/!/ TW : l'OS parle de déni de burn out/dépression et de comportement auto-destructeurs/toxiques dans une certaine mesure. /!/
L'OS est principalement écrit du PdV de Soltan. Suite de cet OS.En déambulant en cercle dans son bureau, Soltan commençait à s’énerver tout seul. Son esprit avait finalement admit que, peut-être, son cousin avait eu raison de trouver irritant de voir le fermier autour du pot, sans jamais sortir de son déni. Il est vrai que ça a probablement assez duré. Que si ça continue, ça finirait par mettre tout le monde mal à l’aise. Ce n’est pas parce que le fermier pense ne rien laisser paraître que personne ne peut percevoir son inconfort. Avec la fatigue, en plus, ça commençait à transparaître et il devait se faire à cette réalité d’une manière ou d’une autre. Si son demeuré de cousin (enfin, il ne pense pas vraiment qu’il soit demeuré, c’est simplement qu’actuellement il le boude à la manière d’un gamin de 4 ans) peut se rendre compte qu’il est à côté de ses pompes, alors probablement que Shizune et les enfants le savent aussi. Ou le sentent, sans doute. Partant d’un tel postulat, passer ses journées caché dans la grange ou le bureau n’est pas la bonne solution pour faire comme si ne rien était.
Effectivement, faudrait peut-être arrêter d’être lâche et con, à un moment.Sachant que cela fait bien 3 à 5 mois qu’il se dit ça, il faudrait finalement le mettre en pratique. Cette idée lui donnait envie de geindre et se rouler sur la moquette unie bleu nuit du bureau, mais il n’aurait pas l’air très malin si Shizune le trouvait dans cet état. Ceci dit, comme les enfants ne sont pas là et qu’ils ont la maison pour eux, ce serait l’occasion de parler de certains problèmes qu’ils n’ont pas osé aborder depuis des mois. Ils ne seraient pas dérangés, au moins, Soltan savait que c’était le moment ou jamais. Seulement, il prédisait que ça ne serait pas très agréable pour sa compagne et procrastinait en marchant dans son bureau.
Ça sert à rien, ce que je fais. Je vais encore le regretter, si je n’y vais pas quand on a le temps. Il s’arrêta de tourner comme un Némélios dans une cage puis s’en alla vers le bureau en bois où il récupéra un papier qu’il avait retrouvé et que Shizune cherchait depuis quelques jours, puis sortit finalement de la pièce. Le fermier trouva la Onizuka dans la salle à manger, dos à lui, ses longs cheveux geais lâchés, en train de tapoter sur son laptop. A la manière dont elle plissait les yeux et tripotait le col de sa chemise à carreaux empruntée au fermier, elle était apparement très concentrée. Soltan la rejoint en quelques pas et posa avec les fameux papiers avec précaution sur la table, non sans déglutir d’appréhension au passage.
« C’est à toi, ça, non ? »
Le brune mit un petit instant à sortir de ce qui l’occupait, puis elle tourna ses yeux aux iris noirs vers son ami, puis vers les fiches posées près d’elle. Elle haussa les sourcils puis son visage s’illumina d’un sourire lorsqu’elle se saisit des feuilles pour vérifier si elles étaient toutes là, les retournant une par une avec sa seule main.
« Ah, bordel, tu l’as trouvé ! »S’exclama la japonaise avait de retourner la tête vers son comparse et le remercier d’un rictus sincère. Shizune rapprocha sa chaise et attrapa le poignet de l’autre pour le faire se rapprocher, puis elle entoura sa taille afin de le serrer un peu contre elle.
« Merci mon bon fermier ! »
Elle minaudait avec son air malicieux que Soltan connaissait bien. Les démonstrations d’affection se faisaient de plus en plus rares entre eux. Le couple de fermiers ne pouvait pas dire que leur intimité ne leur manquait pas, de temps à autre. Cependant, même si la chaleur qui se dégageait de cette brève embrassade était tout sauf désagréable à Soltan, il ne se sentait pas d’humeur à penser à autre chose que ce qui le préoccupait. Le quarantenaire aux cheveux gris se dégagea doucement, avec un sourire un peu pincé en guise d’excuses. Un silence passa et c’est probablement à cet instant que Shizune devina que son ami n’était pas là pour parler de la pluie et du beau temps ou lui baver dans l’oreille. Ce n’est pas son genre d’être subtil, mais il se retrouvait malgré lui à essayer d’approcher les sujets qui fâchent de manière détournée.
