Juin 2016L'été est arrivé. Tu peux le sentir dans la température, dans l'ambiance de l'île qui se réchauffe avec les festivals de la saison mais surtout la fin de la Compétition de cette année qui met Enola dans tous ses états. Toi-même tu adores cette période où tu peux admirer ton frère Faust à la télévision délivrer ses matchs quand tu ne peux pas y accéder en direct. Puisque tout le monde se réunit dans les brasseries pour voir ensemble les finales, il faut dire que ça fait toujours plus de clients pour l'auberge à ce moment-là. Il faut juste te retenir de fanfaronner à qui veut l'entendre que Méphisto est ton aîné et que tu as grandi sous l'égide et la bienveillance d'une personne aussi extraordinaire. Il n'y a pas plus idéalisateur que toi lorsque le sujet concerne ta famille, il faut dire. Tu en as toujours été fier malgré les cassures en son sein que tu fais mine d'ignorer comme si ça ne fragilisait rien tout en sachant que mettre du scotch invisible sur chaque fissure ne fera rien réparer. Personne ne te défend d'espérer qu'un jour tes proches seront de nouveau réunis dans le meilleur des mondes ; cela te permet de ne pas totalement sombrer. Tu es un peu, après tout, un des derniers espoirs de ta fratrie. Le petit dernier lumineux en qui on fait confiance pour garder un peu d'esprit sain au milieu de tout le bazar. Quelques hasards te feront pourtant prendre bien plus tard un chemin instable et dangereux devant lequel on te mettra toutefois en garde. Aussi inattendu à ta naissance que ne l'a été ton autre frère Clive à la sienne, tu as néanmoins été choyé malgré les nombreux jours où les maladies te rattrapaient, ton système immunitaire étant bien faible et couplé à un asthme qui n'a jamais rien arrangé à la situation. Tu as toujours été optimiste, cependant, et ça a toujours été une de tes forces, à défaut d'être résistant.
Nuva-Eja n'est pas une ville que tu connais particulièrement bien mais c'est parfois là-bas qu'il y a les événements les plus intéressants. En outre, aujourd'hui, tu as pu assister à la conférence unique sur l'île d'une chercheuse en informatique que tu admires beaucoup. S'il n'avait pas fallu la laisser pour le déjeuner, nul doute que tu aurais continué à l'assaillir de questions comme tu le faisais déjà depuis une bonne dizaine de minutes, faisant enrager les quelques autres personnes derrière toi qui faisaient la queue pour avoir le privilège d'avoir également des réponses à leurs interrogations. Mais bon, ce n'est pas trop grave si tu as été obligé de partir plus tôt que ce que tu ne pensais ; tu en as bien profité et tu as pris également beaucoup de notes intéressantes. Un petit tour en ville te faisait de l'œil, aussi. Alors tu en as profité pour louer un vélo afin de parcourir les rues. Tu ne les arpentes pas vraiment souvent, en fin de compte, et pour cause : il faut à chaque fois que tu prennes des bateaux et des téléporteurs pour t'y rendre, en plus d'avoir du temps libre. Le trajet ne t'effraie pas, mais tu ne peux pas faire l'aller-retour entre Vanawi et Nuva-Eja tous les jours. De plus, il faut que tu aides en parallèle ta mère derrière le bar maintenant que Clive habite chez Faust.
Clive... Faust... Ce n'est qu'en pensant à eux que tu te souviens tout à coup d'une information capitale les concernant. Le jumeau Liguien vit ici, dans le centre-ville. En pédalant, cela ne doit pas être si loin de ta position. Le regard brillant et la mine radieuse, tu cherches l'adresse de ton frère sur le GPS pour qu'il t'indique la voie la plus rapide. Soudainement excité et impatient, tu attends en trépignant sur ta bicyclette que le tracé soit dessiné sur ton écran de portable. Puis, ni une, ni deux, quand tu connais la route à suivre, tu fonces sur les pavés avec ton véhicule en chantonnant un quelconque refrain de Disney. Vous adoriez en chantant, lors des soirées dessins animés avec Faust. Puis avec un peu de chance, tu croiseras aussi Alice, ta nièce que tu n'as rencontré que récemment mais qui fut l'une des plus belles surprises qu'on t'a faite.
Ton cœur bat la chamade. Le soleil brille. Le ciel est bleu. Pendant un court moment, la vie te semblerait presque belle. Tu sais pourtant que vous vivez encore dans une période bien sombre ; mais tu prends chaque lueur qui passe sur ton chemin pour t'illuminer dans ces ténèbres. Tu en as besoin.
