"Stresser pour rien nuit à la santé"
Je ne sais pas trop si j'ai bien fait de l'inviter deux secondes ou pas. D'un côté, c'était ce que m'indiquait ma politesse pour éviter de trop lui avoir fait perdre son temps, mais d'un autre, il est tout à fait possible que je l'enquiquine encore plus... Rah, ça m'énerve, ça me parasite l'esprit. Ma nervosité n'a toujours pas disparu, et pire, je me mets à tripatouiller mon manteau avec plus d'insistance ; à force de jouer avec les boutons, je vais encore devoir l'envoyer chez le raccommodeur et grommeler parce que même si chiper les vestes de mon copain me calme un peu, ce n'est pas la même chose.
Son goût pour les insectes a eu le mérite de me détendre un petit peu tout à l'heure. Bon, d'accord, c'est assez ridicule et superficiel, mais j'ai tendance à être beaucoup moins tendu et sur mes gardes quand je peux discuter de ce qui m'intéresse. Au point que des fois, c'en est vaguement un souci, puisque ma méfiance baisse drastiquement. Pour le coup, je me sens un peu plus ouvert, aussi bête que ça puisse paraître, quand bien même je crois que j'ai gêné mon interlocuteur. Bon, en même temps, j'ai l'impression de le gêner non stop depuis tout à l'heure, alors qu'est-ce que ça change, me direz-vous, mais... J'essaie de désembourber la situation comme je peux. Si je peux me débarrasser de la tonne de cerises que j'ai en rab, en plus, ça m'arrange ; j'ai beau aimer ça, je commence à en avoir ma claque, d'en manger à tous les desserts. Et les tartes de la grand-mère d'Axel sont très bonnes, je ne dis pas, mais je vais finir par les voir dans mes cauchemars, à force.
Sa question me prend par surprise alors que j'ouvre la porte pour l'inviter à me suivre, une maladresse certaine imprégnée dans mes gestes et dans mon regard nerveux. Sur le moment, je cligne bêtement des yeux, avant de finir par hocher de la tête en le guidant vers la cuisine.
« … Pendant quelques années, le temps de mes études. Mais j'étais hébergé par un membre de ma famille, alors ce n'était pas un studio d'étudiant inconfortable. »
Pour le coup, j'ai fait partie des chanceux. Même si le fait de vivre seul me manquait presque, je ne pouvais pas nier que je bénéficiais d'un confort de vie qui me permettait d'étudier sans avoir à m'inquiéter de mes finances ou quoi que ce soit du genre. Et puis... Avec le recul, ça m'a fait beaucoup de bien, psychologiquement et moralement, de côtoyer des gens tous les jours. Je ne dis pas que c'était simple tous les jours, et j'ai plus d'une fois eu sincèrement envie de criser quand Alice m'empêchait de terminer mes exercices pour venir coller sa tête dans mes affaires, mais... Bah, clairement, ça m'a aussi forcé à me rendre compte que j'avais deux-trois problèmes et qu'il était temps que je passe par un psy. Je me doute que sa question est simplement polie, donc je vais au but et je ne traîne pas trop sur les détails.
« Mais clairement, l'air et le calme me manquait, et puisque mon copain allait déménager avec moi... »
Je ne développe pas plus. Il n'a pas demandé un exposé sur ma vie privée non plus, donc je n'ai pas envie d'alourdir la conversation. Mes mains sont plus préoccupées à ouvrir le frigo pour en sortir une bonne portion de cerises du bac à légumes qui en est encore bondé. Distraitement, j'attrape un petit sachet en carton pour le remplir, en y ajoutant un sachet de tisane, et le poser sur la table, invitant mon invité à se servir. Kuja, de son côté, s'est déjà éloigné pour aller jouer dans le jardin par le biais de la porte coulissante.
« Tenez. Normalement, elles sont encore bonnes une semaine ; au congélateur, ça passe très bien. Pour la tisane, les instructions sont sur le paquet. »
Une fois cela fait, je repense vaguement à sa question et à la conversation qu'il a engagé. Vrai que ce serait peut-être malpoli de ne pas la lui renvoyer... Pensif une seconde, je finis par reprendre la parole.
« … Vous n'habitez pas en forêt depuis longtemps, je présume ? »
Malheureusement, puisque mes neurones sont lents, je tique une seconde plus tard, réalisant que j'ai peut-être enfreint une espèce de « limite sociale » quelconque, alors je grimace un peu, la mine embêtée.
« … M-mes excuses, vous n'êtes pas obligé de répondre. C'est probablement personnel. »
Ou quelque chose du genre. Après tout, j'en sais rien, dans le fond. |
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