« Au fait... Tu lui as parlé ? »

Occupé à donner des gratouilles à Kiba, je n'écoute pas tout de suite la question de ma mère. Ou du moins, je n'y réponds qu'après un instant de réflexion où je me remémore ce qu'elle m'a demandé. Mais en fait, je ne comprend pas bien ce qu'elle cherche à savoir.

« Euh... Hein ? Quoi ?
- Tu sais, je veux dire... Le sujet important que tu devais aborder avec Natsume. »

Elle me glisse un petit sourire pour être sûr que je comprenne. Je cligne des yeux, m'interrogeant sérieusement -car je ne vois toujours pas à quoi elle fait allusion- puis je pousse un léger hoquet.

« Non. »

Maman ne peut s'empêcher de rire un peu devant mon tact et mon air désinvolte. Il y a quelques temps, j'aurais sans doute répondu avec des rougeurs sur les joues et des balbutiements. Aujourd'hui,, puisque je sais que je veux approcher de la date fatidique, cette histoire me rend plus nerveux qu'autre chose, à vrai dire, même si... Quelque part, j'ai à la fois hâte et peur quand le moment viendra. J'imagine que ça devra être fait un jour ou l'autre, mais... Je ne peux m'empêcher d'être anxieux en anticipant sa réaction, voire sa réponse... Même s'il vaut peut-être mieux que je n'y pense pas. Je veux bien être réaliste cinq secondes, mais pas la peine non plus de me torturer l'esprit plus que ça. Ce n'est certainement pas de stress dont j'ai besoin en ce moment. D'ailleurs, je me retiens une nouvelle fois de bâiller. Si je laisse encore échapper des marques de fatigue évidente, on va encore me poser des questions. Enfin, je dis ça, mais... En fait je ne pense pas que quelqu'un serait dupe si je prétendais être en bonne santé. Mais disons que penser à ma demande en mariage prochaine ne m'aide pas à vouloir me plonger dans autre chose que les entraînements ou le travail à la tour de la Compétition. J'ai conscience, toutefois, que j'exagère grandement, avec mes horaires, mais... Je ne peux pas m'en empêcher.

« Je vois. »

C'est sans doute lâche, de se perdre corps et âme dans le travail pour s'empêcher d'être pessimiste, ou simplement pour éviter d'avoir à imaginer des situations douloureuses. Si j'avais le don de voir dans le futur, je me demande comment je m'en servirai. Je serais sans doute encore plus effrayé, en fait. Je ne sais pas si j'aimerais tant que ça regarder ce qui m'attend, au risque de voir des choses que je ne voudrais pas ou d'essayer de changer quelque chose qui n'est pas encore arrivé de crainte qu'elle se produise. Et pourtant, je serais peut-être tenté, tout de même, de voir ce qui pourrait se passer. Mais en fait, je crois que je préférerais un pouvoir qui me permettrais de revivre le passé. Il y a des moments qui me manquent. La présence de mon père, ma complicité avec Tristan, les différentes émotions qui m'ont traversé durant mon parcours de Compétiteur... Oui, je crois que ce serait mieux, de revivre ce qui fut plutôt que d'avoir un aperçu de ce qui sera. Au fond, je ne devrais pas me stresser pour si peu, d'ailleurs. Le problème, c'est que je connais mon copain. Il n'est pas bête, mes commentaires plus ou moins subtils ne lui sont pas passés sous le nez sans qu'il ne remarque rien. Et c'est peut-être ce manque de réaction à ce sujet qui me hésiter. Peut-être aurais-je voulu qu'il me dise qu'on en reparlera un jour ou l'autre. J'aurais eu au moins un espoir, une pointe d'optimisme. Mais je ne vais pas me leurrer. J'accepterai sa décision, après tout, quoiqu'il arrive, et je ferai avec. J'ai quand même peur d'avoir mal, au final. Je n'en ai pas envie. Cela n'en vaut pas la peine. Après tout, ce n'est pas ça qui détruirait notre relation ou diminuerait les sentiments que j'ai pour lui. En soit, la chose en elle-même, bah c'est pas dramatique non plus, si elle ne se concrétise pas. Ce qui m'énerve davantage c'est que je serais probablement assez égoïste pour être un peu déçu ou triste s'il refuse. Mais ce ne sont pas des choses auxquelles je désire penser actuellement, et heureusement les léchouilles de Kiba arrivent à me faire changer les idées. Je ne regrette pas du tout d'avoir adopter ce Médhyèna, même si je n'avais pas prévu de le garder avec moi. En fin de compte, il a l'air plutôt heureux, et c'est tout ce qui compte.