Essoufflé mais heureux, tu arrives enfin à la maison que tu cherchais. Tu la connais. Grande et avec un jardin immense qui rendrait jaloux n'importe quel voisin qui aime s'amuser. Car devant l'entrée, des rires te parviennent déjà, et tu n'es guère étonné. Faust a toujours été un grand gamin fêtard. Enthousiaste, une part de toi te dit qu'il y a peut-être une place pour toi dans son jardin où la voix de ton frère s'élève. En gloussant discrètement, tu décides de lui faire une surprise et descends de ton vélo que tu attaches juste devant. Alors tu te caches dans les buissons qui servent de bordures au terrain, te faufilant là où tu peux passer malgré ton corps qui a décidé de pousser d'un seul coup ces dernières années. Tu vas surgir des taillis, peut-être provoquer une crise cardiaque ou deux à Faust et à Clive, mais tu sais que ton aîné n'a jamais été contre que tu t'incrustes à ses petites fêtes, bien au contraire. Tu es toujours content d'y être même si tu n'es pas le plus actif de la partie. Mais tu te souviens assez bien de toutes les batailles de bombes à eau que vous avez organisé pour savoir que tu peux être très joueur quand tu veux, et pas que devant une console. Taquin, tu ricanes déjà de ton plan alors que tes yeux parcourent le jardin. Les fleurs y sont belles, mais ton sourire, pourtant, se fane.
Il y a un barbecue dont Faust s'occupe avec Alice. Sans surprise, Clive est sur un transat à l'ombre en train de lire un bouquin d'histoire. Fidèles à eux. Tu te serais sûrement joint à ce tableau familial comme prévu s'il n'y avait pas eu un petit bémol. Une tâche dans le décor. Ils ne sont pas seuls. Les silhouettes de Natsume et Samaël se rapprochent d'eux pour prendre ta place. Tu ne sais pas grand chose sur le Shimomura et l'Enodril. Seulement ce que t'en as dit Faust. Tu as retenu surtout que l'un était un de vos cousins du côté de ta mère. Tu ne t'en préoccupes pas trop. Le second, en revanche, te posera un problème.
« Hé, frangin, laisses-en un peu pour les autres ! »Sa poitrine se comprime. Peut-être était-ce leurs rires. Leur façon de s'amuser tous ensemble sans toi. Le fait que d'autres se permettent d'être aussi familier avec ceux que tu as toujours gardé jalousement dans ta réserve. Tu devrais savoir pourtant que ça ne change rien. Qu'en sonnant à la porte de ton frère, ce dernier t'accueillerait avec plaisir et vous vous seriez rassemblés autour d'un repas chaleureux et de jeux de pistolets à eau par la suite.
Mais tu ne fais rien. Tu les regardes passer un bon moment sans oser intervenir avec cette peur au fond de ton ventre de te faire remplacer. C'est froid. C'est glacé. Et pourtant chaudes sont tes larmes lorsqu'elles te montent aux yeux et coulent alors que ton corps ne veut pas bouger de sa position. Tu commences à te dire que tu ne ferais que les déranger, si tu les rejoignais. Ce n'est pas ce que tu veux. Tu veux les voir heureux. Tu veux continuer à voir leurs visages souriants même si ce n'est pas toi qui provoque ça. La sensation d'être seul, toutefois, ne t'a jamais semblé aussi grande.
Tu aurais pu rester encore un moment comme ça à pleurer si un souffle dans ton cou n'était pas apparu aussi brusquement. Tu sursautes et hoquette, faisant bouger les branches autour de toi. En te retournant, la première chose que tu vois est un Luxray qui s'est approché et qui te regarde avec ses grands yeux jaunes. De peur d'avoir fait trop de bruit, tu paniques sur le moment et reviens à l'entrée de la maison accompagné du félin électrique qui te suit. Stupéfait, ton rythme cardiaque s'est accéléré d'un seul coup, mais tu es soulagé que personne ne t'ait vu.
« Odin ! Odin, reviens ici ! »Surpris, tu clignes des yeux malgré leur rougeur en apercevant une dame d'un certain âge se rapproché tant bien que mal de son Pokémon. Ses cheveux blancs et sa petite taille trahissaient certes sa vieillesse mais elle semblait être tout de même pleine de ressource puis qu'elle courrait après le Luxray. Ce dernier se retourne d'ailleurs vers sa dresseuse et s'assoit patiemment en attendant qu'elle vienne jusqu'à lui, sans quitter sa place auprès de toi. Essoufflée, l'octogénaire croise enfin ton regard et semble stupéfaite de te voir.