« Et… C’est quoi ? »
Pour avoir survolé quelques lignes des fiches posées sur la table et sachant ce que sa comparse cherchait ces derniers jours, Soltan avait déjà une petite idée, mais il préférait que ce soit Shizune qui lui en parle.
« Euh… C’est pour le dojo. »Oui, c’est bien ce qui lui semblait. Ce projet de dojo, elle en parlait déjà à leur rencontre. Du moins, de créer le sien, car elle avait déjà donné des cours d’arts martiaux par le passé. Néanmoins, jusqu’à maintenant, elle n’était pas allée jusqu’à débuter une procédure administrative, ou au moins remplir des papiers. De plus, avec ses allers et venus réguliers, Soltan se disait qu’elle était passé à autre chose et qu’au final, elle n’était pas vraiment sérieuse.
Visiblement je me gourrais sur ça aussi. Je suis un peu à chier comme gars, en fait. Pour le coup, il se sentait coupable. Ce n’est pas comme s’il avait été encourageant, ces derniers temps, c’est même plutôt l’inverse.
« … Oh… alors… »
Fit-il, assez penaud, sans oser faire plus de commentaires. Peut-être que pour le coup, des commentaires, ce n’était peut-être pas lui qui en avait le plus à sortir, vu le regard noir irrité que lui lança son amie en réponse à sa molesse.
« Quoi ? »Elle fit volte-face sur sa chaise pour le regarder dans les yeux. Son ton était ferme. Apparemment, c’était le bon moment pour devenir franc et arrêter de faire des détours. Le fermier dévia un instant le regard sur le côté et émit un claquement de langue avant de répondre, non sans une certaine appréhension :
« Je pensais pas que t’étais sérieuse quand t’as recommencé à parler de ça. »Il ne voulait pas que ça sonne comme un reproche, car ça n’en était pas un. D’ailleurs, ce n’est pas ainsi que Shizune le prit. La remarque de son compagnon ne manqua pas de l’agacer pour autant. Soltan l’entendit soupirer avec exaspération et se sentit immédiatement assez mal d’avoir été direct. Mais en un sens, il était peut-être temps qu’il le soit, même si maintenant, le fait qu’il n’arrivait plus à faire confiance à sa compagne devenait évident. C’est bien normal que dans un tel contexte, la Onizuka ne prenne pas très bien les remarques de son partenaire.
« Pourquoi tu ne me prends pas au sérieux quand je projette des trucs ?! »Le fermier entendait bien qu’elle tentait de rester calme sans vraiment y parvenir. Sa voix tremblait presque et elle le fusillait du regard. Devant la vérité crue énoncée par Shizune, le quarantenaire resta sans voix. Il a beau assurer qu’il préfère qu’on soit direct avec lui, finalement, ça dépend du sujet. Là, c’est pile poil le genre de thématique ou le fait d’être trop franc lui fait l’effet d’un coup dans l’estomac. Mais… Shizune disait vrai. Soltan pensait que sa comparse parlait encore une fois de son dojo dans le vent. Qu’elle ne le ferait pas car elle repartirait sûrement un jour sans aller au bout de son projet. Sauf que cette fois, c’était du sérieux. Cette fois, sans doute qu’elle était revenue pour rester et faire ses trucs, elle aussi.
Est-ce qu’elle y pense depuis longtemps… ? Pourquoi est-ce qu’elle m’en a jamais parlé… ? Ah… mais moi non plus, je lui dis plus rien depuis des mois.
Tandis que nombre de vérités lui claquaient soudain à la figure, le fermier n’avait plus rien à dire. Et devant son attitude de patate molle exaspérante, Shizune n’arrivait plus vraiment à garder son calme.
