| PREMIERS PAS DANS UN HAVRE DE PAIXÉvolution de Wanda
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À l’orée de la porte, je m’arrête, pause intemporelle vestige de mes dernières hésitations. Un dernier coup d’œil derrière m’informe de tout ce que je laisse aujourd’hui parmi mon passé. La maison m’apparaît alors telle qu’elle le fut lors de ma première visite : un havre de paix parmi une demeure centenaire, ses escaliers de bois et ses moulures anciennes, avec ces femmes perdues qui me scrutent de loin en m’adressant de vagues sourires. Au-delà des liens tissés ici, ce qui me manquera davantage sera la sensation de paix et de tranquillité, de sécurité même procurée par ces quatre murs rassurants. La maison pour femmes aux prises avec des problèmes de santé mentale d’Anula m’aura permis de me remettre sur pieds, et c’est non sans réserve que je la quitte pour me jeter parmi un monde qui m’est totalement inconnu. Trois ans et demi d’isolement m’auront laissé craintive. J’ai quitté la vie active dans le chaos. Le monde extérieur me paraît maintenant si calme, comme apaisé. Mon regard se porte un peu plus loin sur la chaussée, où une grande femme à l’épaisse chevelure brune me scrute. Le soleil brille dans un ciel encore endormi, mais ses rayons se reflètent tout de même contre la voiture aux fenêtres teintées qui m’attend à l’entrée. Un nouveau départ, je titube en faisant mes premiers pas. Sitôt je me mets en mouvement que la femme soupire, comme soulagée, s’empressant d’ouvrir la portière comme dans la crainte de me voir changer d’idée.
Aucun retour en arrière ne sera envisagé. En marchant vers l’automobile, je m’arrête au flot de sentiments qui m’assaille, sachant désormais reconnaître chacun d’entre eux. Le plus puissant, la peur, se manifeste avec énergie, embourbant mes pensées dans une fibre fébrile. Je repousse les tentatives de ces vieux mécanismes usées, ceux que j’utilise sans cesse pour me préserver. Ici, pas d’évitement possible. Car derrière toutes mes craintes, j’ai l’impression réelle de revivre de ce projet proposé. Lorsque je m’arrête devant la femme, Éléanore Swan, c’est pour la prendre dans mes bras dans une étincelle de reconnaissance. La directrice de la Compétition se crispe quelques instants avant de renifler, probablement amusée. Je me détache d’elle sans mot dire, prenant place sur la banquette arrière. Lorsque la porte se referme et que la voiture se met en mouvement, je sais que plus rien ne sera pareil, que si les premiers temps promettent émotions et difficultés, que je pourrai enfin ranger ma vie parmi ce nouveau projet. Nous filons ainsi quelques heures dans le plus grand des silences, jusqu’à ce que Dimaras ne paraisse au loin, village maintenant bien plus étendu qu’en mes souvenirs. Le soleil désormais haut dans le ciel illumine les toitures colorées de la basse-ville, près de la mer. J’entends le chant des Goélise, perçois l’odeur salée du vent marin.
J’ai déjà choisi la maison, sans l’avoir visitée. Une assez vieille bâtisse, à une rue de la mer. Un cottage qui sera bien assez grand pour Lexie et moi ainsi que nos Pokémon, avec une cour certes plus petite que celle que nous avions à Anula mais qui fera. Je n’ai pas particulièrement hâte de m’y trouver. Je sais que ma vie y sera plutôt solitaire lors des moments où je n’aurai pas la garde de ma fille. Après toutes ces années passées sans la moindre intimité, j’aurai du mal avec la solitude. Heureusement, il y aura l’Arène pour me distraire et m’occuper.
«Nous la voyons d’ici.»
Je la cherche du regard dans la ville. Je sens Éléanore se rapprocher de moi, prenant mon bras pour me pointer au loin. Je mets quelques instants à réaliser que la bâtisse se trouve un peu en périphérie de la ville, juchée sur une grande falaise qui surplombe la ville. Quelques commerces l’entourent, mais l’Arène, un immeuble blanc parfaitement visible d’ici, est le plus grand. Mon cœur s’emballe. De là-haut, il y a probablement une vue imprenable sur le village en contre-bas et sur la mer qui se jette au pied de la falaise.
«Wow.»
«Il s’agit de l’ancienne piscine municipale. Abandonnée depuis belle lurette, depuis le début des années 2000 je dirais. Les citoyens n’ont pas eu le cœur de la détruire. Il a fallu les convaincre d’adapter cet artéfact de l’histoire de Dimaras mais ils ont fini par céder devant la promesse de rendre disponible la piscine lorsqu’il n’y aura pas de match.»