« Excusez-moi, je suis vraiment confuse. Mon petit Odin ne s'enfuit pas comme ça, d'habitude. »Gênée, la vieille dame rappelle son Pokémon à l'ordre. Ce dernier garde pourtant son regard rivé sur toi avec un air attristé, comme s'il partage ta peine. Cet échange ne tarde pas à être remarquée par la dresseuse qui doit bien savoir pourquoi son félin refuse de bouger.
« Tout va bien ? »Aussitôt, elle te regarde avec une inquiétude palpable dans le regard, comme si elle pouvait lire en toi. Et toi, tu n'aimes pas qu'on te déchiffre et qu'on te compare à un livre ouvert, même si c'est au final arriver très peu de fois et que tu t'efforces de garder tes véritables sentiments la plupart du temps. Pour ne pas l'alarmer davantage, tu sèches tes larmes en les rejetant de tes joues, faisant mine d'aller bien en dépit de tes prunelles rougies.
« Oh, euh... oui... Ne vous en faites pas, je... Oh !.. Ce sont des Oeufs de Pokémon, que vous transportez ?-
Aaah, oui !.. Je suis éleveuse de Pokémon Electrique. Mon Odin a eu une portée, récemment. J'ai trouvé des dresseurs pour tous, sauf celui-ci, alors je le ramène à la maison. Mais pour être honnête, il est un peu lourd ! »Elle esquisse un petit rire léger face à ton sourire mince qui l'oblige à ne pas te poser plus de questions que ça, ne se le permettant pas. Remuer un couteau dans la plaie est inutile, alors elle préfère te montrer un peu le panier d'osier qu'elle porte et qui ne recueille plus qu'un seul Oeuf désormais. Puisque c'est une éleveuse, tu supposes qu'elle a été habituée à faire ça une bonne partie de sa vie, puisqu'elle n'est pas non plus complètement rachitique malgré l'âge. Pourtant sa fragilité lui donne du mal pour exercer ce simple fait. Naturellement, en essayant de penser à autre chose, tu te proposes pour lui donner un coup de main.
« Laissez-moi vous aider.-
Oh non jeune homme, je ne veux pas vous déranger avec ça...-
J'insiste. Cela me ferait plaisir. »Tu as besoin de te vider la tête. D'oublier ton chagrin que tu sais passager. Il y aura des jours meilleurs, te dis-tu, quand bien même tu sens un certain goût amer et une blessure à la poitrine qui ne te sont pas agréables. La nostalgie d'un passé heureux et la jalousie te perdront peut-être à la fin.
De bon cœur, tu aides cette inconnue en la raccompagnant chez elle. Pendant tout le trajet, son Luxray n'arrête pas de te tourner autour comme s'il avait reniflé un bout de nourriture sur toi. Tu en profites pour discuter un peu avec sa dresseuse. Ou plutôt, c'est elle qui discute avec toi. Elle te raconte sa vie. Tu sais qu'elle s'appelle Estelle, qu'elle est éleveuse depuis cinquante ans mais qu'elle a tenté dans sa jeunesse d'accéder au titre de Champion, en vain. Mais s'occuper des Pokémon a été une révélation qui ne l'a plus quitté, et elle en est toujours aussi ravie. Sauf quand il faut porter des choses lourdes, te dit-elle, mais ses enfants n'étaient pas disponibles pour l'aider aujourd'hui. Elle te parle de ça, et bien d'autres choses, tant et si bien que tu ne vois pas le temps passer ni le chemin parcouru quand vous arrivez finalement à destination. Tu as un peu de peine pour elle en sachant que tu ne te souviendras probablement pas de la moitié des informations qu'elle t'a balancé d'une traite à son sujet alors que tu ne la connais ni d'Arceus ni de Mew. Peut-être bien que tu auras oublié pas mal cet échange dans quelques temps, mais sur le moment tu as surtout oublié ce qui te chagrinait.
« Et voilà !-
Merci, mon garçon, merci beaucoup. »Tu t'arrêtes devant chez elle, prêt à lui rendre son paquet. Toutefois, elle t'essuie un refus que même aujourd'hui tu as du mal à comprendre. Poliment, elle agite ses mains et secoue la tête avant d'esquisser le sourire bienveillant qui paraît coller à son visage mais lui donne un air serein auquel on aurait envie d'accorder sa confiance.