« C’est quoi ton problème, à la fin ?! Craches le morceau ! »Normalement, Soltan arrive toujours à dire quelque chose pour avoir le dernier mot. Ça fonctionnait plutôt bien avec Zlatan, l’autre fois. Mais bon, Shizune, c’est autre chose. Là, il se sent vraiment coupable et réalise que c’était probablement à lui aussi d’agir comme un adulte responsable en abordant les sujets qui fâchent. Et que, justement, ce n’était pas responsable de se surcharger en espérant épargner les autres, surtout quand finalement, le reste des habitants de la maison finissent par en pâtir.
Evidemment que maintenant, ça va m’exploser à la gueule. Je sais pas ce que j’espérais.Vraiment, il ne sait plus ce qu’il espérait en restant muet. Peut-être un peu que tout se résolve sans qu’ils n’aient rien à se dire ? Que leur « compréhension mutuelle qui n’a pas besoin de mots pour opérer » ou quelque connerie du genre aurait théoriquement suffi ? Non, même lui est le premier à clamer haut et fort que ce genre de choses n’existe pas. Il fait la leçon à son cousin mais ce dernier est le premier à avoir l’air de vouloir lui mettre des coups de pied au derrière pour qu’il parle à ses proches et s’explique. Ce n’est pas comme si son mutisme et ses sales habitudes d’esquiver ces situations ne lui avaient rien coûté jusqu’à maintenant, en plus. Soltan se cachait derrière son travail, derrière ses actions passées dont il ne sera jamais fier pour s’assurer que s’il ne parle pas, ce n’est pas vraiment sa faute, c’est parce que c’est aussi douloureux à admettre qu’à entendre. Si au contraire, il subit les conséquences provoquées par son comportement lâche, il se dit que c’est qu’il le mérite. Dans tous les cas, il s’arrange pour être perdant, mais il commençait aussi à se rendre compte qu’il n’était plus le seul à trinquer. Certes, les traumatismes sont présents après tout ce temps, la peur de l’abandon, ses crises d’angoisse quand il n’est pas capable de tout « gérer » par lui-même aussi. Si Soltan ne l’accepte pas, il a suffisamment entendu son cousin lui remettre ce genre de problèmes en tête pour savoir que ça existe, que les ignorer est dangereux. Et, oui, le danger, il s’y frottait déjà assez vu l’état de sa santé. Il aurait pu continuer ainsi, si ça n’impliquait que lui. Mais à force de se rendre malade, il empoisonnait apparemment aussi sa vie de famille et donc, évidemment que celleux qui le connaissent le mieux commençaient à en avoir marre, après tout ce temps.
Mais quel con… On dirait presque que j’aime ça, de m’aliéner tout le monde. Est-ce que j’ai vraiment envie que ça continue comme ça ? J’ai déjà plus de contacts avec les parents ou Illéas depuis des années et c’est maintenant que je pige que Zlatan et Shizune m’envoient les mêmes signaux. Et pour les gamins… Je suis visiblement aussi mauvais sur ce point, donc, super.
« Les gamins sont pas là donc, vas-y, si tu veux dire des horreurs, c’est le moment où jamais. »Les propos de son amie le tirèrent de sa torpeur. Shizune essayait visiblement de retrouver son calme, mais il voyait bien que sa main tremblait de frustration et que ses yeux humides brillaient tandis qu’elle le fixait intensèment. Cette vision lui provoqua un haut-le-cœur quand il comprit que son attitude était à l’origine de la détresse temporaire de la Onizuka. Il était à bout et elle aussi, tout ça car ils ne se parlaient plus. Soltan serra les poings en ruminant son anxiété qui l’empêchait de répondre. Ce fut à nouveau Shizune qui le réveilla en lui saisissant le poignet.
« Mais parles ! Tu me fais pu confiance, c’est ça ?! »
Le brune n’avait pu s’empêcher d’élever le ton. Ça n’arrangerait rien à l’affaire, elle s’en rendit compte après coup, mais ne dévia pas le regard. Finalement, Soltan osa finalement soutenir ses iris noirs et lui répondit.
