« … Un accident ? Dis-le, Sam, si c'est ce que tu penses. »

Il détourne le regard, honteux. Le regard dur que sa mère lui offre l'embarrasse aussitôt alors qu'il prend conscience de ce qu'il allait dire. La venue au monde d'Axel n'étai certes pas prévue à la base, mais... C'est en somme un raisonnement qui ne mène nulle part. Même lui se rend compte que dénoncer le gamin comme un 'accident' ne se fait pas, peu importe les conditions de sa naissance. Car accident ou pas, cet enfant, bah il est là, désormais. Comme les autres, il doit apprendre à vivre avec. Et encore, c'est à lui qu'on demande le moins de choses si ce n'est le laisser être hébergé sous le même toit que lui. Natsume a insisté de nombreuses fois pour lui rappeler qu'il n'avait aucune obligations vis-à-vis de son filleul, et Sam l'en remercie pour ça. Pour au moins le prévenir qu'il n'a pas à s'en occuper, même si, d'une façon ou d'une autre, il ne peut pas faire comme s'il n'existait pas. Quand, à son tour, il fait les courses et qu'il doit faire avec les goûts d'Axel ; quand il se dit qu'il ne doit oublier aucune chambre de la maison en faisant le ménage ; quand il se surprend encore parfois à trouver des vêtements trop petits à leur taille mais qu'il se souvient que les t-shirts qu'il croit d'abord rétrécis au lavage sont en fait ceux du petit ; et tant d'autres situations qui ne lui permettent pas d'être écartés de ce quotidien qui devient lentement mais sûrement le sien en plus de celui de Natsume.

« Ce n'est pas la question »

Et pourtant non, bien sûr que Sam ne déteste pas Axel. Les enfants, c'est censé être son rayon. Il fait briller leurs yeux dans ses atouts d'Elite flamboyants, il les aide du mieux qu'il peut dans ses études de psychologie, et il avait l'habitude quand il avait le temps de leur inventer des histoires pour les faire rêver. Il aimerait bien juste ne pas voir en lui Clive ou le nouveau rôle que son copain doit jouer pour lui en l'absence de ce dernier. L'Enodril sent qu'il se force tout de même quand il tente de faire ami-ami avec le petit. Cela ne passe pas, tout simplement, et le concerné doit le sentir. Le malaise du hérisson miniature en sa présence ne lui est pas invisible. Et cette propre sensation qu'il engendre chez le petit le frustre lui-même. Il s'en veut d'agir ainsi, de se conduire ainsi ; de ne pas arriver à être naturel quand le Donovan est dans les parages. Quelque chose dans son esprit, immédiatement, bloque. Cela va mieux quand il fait des efforts cependant et qu'il arrête de penser à la vie de famille qu'il a tant espéré avoir avec le Miyano. Quand le travail ne l'angoisse pas, aussi, et accessoirement, que la fatigue n'aspire pas les dernières réserves qu'il lui reste. Ou lui provoque ces mal de crâne qui n'améliorent ni son humeur, ni sa capacité à supporter le gamin qui provoque chez lui des sentiments contraires qu'il n'arrive pas à comprendre; et le chant insupportable d'un Tylton sauvage pas loin n'arrange pas ses affaires.

Comme tout à l'heure, il accélère le pas en espérant que sa mère trouvera un autre sujet de conversation. Il n'a rien de plus à dire mais il sent son cœur se serrer à chaque nouveau mot qui lui semble plus tranchant que le précédent. Il sent même ses doigts trembler un petit peu, et les rentre donc dans ses poches pour ne pas que son anxiété se remarque, même si sa mère la devine aisément : elle le connaît en effet trop bien pour qu'il puisse pouvoir lui cacher quelque chose. D'autant plus que ça ne sert à rien. S'il doit vider son sac, autant qu'il le fasse devant elle puisqu'elle est habituellement toujours là pour le soutenir ou l'aider quand les choses vont mal et qu'il a besoin d'un support. Mais il est, aujourd'hui, celui qui est en tort ; et l'admettre est décidément bien difficile, ce qui l'agace encore plus quand il sait que le problème qui l'occupe pourrait être régler simplement et rapidement s'il voulait bien coopérer et s'ouvrir au petit garçon qu'il a chez lui. Il croit dur comme fer, à tort, que considérer Axel comme autre que le filleul de son copain va leur porter préjudice pour sa vie de couple. Natsume... N'est pas tant friand des enfants que ça, après tout. L'Enodril le sait bien, depuis le temps. Leurs visions sont un peu différentes, mais Samaël, s'il l devrait, craint de se confier à ce sujet alors que parler de ça à celui qui partage sa vie règlerait bien ses soucis, ou plutôt l'éclairerait un peu plus.
Il ne sait pas depuis combien de temps ils sont dans cette forêt. Trop longtemps maintenant peut-être, alors que ses pensées deviennent de plus en plus brouillons et surtout qu'il lui donne des images qu'il ne souhaiterait pas voir. Mais Lyra veut insister, quand même, sans lui lancer de répit pour aujourd'hui. Si quelqu'un doit lui faire voir la réalité en face... Elle est prête à prendre ce rôle puisqu'il est difficile pour son fils de lui en vouloir ou de se mettre en colère contre elle. Une facilité qui l'arrange bien et qui lui permet certaines libertés, mais elle ne pense qu'à son bien, et à celui des deux garçons avec qui il vit. Le plus petit, tout particulièrement, devant lequel elle craque très souvent et à qui elle s'est attachée immédiatement. Difficile de ne pas être sage devant Kagami, aussi. Même à elle parfois, le calme qui l'entoure arrive encore à l'impressionner.

