Quoi de neuf sur l'île d'Enola ?

Période en cours
Printemps 2025

~22 - 28° / Températures en hausse et grand soleil !

Intrigues et Events
Intrigue n°3 : « Ferveur »
L'Elu auto-proclamé des Monarchistes fait son entrée ! La Compétition, Elixir et le Gouvernement sont en crise et les Anarchistes demandent la démission du Chef du Conseil.
Mini event n°1 : Panique à Vanawi !
Un blocus Anarchiste est en cours à Vanawi, sous surveillance des forces de l'ordre.

Missions et Défis
Un guide dans les ruines (mission)
Faites découvrir les ruines du Titak !
La comète (défi)
Découvrez un mystérieux astéroïde.

Demandes de RPs et liens
Cendrée
cherche un.e partenaire pour un RP ou un défi.
Arthur, Zelda et Bartholomew
sont dispo pour de nouveaux RPs !
Pseudo
cherche ...
Pseudo
cherche ...
+ pour afficher vos demandes, contactez le staff !



Le Deal du moment :
Jeux, jouets et Lego : le deuxième à ...
Voir le deal

Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Aller en bas
Niaiseries en anglais approximatif 3 (OS)
Lionel Roque-Lartigue

Naiseries en anglais

approximatif


Partie 3/3


« Je comprends mieux pourquoi t’es amélioré en français ces derniers mois. »
« Hé. That's... rien à voir ! »

Au premier regard, il est difficile de voir la ressemblance physique entre Illéas et son frère Soltan. Mais après avoir passé déjà quelques heures chez lui avec ses fils et Zlatan pour le déjeuner, je commence vraiment à voir en quoi ils sont semblables. Ils ont le même regard sévère et cet air pince sans rire lorsqu'ils taquinent leur cousin Eriksen. Je viens d'apprendre que lorsqu'on a commencé à trainer ensemble, Zlatan avait demandé à son cousin Illéas qui enseigne notamment le français à l'université de lui envoyer quelques manuels pour se remettre cette langue en tête. Et pour travailler sur son accent aussi. Je m'y étais habitué alors je n'avais pas trop remarqué que ce dernier était moins prononcé qu'avant.

« FYI, je... c'était juste pour voir des films français en VO... »

Illéas et moi nous regardons et nous retenons de glousser. A force, je commence à le savoir, que mon partenaire n'est pas bon pour jouer le détachement ou le petit ami qui ne veut surtout pas s'impliquer. Il le fait à sa façon mais je ne comprends toujours pas pourquoi il n'aime pas que je lui fasse remarquer, voire qu'il préfère se dévaloriser à la place. Comme Zlatan bougonne car nous voyons clair dans son jeu, j'émets un « rooooh » affectueux et caresse tendrement son dos. Pendant ce temps, Illéas se retourne et regarde en fronçant les sourcils vers la cuisine, demandant à Raol et Tolan s'ils s'en sortent.

Comme son frère, l'ainé des Green a une dégaine intimidante au premier regard : il est très grand, ne sourit pas beaucoup et porte bien son look de vieux professeur trop sérieux. Il est tout aussi mou en réalité, donc, ça, c'est plutôt rassurant, même s'il est clairement dépassé par ses deux fils qui ont chacun un caractère, bien trempé. Tolan me rapelle Nadia quand elle est de mauvaise humeur. Cela fait déjà 10 minutes qu'ils sont partis à la cuisine pour s'occuper du dessert. D'après leur père et Zlatan, c'est un miracle qu'ils ne soient pas encore en train de se jeter des assiettes à la figure. Mais, à ce qu'il paraît, ils s'entendent bien... environ une fois par mois, pendant juste une heure ou deux, quand les astres sont alignés.

Les deux jeunes hommes reviennent justement dans la salle à manger avec leur bûche décorée sur les bras. Leur père les remercia en anglais et en français. Tolan, le plus jeune, lève les yeux au ciel et replace sa mèche noire d’un geste dédaigneux, lançant des regards noirs à son grand frère occupé à tapoter sur son smartphone.

« Remercie pas Raol, il a rien branlé. »


Je n’ai pas tout compris à part un "fucking" et un "did nothing". Illéas observe son plus jeune fils avec un air blasé. Je crois que c’était définitivement une provocation à destination de son grand frère. Raol relève le nez de son écran et s’assied en face de l’adolescent aux nombreux piercings et aux ongles vernis en noir. En ajustant sa cravate et sa rolex, le plus grand défie le cadet d’un regard perçant.

« Pardon ? J'avais des mails importants à répondre. Tu sais, je me soucie un peu de ma future carrière, moi. Tu sais ce qu’on dit, "Il n’y a pas de repos pour les braves". »

Pour une raison qui m’échappe, Raol a un accent qui sonne très britannique quand il parle anglais. Il a prononcé sa dernière phrase en français et en prenant des grands airs, avec son verre de vin et ses habits bien repassés. Je trouve ça plutôt amusant mais ça n’a pas l’air d’amuser Tolan du tout qui commence à découper rageusement des parts de bûche. Par sécurité, Zlatan lui prit le couteau et éloigna la bûche pour la trancher.

« "Gngngn, je m'appelle Raol, je suis mieux que tout le monde car j'ai 22 ans, je fais du fucking droit et j'ai rien de mieux à foutre que me payer des fucking montres de gros fucking riche" ! »

Je ne crois pas que ce qui se dit là sur un ton très nasillard soit extrêmement poli ou aimable. Zlatan distribue les parts sans trop ciller, hausse les épaules et retrousse les lèvres en me lançant un regard complice. Je crois qu’il veut dire que c’est habituel. A mes côtés, Illéas a appuyé son visage sur sa main et attend aussi que les deux aient terminé leurs enfantillages. C’est vrai que c’est un peu embarassant, mais, c’est toujours plus joyeux de voir des adolescents se taquiner que repenser à la manière dont se passaient les repas de famille chez moi.

« "Gngngn, je m'appelle Tolan, je suis mieux que tout le monde car je suis un gros SJW qui voit des agressions partout et j'ai aucune ambition dans ma vie !" »

Et c’est reparti de plus belle. Le cadet s’énerve encore plus et devient rouge. Il déchiquette rageusement sa part de bûche dans son assiette. Puis, fatigué d’être en colère, il finit par souffler puis s’affaissa dans sa chaise. L’air toujours aussi mesquin, il regarda ailleurs l’air de rien en rajoutant une couche.