« Tu… T’étais partie pendant des mois ! »Lâcha-t-il finalement, puis se laissa tomber sur une chaise en face d’elle. Il soupira en se préparant à vider son sac, sentant sa gorge brûler et se bloquer sous le coup de sa propre frustration. A présent, c’est sa voix qui chevrotait presque en essayant de rester calme, sans cèder aux émotions qui tempêtaient en lui, c’en devenait ridicule.
Je suis vraiment pathétique. Mais c’est un peu tard pour me flageller.« Tu sais comme c’est long, 6, je sais pu… 8 mois, avec 4 gamins et une ferme à gérer ?! »Nombre de ces moments passés à travailler en s’arrêtant juste pour dormir s’étaient effacés de sa mémoire. Ça ne le rassurait guère. Mais, une fois encore, ce n’est pas comme si d’autres n’avaient pas essayé de le prévenir. Il avait haussé le ton à son tout mais cela avait suffi à l’épuiser et à ne pas recommencer. Il n’aurait jamais cru que ce serait aussi fatigant.
« Et maintenant, tu vas faire quoi ? Tu es revenue pour… qu’est-ce que tu veux faire ? »Il baissa les yeux et se massa les tempes. Il avait l’impression qu’une migraine soudaine était en train de lui monter à la tête. Il n’était pas en colère comme il aurait pu s’y attendre. Juste attristé et alarmé d’avoir gardé tout ça aussi longtemps. Zlatan avait raison sur ça : c’était stupide et imprudent. Et dangereux, surtout, et pas uniquement pour lui-même.
« … Eh ben… ça a dû t’emmerder de ruminer tout ça… »
Finit par lui répondre la brune dans un soupir, ne sachant visiblement plus quoi dire non plus. Elle aurait pu mal le prendre, Soltan aurait presque préféré qu’elle s’énerve plutôt que lui voir un regard aussi piteux. Ce n’est pas leur genre de se montrer si vulnérables, même l’un avec l’autre, même quand ils sont seuls, ça n’a jamais été simple. Le Green ne pensait pas que sa compagne ressentait le même épuisement que lui après tout ce temps. Il s’était visiblement mépris, il se sentait stupide, quoiqu’un peu moins ridicule en comprenant qu’il n’était pas le seul à être au bout de sa vie avec toutes ces histoires.
« Pourquoi tu me le dis jamais, quand t’as besoin de moi… ? »Après un long silence pesant, Shizune avait repris la parole d’un ton las. Le fermier retint son souffle et détourna encore une fois les yeux. Seule la vérité était capable de lui fait le même effet qu’un couteau planté au mauvais endroit.
« Pas moi. Les enfants. »Répliqua-t-il, sur la défensive. Il continuait d’être convaincu que l’absence de Shizune ne pesait qu’à ses enfants, que lui le supportait très bien malgré le surmenage. Combien de fois avait-t-il assuré au téléphone que « tout va bien », qu’il n’avait « pas du tout besoin d’aide » car il avait « plein de temps à tuer de toute façon » et d’autres excuses.
Eh. C’est presque comme si je cherchais à compenser quelque chose.
La Onizuka se mit à grogner et leva les yeux au plafond.
« Arrête de toujours tout ramener à eux… tu t’es vu, ces dernières semaines ?! »
Il eut quand même l’outrecuidance d’entamer d’ouvrir la bouche pour répondre puis il se renfrogna, baissant ses yeux verts vers la table de la salle à manger. Non, il n’allait pas faire le malin. Pas devant la vérité pénible que, visiblement, tout le monde sauf lui s’est aperçu qu’il ne va pas bien. Même si ça n’allait pas faire avancer grand-chose que de se le dire une fois de plus, le fermier le pensa tout de même une fois encore :
Je me sens vraiment très con, là.
