- « Hé mon grand, je peux rentrer ? »

Bellamy savait bien que ce n’était pas tellement une question et que, dans un sens, qu’il le veuille ou non confrontation il y aurait. Non pas qu’il la redoutait, juste qu’il savait qu’il s’agissait là d’un combat perdu d’avance. Et du haut de ses 11 ans un combat perdu d’avance était une source de frustration dont il se passerait bien.

- « Ta mère m’a dit que tu t’énervais beaucoup à propos de… De mes absences régulières et c’est vrai que nous n’en avons jamais parlé tous les deux. Tu sais, Bell, Je suis conscient que ça ne doit pas être simple pour toi et je ne te demande pas de comprendre, hein ? Il faut que tu saches que notre île est en danger et que… Et qu’à mon échelle je fais mon maximum pour arranger les choses. Ces choses-là prennent du temps… C’est du temps que je ne peux pas vous consacrer à toi ou à ta mère mais je veux que tu sache que si je fais tout ça c’est essentiellement pour vous. »

Il le sait, il ne le sait que trop bien. Malgré son jeune âge, Bellamy avait plus ou moins compris ce qu’il se passait sur l’île. Bien sûr, à ses yeux, toutes les nuances manquaient encore de sens mais il avait compris qu’il y avait des méchants et que son père avait choisi de se battre contre ces méchants. Il n’avait que dix ans quand Eliza Turnac a été délogée de son poste de dirigeante. Comme beaucoup d’Enolian, il avait assisté au carnage Turnac avec impuissance et incompréhension. En une journée son monde s’était brusquement écroulé pour revêtir un nouveau visage. Et les choses n’avait fait qu’empirer. On étendait des choses moches à la radio, à la télé. Ça en parlait avec animation dans la cours de récréation, des rumeurs circulaient. Bellamy entendait parler de Résistance, d’attentat, de gens morts, de parents disparus. Il avait vu certains de ces camarades ne plus venir à l’école du jour au lendemain. La maîtresse expliquait qu’ils avaient déménagés mais entre élève de toutes autres versions de l’histoire circulaient. L’animation de l’île qu’il ne comprenait qu’à demi correspondait avec le commencement des absences régulières de son père. Il ne rentrait que très tard le soir et par la porte de derrière, pas celle qui donnait sur la grande rue, celle qui donnait dans le jardin, à l’abris des arbres. Quand il rentrait, il le faisait souvent dans des vêtements différents de ceux portés le matin-même. Il s’état mit à revêtir des longs manteaux informes et avait expliqué un soir à table qu’il rentrait chaque soir par un chemin différent. Jamais la famille Crowford n’avait ouvertement parler de cette situation, on échangeait que très peu sur ce genre de sujet et Bellamy n’avait jamais été invité à participer à ces discussions. Cependant, il n’avait pas fallu longtemps au petit garçon pour faire le rapprochement entre les nouvelles habitudes de son père et tout ce qu’il entendait autour de lui.

- « Je sais. Tu te bas contre les méchants qui ont enlevés Madame Turnac et qui font exploser les bombes, non ? Tu sais papa, je suis grand, je sais, on en parle beaucoup à l’école et à la télé ils disent pleins de trucs aussi. Mais… Ils disent aussi que les méchants du Régime ils tuent et enlèves des gens, surtout des gens qui se battent contre eux. Mon copain Tony il m’a dit qu’ils avaient emmenés sa voisine un soir et qu’elle était plus jamais revenue. Moi… Moi j’ai pas envie qu’on t’enlève. Quand t’es pas là je me met à avoir peur et maman, elle ne veut rien me dire. Elle dit que je suis trop petit, que je dois pas m’inquiéter. Mais je vois bien que ça va pas. C’est dangereux dehors et toi t’es tout le temps dehors…. J’aime pas ça. »

Pourtant jusque-là, Bellamy avait été un enfant relativement épargné par les fléau que provoque l’angoisse. Enfant unique de Marcus et Abby Crowford, Bellamy est un petit garçon qui a grandi dans de bonnes conditions. Sa mère gérait les affaires comptables d’une entreprise réputées d’Amanil et son père travaillait dans une petite société qui gérait les livraisons entre Amanil et les villes de Baguin, Vanawi et Anula. D’une nature enjouée et dynamique, le petit garçon avait très vite pris goût à la lecture, à l’apprentissage et aux jeux. De son enfance d’avant le régime il n’y a pas grand-chose à dire. C’était une enfance heureuse, avec des bas par moment, mais une enfance heureuse tout de même. Hors, le 10 juillet 2008, à l’aube de ses dix ans, tout bascula. Et depuis, plus rien n’avait été remis en place.