J’acquiesce, parfaitement d’accord avec cette proposition. En invitant la population de ma ville à venir nager, j’aurai aussi l’occasion de mieux la connaître. Je n’oublie pas que le poste de Championne vient nécessairement avec d’importantes responsabilités, celle de prendre en charge la milice et protéger la ville, par exemple. La voiture file à travers la ville et j’ai l’occasion d’un peu mieux connaître les environs. Je n’ai pas souvent visité ce village mais je constate vraiment que sa proximité avec Vanawi l’aura rendu plus populaire et aura favorisé son développement. La vie y est paisible. Voilà exactement ce qu’il me fallait. Je ne suis pas certaine d’avoir su gérer une cité telle que Vanawi ou Zazambes. Nous arrivons finalement devant l’Arène. Je constate aussitôt que d’importants travaux destinés à la rénover sont toujours en cours. De nombreux travailleurs s’attardent à repeindre la devanture d’un blanc immaculé, et ses détails en bleu. Je pénètre dans la bâtisse par la double-porte automatisée. L’air sent fortement le chlore et les autres produits pour piscine. Il y fait chaud, presqu’autant qu’à l’extérieur. Deux portes mènent à des vestiaires qui sont reconvertis en ceux pour les challengers et je suppose ma loge personnelle. Les deux portes du font nous mènent à la piscine. Ça sent la peinture fraîche ici. Les murs sont hauts, l’écho omniprésent. Les combats seront assourdissants ici sans aucun doute. Des méduses, coquillages et étoiles de mer sont peintes contre le mur devant l’estrade, brillantes et élégantes. Les dalles du plancher, les murs… tout est blanc à l’exception de quelques détails bleutés ou rosés qui donnent à l’endroit une apparence un peu rétro. Mais le meilleur reste encore la piscine, pas de taille olympique mais tout de même grande. À la surface, des plateformes permettront aux Pokémon terrestre de se défendre. Et derrière le terrain aquatique, derrière l’endroit où je prendrai place pour mes matchs, une magnifique baie vitrée permettant un regard sur l’océan qui se brise au pied de la falaise, et Dimaras.
Je prends le temps d'accueillir tout ceci, sous l'œil attentif d'Éléanore qui semble encore surveiller mes faits et gestes, comme dans la crainte de me voir refuser la place de Championne si généreusement proposée. Or, je fais le tour de la pièce, le claquement de mes bottes formant une cacophonie contre les dalles. Obnubilée par la vue, l'écho, le clapotis de l'eau contre le bassin, je me laisse ensevelir de toutes ces sensation. Dans un mouvement automatique, ma main court contre la ceinture de balles suspendue à ma taille, en libérant mes alliés. Une quinzaine de Pokémon envahissent l'espace. Si Pharos le Pyrax et Fiona la Goupix s'éloignent aussitôt de la piscine pour venir scruter la vue près de la baie vitrée, Opalyn la Lackmécygne, Kinu l'Aligatueur, Adowë l'Arakdo, Nueria la Muplodocus et Wanda la Carabaffe ont tous rejoint les flots de la piscine. Sirius se tient un peu à l'écart près de Teigon le Zoroark. Golden et Shadaya restent à mes côtés, comme à son habitude, tandis que Nemeroff et Hercules s'empressent de rejoindre leurs balles à nouveau. Tout le monde y est, sauf Dot bien sûr, disparue il y a des années maintenant. Je pense à la petite Porygon en cet instant, sachant très bien qu'elle aurait adoré l'Arène. Sa présence me manque terriblement. Cet épisode de nostalgie se trouve bientôt remplacé par une joie difficilement contenue. Mes alliés font vivre cette Arène, me tirant moult sourires.
«Avez-vous décidé qui, parmi eux, fera partie de votre équipe officielle?»
«Je pensais à Adowë, Wanda et Kinu.»
Je me suis approchée de la piscine, retirant bottes et chaussettes pour tremper mes pieds dans l'eau. Mes amis s'amusent à se bousculer et s'arroser dans une cacophonie enthousiaste. L'approche d'Éléanore me surprend, je ne m'attendais pas à la voir si près de la piscine. Or, elle se déchausse elle aussi et vient s'asseoir à mes côtés, le regard perdu dans les vagues comme s'il s'y trouvait quelque vieux souvenir. Nous scrutons un moment la piscine quand elle me tend une balle.
«Kinu est un peu trop féroce au goût de la Compétition, un peu trop puissant. Vu son vécu, nous avons quelques réticences pour votre Pokémon expert. Il s’agit quand même d’un guerrier ayant combattu pour vous sur les champs de bataille et la raison principale de votre gain à la Compétition de 2013-2014. Nous avions pensé à Opalyn pour assurer les matchs contre les challengers plus expérimentés car plus accessible et aussi peut-être un peu moins bourrin. Pour ce qui est de Wanda, j'ai l'impression qu'elle tient un peu trop à sa liberté pour assumer une telle responsabilité.»