« C'est parce que t'as été adopté que t'es con comme ça ? »

J’ai entendu « you’re adopted » et « you’re an asshole »… je crois. Je ne vais pas m’en mêler mais je regarde quand même Zlatan qui a écarquillé les yeux et pincé les lèvres… je l’ai déjà vu faire cette tête là accompagné d’un "ouuuh punchline" quand un personnage dans ses jeux ou un série avait de la répartie. Sauf que cette fois il évite d’en rajouter car ce n’est peut-être pas aussi amusant que dans une série.

« Tolan ! » Illéas a fini par élever un peu le ton, assez pour se faire entendre. « On en a déjà parlé ; évites ce type de remarques. »

Tolan veut protester, mais il est vite rabroué.

« C'est lui qui- »
« C'est toujours toi la victime... »


Ils ont l’air repartis pour un tour. Illéas lève les yeux au ciel, ce qui fait vraiment ressortir sa ressemblance avec son fils cadet, d’un coup.

« Ça suffit. Excusez-vous et venez prendre le dessert.»

Les deux jeunes grognent en parfaite synchronisation.

« On a passé l'âge, P’pa. »
« Exactement. »


Apparemment, ça leur a coupé le sifflet. Les deux frères se regardent et se marmonnent ce que j’imagine être des excuses. Leur père soupire doucement et continue de manger sa part de bûche sans stresser d’avantage.

« Disputez-vous en français, au moins. Comme ça Lionel pourra comprendre. »

Son visage n’est pas vraiment rieur quand il repasse en français pour faire ce que je crois être une vanne. On sait jamais avec lui ou Soltan, s’il sont très sérieux ou s’ils blaguent. Mais vu les tronches lassées que tirent ses enfants en regardant le plafond avec des "urrrrh daaad, please...", je crois que c’est juste une blague qui n’a pas fait beaucoup rire les deux plus jeunes. Zlatan a gloussé, pour sa part et quand j’ai compris qu’Illéas plaisantait, j’ai un peu pouffé aussi. C’est ça qu’on appelle de l’humour de daron ?

« Ok boomer, tu veux vraiment qu’on translate-- traduise ? »

Tolan s’est quand même donné la peine de dire ça en français, non sans ricaner un peu. Je trouve quand même bête que ce soit forcèment eux qui se sentent obligés de traduire pour moi. Même si j’ai fait quelques progrès ces derniers mois, je ne peux pas m’améliorer du jour au lendemain, mais, j’essaie de trouver le temps pour, promis !

« Ne vous en f-- dou notte worri for mi ! It is okéye ! »

Je dois vraiment trouver quelque chose à faire pour cet accent… Apprendre à enchaîner des mots de manière grammaticallement correcte c’est une chose mais je ne sais vraiment pas quoi faire pour mon horrible accent !

Le reste du repas se passa tranquillement. Tolan commença à parler fièrement à son tonton de ses futurs piercing et de son nouveau tatouage. Roal quitta la table en premier en disant qu’il devait nourrir ses grenouilles et travailler sur un de ses dossiers pour la fac. Ce qui me laisse à discuter avec Illéas. Pas que cela me dérangeait, contrairement à son frère Soltan, le courant passe vraiment bien entre le cinquantenaire et moi. Probablement que Zlatan avait raison en disant "meh, vous êtes tous les deux des gosses de bourges vous allez bien vous entendre"… ça m’avait un peu véxé sur le coup, mais, on ne peut pas dire qu’il avait tord. Comme je lui posais la question, Illéas m’a parlé de son conjoint qui est actuellement en déplacement en Europe pour le travail. Si j’ai bien compris, Douglas fait de la recherche scientifique. Illéas continua en me racontant qu’ils s’étaient rencontré à l’université, lorsque le Green venait d’avoir son premier poste d’enseignement. Ça n’avait pas été facile, au début, ayant tous les deux grandi dans des familles plutôt réac et peu ouvertes sur l’homosexualité, mais ils étaient malgré tous restés ensemble depuis toutes ces années. Entendre un tel récit me fait du bien et me rassure un peu, je me retrouve un peu dans ce que le plus vieux me raconte sur sa famille… enfin, contrairement à moi, lui a toujours vécu avec ces questionnements alors que dans mon cas, c’est encore tout nouveau.

Pour continuer de parler avec lui  j’ai suivi Illéas à la cuisine afin de l’aider un peu pour la vaiselle. Il s’en va faire du café pour nous et Tolan et Zlat qui sont maintenant en train de jouer à la console. Raol passe dans le séjour à ce moment-là et je crois qu’il lance une raillerie à son petit frère comme ce dernier se remet à beugler à et faire des doigts à l’ainé qui s’en retourne ensuite dans sa chambre avec sa tasse de café. Illéas les regarde faire en pinçant les lèvres, visiblement un peu usé par ce type de scènes.

« Vivement que Doug revienne. They’re a pain, these days. »

Pince sans rire, il me passe ma tasse et apporte le reste du plateau dans le salon. En revenant dans la cuisine, il souffle sur la mousse dorée de sa tasse pour la dissiper. Je l’imite par pur réflexe sans trop savoir comment poursuivre la conversation. J’imagine que l’idée de dire quelque chose qui déplaît m’intimide toujours… ne suis-je pas intimidé par à peu près tout le monde tant j’ai peur de déplaire, en fait ? Hah. Heureusement que j’ai la coordination pour me donner de temps en temps la sensation d’avoir le contrôle de quelque chose et d’avoir une confiance absolue en moi.

Je suis vraiment très content d’avoir rencontré tant de monde de la famille de Zlatan (je l’espérais un peu), que ça se soit fait plutôt naturellement, surtout, ce n’était pas quelque chose de prévu très officiellement… je veux dire, Illéas, on l’a croisé en revenant de balade et il nous a invité. J’ai l’impression que les choses ne pourraient jamais être aussi simples avec ma propre famille.

« Dis-moi si je suis indiscret. »
« Pourquoi..? »

Illéas vient de me tirer de mes pensées. Regarder mon café fumer m’a un peu perdu.

« Hm, il paraît que... tu voudrais adopter ? »

Je ne m’attendais pas à ce que le plus âgé me parle de ça. Même si je dois dire que… enfin, sachant qu’il est lui aussi passé par-là quand il avait mon âge, je suis assez content qu’il aborde le sujet car je me sens encore si illégitime dans cette histoire que je n’aurais pas osé le faire.  

« Euhm… oui ? »

Illéas m’observe un instant avant de reprendre.

