en colère contre l'Otaria et tente de lui balancer du poison dessus quand il a remarqué que l'eau était inefficace sur mon allié, de manière logique. Maëlle tente de les arrêter, mais le Pokémon sauvage n'écoute personne. Exaspérée, il faut que ce soit Ariel qui émette un grondement assez rauque et sonore pour le faire stopper sec. Surpris d'entendre un son aussi grave sortir de la gueule de mon amie alors qu'elle peut d'ordinaire sortir les berceuses les plus douces, je la scrute, un peu choqué, tandis que ma fille s'émerveille devant l'autorité de la Lokhlass. Sans doute en voudrait-elle autant, mais je doute qu'une petite fille de huit ans puisse déjà avoir une quelconque forme influence sur des Pokémons sauvages. Heureusement, le Qwilfish chromatique détale suite au grognement de la femelle eau et glace. Dommage, j'aurais bien aimé la prendre au moins une fois en photo avant qu'elle ne s'enfuit. Mais je n'oublie pas mon objectif, et il ne pourra pas être atteint aujourd'hui. Il va commencer à se faire tard, le temps qu'on rentre. Je me redresse alors pour caresser et tapoter doucement le cou d'Ariel et lui faire signe qu'il est temps de rentrer à la maison.

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« Dis papa... Tu reviendras, pour ton poisson ?
- Bien sûr. Mais je crois que j'en ai pour un moment. En attendant, je vais te faire un bon goûter en rentrant.
- Yay ! »

Lentement mais sûrement, nous revenons vers la berge. Le soleil décline déjà au loin alors qu'il se cale désormais sur les heures d'hiver : il s'effondre plus tôt dans la mer. Mes yeux se perdent sur la ligne d'horizon. Pendant un temps, je n'étais pas tant rassuré que ça à l'idée de revenir sur un bateau après mon naufrage. Ce n'est qu'au contact de Pokémons comme Ariel et à force de reprendre l'habitude que mon malaise s'est apaisé. Il m'aura fallu attendre au moins une dizaine d'années pour qu'il se calme tout à fait. Je peux à présent regarder les flots profonds sans ressentir un trouble ou un vertige, et je peux de nouveau naviguer sans qu'une boule se forme au creux de mon ventre. Je réapprends peu à peu à aimer ça, sans toutefois me forcer.
Je manque de sursauter lorsque Maëlle s'étire comme un chaton et vient se caler contre moi pour se reposer. En baissant mon regard sur elle, je souris discrètement et réalise encore une fois comme les choses ont changé depuis que je suis arrivé sur le dos de Lokhlass pour arriver en Bretagne. Je n'aurais pas cru alors un jour être père. Evidemment, j'étais encore trop jeune pour y songer, mais même plus tard, ce n'était pas quelque chose à laquelle je pensais quand d'autres de mon âge savaient déjà ce qu'il en était pour eux. Mais je ne vais pas dire que j'aimerais revenir dans le passé pour autant. Peut-être que les choses auraient pu se passer différemment si Makenzie et moi avions pris notre temps, mais pour le résultat inattendu que ça a donné, je ne regrette absolument rien. C'était légèrement plus tôt que ce à quoi j'aurais pu m'imaginer, mais si j'ai accepté d'assumer ma paternité à défaut de seulement soutenir Kenzie si jamais je n'en avais pas voulu, c'est que j'étais quand même un adulte vacciné et consentant, que j'étais conscient de ce que cela pourrait apporter et surtout que j'avais la situation qui allait avec. Alors si le soleil décline pour disparaître tout à fait, je sais que je garde constamment avec moi deux rayons bien lumineux qui suffisent à ma vie.

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