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| « Aller Aloé, viens, tu ne risques rien. »
Je fais signe à la petite chienne de venir me rejoindre dans la mer et mettre les pattes dans l’eau mais la ponchiot me regarde avec de grands yeux effrayés et campe sur la plage, refusant de ne serait-ce que s’approcher d’une vague. Zora et Cachou, qui sont en train de se baigner, s’arrêtent un instant pour appeler la jeune femelle qui les écoute sans pour autant se lasser convaincre. Ils abandonnent finalement et reprennent leur jeu de bagarre tandis que mon Aloé se roule en boule et attend que le temps passe. Je sors de l’eau et étend ma serviette avant de venir m’asseoir à côté du ponchiot, la caressant derrière les oreilles pour la rassurer. Elle se serre contre moi et je souris, me rappelant dans quel état je l’ai trouvée. Aloé est une chienne abandonnée, probablement a-t-elle été maltraitée aussi car elle est extrêmement peureuse. Je pense que si elle s’est aventurée au milieu de la foule le jour où je l’ai rencontrée, c’est simplement parce qu’elle était affamée, sinon elle ne se serait pas approchée. Il faut sans cesse faire attention en sa présence. Un mouvement brusque et elle se recroqueville sur elle-même ou détale. Elle est aussi terrorisée par son environnement. Le moindre bruit qui sort de l'ordinaire, le moindre effet de surprise et elle panique. A chaque orage, je m’enferme avec elle dans la maison, tous les volets fermés, je monte le son de la télévision et je la laisser s’allonger sous une couverture contre moi, en attendant que le temps tourne. Pas facile à vivre, ni pour elle, ni pour moi. Elle a besoin de réapprendre à vivre, à faire confiance mais ça demande du temps et je sais de quoi je parle, je suis passé par là moi aussi. On m’a donné ma chance, je vais lui offrir la sienne.
« Ça va aller, on a tout le temps du monde. On n’est pas pressés, on peut prendre notre temps. Tu sais, un jour, toi aussi tu pourras participer à des concours comme eux. »
Je la vois redresser les oreilles et me fixer avec insistance. J’ai vu comment elle regardait les concours retransmis à la télévision, j’ai remarqué que même de loin elle ne manquait aucun de nos entraînements. Elle envie certainement les autres, ignorant qu’elle est elle-même capable de monter sur scène.
« Tiens, tu voudrais essayer de réaliser une petite combinaison sur la plage ? Ça te tente ? »
D’abord hésitante, elle acquiesce et se lève, s’ébrouant avant de s’éloigner de l’eau et de me faire face, attendant que je l’aide, que je la guide. Je prends le temps de réfléchir avant de sourire.
« Lance rengorgement ma belle, vas-y. »
Elle hoche la tête et je la regarde se concentrer, rapidement, une vive lueur orangée danse sur son pelage, se détachant de plus en plus de sa silhouette jusqu’à donner l’impression qu’elle s’est drapée dans un tissu en flanelle.
« Parfait, il faut que tu arrives à le maintenir. Concentre toi, dès que tu es prête, utilise charge sur le bloc de pierre juste là. »
Je désigne un rocher, pas trop gros à une dizaine de mètres de nous. Aloé ferme les yeux, elle se concentre puis elle se met à courir, la lueur orangée se met en mouvement, traînant derrière la chienne comme une cape, s’animant avec la légère brise et la vitesse que prend la femelle. Elle fonce sur le bloc qui éclate en morceau.
« Et maintenant, lance un contre ! »
Le regard fixé sur les fragments volants, la petite chienne lance son attaque. Son aura orangée s’éclaircie, grossie autour d’elle, tournoie et emporte les esquilles, les réduisant en poussière, scintillant sous le soleil et retombant lentement en un nuage miroitant autour d’elle. Je souris alors qu’elle ne quitte pas des yeux la myriade d’étincelles qui se balance au gré du vent. Alors que le spectacle touche à sa fin, elle se met à luire d’une vive lueur argentée et la ponchiot laisse la place à son évolution qui vient vers moi en courant. Je m’accroupis et écarte les bras pour l’accueillir, la félicitant pour sa prestation. Elle me lèche le visage, le couvrant d’une bonne quantité de bave mais j’ai l’habitude. Je souris, ce qu’elle vient de faire, c’est un sacré pas en avant et peu importe s’il lui faut des jours, des mois ou des années, peu importe qu’aujourd’hui elle ne mette pas les pattes dans l’eau, elle y arrivera, un jour. Il suffit simplement de lui faire confiance et de laisser le temps guérir les blessures du passé. | | | | |
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