« C’est Zlatan qui m’a dit. » Oh. Évidemment, il est bavard. Ça ne me dérange pas vraiment, tant qu’il n’est pas allé le crier sur tous les toits. « Enfin, quand tu lui as annoncé, il s’en voulait de ne pas savoir-- enfin, il ne savait pas quoi te dire ou, juste, il y connaissait rien en adoption donc... »

Je cligne des yeux, un peu confus. Très honnêtement, je me poses moi-même des tonnes de questions, donc si Zlatan gaffait, je n’aurais pas pu lui en vouloir. Après tout, c’est moi qui ai tardé à lui en parler au départ. Je ne sais pas trop comment interpréter ça mais j’imagine que mon copain voulait bien faire. Le truc, c’est que quand il a ce genre d’attention, il le fait en douce, comme si il ne fallait pas que je sache qu’il veut me supporter dans ce que je fais. Ce sont toujours de bonnes intentions et son objectif n’est jamais que… que m’aider, j’imagine. Sauf que c’est ça le soucis, c’est que je ne veux pas qu’il m’aide, je veux juste qu’on soit là l’un pour l’autre. Je sais qu’il ne se donne pas le droit à l’erreur… moi non plus d’ailleurs, sauf que dans les deux cas, à force d’essayer de se donner l’air malin ou bien sous tout rapport, eh bien, on enchaîne les gaffes. On sait pas comment faire, en réalité, on a tous les deux bien trop peur du rejet de l’autre. Je soupire, regarde depuis la cuisine mon partenaire se faire écraser par son neveu sur Smash.

« Oui je... j'aurais probablement du lui en parler avant. Je ne savais pas vraiment comment il le prendrait. Je ne voulais pas qu'il pense avoir des obligations envers moi à cause de ça. »

Je me sens rougir d’embarras. Illéas n’a pas besoin de savoir ça ! Je commence à descendre quelques gorgées de mon café et enchaine le plus vite possible.

« Enfin, j’y pensais depuis longtemps, à faire ça seul, mais je n’osais pas. Euh, enfin, voila. »

Il n’y a pas encore grand-chose à dire en fait. Je me demande pourquoi le Green a décidé de me parler de ça… est-ce que cela le dérangerait que je le questionne sur son propre vécu concernant l’adoption ?

« Comment ça s'est passé, pour vous ? »

Le plus grand semblait s’attendre à cette question et devint momentanément pensif. Je ne sais pas trop s’il est nostalgique ou si c’est compliqué de revenir à tout ça pour Illéas, mais il me répond dans tous les cas.

« C'était difficile. »

Oui, je ne m’attendais pas à ce qu’il me dise l’inverse. En vrai, j’espérais cette réponse, qu’on me dise que ce n’est pas anormal d’être trop souvent en train de s’inquiéter alors que les procédures ne sont qu’à peine débutées.

« Avec Douglas, il nous a fallu plus de 3 ans avant de pouvoir rencontrer Raol, et nous étions parmi les plus chanceux. »

3 ans… je ne sais pas comment est la jurisprudence au niveau de l’adoption par les couples homosexuels en Unys. Je crois avoir souvent entendu dire que celle d’Enola était bien plus souple que dans d’autres pays. Quand on m’a dit ça, j’avais été interpellé car les lois d’Enola a cet égard me semblaient juste être… enfin, que les règles soient les mêmes pour tous types de familles me semblait normal. Mais de ce que dit Illéas, ce n’est pas évident partout. En l’entendant parler des diverses difficultés, je commence à réaliser que même à Enola, les choses ne seront pas si simples. La pilule est dure à avaler et encore, j’imagine facilement je ne serais pas des plus désavantagés au vu de ma situation.

« C'est important d'avoir du soutien dans ces moments. Les parents de Doug étaient plus présents que les miens. Hélène et Zlat, aussi. »

Je l’écoute continuer de me donner plus de détails plus pratico-pratiques, de choses qu’il aurait aimé savoir avant de lancer les procédures, les difficultés, j’essaie de tout noter dans un coin de ma tête pour ne pas oublier. A mesure que j’écoute, je ne peux m’empêcher de sentir le doute m’envahir… et si je fais fausse route ? Si je découvre que rien de tout ça n’est pour moi, que je ne le fais que pour me prouver des choses ou donner tord à mes parents… ? Puis-je vraiment me permettre tout ça ? Je suis certain que c’est ce que je veux mais je ne peux pas m’empêcher de douter chaque jour un peu plus. J’imagine que c’est comme ça. Que c’est le jeu, quand on décide d’être maître de ses choix.
Je vois bien ce qu’Illéas veut me dire : ces procédures sont épuisantes et  leur longueur est obligée de nous faire questionner nos choix, nous demander si on est certains de bien faire dans ce qu’on entreprend. D’où l’importance d’être entouré par des gens capables de nous soutenir. C’est vrai que je n’avais pas calculé ça. Que, justement, faire ça sans embêter personne serait plus facile pour tout le monde, moi compris. J’imagine… que ça me fait réaliser que je suis plus isolé que je ne veux bien l’admettre. C’est devenu tellement important pour moi de tout faire par moi-même et d’apprendre à ne plus faire d’erreurs. Sauf que même seul, je me place le même type d’exigences impossibles et absurdes qu’on m’imposait lorsque je vivais chez mes parents… ça ne partira jamais vraiment, hein ?

Ma conversation avec Illéas est interrompue quand ce dernier reçoit un appel. De Douglas, justement. Il s’excuse afin de sortir sur le balcon de leur grand appartement pour répondre à son conjoint. Je profite d’être à nouveau seul pour finir mon café, toujours plongé dans mes pensées. Je suis un peu perdu avec toutes ces nouveautés. J’ai l’impression que tout va si vite, ces derniers mois, ces dernières années même, depuis que j’occupe mon poste de Maître. J’ai l’impression que j’ai tant à rattraper tout en voulant finalement m’occuper de moi et de mes projets laissés en plan trop longtemps. Je soupire. J’ai besoin de me poser un peu. Si possible près de mon copain dont la présence m’apaisera certainement, même si je n’oublie pas qu’il y a certaines choses dont je devrais lui parler dès que nous serons tous les deux. Entre cette conversation sur l’adoption laissée  en plan et juste… de nous. J’ai la sensation que nous avons évité ce sujet depuis le début de ma visite.

« Tu veux jouer ? »

Quand j’arrive dans le salon et m’assied sur le canapé aux côtés de Zlatan. Je passe un bras au tour de ses épaules et on s’échange un petit sourire. Le Eriksen me tend la manette tandis que le jeu revenait sur l’écran de sélection des personnages. Tolan chantonne avec des « pon pon pooooon » la mélodie de la BGM signature de cet Opus de Smash en attendant qu’on fasse notre choix.