« T’as préféré rameuter ton cousin plutôt que m’en parler quand j’appelais, ça veut tout dire. »
« Te parler de quoi ? », faillit-t-il rétorquer. Sauf que continuer de nier aurait été très malvenu. Ça en devenait ridicule. En réalité, même si on lui en avait parlé plusieurs fois, Soltan ne saurait pas mettre des mots précis sur son état. Quelque chose le bloquait… probablement juste l’idée de se montrer plus faible qu’il n’essaie de paraitre devant d’autres personnes lui était insupportable. Il avait été élevé ainsi et de nombreuses années avaient été nécessaires pour lui faire comprendre que ça n’était pas une bonne chose, que de toujours masquer ses émotions en pensant être moins lâche ainsi. Avec Zlatan, ils avaient débattu des dizaines de fois, de manière houleuse, au sujet des sermons de leurs grand-père sur la « virilité » et la « force de caractère » dont ils devaient faire preuve « en tant qu’hommes ». Selon ce que disait Papy Horatio, un père de famille, ça ne s’écrase pas derrière des excuses comme le burn-out, ça ne va pas chouiner dans sa grange quand il n’est pas sûr de pouvoir continuer ainsi et ça n’affiche jamais la moindre faiblesse, surtout pas devant « sa bonne femme » ou ses gamins. Et concernant Ronald, le père de Soltan et d’Illéas, disons qu’il n’a jamais été le type le plus chaleureux du monde et ce n’était pas le dernier quand il fallait soutenir son beau-père Horatio, l’ancien militaire. Bien en avait pris à son cousin et à son frère de finalement réussir à convaincre Soltan que leur Pépé leur avait raconté beaucoup de merdes. Mais, résultat, le fermier avait toujours autant envie de casser des trucs quand il se sentait devenir « faible » en abordant son ressenti. Horatio avait beaucoup d’influence sur lui, plus que sur son frère et son cousin et ça avait certainement été une erreur de se reposer autant sur son grand-père maternel. En le voyant ainsi, ce dernier aurait certainement eu un regard irrité et répliqué que Shizune « se croyait tout permis » en parlant à Soltan de la sorte.
J’ai dépassé ça. Je n’ai plus envie de forcer le trait comme gramps le voulait. J’ai pas envie de mal traiter mes gosses et ma copine, bordel. Ironiquement, c’est dans ces moments que les imitations des « grands moments » de son grand père (en danois dans le texte) par son cousin lui manquaient beaucoup. Les chignages de Marilyn et d’Iris, Mikoto et Ludwig qui savent de mieux en mieux admettre quand ils ne se sentent pas bien aussi, en ce moment, ça l’aurait rassuré de les entendre. Pour se dire que peut-être, il ne faisait pas si mal. Mais ce n’était pas le moment de se lancer des fleurs. Il souffla longuement avant de reprendre, non sans se sentir un peu honteux de la question qu’il allait poser, d’une voix toute penaude :
« Parce que… tu serais revenue, si je t’avais demandé ? »Shizune pinça les lèvres, visiblement ennuyée par une telle interrogation. Elle comprenait que l’autre se pose ce genre de question. S’il avait agi comme si ne rien était et lui avait menti sur le fait que tout allait bien pour lui en espérant la préserver, elle ne pouvait pas assurer avoir été irréprochable de son côté non plus. C’est-à-dire qu’au niveau du refoulement émotionnel, Shizune aussi en tient une couche. Mais depuis son retour, Soltan l’avait trouvée changée. Le fait qu’elle se projette vers autre chose qu’attendre que des contrats et de l’argent sale lui tombent dessus était une preuve assez frappante du fait qu’elle voulait peut-être prendre du temps pour autre chose dans sa vie. Peut-être du temps pour sa famille, pour son dojo. A son tour, la brune baissa les yeux et se massa la nuque dans une attitude malaisée.