Nos regards se posent conjointement sur la petite tortue qui se trémousse dans tous les sens. Je me souviens de notre première rencontre, à Wanda et moi. La façon spectaculaire dont elle est entrée dans ma vie, surfant sur les vagues. La Carabaffe n’a jamais été bien sérieuse dans son entraînement, préférant la légèreté du jeu et la tension des combats amicaux chaudement disputés. Je soupire, sachant pertinemment que dans ma main, la balle offerte par Éléanore contient un allié qui pourrait me servir d’intermédiaire, un Pokémon qu’elle me souhaiterait voir utiliser. Un Viskuse au caractère doux m’a-t-elle raconté lors de notre première rencontre. Je le libère, incertaine. Je préférais largement avoir un allié à moi pour combattre à mes côtés. Il apparaît un jeune mâle qui laisse ses tentacules voler autour de lui dans l’eau de la piscine. Il nous scrute, Éléanore et moi, de grands yeux curieux. À vrai dire, je suis persuadée qu’il a des yeux plus grands que la moyenne de son espèce, lui donnant un air particulier et enfantin. Plutôt adorable. Je lui souris, ce qui en déclenche un de son côté aussi, un peu timide peut-être.
«Je ne sais pas, Éléanore. J’ai toujours combattu avec mes Pokémon, avec mon équipe, nous sommes ensemble depuis longtemps et nous avons vécu les pires misères. Je m’imagine plutôt mal reprendre un inconnu dans mon équipe Élite.»
«Je comprends parfaitement. Dans tous les cas, peu importe votre décision, nous aimerions beaucoup que vous le gardiez. Je l’entraîne comme je le peux et il possède un immense potentiel. Il a surtout besoin d’un dresseur pour l’aimer car il est très affectueux et loyal.»
La dame lui caresse la tête, ce qui ne semble pas lui déplaire. De l’autre côté de la piscine, mes alliés ont cessé leurs chamaillades pour observer le nouveau venu. Sans surprise, Wanda est la première à s’en approcher, le saluant de son sourire en coin quelque peu provocateur, comme à son habitude. Le Viskuse s’éloigne un peu de nous, amorçant une approche que je devine pleine de tension. À leur façon, les deux Pokémon viennent de saluer et de se lancer un défi silencieux. Ainsi ils entreront en relation. Je pense à la proposition d’Éléanore, me disant que nos deux choix s’affronteront peut-être même pour déterminer leur place dans l’équipe Élite. La femme n’a pas tort en disant que la Carabaffe souffrira peut-être d’une position en celle-ci. Puis, le combat débute sous nos yeux. Le Viskuse s’est enfoncé sous les flots tandis qu’un vent funeste s’élève autour de Wanda. Prenant en ampleur, il renverse la Carabaffe qui se sauve en s’enfonçant à son tour sous l’eau. La femelle prend en vitesse grâce à Tour Rapide et fonce tout droit sur la pieuvre qui ne peut l’éviter. Or, Wanda a oublié que son ennemi est de type spectre. L’attaque ne lui fait rien! Aussitôt, le Viskuse en profite pour lui assener un Vol Vie. Cependant, la Carabaffe n’a pas dit son dernier mot. Son Hydrocanon expédie le Viskuse hors de la piscine où il s’écrase mollement contre une des plateformes. Wanda saute à sa suite, préparant déjà son prochain coup. La pauvre pieuvre tente un Châtiment vers elle mais cela ne l’arrête pas. Mon alliée semble décidée à gagner malgré tous les dommages qu’elle subit. Son Coud’Krâne vient mettre son adversaire au sol de façon définitive. Pour ce qui est d’elle, elle tombe contre ses fesses, épuisée.
«On dirait que Wanda sera…»
Je m’interromps quand une vive lueur s’échappe d’elle, causant une vague de cris enthousiastes autour d’elle. Même Fiona et Pyrax se sont rapprochés pour assister à l’évolution surprise de la Carabaffe qui prend de l’expansion devant nos regards admiratifs. Levant ses canons vers le plafond de l’Arène, la Tortank laisse lui échapper un long cri de guerre pour fêter son évolution récente. Le Viskuse lui, sourit de façon adorable, frappant ses tentacules ensemble pour applaudir la réussite de son adversaire. Wanda s’approche de lui et lui propose sa patte pour l’aider à se relever. Juste ainsi, leur amitié est scellée. Après moult félicitations, le calme revient dans l’Arène.
«On dirait que Wanda a fait son choix.»
«Oui et moi aussi. Je prendrai Luth le Viskuse dans mon équipe Élite avec Opalyn et Adowë. Comptez sur moi pour revenir vous harceler pour permettre à Kinu d’en faire partie aussi.»
«Vous allez devoir venir avec des arguments convaincants. Pour le moment, je vous remets officiellement votre Badge, le Badge Havre.»
Dans ma main scintille désormais un objet aux multiples couleurs, rappelant la baie illuminée par la soleil qui se trouve derrière moi. Un Badge parfaitement à l’image de Dimaras. Je scrute le Badge, cette clé de mon domaine et de mon nouveau poste. Pendant un moment, la piscine devient silencieuse tandis que fébrilement, je l’accroche à ma veste, comme pour m’approprier ma nouvelle réalité.
«Il vous sied à merveille.»
J’ai le sentiment qu’elle raison.
(c)Golden