« Oh, euh, je vais vous regarder, pour le moment. Et puis je ne voudrais pas t’humilier devant ton neveu tout de suite... »

Zlatan me regarde prendre mon ton le plus doucereux et roule des yeux. Il sélectionna Ridley (évidemment) tandis que son neuveu ricanait à mes derniers mots et l’attendait avec son Meta Knight. Quand le combat commence, mon copain grogne et tente de dégager ses épaules.

« Je vais perdre si tu me lâche pas. »

Me dit-il sur un ton faussement glacial, manifestement véxé de m’avoir entendu dire la vérité sur ses skills en matière de jeux de combats. Non, vraiment, il n’est pas bon à ce jeu mais en même temps il déteste aussi qu’on le laisse gagner alors, bah, que voulez-vous que je lui dise, hein ! En l’entendant chigner, Tolan ne rata absolument pas l’occasion d’enfoncer son tonton encore d’avantage, tout en l’éjectant du terrain dans les règles de l’art.

« De toute façon t'étais déjà en train de perdre, t'es nul, Tonton. »

Je crois bien que c’est le « you suck » qui fit faire « gngngn grmbl » à Zlatan qui se faisait effectivement massacrer. Mauvais perdant, il me passe la manette et me demande de le venger tout en se remettant à l’aise contre le dossier. Bon, j’imagine que je peux toujours essayer de laver son honneur pour la forme… je vous jure, quelle vie, qu’est-ce que je ne ferais pas par amour pour lui !



*****



Nous ne rentrâmes chez Helène qu’en début de soirée. Nous sommes restés plus longtemps que prévu chez Illéas, Tolan n’en finissait pas de raconter sa vie et de montrer des trucs à son oncle et j’avoue que j’étais pour ma part très bien à discuter avec le père Green. Je suis vraiment content d’avoir fait connaissance avec eux, comme je l’ai soutenu au fan d’occulte qui craignait que je me sois ennuyé ou pas senti à ma place. En arrivant à la maison, Zlatan s’effondra directement sur le canapé du salon pour dormir et je l’ai imité en le laissant s’étaler sur moi et sous un plaid confortable. Il roupillait déjà un peu chez Illéas et dans la voiture, donc j’avais préféré prendre le volant par mesure de sécurité. Je profite de ce moment de calme pour jouer et caresser les chats qui veulent bien un peu de compagnie et me demande où est Hélène… elle a tellement la pêche qu’elle doit encore être fourrée chez une de ses voisines. Je ne l’aurais pas tant vue que ça, finalement. C’est vrai que je dois déjà repartir après-demain. J’ai un pincement au cœur lors de cette réalisation. On a vraiment bien profité mais on a peu parlé, finalement, et j’espérais qu’on en aurait l’occasion. Il n’est pas trop tard, en même temps, en tout cas je regretterais de ne pas avoir pu aborder certains sujets en face à face avec Zlatan avant de repartir.

Je ne peux m’empêcher d’apréhender ces discussions. Je me sens devenir un peu stréssé et agité alors je me lève pour aller faire les cent pas dans la cuisine et dans le jardin afin de ne pas réveiller mon copain. Je profite d’être dehors pour jouer un peu avec les chats et avec mes alliés qui étaient du voyage. Même en essayant de me distraire, je n’arrête pas de penser à comment formuler mes propos une fois en face de Zlatan. Je me demande s’il y a aussi pensé ces derniers jours, à ces conversations qu’on a évité. Il fait froid à l’extérieur et la nuit commence à tomber, donc je me décide à rentrer dans la cuisine. Afin de continuer à m’occuper, je fouille les placards pour préparer quelque chose à manger, je me le permets, comme on m’avait plusieurs fois dit de faire comme chez moi. J’étais en train de tergiverser sans reussir à me concentrer sur un menu quand Zlatan m’a rejoint en me proposant son aide. Lorsqu’il a posé sa main contre mon dos, je l’ai senti un peu tendu. Un petit moment de silence se passe, pendant lequel nous échangeons de rares regards, cherchant nos mots chacun de notre côté. Finalement, j’arrive à formuler une phrase, mordant légèrement sur les propos de mon conjoint qui allait lui aussi dire quelque chose.

« Tu sais, avec Illéas on a parlé de l’adoption et tout. »

Bon… c’est un début. Le châtain m’adresse un petit sourire, non sans paraître peu sûr de lui lorsque je reparle de l’adoption.

« Ah ouais ? C’est cool. »

Il s’assoit avec moi pour éplucher des légumes, j’imagine que pour ce soir, ce sera une bonne soupe et au lit. La conversation semble moins complexe tandis qu’on est occupés à notre ouvrage, même si c’est pour aborder quelque chose de plus sensible.

« Il m’a dit que tu lui en avais parlé après que... »
« Ah. »

Le "ah" de Zlatan trahit sa réserve sur le sujet. Ses épaules se tendent et il se met à regarder ailleurs. J’ai l’impression d’avoir fichu la merde avec cette histoire… enfin, non, avec ou sans lui, c’était prévu. N’empêche que j’aurais vraiment du le mettre tout de suite au courrant. Bref. Avant que je ne reprenne afin de m’excuser sans trop savoir pourquoi, le Eriksen prend les devants.

« Sorry, c’est juste que, euh- Je voulais pas risquer de dire une connerie. »

Momentanèment troublé, je cligne des yeux. Je ne sais pas trop quoi lui dire. Après tout, je ne lui ait pas dit tout de suite pour l’adoption donc… non, non, raisonner comme ça, c’est absurde. Je dois juste aller vers ce que je ressens, du moins, essayer de le verbaliser. C’est à mon tour de me tendre et de me frotter nerveusement l’épaule d’une main, frustré de ne pas tout de suite trouver mes mots.

« Je sais que tu veux bien faire, mais… je comprends pas pourquoi tu le fais toujours en douce comme ça. »

Je crois que mon partenaire voit où je veux en venir et qu’il en est touché. Il baisse les yeux, admettant les faits.

« Yeah, but... » Il se met à gratter la planche à découper avec le bout de son couteau. « Si j’avais… I mean, si à la place j’avais dit de la merde, j’aurais pu te blesser ou… ou faire n’importe quoi. Je voulais juste pas dire de connerie. »

C’est ce qui me semblait. Je peux comprendre, des fois, moi aussi j’aimerais avoir la capacité de fermer ma bouche plutôt que dire toutes les âneries qui me passent par la tête et poser des questions indiscrètes.