- « Je suis désolé Bell. Je sais que… Que tu voudrais que je reste, que je sois plus présent. Cependant je ne peux pas. Je suis… Vraiment désolé. Je ne sais pas quoi te dire juste que… Dans la vie il y a parfois des causes pour lesquels il faut se battre et faire des sacrifices. Je sais que tout ce que je peux te dire est sans doute difficile à comprendre et irrecevable mais… Il est important que je continu ce que je fais. Nous devons nous battre, pour empêcher que des gens comme la voisine de ton ami se fasse enlever, tu comprends. »
- « Je comprends… Mais c’est obligé que ce soit toi ? Y a plein de monde à Amanil, y a pas quelqu’un d’autre pour faire tout ça à ta place ? Moi… Moi je veux que tu restes avec nous. »

Ce soir-là, ils avaient beaucoup parlés, échangés. Ce soir-là, Bellamy ne cessa pas d’avoir peur, bien au contraire. Mais ce soir-là Bellamy comprit qu’il ne pourrait pas convaincre son père d’arrêter ce qu’il faisait, que se plaindre ne servirait à rien parce que comme Marcus l’avait dit : la résistance était une cause pour laquelle il fallait se battre et faire des sacrifices. Ce soir-là, par contre, il reçut Maximus, son premier ami. Un « courageux compagnon » comme l’avait appelé son père. Un compagnon qui le suit encore aujourd’hui et avec lequel il a grandi.

De ses 11 à 16 ans, Bellamy a continué de grandir tout en s’inquiétant pour son père. Pour ne pas se noyer sous le coup des émotions, Bellamy se plonge dans les études et se découvre une passion pour la danse dans laquelle il trouve un exutoire. C’est aussi à cette époque de l’adolescence qu’il découvre la pop coréenne, plus communément appelé K-Pop. Il y trouve une source d’inspiration pour la pratique de la danse qui ne le quittera plus. A 13 ans Bellamy commence à s’essayer aux nouvelles technologies. Fier d’avoir son propre ordi (donné par une amie de sa mère avec les craks de la suite adobe dessus) Bellamy bidouille et s’amuse, il trouve un véritable plaisir à réaliser les petits tutos photoshop et indesign qui lui passe sous la main, plaisir qui le conduiront à s’inscrire à un Bac pro production graphique pour poursuivre dans cette voie. Ces petits plaisirs, cependant, prendront la forme d’une bouée de sauvetage rapidement. 16 ans, c’est aussi l’âge de la « rafle » comme il l’appel. Une période où le régime a arrêté et torturés nombre de civil dans le cadre de leur lutte contre la résistance. La rafle, c’est aussi un attentat. Un attentat de plus qui ne fait qu’angoisser et augmenter le traumatisme que représente le pouvoir en place. Bellamy voit petit à petit la ville de son enfance se faire détruire. Il voit dans les victimes certains de ses camarades de classe, des connaissances, des visages familiers. Mais la rafle, c’est surtout l’enlèvement de son père. C’est le débarquement des hommes du régime dans la maison. Ce sont les cris hystériques de sa mère. Ce sont ses pleurs aussi. Il s’en souvient comme-ci c’était hier.

Le calme apparent, un samedi. Maman qui regarde son télé-crochet pendant que papa fait la vaisselle. Bellamy se souvient qu’il jouait à faire rouler une balle jusqu’à Maximus qu’il lui renvoyait ensuite. Il se souvient du tic tac régulier de la pendule puis de la sonnette. Cette foutue sonnette. Ce jour-là, c’est sa mère qui a ouvert. Elle n’a pas eu le temps de protester qu’ils entraient déjà. Elle leur avait couru après à grand cris.

- « NON ! MARCUS ! MARCUS VAS-T-EN ! »

Mais ni son père, ni les hommes du régime n’avaient réagi.

- « Monsieur Crowford, vous êtes en état d’arrestation, veuillez nous suivre. »

Sous ses yeux, son père avait posé l’assiette qu’il avait en main et s’était essuyé les mains d’un geste nonchalant. Sur le coup, Bellamy n’avait pas compris pourquoi son père était autant calme, pourquoi il ne s’enfuyait pas, ne protestait pas. Plus tard il se convaincra que c’était pour les protéger, lui et sa mère même s’il ne s’agissait-là que d’une hypothèse. Impuissant, Bellamy avait vu les hommes du régime lui passer les menottes. Il avait protesté, hurler, ses cris couverts par les propres hurlements de sa mère mais rien n’y avait fait. Marcus Crowford avait été emmené ce jour-là et n’était jamais plus rentrer chez lui. Subissant la torture du régime il est mort sans avoir donné aucuns noms. Pourtant, le nom de Marcus Crowford ne sera jamais mentionné nulle part. On ne retrouve une trace de lui qu’à la mention suivante : « les nombreuses victimes du régime ». Pour Bellamy et Abby, c’est le début d’une large descente aux enfers.