« Sam !.. »

Elle le rattrape, se plante devant lui une nouvelle fois pour qu'il l'écoute. Mais lui préfère détourner le regard et grimpe sur des gros roches d'environ deux mètres de hauteur qui longent le chemin en se disant que sauter de pierre en pierre pourrait lui faire dépenser l'énergie en trop dans ses jambes. Il se retient en effet de courir pour ne pas distancer sa mère et lui donner un raison de plus pour le croire lâche. Il est lâche, mais l'entendre de la bouche d'un de ses proches est dur à avaler ; et sa mère n'oserait pas lui faire cette remarque, sauf si peut-être il en viendrait à la provoquer involontairement. Mais l'être du dresseur bouillonne entièrement, prêt à exploser. En outre, le ton de sa génitrice augmente légèrement en volume.

« Tu n'es pas aveugle. Tu sais comment Axel voit Natsume : comme un fils voit son père. »

Brusquement, la regardant de son piédestal de pierre, le cadet s'arrête, les sourcils froncés et les dents serrées. Piqué au vif par ce sujet qui le rend fou, il n'arrive plus à se contrôler et se met à grogner comme un Snubbull enragé.

« Non ! Son père, il est en prison ! Il l'a abandonné !.. 
- Samaël ! »

Qu'elle le reprenne aussi sèchement, toutefois, il ne s'y attendait pas. Aussitôt, il regrette. Mais sur le coup de la suprise, alors qu'il y avait très longtemps qu'elle ne l'avait pas réprimandé ainsi, et lorsque sa vue se brouille une seconde de trop, il se rate en plein saut et glisse sur une des roches mousseuses.

« Qu'est-ce que tu as contre Axel ?! Il ne t'a rien fait ! C'est un enfant gentil et intelligent ! Pourquoi est-ce que tu n'essayes pas d'apprendre à le connaître ?! »

Les propos lui ont échappé. Elle n'aurait pas dû s'emporter ainsi. Elle aurait dû rester calme et ne pas être celle qui exploserait finalement la première. Mais elle n'a pas pu se retenir. Elle n'a pas pu rester sourde face à l'injustice auquel Axel a droit de la part de son fils. Elle sait pourtant que ce dernier n'est pas comme ça d'ordinaire, et que son stress, sa fatigue, et les peurs qu'il a concernant sa relation avec Natsume s'accumulent un peu plus chaque jour pour lui mettre une pression intense et inutile sur ses épaules. Lyra adore pourtant sincèrement Axel, et elle aimerait que Samaël remarque comme l'enfant fait de son mieux pour supporter toutes les épreuves qu'il traverse.
Essoufflée, Lyra tente de reprendre son calme en se rendant compte du cri qu'elle a libéré sans vraiment le vouloir, et reporte son attention sur le dresseur. Celui-ci ne s'est toujours pas relevé depuis qu'il est tombé. Une chute, d'ailleurs, que la vétérinaire ne mettrait pas que sur le coup de la surprise. Mais elle aurait pensé qu'il se relèverait tout de suite après. Il reste toutefois étalé sur le ventre, le corps traînant dans les feuilles mortes et une petite flaque d'eau et de boue formée la veille durant la pluie nocturne.

« … Sam ? »

En réalisant ce qui vient de se passer, et comme elle ne reçoit toujours aucune réponse, Lyra se réveille enfin et s'approche. Se penchant à son chevet, elle le prend délicatement avant de le retourner sur le dos pour qu'elle puisse être sûre de son état. Elle est un peu étonnée mais reste silencieuse en voyant des larmes couler le long de ses joues. Son regard doré mais rougi éloigné dans le vague, il relève ses pupilles vers sa génitrice. Son expression perdue et peinée la prennent de court, tout autant que ses paroles.

« Si j'avais été une fille, tu crois que ça aurait été plus simple, maman ?.. »

Ses lèvres esquissent un faux sourire tremblant et mélancolique. Il ne sait plus ce qu'elle dit. Lyra, elle, ne sait plus quoi lui répondre. Elle secoue juste lentement la tête avant de tenir sa tête pour caresser sa joue. En silence, il se laisse pleurer. Il reste là un petit instant en se collant à la plus âgée qui le berce avec douceur. Enfin, il échappe quelques murmures qu'il prononce d'une voix brisée.

« … Je suis fatigué. »