« Mais tu n’es pas obligé de... d’avoir les bons mots. »

Je sais que j’ai des efforts à faire aussi sur ça. Je ne peux pas lui en vouloir, c’est simplement que cette peur de mal faire nous empêche parfois de communiquer. Ce n’est pas anormal, enfin, je ne crois pas… ? J’ai envie de me dire : « tant pis si on dit des bêtises et qu’on se dispute sur des malentendus », d’avoir confiance en notre capacité à nous parler quand il le faut. C’est beaucoup plus facile à dire qu’à faire.

« Dans toutes mes relations j’ai voulu fuir le moindre conflit et à chaque fois, c’était une très mauvaise idée. »

Avec les changements de ces dernières années, j’ai tendance à me rendre compte des mauvais choix que j’ai fait, à ne pas parvenir à me pardonner de certaines choses que j’ai dites ou faites. Je crois que la partie de moi qui veut toujours me montrer sous un angle avantageux est fatiguée.

« A chaque fois, je me sentais mal et je blessais des gens. Mais, avec toi… j’ai l’impression que j’ai le droit d’être un peu minable et stupide. »

C’est maladroit. Je ne sais pas si la manière dont j’enchaîne mes propos a vraiment de sens. Je veux juste transmettre un message qui est "je te fais confiance mais je sais que j’ai aussi des progrès à faire".

« Mais t’es pas... !! »
« Tu m’as compris ! »

Hm. Pas sûr, en fait, vu le silence qui s’en suit.

« Je veux juste dire que ça ne va pas me tuer si tu ne sais pas toujours quoi dire ou si tu gaffes de temps en temps ! »
« Pfff. T’as raison. I should know better. »

Tout ça pour ça. Je sourie en espérant le rassurer car il a vraiment l’air de se sentir bête. Je le sais qu’il a ses failles, mais de là à le lui reprocher… ça me fait mal de le voir se reprocher le moindre faux pas comme ça et se cacher à chaque fois qu’il fait quelque chose pour s’impliquer vis-à-vis de moi, de peur que ça me déplaise.

« Sorry d’en avoir parlé à Illéas. »

J’ai l’impression qu’il s’en veut, mais il n’a aucune raison de se flageller pour ça… les choses se sont bien finies, ça m’a permis de parler longuement avec son cousin et nous avons bien sympathisé, à la fin.

« Mais non ! Ça me fait plaisir que tu te renseignes comme ça. En plus, on s’est très bien entendus, grâce à ça, avec Illéas, je t’assure, c’était une belle rencontre ! »

Oui, bon, je suis mélodramatique, je sais, mais c’est la vérité !

« C’est vrai… ? C-cool, j’avais peur que tu te forces. »

Je lui ait pourtant déjà dit que j’avais passé un très bon moment… est-ce que c’est à cause de la crise que j’ai fait l’autre jour ? Ou est-ce que c’est juste car il a tendance à se flageller à la moindre chose qui ne tourne pas comme il l’aurait souhaité ? Même si je m’étais forcé, ça n’aurait pas été sa faute. On revient toujours au même point, on s’éloigne un peu du sujet initial de la conversation. Je m’interrompt dans mon épluchage de carottes pour reprendre là où j’avais laissé le sujet principal de la discussion.

« Enfin, bref, par rapport à cette histoire… parfois j’ai l’impression que tu ne veux pas que je voie tes efforts. Je ne comprends pas pourquoi, en fait. On dirait que tu ne veux pas que j’apprécie quand tu t’impliques ou quand certaines choses te tiennent à cœur. »

Le Eriksen recommença à s’empourprer. Tout crispé, il répondit quand même, mal assuré.

« Baaah… C’est rien de… enfin, c’est basic, quoi, y’a pas de quoi être fier. That- ça méritait pas que… rah, nevermind. »

Mais… il pense qu’il doit mériter mon attention ou mon appréciation ? Pourquoi penser ça alors qu’il serait le premier à me dire que je ne suis pas obligé d’aller décrocher des écailles à Cresselia pour qu’il soit heureux avec moi ?

« Mais, tu crois que j’attends quoi de toi, en fait ? »

Il se passe un temps pendant lequel le Eriksen fixe les patates.

« Huh. I dunno ? Je veux juste être un bon partenaire. J’ai jamais été un bon copain ou, ‘fin, tu vois. Alors... »

Oui, bon, s’il y tient je pourrais le juger sur toutes ses relations amoureuses depuis la maternelle, aussi. Lui dire que ohlala, c’était pas bien de dire "je t’aime pas, t'es nulle, na !" à la Petite Marceline dont il était amoureux quand il avait 5 ans pour attirer son attention (j’en sais rien, c’est juste un exemple comme ça). Evidemment, nos relations nous façonnent d’une manière ou d’une autre… mais bon, Zlatan est le premier à soutenir que si on se dit "oh shit qu’est-ce que j’étais con à 28 ans", c’est bien la preuve qu’on a évolué. Donc, si c’est comme ça, il m’importe peu avec qui Zlatan a pu être par le passé. Pas que je m’en fiche, hein, j’aime bien ce genre d’histoires (à défaut de n’en avoir pas beaucoup à raconter) ! Bref. Ce qui compte c’est que j’aime ma relation avec lui et… ce n’est pas parce qu’il considère qu’il a n’a pas été un "bon copain" par le passé que ça changera ça.

« C’est pas vrai, ça. »

Je m’autorise à rapprocher ma chaise de la sienne avec précaution. J’approche ma main pour ne pas le surprendre lorsque je vais caresser ses épaules et sa nuque.

« Je suis avec toi pour… pour toi. Je me sens bien avec toi. »

Que je sache, il n’a jamais noyé des chatons et n’est pas quelqu’un de violent… enfin, je sais qu’il a fait des erreurs qu’il regrette. Et moi aussi. C’est bien ce qui nous rassemble tous ; et ça je ne l’ai pas inventé. Je n’aurais pas autant d’aisance à penser ainsi en ce moment-même si d’autres personnes comme le Eriksen ne m’avaient pas un peu mis face à mes conneries ces dernières années.

« I get it. »

Il soupire un peu, n’ose pas encore me regarder. Je crois qu’il est toujours un peu gêné.

« T’es incroyable. J’essaie juste d’être au niveau. »

Hein ? Mais il le sort d’où ça ? Sous le coup de la surprise, je l’observe avec des yeux ronds, ce qui le fait ricaner lorsqu’il se retourne vers moi.