« …Bah… j’aurais essayé de faire au mieux avec ce qui me restait à… »Marmonna-t-elle, peu assurée, mais en essayant de rester à peu près honnête. Non, elle n’aurait pas pu revenir du jour au lendemain à la seule demande de son conjoint ou de ses enfants. Soltan eut pourtant l’air compréhensif en soupirant de nouveau. Après tout, l’époque où il envisageait de se ranger et d’arrêter de tuer pour de l’argent avait été la plus incertaine de sa vie. Il ne savait pas s’il pouvait seulement arrêter, être capable de supporter une vie paisible après ce qu’il avait fait et vu pendant des années. Ça avait été long, très long, d’autant plus que dans ces moments, il était essentiellement livre à lui-même. Pour en revenir à Shizune, cependant, cela faisait plus de huit ans qu’ils vivaient ensemble à la ferme avec les enfants. Même avec leur vécu et leurs sales habitudes de se faire des cachotteries, certaines conventions leur étaient plus ou moins acquises. Du moins, c’est ce qu’ils pensaient.
« Je pensais que tu t’en rendrais compte sans que je doive le dire. »Ou plutôt, je l’espérais. J’espérais qu’elle comprenne par elle-même que quand je lui disais « tout va bien », j’avais qu’une envie, c’était qu’elle revienne pur m’aider quand je me sentais dépassé. J’ai pas été plus honnête qu’elle, mais… je voulais pas avoir l’air de lui faire du chantage en avouant que j’étais au bout du rouleau.
« Depuis combien de temps on se dit presque plus rien, Soltan… ? »La question les fit se crisper tous les deux. Ça avait le mérite d’aborder leur principal problème qu’avait toujours été leur manque de communication sur les sujets difficiles. Maintenant que le plus gros de ce qu’il devait vider était déjà sorti, le fermier s’était assagi. Plus avachi sur la table, il baissa les yeux, réellement sceptique quant à la manière dont il voulait répondre.
« J’en sais rien… »Marmonna-t-il d’un air désolé. Puis il se massa la nuque en faisant rouler ses épaules afin de se détendre un peu.
« J’crois qu’on a pris l’habitude. »
Tenta-t-il, en essayant d’être honnête. Car c’est vrai qu’il s’est fait à ne rien dire à sa compagne, à ne pas s’attendre qu’elle vienne lui parler spontanément de leurs soucis. Ils parlaient des enfants, bien entendu, il y aura toujours eux pour les réunir. Mais au-delà du fait qu’ils avaient tous les deux cette responsabilité qui les poussait à parler un peu, le reste n’était plus du tout aussi spontané qu’avant. Si tant est que ça avait été naturel un jour d’aborder des sujets vraiment sérieux et « adultes » concernant leur vie à deux puis leur vie de famille, ainsi que l’engagement que cela peut induire. Soltan ne se voit plus quitter cette routine familiale auprès de ses enfants et de Ludwig, désormais. Ce qui le turlupinait vraiment, depuis quelques temps, c’était qu’il questionnait la place de Shizune dans ce rythme de vie. Probablement qu’elle aussi, se posait la question, d’ailleurs.
C’est peut-être le moment de mettre ça sur la table aussi… En pinçant les lèvres, le fermier osa finalement essayer de mettre des mots sur ce dernier questionnement interne.
« Shizu, euhm…je sais plus si je peux m’attendre à… je sais pas comment j’imagine une routine avec toi, maintenant. »Ça n’était pas très clair. Mais ça ne l’était pas plus dans son esprit. Après un instant, Shizune comprit où il venait en venir et eut l’air affectée par les dernières paroles du fermier.
« Pourquoi ? Tu me fais plus confiance… ? »Il ne s’agissait pas de s’accuser, mais Soltan sentit quand même que son amie ne prenait pas vraiment bien ses derniers aveux. S’il avait été à sa place, il n’aurait pas exulté non plus. Encore moins si l’ancienne prof d’arts martiaux lui avouait ne plus réussir à avoir foi en sa présence. Le fermier ne se réjouissait pas plus que ça d’avoir à répondre honnêtement à ces dernières questions.
« Bah… je voudrais bien, mais avec cette dernière année, j’ai du mal. »Admit-il finalement, non sans remords. En parlant avant, le coup n’aurait pas été aussi difficile en encaisser. En effet, il y avait l’absence de Shizune qui avait été trop longue et qui avait affecté sa confiance en elle, mais en dehors de ça, il y avait aussi le fait qu’il se faisait chaque jour du soucis pour elle. Si en dehors de Marilyn qui a l’air d’avoir tout oublié, les enfants ne savent pas pour leurs activités criminelles passées, Soltan ne pouvait pas ignorer que sa compagne risquait souvent sa vie.