« Excusez-moi... Aimez-vous les Lixy ?-
Moi ?.. Oh oui, je les adore ! J'aimerais bien en avoir un, un jour.-
Eh bien ce jour est peut-être arrivé. Je vous confie celui-là, si vous promettez de bien vous en occuper.-
Hein ?.. M-Mais je ne veux pas... Vous êtes sûre ?-
Certaine. Voyez ça comme une façon de vous remercier pour votre aide. J'étais contente d'avoir un peu de compagnie. -
Mais ce n'était vraiment rien, vous savez... -
Héhé... Je compte sur vous, alors. »Avec son sourire de grand-mère, tu savais qu'elle ne te laissait pas le choix. Quelque part, ça devait sûrement l'amuser. C'est comme ça que tu t'es retrouvé avec un Oeuf de Lixy. Tu ne t'en es jamais plaint, mais tu pensais ne pas mériter un tel présent. Et pourtant tu t'es occupé de ce petit à naître comme la prunelle de tes yeux, t'assurant qu'il ne manque de rien. Tu t'es seulement inquiété du temps que prenait l'éclosion. Plusieurs fois tu étais allé voir des spécialistes qui t'ont assuré que ce n'était pas anormal. Que ça pouvait arriver. On te disait aussi qu'il serait plus rapide à ce stade toutefois d'aller capturer un Lixy toi-même si vraiment tu en voulais un. Mais tu te refusais une chose pareille alors qu'on t'avait accordé une certaine confiance. De plus, tu avais déjà fait ton choix et c'était ce Lixy qui serait le tien, dès qu'il serait prêt à éclore.
***
1er janvier 2025« Mmh... Elliott... »Blottie contre son frère, Evie geint que la lumière de sa lampe l'a réveillé alors qu'ils se sont tous les deux endormis devant un film sur le canapé du salon pour le soir du nouvel an. L'enfant se redresse en frottant ses grands yeux sombres. Encore ensommeillée, elle doit s'étirer et cligner plusieurs fois des paupières pour apercevoir plus distinctement la forme ovale qui brille de manière très intense depuis quelques minutes. En reconnaissance l'Oeuf sur lequel Elliott veille depuis des années, Evie hoquette de surprise avant de réveiller le plus âgé.
« Elliott... Elliott, réveille-toi ! »La fillette de onze ans secoue doucement le Donovan jusqu'à ce qu'il sorte du pays des songes en sursautant.
« Hein-que-quoi ?.. Arg, c'est quoi toute cette lumière ?..-
L'Oeuf ! Il va éclore !-
Quel Oeuf ?.. »Difficile de trouver ses repères dans une semi-pénombre pendant que l'équivalent d'une grosse ampoule vous aveugle et que la fatigue se fait toujours ressentir. Il faut un temps d'adaptation au serveur de l'auberge pour comprendre et se remettre les idées en place. Malgré la luminosité montée au maximum, il reconnaît l'Oeuf de Lixy qu'on lui a donné il y a quelques années.
« Ah ! L'Oeuf ! »Une fois le puzzle cérébrale complet et les neurones connectées, le brun à pics se redresse du canapé tandis que sa sœur s'empresse de prendr l'Oeuf pour le lui apporter. Le cœur battant, si Evie est admirative et curieuse, son aîné sent sa poitrine s'agiter et la nervosité le gagner. Il entend des bruits de craquements puis la lumière se mettre à changer doucement de forme avant de s'estomper tout à fait. Pour y voir plus clair, maintenant que le noir les envahit de nouveau, la plus jeune allume une petite lampe afin d'entrevoir le Pokémon. Aucune surprise sur l'espèce quand ils découvrent un jeune Lixy qui ouvre les yeux pour la première fois sur le monde. Sa couleur, en revanche, les étonne tous deux.
« Ooh... Il est adorable !.. Mais... Je croyais que les Lixy étaient bleus...-
Wow... Ils le sont. Celui-là est... Il est chromatique ! Regarde sa belle couleur dorée. »Le regard brillant, Elliott observe la créature sur ses genoux. Cette dernière mordille doucement ses doigts quand il les lui présente afin qu'il le renifle, mais il fond totalement devant cette bouille aux airs de lionceau. Et ce n'est pas le seul. Avec un tendre sourire émerveillé, Evie ne quitte pas d'un pouce le nouveau venu. Elle demande même à pouvoir caresser sa fourrure soyeuse de gros chaton. Le Donovan n'est pas reposé entièrement, mais l'excitation l'empêche de se rendormir tout de suite. Quelques larmes faciles lui échappent. Il désespérait à l'arrivée de cette éclosion tant elle était tardive. En vérité, le petit devait simplement prendre son temps. Alors comme le jour où il l'a reçu, Elliott pleure. Mais de joie, cette fois.