« Qu-quoi ? » Je sens que je dois être tout rouge, maintenant ! « N’importe quoi ! C’est toi qui est incroyable ! »
« Shaddap. »

Je n’étais pas obligé de lui rendre l’ascenceur, mais comment est-ce que vous auriez réagi à ma place ? Pfff ! quel flatteur, quant il s’y met celui-là… En plus, d’ordinaire, c’est lui qui aime réclamer des compliments ! Voilà, maintenant on glousse dans notre embarras, c’est malin. Zlatan me regarde et se penche vers mon épaule pour s’y reposer un peu, réclamant par la même occasion que je continue de lui caresser la tête. Et après, c’est lui qui dit que les chats sont pénibles à demander des caresses tout le temps, hein ! Regardez-le, je l’entends même grogner de bien-être quand je lui fait des grattouilles dans le dos, c'est adorable.

On ne perd tout de même pas le nord et ne tardons pas à nous remettre à la cuisine. Le Eriksen s’est détendu mais semble toujours un peu fébrile. L’heure doit être aux confidences car il se décide à m’en dire un peu plus sur ses craintes.

« I guess, j’ai juste peur de m’engager. C’que je me dis que je- enfin, que je peux que mal faire. En tant que partenaire ou… que beau-père ou je sais pas quoi. »

Il se met à rougir et bafouille sur la fin de ses affirmations. J’imagine qu’il dit ça pour relier avec l’adoption, mais je lui rappelle que je n’ai pas lancé la conversation là-dessus pour l’obliger à quoique ce soit. Pour l’engagement, je ne saurais même pas définir moi-même de quoi il retourne, c’est trop vague et variable. J’imagine qu’il parle d’implication, d’être présent dans une relation de couple et d’avoir des projets ? Je vois ce qu’il veut dire, ça me rappelle les scènes qu’il me faisait avant qu’on se mette ensemble, il voulait vraiment éviter ces discussions. J’ai l’impression que le problème n’était pas tant l’engagement que de se mettre avec un homme. Quoique, l’engagement aussi, les "trucs de couple", comme il disait. Ça reste toujours aussi vague, dans tous les cas.

« M-mais, quand je me lève le matin je sais que… j’ai envie de te parler et de te voir et de t’entendre raconter tes journées, de… vivre un peu ça avec toi, tu vois. »

Ça me rappelle quand il parlait de vivre "plus près de moi", j’ignore s’il fait référence à ça où s’il n’ose pas sous-entendre qu’on pourrait réduire la distance pour, justement, projeter des choses ensemble.

« Moi aussi. »

Je veux dire que si je suis un peu expansif pour ma part, lui reste toujours assez réservé. Je comprends mieux pourquoi au fil du temps. Ça me fait plaisir qu’il s’ouvre de plus en plus et qu’il prenne son temps pour le faire. Bon, ça n’empêche qu’il continue de s’auto-vanner dès qu’il en a l’occasion.

« Tss, come on, ma vie est tellement lame ! »

Qu’est-ce que je disais. Je lève les yeux au plafond en commençant à rassembler les légumes pour les ramollir avant de les mouliner. Enfin, qu’il dise que sa vie est "lame" ne me laisse pas indifférent. Je me demande s’il s’ennuie, ici ? Je sais qu’il a à faire de ses journées et ce qui est sur, c’est qu’il a pris quelques temps de repos qui lui ont fait beaucoup de bien. Mais, je me demande parfois s’il ne s’en lasse pas, au bout de plusieurs mois. Dans le doute, je ris un peu avec lui.

« Mais la mienne aussi est chiante, des fois. »

Maintenant qu’on a presque fini les préparatifs pour la soupe, je me sens de nouveau d’humeur mièvre et me rapproche de mon grincheux favori pour l’enlacer un peu (attendez ça faisait bien deux heures et demi que je n’avais pas eu câlins).

« Ce qui est sûr, en revanche, c’est que depuis que tu es dedans, elle l’est tout de suite beaucoup moins ! »

Après un peu de réconfort, nous nous mettons à la cuisine. Une fois la soupe prête, on se contente de prendre nos bols devant la télé en démarrant un épisode de Bojack (Zlatan avait envie de me faire découvrir la série, n’y connaissant rien en séries d’animation occidentales, j’étais curieux). Ceci étant, je repense à ce qu’on s’est dit et au fait que le Eriksen s’ennuierait à Unys. Je sais, qu’il vannait, mais je cogite quand même. Je me demande ce qu’il projettera de faire, s’il finit vraiment par être lassé par son rythme actuel.

Lorsque Zlatan s’apprête à passer à l’épisode suivant, je prend sa main afin d’attirer son attention. Il met le lecteur sur pause et pense en premier lieu que je lui réclame de l’affection. Je le vois se pencher sur moi et je n’ai pas envie de le repousser quand il m’embrasse tendrement la tempe. Néanmoins, je le repousse doucement.

« Attends, je me demandais... »

Je dois avoir l’air sérieux comme le Eriksen a l’air de comprendre tout de suite que je suis encore en train de cogiter. Mon cœur se met à battre plus vite, appréhendant un peu la manière dont le châtain pourrait réagir. Enfin, c’est surtout qu’on entre dans un sujet qu’on avait jamais vraiment abordé parce qu’on est quand même un peu aux fraises.

« Si… si tu t’ennuies, tu-- tu sais que tu peux toujours repartir avec moi, hein ? »

Peut-être pas littéralement là, dans deux jours, évidemment.

« Huh, bah… je… bah... »

Je me reprend très vite, pour tempérer un peu mes propos mais je m’emballe rapidement.

« T-tu fais ce que tu veux bien sur, je ne te mets pas la pression ! Mais, pour être honnête… je ne sais pas, je- je pensais que la distance ce serait supportable, mais, c’est plus supportable quand on sait si on va se retrouver à la fin, tu vois… ? Qu’il y ait… enfin… quelque chose qui se construise… non ? »

Je n’étais pas préparé au silence quelque peu angoissant qui suivit. Ce n’est pas qu’on ne construit rien dans cette relation, mais avec cette histoire de longue distance, je crois qu’on a tendance à s’empêcher de se projeter réellement.

« R-right. C’est vrai. »

Il lui avait fallu quelques secondes avant de me répondre ces quelques mots. S’en suivi un nouveau silence un peu pesant, pendant lequel le regard du châtain passait de l’écran télé à mon visage. Après avoir pris un petit temps de réflexion, il finit par répondre, non sans continuer à chercher ses mots.

« Je suis bien chez ma mère, je suis pas loin de ma famille, je connais du monde dans le coin. Mais, tu vois, c’est pas... »

J’imagine que ça doit être confortable. Il sait qu’il peut toujours revenir ici en cas de problème, qu’il sera bien entouré. Pourtant, quand il en parle, il a l’air de dire qu’il sait que c’est quelque chose de temporaire.