« Je sais même pas ce que tu faisais pendant tout ce temps. »Elle aurait pu ne jamais revenir. Quelques fois, le fermier n’osait pas poser de questions, de peur d’apprendre une très mauvaise nouvelle. Ça avait été un énorme soulagement de la voir revenir entière, au prix d’une anxiété constante durant plusieurs mois. C’était lâche de ne demander que maintenant plus de détails et il n’exigeait pas que Shizune se justifie pour son absence. Il avait juste besoin de savoir si ce genre d’absence avait au moins pu permettre à son amie d’avancer de son côté. Au fond, il voulait sincèrement croire que cette absence avait été la dernière, plusieurs signes semblaient lui indiquer que c’était peut-être le cas, mais, rien ne lui permettait d’être plus formel que les dires de la Onizuka. Cette dernière inspira brièvement afin de se préparer à faire son bref récit.
« Je… comme toi y’a 9 ans, j’ai essayé de terminer ce qui me restait à faire au Japon pour… je sais pas, j’aurais toujours du mal avec l’idée de m’installer quelque part pour des années, mais, je voulais au moins laisser derrière moi ce que je faisais avant. »Les aveux de la brune firent souffler le fermier de soulagement. Il ne se retint pas de s’avachir dans el fond de sa chaise. S’il comprenait bien, Shizune s’était décidée à son tour à cesser ses activités criminelles, afin de recommencer autre chose, ici ou ailleurs. Elle avait déjà essayé plusieurs fois pas le passé, ça n’avait pas tenu. Mais les dernières fois, elle n’avait pas ce discours, elle n’avait jamais essayé de revenir vraiment comme elle semblait le faire depuis quelques mois.
Mais bon… c’est presque un peu trop beau pour être vrai.
« …C’est vrai... ? Mais… tu disais que tu te rangerais probablement jamais… »Ne put-il pas résister à demander. Shizune le regarda à nouveau en biais, l’air encore un peu blessée et coupable devant la réalité, qui était que reconstituer une relation de confiance entre elle et son compagnon serait long et compliqué. Elle ne savait pas vraiment comment l’assurer de sa bonne foi pour le moment, mais continua quand même dans cette optique.
« Bah… je veux essayer. » Elle fronça les sourcils et prit un air on ne peut plus sérieux, presque solennel.
« En vrai, cette fois-ci. »Elle a l’air sérieuse. J’imagine que je peux lui donner le bénéfice du doute, m’enfin… hmph. C’est chiant, avec toute cette merde qu’on a laissée derrière.
Soltan redevint pensif, ce qui n’échappa pas à son amie. Ce fut encore une fois au tour de cette dernière d’aborder un dernier point, laissé en suspens tout au long de leur conversation. Leurs échanges avaient déjà duré un bout de temps et l’heure avançait vite. Bientôt, il faudrait aller chercher les enfants à l’école et donc, remettre la suite de cette conversation à plus tard.
« Dis, tu crois qu’on peut encore essayer de changer nos routines pour… bah, vivre ensemble à nouveau ? »Ces dernières paroles tirèrent le fermier de ses pensées. Il cligna des yeux car il ne s’attendait pas à parler de ça aussi aujourd’hui. A vrai dire, même s’il y avait réfléchi, il n’était en ce moment pas tout à fait au clair sur ses sentiments ni sur ce qu’il attendait de leur relation.
Faut croire qu’au moins, on est sur la même longueur d’onde quand y s’agit d’être à côté de la plaque.
« Euh… je sais pas trop, pour l’instant. »
Cette fois, il ne disait pas ça pour fuir la discussion. Il ne savait vraiment pas ce qu’il voulait à cet égard. Bien entendu, il était hors de question de songer à chasser Shizune de chez eux, qu’ils restent ensemble ou non. D’ailleurs, il lui semblait que par « vivre ensemble », elle ne faisait pas seulement allusion au fait de vivre sous le même toit, mais aussi au fait d’ « être ensemble ». C’est sur ce second point, que le fermier ne savait pas trop où ils en étaient.
