Le ciel est sombre derrière la fenêtre qui donne sur la mer, cette dernière reflète dans sa clarté les milliers d’étoiles qui viennent illuminer cette journée qui vient à peine de commencer. Comme à mon habitude, je ne suis toujours pas endormi. Pourtant, c’est un jour spécial dans le monde. Cela fait bien longtemps maintenant que je suis seul pour cette occasion qui n’a plus vraiment de saveurs à mes yeux. C’est la raison pour laquelle je suis dans ma chambre – mes compagnons dorment depuis longtemps – à faire face à cette fenêtre. J’ai mangé vite fait, pour un repas de Noël, on peut dire que ça fait un peu pitié. Mais bon, que voulez-vous, je n’ai absolument aucune raison d’être heureux grâce à une quelconque magie qui n’existe plus depuis mon enfance. Et puis bon, je n’ai rien à fêter. Je pensais rester dans cet hôtel une quinzaine de jours, me voilà encore ici quatre mois plus tard. Moi qui pensais parcourir les routes d’Enola à la quête de badges et de reconstruction personnelle, j’ai complètement foiré. Je suis pratiquement resté à Nuva Eja tout ce temps, enfermé dans cette chambre durant plusieurs semaines. J’ai fait le tour de la ville et de toutes ses plages, ai esquivé tout contact avec qui que ce soit. Colgate, l’hôtesse au sourire plus blanc que blanc, a la chance d’entendre le son de ma voix au moins trois fois par semaine. J’ai pu rallonger les dates de ma chambre jusqu’à début janvier, ce qui lui a fait plaisir voyant les frais s’accumuler. J’espère vraiment pouvoir rejoindre la métropole lors du début de l’année prochaine, je dois me bouger. Je suis déjà assez en retard comme ça. Déjà que pour récupérer l’œuf de la Compétition, je m’y suis pris au dernier moment, je ne peux pas attendre des années dans cet endroit. Il y a un mois, j’ai reçu un mail de rappel concernant l’œuf, j’ai dû me résigner à réserver un ticket de ferry pour me rendre à Vanawi. Presque six heures de trajet pour à peine trente minutes dans la capitale. Beaucoup trop de monde. Récupérer ce qui va être mon futur compagnon m’a rendu heureux à ce moment-là, mais il n’a pas encore éclos. Si Andrew semble le seul à s’en préoccuper, j’y jette un œil chaque jour, en vain.


J’entends à l’extérieur des personnes crier « Joyeux Noël », je décide donc de me lever pour atteindre l’autre fenêtre qui donne de l’autre côté. J’aperçois une vingtaine de personnes, des familles à premières vues. Sourire aux lèvres, câlins et rires, je sens mon cœur se serrer peu à peu. Depuis tout à l’heure, des larmes coulent sur mes joues en silence. Une par une, elles s’échappent douloureusement pour venir s’écraser contre mon pull. Je ne les retiens pas, je n’en ai plus la force. Surtout que je suis seul et que mes compagnons dorment, personne ne peut donc me remarquer. Je décide de fermer les volets électriques de cette fenêtre, s’il y a du passage et qu’il s’agit seulement de personnes heureuses et accompagnées, je risque sincèrement de me défenestrer. Je retourne donc à ma place, devant la mer calme que je préfère. Je regarde le ciel en me disant que si je me concentre un peu, je pourrai peut-être y voir ma mère. Mais non, l’infinité ne me renvoie aucune image, rendant ma solitude beaucoup plus lourde et pesante que d’habitude. Je ferme les yeux et tente de me concentrer au mieux. Je rejoue mes vieux souvenirs, ceux de mon enfance heureuse. Mes précédents Noël repassent en boucle, montrant des parents aimants et un fils ouvrant ses merveilleux cadeaux un à un. Je me souviens d’un train miniature avec une ligne de rail que je pouvais faire aller n’importe où. Ma mère semblait heureuse, mon père rempli d’énergie et moi avec des étoiles dans les yeux. C’était le bon vieux temps, celui de la douceur et de la naïveté. Je ne pouvais pas savoir, à cet âge-là, tout ce qui allait arriver. Je ne savais même pas que c’était possible d’avoir une vie autant merdique. Après le décès de ma mère, on a dû faire deux ou trois Noël avec mon père – sans réel succès. Puis on a arrêté de faire semblant, le jour de fête était devenu un jour comme un autre.


Une lumière apparaît soudainement derrière moi, se trahissant sur le mur de la chambre. Mon téléphone ne peut pas éclairer autant, et puis...ce n’est pas comme si j’allais avoir une notification. Non, ce n’est pas normal. Je me retourne rapidement pour observer ce qu’il se passe, mais la lumière est beaucoup trop forte, je passe mes avant-bras devant mes yeux et tente au mieux de me diriger vers la source. La pièce était plongée dans le noir, la transition fut trop forte. J’entends alors mes trois Pokémon se réveiller et regarder dans la même direction : la table à manger. C’est sur ce meuble que j’ai installé l’œuf sur une pile de serviettes chaudes et confortables. Andrew et Victoria s’y précipitent tandis que Charles reste impatiemment dans son aquarium. Lorsque mes yeux arrivent enfin à s’habituer à la forte lumière, je me rends alors compte qu’il s’agit bel et bien de l’œuf. Il est temps, mon prochain compagnon va naître. Mon cœur s’emballe et je sèche discrètement les larmes derrière mes partenaires, beaucoup trop concentrés à attendre l’arrivée du bébé. Des bruits commencent à se faire entendre puis la lumière s’amenuit petit à petit. J’aperçois alors un petit être orange et beige donc le bout de la queue laisse échapper une petite flamme. Pendant une longue minute, nous sommes tous les trois à le regarder sans s’avoir réellement que faire. Je reste bouche bée et reste figé devant cette merveille. Il s’agit d’un Salamèche. Il me regarde de ses petits yeux en souriant tout en faisant un tour de la pièce avec son regard, il bouge ses petites pattes puis se tourne vers Andrew qui s’approche doucement. Cette fois-ci, je n’arrive pas à me contrôler. J’éclate en sanglots tout en souriant, je suis si triste mais si heureux. Je prends la petite bête dans les bras puis l’enlace tendrement. Je suis si content.

- Bonjour toi.

Je le couche sur les couvertures où Miaouss et Loupio l’observe tendrement. Je récupère Charles pour l’approcher de notre nouveau partenaire tout en prenant mon Pokédex obtenu en même temps que l’œuf. Si la machine marche comme il faut, Salamèche est une femelle. Une belle petite fille. Si je me sentais seul jusqu’alors, vous ne pouvez pas savoir à quel point, je me sens désormais entouré, comme si ma mère se tenait derrière moi. Je jette un dernier regard sur la fenêtre donnant sur la mer pour y observer le ciel, les étoiles m’ont enfin répondu. Désormais, c’est décidé, je vais me bouger le cul. Il ne me manquait que ça pour avancer dans ma quête. Je suis prêt à vivre ma nouvelle vie, celle qui m’attend depuis ma naissance. Mon étoile est là, tout près de moi. Je vais pouvoir faire quelque chose de ma vie, la rendre utile. Maintenant que j’ai quatre gardes du corps, il ne peut rien m’arriver. Me voilà prêt à en découdre, aucun obstacle ne pourra se mettre sur mon chemin.