« Bon. Alors Marcel, tu te mets là, Régis, tu vas là, et... Euh... Machine...
- Guillaume.
- C'est cela, oui. Tu vas te mettre là, juste ici. Paaaarfait ! Tout le monde est en place ?
- Euh... Madame ?..
- Rooh, mais quoi, encore ?!
- Bah... Sirius, il est pas là.
- Co-MMENT ?! »

Il va la rendre Chevroum, à force de disparaître comme ça. Mais Madame Germaine De La Villardière n'abandonne pas si facilement, même avec un client difficile. Client qui était d'ailleurs pourtant d'accord mais qui s'obstine quand même à jouer à qui sera le plus enquiquinant maintenant qu'ils sont sur le terrain. Ce dernier n'y peut rien : il a préféré s'allonger sur une pierre au soleil plutôt que de poser pour la caméra. La rédactrice en chef a du pain sur la planche, mais elle n'en attendait pas moins de l'une des plus stars les plus prisées de l'île. Et l'une des plus pénibles, aussi. Encore, Zingaro se fait prendre en photo avec un peu trop de plaisir, mais Sirius... Une véritable plaie pour la quarantenaire qui ne désire pas y passer la journée, même si l'autre coopère que lorsqu'il en a vraiment envie. Aujourd'hui, pourtant, il a bien voulu leur laisser un moment pour quelques clichés. Seulement voilà, au moment de faire la fameuse prise, le principal concerné est aux abonnés absents. Ou plutôt, il ne répond pas quand on l'appelle et préfère se prélasser tel un matou solitaire. Mais si elle doit aller le chercher par la peau des fesses elle-même, alors soit !

« Aheum ! »

Aucune réponse. Bien évidemment. Même après s'être approchée du Milicien, ce dernier n'a même pas daigné la regarder. D'habitude, elle a plutôt de la chance, mais on dirait que son client du jour est un poil plus difficile que ce qu'elle pensait. Enfin... Elle fera avec. Ce ne serait pas le premier coriace à qui elle aurait à faire, et quand on est accoutumé à interviewer ou prendre des clichés de célébrités, c'est un traitement auquel on doit se préparer. Tapotant du pied en attendant qu'il descende de son perchoir, sa patience atteint toutefois sa limite au bout de plusieurs minutes à l'interpeller en continue. Alors elle finit par exploser et serre entre ses mains le journal qu'elle tenait.

« SIRIUS ! »

Au moins, là, l'effet est immédiat. L'interrogé a été si surpris qu'il est tombé de son rocher, se retrouvant face contre terre. Il se relève mais péniblement, se frottant le coccyx pour voir si rien n'était cassé. Mais Germain, elle, elle s'en fiche. Elle a une séance à mener à bien ; alors tant que le sujet est encore en état de marche et en un seul morceau, elle estime que rien ne pourra l'arrêter.

« Madame ? Que puis-je pour vous ?
- Ne faites pas l'imbécile ! Cela fait des heures qu'on vous attend !
- Ah... Bon... »

Il ne la prend pas pour une idiote, loin de là, mais... C'est qu'à force de mourir d'ennui, il en a oublié la raison de sa présence ici. En apercevant les caméras, toutefois, la mémoire lui est immédiatement revenu. Il se relève, pouvant s'empêcher de bâiller aux corneilles, et suit la plus âgée jusqu'aux caméras qui n'attendent désormais que sa venue.

Mais quand vient l'heure de prendre les poses, il est difficile pour lui de se concentrer. Son regard manque d'expression et ses gestes sont maladroits, rigides, et surtout peu naturels. Bien dommage, pour la rédactrice, qui attendait ce moment avec impatience. Pendant des mois elle avait essayé d'obtenir un rendez-vous de ce genre avec le Maître Dresseur, mais non seulement son planning était toujours chargé, mais aussi il refusait lui-même de s'atteler à ce genre de tâche alors qu'il débordait de travail. C'est son assistante à la tour de la Compétition qui avait néanmoins finit par céder à sa place et lui avait demandé d'y aller au moins juste une fois pour être débarrassé. Il y était donc allé à contrecœur. Bizarre, pour le Milicien, qui aurait sans doute été ravi de paraître dans les journaux en vogue, surtout en première page de couverture, si le contexte avait été tout autre. Ces temps-ci il était juste tellement fatigué et stressé qu'il n'avait pas la tête à ça, et il en était le premier désolé. Il avait simplement espéré, au moins, que la séance passerait vite ; toutefois, le temps qu tout se mette correctement en place, l'Enodril avait déjà pu s'ennuyer et trouver meilleur repos sur sa pierre chauffée doucement au soleil. En plus, il n'arrête pas de bâiller.