« M’enfin, on vit toujours ensemble et c’est pas si mal. »
Dit-il en se tournant les pouces, réfléchissant toujours à fur et à mesure qu’il enchainait ses phrases. Au fond, il voulait juste assurer à son amie qu’il ne comptait pas remettre en question sa présence à la ferme. Quelque part, il espérait être assez clair sur le fait que ça signifiait aussi qu’elle soit présente pour leurs enfants.
« 'Fin, si tu comptes rester… »
Il se demandait ce que leur relation allait devenir, après tout ça. Probablement qu’il ne le sauraient pas tout de suite, qu’il faudrait du temps pour décider s’ils veulent réessayer ou non. Pour le moment, aucun des deux n’était au clair sur ces sujets et avec ce qui était déjà sorti aujourd’hui, ils étaient un peu épuisés également.
« Bah, t’es chez toi, quoi, enfin, tu sais. »
La Onizuka eut l’air un peu soulagée, même si elle savait que ce n’était pas le genre de Soltan de la mettre dehors. Après tout, quelques soient leurs sentiments, ils gardaient de l'affection, au moins amicale, l'un pour l'autre. Les deux presque cinquantenaire continuaient de s'apprécier malgré leurs récents différents et l'idée de se faire sciemment du mal ne leur traversait pas l'esprit.
« Et pour nous, bah… »Il tenta de reprendre mais resta muet quelques secondes. Il retroussa les lèvres d’un air embêté, ne sachant pas quoi ajouter pour le moment. Devant la confusion de son partenaire, Shizune esquissa un signe de main afin de le rassurer. Elle grimaça d’un air embarrassé à son tour, embêtée qu’ils soient encore bloqués là-dessus. Mais ce qui avait été dit était déjà mieux que le néant de ces derniers mois. Pas toujours rassurant pour l’une comme pour l’autre, mais ils avaient parlé.
Pourvu que le reste me vienne de manière un peu moins batârde.
« C’est ptet mieux qu’on en reparle une autre fois, de ça, nan ? »Finit par dire la brune avec un sourire un peu crispé, que l’autre lui rendit. Soltan fut plus ou moins satisfait en sentant qu’un poids qu’il avait depuis longtemps sur la conscience s’était un peu allégé. Suite à cet accord silencieux, les deux comparses changèrent finalement de sujet afin de voir rapidement comment ils s’y prenaient après être allés chercher les enfants à l’école. Ludwig et Marilyn reviendraient en vélo et le premier allait peut-être arriver avec son amie Lise pour la soirée et peut-être le dîner. Il faudrait s’occuper des devoirs au passage (les deux pestèrent d’ailleurs sur le fait que les enfants aient encore des devoirs à trois semaines des vacances d’été), s’occuper du repas, enfin, bref, dans tous les cas, ils ne pouvaient pas s’ennuyer. Il serait aussi temps de voir ce qu’ils feraient pour les vacances, car peut-être que les jeunes auraient envie de partir quelque part. Sauf que Soltan ne peut pas vraiment laisser la ferme comme ça, sans surveillance… peut-être devrait-il songer à prendre d’autres collaborateurices pour ce genre de situation.
Et ça m’étonne encore d’être épuisé, à ce rythme, hein. Fait chier, je suis plus tout jeune maintenant, à force d’approcher les 50 balais et en plus, j’ai mal au dos. Pesta-t-il intérieurement avant de se préparer à prendre la voiture. Shizune resta pour sa part histoire d’avancer dans ses démarches administratives et en profita pour sortir le gouter. La routine avait presque l’air d’être en place comme d’habitude, selon des conventions classiques et logiques que les deux parents avaient pris l’habitude de suivre, que Soltan avait principalement repris du rythme de son enfance. Pour le moment, ça avait l’air de convenir à tour le monde. Reste à voir si les choses allaient se remettre en marche et évoluer, maintenant.