« Tu t’imagines vivre ici encore des mois, enfin, longtemps ? »
« Dunno. »

Il soupire, prend un autre un petit moment de réflexion.

« Actually, je crois pas. C’est confy mais je peux pas dépendre des gens tout le temps comme ça. »

Je n’ai pas l’impression qu’il soit complètement dépendant de sa mère ou d’autres personnes, mais c’est peut-être une interprétation qu’il a de sa situation au vu de ce qui s’est passé ces dernières années.

« Also, je veux être avec toi. Mais, si je te rejoins, je vais encore dépendre de quelqu’un, c’est toujours pareil. »

Ça me réchauffe vraiment le cœur d’entendre ça. Visiblement, son soucis c’est qu’il ne voudrait pas que je l’entretienne… ça n’a jamais été le cas. J’ai de la place chez moi alors que lui ait prêté une chambre et je le referais ni nécessaire, c’est à ça que ça sert ! Si ça, ça veut dire qu’il se repose complètement sur moi, alors… Je ne me permettrais pas de lui faire de telles propositions pour le laisser en plan au final ! Un tel changement, ça se médite, ça s’organise et je serais horrible de le laisser seul face à ça.

« Hm, mais c’est normal que je sois là, ce serait un changement radical pour toi. Je ne te demande pas de me suivre ni qu’on se mette à vivre ensemble tout de suite mais... »

Comment formuler ça sans que ça ait l’air autoritaire ? Je ne veux pas prétendre que je sais mieux ce qui est bon pour lui. J’aimerais cependant qu’on y réfléchisse vraiment, qu’on ne se contente plus de juste l’évoquer au détour d’une conversation qui n’a rien à voir.

« Si tu n’es pas heureux ici, enfin, si tu t’ennuies ou si tu penses que ce que tu cherches est ailleurs, alors, peut-être-- peut-être qu’on devrait essayer de réduire la distance. Si tu viens à Enola et que tu veux ton indépendance, tu trouveras un travail et un appartement et… je ne dis pas que ça va être simple ou parfait, mais ! En attendant, il y a plein de place chez moi et il y a ton cousin, aussi ! Et sinon, tu pourras toujours rentrer à Unys. »

Je me suis probablement un peu emporté, mais, je suis vraiment soulagé d’avoir pu le dire. Peut-être que je rêve en couleur et que c’est irréaliste. Peut-être que j’en demande trop, je ne sais pas. Plus ça va, plus je me dis que je ne nous vois pas continuer autrement… pas sur le long terme, en tout cas, pas si on veut que les choses progressent, qu’on veut faire plus de choses ensemble. On évite de parler de ça depuis trop longtemps et la distance avait bon dos pour éviter le sujet. Maintenant… c’est chose faite. Je crois que c’est un de ces moments où ça passe ou ça casse. Je retiens ma respiration et surveille la réaction de Zlatan, non sans craindre d’en avoir peut-être trop fait ou tout gâché. Je dois me tempérer, même s’il m’est présentement difficile de garder la tête froide.

« Pardon je… je sais que je raisonne comme un riche et que ce n’est pas si facile mais… mais je peux t’attendre. »

---


Eh bé. Dit comme ça, ça l’air génial. Mais comme Lio le dit, ça ne veut pas dire que ce sera facile à concrétiser, ni que ça marchera à tous les coups. Implicitement, j’imagine que soit on essaie au risque de se gourer, soit on reste à notre situation actuelle qui ne m’a pas l’air viable sur le long terme. Je ne suis pas malheureux, ici, chez ma mère. Mais je m’ennuie même quand je m’occupe d’aider les vieux du coin ou que j’aide Helène à la maison, pourtant ce sont des choses que j’aime, mais… je n’ai pas vraiment d’objectif, je remplis le vide pour ne pas m’ennuyer plus qu’autre chose et en me sentant utile plutôt que nuisible, je dors bien la nuit. Nous avons bien vécu la distance jusqu’à maintenant, n’empêche que ce n’est pas du tout l’idéal et que cela nous pousse à reporter ou mettre au second plan trop de choses. La preuve, c’est que j’ai l’impression qu’on a plus parlé et partagé de choses là, en à peine dix jours, que ces derniers mois où on était loins. Le calcul est rapide et les conclusions plutôt évidentes. C’est alarmant et en même temps… tout semble plus clair.

Pourtant, mes réserves persistent et ce n’est pas à cause de Lionel ni de ses propositions. C’est simplement que tout a complètement changé pour moi sur ces dernières années et que ça me fait flipper. Je m’étais habitué à la vie reprenant son cours, pendant plus de 20 ans, j’avais oublié ce que ça faisait, de vivre en se disant qu’on peut retomber au plus bas très vite et sans s’en rendre compte. Qui me dit que je ne vais pas rechuter demain ? Que je ne vais pas trahir la confiance de mes proches ? Depuis que je me suis remis, je n’ai pas l’impression que je sois parti sur un mauvais chemin, que je me trompe ou trahisse mon désir, pourtant, aller vers ce qui me rend heureux me semble toujours aussi difficile, comme si je ne le méritais pas. Comme si je ne pouvais plus me permettre d’imposer mes problèmes à quelqu’un que j’aime car j’aurais déjà trop abusé.

« Y’know, c’est tellement… that’s dumb. J’avais mon taff, même si je le supportais pu, je me disais qu’au moins, j’avais des- des constantes ? Et du jour au lendemain, tu retombes dans l’addiction et  y’a tout qui s’arrête jusqu’au moment où tu arrives à sortir. Tu sais pas combien de temps ça va durer. Et en sortant, parfois, y’a plus rien et tu dois revoir tout ce que tu pensais être stable dans ta vie. »

Et encore, j’ai eu de la chance d’être bien entouré, moi. N’empêche que j’ai cru pendant un moment avoir perdu la confiance et l’amour d’Helène, car elle ne pouvait simplement plus gérer tout ça à ma place. Ce n’est pas comme ça que ça s’est passé, fort heureusement. Mais, dans ces conditions, accepté d’être aimé à nouveau et m’en remettre à d’autres me fait peur.