« Vous savez que la nuit c'est fait pour dormir ? Vous avez de la chance que les logiciels de retouche existent pour vous refaire une santé sur les affiches. »

Sirius fronce les sourcils, devenu soudain agacé par le comportement de la plus vieille.

« Hé, j'vous le donne, moi, mon travail, si vous voulez ! Vous verrez si vous arrivez toujours à garder un rythme de sommeil sain, après ça.
- Eh bien peut-être que si vous aviez accepter qu'on vous mette un peu de maquillage, le résultat aurait été meilleur.
- Dites donc ! Vous n'êtes forcés à rien ! Si vous vouliez un modèle moins exigeant, vous n'aviez qu'à aller voir Zingaro ! Moi, ça m'arrange très bien !
- Mais Zingaro il est déjà partout ! Dans les affiches, sur les réseaux sociaux... Vous, jamais ! Les gens veulent voir les deux Maîtres en action !
- Bah si vous continuez comme ça, ne vous étonnez pas que je refuse toujours ! Si mon collègue aime être maltraité, c'est son problème ! Je n'ai pas ce genre de kink ! »

Le dresseur se tait tout à coup en se rendant compte de sa réaction. Il se demande ce qu'il lui arrive pour être aussi agressif, alors que ce n'est habituellement pas son genre. Il a été habitué à jouer aux carpettes, pas à se rebelle ainsi ; surtout quand ça concerne son image. Puisqu'il est un des représentants de la Compétition, il s'efforce toujours de paraître agréable. Mais le manque de sommeil et les nombreuses questions qui l'angoissent à propos de sa vie privée font monter son angoisse et il ne sait plus ce qu'il dit.

Au moins, l'ambiance électrique est retombée d'un coup. Il ne sait pas s'il espérait que ça se passe comme ça, mais le silence qui règne ne lui déplaît pas vraiment. Germaine a elle-même arrêté d'insister en prenant conscience de ses paroles et ne cherche pas davantage à appuyer ses propos. Elle était juste tellement enthousiaste à l'idée de faire ces clichés qu'elle voulait qu'ils soient parfaits. Mais elle ne peut pas faire de lui un mannequin à qui elle peut demander ce qu'elle veut. La blonde cendrée soupire. Peut-être qu'on en faisait voir de toute les couleurs à Zingaro également mais que ce dernier n'a jamais osé se plaindre. Avec ses sourires à la Freedent White, possible qu'il aime réellement ça, être devant les projecteurs. Faut dire que le Maître Coordinateur est très photogénique, mais le public a besoin de nouveauté. Et si son coéquipier dresseur n'est pas 'nouveau', il n'apparaît que rarement dans les magazines. Mais là encore, ces quelques rares fois s'expliquent : Sirius est plus enclin à se montrer face aux journaux les moins connus mais qui traitent bien mieux leurs sujets. Et le respect, c'est ce qu'il y a de plus important pour lui. Là, c'est surtout pour être débarrassé. Mais il ne se gêne pas pour dire ce qu'il pense, quitte à être insolent. Son regard est d'ailleurs parfois distrait par un Fluvetin ou des Mimigal qui passent par là, mais on ne se permet plus de lui faire de commentaire. Alors, religieusement, quand il sent enfin qu'on est prêt à l'écouter et pas à se servir de lui comme d'une simple machine à fric (même si c'est ce qu'il reste), il considère qu'il peut faire des efforts et être apte à écouter les quelques consignes qu'on lui donne, tant que rien de ce qu'on lui demande n'est pénible à réaliser.