Puisque qu’on ne trouve pas satisfaction avec le père, c’est à la mère qu’on s’en prend. Abby est emmenée elle aussi en interrogatoire avant qu’on ne la relâche en comprenant qu’elle ne sait rien. On lui fait cependant comprendre qu’on l’aura à l’œil et qu’il serait dommage qu’il arrive une bricole à son premier né si jamais il lui prenait l’envie d’aider la résistance de quelques façons que ce soit. A la douleur du deuil, ce mêle alors la paranoïa.

Bellamy alors âgé de 17 ans assiste impuissant à la déchéance de sa mère. La pression, la perte de son mari et les responsabilités qui lui incombe la pousse petit à petit de la folie. Elle devient instable, fragile, à tel point qu’on se voit dans l’obligation de la congédié. La maison tombe en ruine. Bellamy se voit alors dans l’obligation de jouer le rôle d’adulte. Il arrête ses études du jour au lendemain et commence à travailler à droite à gauche pour réunir des fonds. Entre les indemnités reversées à sa mère et sa propre bourse, Bellamy réussi à subvenir à leurs besoins les plus urgents. Mais cette vie qu’il mène est trop lourde à gérer pour ses frêles épaules. Sans appui parental, Bellamy touche le fond. Il nait en lui une profonde peur de l’abandons, de la disparition. Il se sent seul, perdu, apeuré et cela l’éloigne progressivement de toute vie sociale. Il se complet de plus en plus dans le cocon protecteur qu’est sa chambre et perd petit à petit tout lien avec la société. Jouant les hommes forts pour rassurer sa mère tout en étant totalement détruit de l’intérieur, il poursuivra sa mascarade jusqu’à l’explosion d’Amanil, alors qu’il a 19 ans.

La dernière bataille a emporté sa maison. Par chance, ni lui, ni sa mère n’ont été blessés. La chute de régime suit de près une nouvelle catastrophe, touchée par l'Emergendémie, Abby Crowford frôle de peu la mort. L’arrivée d’Elixir et la condamnation des anciens membres du régime sonne pour la famille Crowford la fin d’une période détestée. Au cours de la reconstruction d’Enola, Abby et son fils se font aidés par nombre d’associations humanitaires. Abby et Bellamy se font suivre de prêt en tant que victimes directes du régime. On les aides à trouver un petit appartement dans les quartiers d’Amanil et plus tard un petit studio pour Bellamy. On les accompagne aussi dans leur suivit psychologique et dans leur réhabilitation à la vie civile. On aide notamment Abby à petit à petit retrouver un travail à temps partiel dans une petite entreprise et Bellamy à passer enfin son Bac Pro en candidat libre. A la suite de son diplôme, Bellamy décide de se mettre à son compte et de travailler en tant que graphiste et retoucheur freelance. Habitué du télé travail, le jeune-homme reprend doucement le cours de sa vie mais à 22 ans psychologiquement, ça ne va toujours pas mieux. Bellamy décide donc de confier ses angoisses, cette peur phobique que l’habite depuis la disparition de son père. Il parle également longuement avec les psychologues de son association de sa haine viscérale pour les héros de la résistance, pour le peu de reconnaissance accordées à des héros comme son père ou d’autres victimes du régime. On lui conseil alors de s’entourer, de trouver un objectif, un domaine dans lequel briller et se faire reconnaître. Bellamy cherche, longtemps puis finit par entendre parler de la mouvance monarchiste. Il n’y croit pas trop au départ… Puis finit par s’y laisser doucement tenter. Il trouve dans la foi des adaptes de la légende une reconnaissance et une lumière sous laquelle se placer. Il étudie, regarde de près ce qui s’y passe et trouve une attention particulière qui calme ses angoisses. A 25 ans, il est totalement conquis par ce rôle qu’il aime jouer. Même s’il ne clame pas sur tous toits qu’il se considère comme prétendant, il ne cache pas son appartenance à la mouvance monarchiste de l’île. Pour renforcer sa présence dans ce petit groupe, Bellamy décide de s’inscrire dans la compétition en tant que coordinateur. Il tient également une chaîne Youtube depuis ses 23 ans sur laquelle il partage ses chorégraphies et son amour de la danse. Il y possède également une petite communauté qui le soutient activement dans son projet de coordination.