« Tiens... »

Cela faisait quelques secondes que ma mère ne m'avait plus rien dit. Elle passait la liste en revue sans rien dire, et je voyais bien qu'elle évitait désormais de s'étonner sur mes nombreuses dépenses qu'elle jugeait futiles. Mais là, c'était le silence jusqu'à ce qu'elle tombe sur quelque chose qui, visiblement, l'a interpellé. Curieux, je tente de voir ce qu'elle a vu de si particulier mais elle m'en empêche, s'éloignant malicieusement pour cacher le papier de ma vue. Je tente de le reprendre, mais sans succès ; elle a toujours été plus habile que moi. Mais je suis réellement désireux de savoir ce qui a attiré son attention sans qu'elle ne me fasse une quelconque remarque blasée. Je ne vais pas dire non plus que je ne les mérite pas, hein, mais euh... C'est pas simple, de justifier certains trucs. Mais bon, au final, elle finit par retourner la feuille avant de pointer du doigt un compte en particulier, tapotant la surface du papier.

« Plaît-il, Sam ?.. »

Je fixe ce qu'elle me désigne. En fait, vu que j'avais écris ça un soir où j'étais particulièrement crevé (plus que d'habitude, je veux dire), je n'ai pas réalisé tout de suite le sens de la phrase ni ce qu'il y avait de si étonnant. Je ne m'en rappelle seulement que lorsque ma mère me glisse un sourire attendri et espiègle. Tout de suite, je me sens rougir d'un coup et continue d'avancer comme si de rien n'était en détournant le regard. Elle, se met à rire, mais me confie une expression douce et sincère.

« Bon-Bon, ça va, hein... »

Préférant ne plus la scruter, je ne fais pas non plus attention où je marche et me prends les pieds dans le chemin d'un Manzaï qui passait par là. Evidemment, je tombe face à terre et c'est là, après avoir chuté, qu'un autre Manzaï me passe sur le ventre pour rattraper son semblable. Je soupire, fatigué, et reste quelques instants allongés sur le sol. Maman se rapproche pour se pencher au-dessus de moi. Mais je crois déjà savoir ce qu'elle va me dire.

« J'imagine que tu n'en as pas parlé au concerné non plus ? »

Je ne réponds pas, cette fois. Elle sait bien sûr quelle réponse je lui donnerais. Ce qui ne fait pas taire mes rougeurs, d'ailleurs. Je ne dis pas que je n'ai pas honte d'avoir tenu à garder là-dessus. Ce n'est qu'une question de temps avant que je ne lui en fasse part, de toute façon, puisque le but n'est pas de tout lui cacher éternellement non plus. C'est juste une idée que j'avais, pour l'instant, mais bon, je suis persuadé qu'il ne serait pas d'accord, de toute façon.

« Samaël... Commencerais-tu à apprécier ce petit, par hasard ? »

Pas besoin que je me retourne vers elle pour deviner son sourire amusé et attendri. Je fais mine de continuer mon chemin comme si je n'avais pas entendu, mais ses paroles ne sont pas tombées dans l'oreille d'un sourd.

« Ça-Ça n'a rien à voir !.. Mais euh... C'est que les études bah ça peut être cher, et pis... Pis si ça se trouve il devra aller dans le privé, ou peut-être qu'il ira à l'étranger, alors euh... Bah c'est pas si mal de garder de l'argent de côté... Au cas où. »

Je me rends compte que mes bégaiements et mes rougeurs ne rendent pas le tout très convaicant, mais je ne vais pas me justifier davantage. Je ne lui mens pas. Il est juste... Normal que je veuille aider mon copain pour tout ce qui concerne un enfant qu'il n'a pas le choix de garder sous son toit. Quitte à s'en occuper... Autant que je voies ce que je peux faire pour le soutenir, parce que je ne vais pas le laisser galérer tout seul en me tournant les pouces. C'est plus ou moins mort pour qu'il me laisse m'en occuper, je le sais bien. J'ai pourtant envie d'essayer. Le regarder se débattre comme un beau diable dans une situation à laquelle il n'a jamais été préparé et rester les bras croisés pendant qu'il s'y donne corps et âme, je peux pas. Il peut bien, de temps en temps, se reposer sur moi. C'est aussi à ça que je sers. Et puis... Je sais que Clive est quelqu'un de plutôt instruit. Je veux pouvoir donner la chance à son fils d'avoir toutes les connaissances qu'il désire, par n'importe quel moyen possible.