« Je suis même pas sûr que j’arriverais à nouveau à être stable ici ou ailleurs. That’s-- J’ai peur de trahir ta confiance et pas réussir tout ça. »

Je sais que je ne peux que me faire confiance et sauter dans le vide, voir ce qui se passe et faire avec. C’est ce que me dirait mon psy. Maman me dirait de suivre mon cœur également. C’est mélodramatique comme manière de le formuler, mais c’est plus ou moins le mood. Je pousse un long soupir. Ma gorge se serre. Lionel a pris ma main que je serre pour me donner encore un peu de courage. C’est toujours fort en émotions pour moi, ce type de discussions. En plus, Lionel est du genre contagieux quand il a des émotions fortes. Bref, je peux ruminer encore et encore mais là, je dois répondre sincèrement, avec le désir qui me vient spontanément.

« M-mais, je veux essayer. Je veux le faire. Vraiment. »

Je ne sais pas si tout ce charabia a vraiment fait du sens, mais c’est dit, maintenant. J’ai les yeux humides et Lionel continue de me regarder avec un air tout aussi bouleversé. J’ai l’impression d’avoir raconté cette histoire cent fois, pour noyer le poisson. Si je la raconte encore cette fois-ci c’est parce qu’il me faut être honnête, rappeler à Lionel que s’il veut être avec moi, alors ce sera aussi vivre avec mon addiction et mes problèmes. Mais s’il est prêt à ça, alors… alors c’est le plus important à mes yeux.

« Tu y arriveras. Même si parfois tu penses que tu ne le mérites pas, moi, je.. j’ai confiance en toi, tu le sais ? »

J’ai reniflé mais n’ai pas reussi à empêcher les larmes de sortir. Je suis tellement content de l’avoir rencontré, d’avoir retrouvé ce sentiment d’être réellement « bien » avec une personne qui a aussi besoin de moi que j’ai besoin d’elle. J’ai comme un coup de vertige à la fin de cette conversation, c’est à la fois étourdissant et stimulant, je veux voir où ça va nous mener. Je veux vivre ça. Mais pour le moment je veux surtout arrêter de pleurer comme une madeleine.

« Pfff, on pleure tout le temps, avec toi ! M-mais… same. »

Je renifle et serre le bleu contre moi. Il est aussi désastreux que moi quand il s’agit de se retenir de pleurer. On a l’air de deux gros pingouins débiles, ça, c’est certain. Et à propos de certitude, la chaleur qui m’envahit me donne l’impression d’être capable de tout.

« Je t’aime, Lio. »

Son front s’appuie contre le mien. Je sens ses joues humides tandis qu’il se rapproche et m’embrasse le coin des lèvres. Il me répondit à voix basse en caressant mon cou.

« Je t’aime aussi. »

Heureusement que ma mère n’est arrivé que 5 minutes plus tard, quand on avait un peu fini de chouiner, même si ça ne l’avait pas empêché de relever qu’on avait l’air complètement retournés et  fatigués. Elle est quand même venue prendre son bol de soupe avec nous sur le canapé, en spoilant allègrement la série à Lionel qui était complètement perdu à la fin de la saison.

Les jours qui suivirent se passèrent tranquillement. On passait beaucoup de temps à continuer de parler le matin au réveil, puis on restait le reste de la journée à la maison, à glander et à jouer aux cartes avec Helène, parfois à déblayer un peu la neige dehors. Le Dimoret et l’Obalie de Lionel étaient heureux comme tout et passaient leurs journées dehors à sculpter des trucs avec la neige. Bref, c’est comme ça que le moment du départ de mon copain arriva et ça se passa plutôt bien. Evidemment, c’était triste, mais pas aussi douloureux qu’on aurait pu le craindre avec la dernière fois où on s’était séparés quand je suis parti de chez lui. Cette fois, je suis beaucoup plus confiant en le regardant s’en aller. Je sais qu’on se reverra très bientôt et surtout, plus souvent. J’ai bien plus l’impression qu’on s’en va quelque part ensemble et je n’aurais pas cru que ce serait un si gros soulagement. Maintenant, il ne me restait plus qu’à l’annoncer à Helène. Je ne m’attends pas à ce qu’elle m’empêche de partir, mais, je veux quand même être sûr. Si elle veut que je reste ou qu’elle a besoin de moi, je veux aussi qu’elle m’en tienne informé.

Je dois avoir une sale tronche en rentrant dans la cuisine par la porte de derrière, après avoir encore pleuré dans la voiture. Maman est en train de nourrir les chats et m’acceuille avec un grand sourire.

« Tout s’est bien passé ? »


J’hoche la tête, son sourire est contagieux. J’ai le regard dans le vague, Lionel est reparti et ça fait quand même un vide, je m’étais réhabitué à sa présence à mes côtés.

« Ah, ouais. »

Répondis-je, d’un air absent en repensant à ces dix derniers jours, à nos projets. En me voyant ainsi, Hélène se rapproche, soucieuse de mon bien-être.

« Toi, ça va ? »

Elle m’a pris le bras doucement, penchant la tête sur le côté en m’observant attentivement. Je vois bien que ma mère est préoccupée que je puisse mal supporter le départ soudain de mon partenaire. J’hoche la tête en la regardant dans les yeux, l’air confiant.

« Bah, bizarrement, ouais. »

Helène semble convaincue et s’en retourne s’occuper des chats. Brownie et Zucchini sont en train de se frotter à ses jambes et réclament des gratouille sur la tête… ou plus de bouffe, j’en sais rien. En tout cas ils n’auront que des grattouilles. J’imite ma mère en allant emmerder Peanut Butter et Cheese, dont le premier a décidé d’agresser mes santiags pour une obscure raison.

« M’man ? »

Pendant le bref silence qui a suivi, j’ai pensé que c’était un bon timing pour lui parler de ce que j’ai prévu avec Lionel.

« J’ai décidé que j’allais vivre à Enola. »


J’entends mon interlocutrice émettre un « oh... », je ne sais pas si elle est vraiment surprise par cette annonce. C’était probablement prévisible, après tout elle me connaît bien et elle m’avait déjà fait remarquer subtilement que je commençais un peu à tourner en rond.

« Si pour toi, c’est pas possible, alors je peux toujours... »

J’ai bien vu qu’elle allait très bien malgré son âge et qu’elle prenait soin d’elle ces derniers mois. Qu’elle est bien entourée, aussi. Ça m’a rassuré, même si je n’ai pas toujours bien vécu le fait qu’elle n’ait pas spécialement besoin de moi pour s’occuper d’elle… probablement car j’attachais trop d’importance au fait de compenser par ce biais, compenser que je préférais faire attention à son bien-être plus qu’au mien. A ma dernière affirmation, Hélène se met à agiter négativement sa main.

« Non, non ! Si c’est ce que tu veux, tu dois y aller. »

Bon. Ça a le mérite d’être clair. En même temps, ça m’aurait étonné qu’elle me réponde autrement. Je suis touché par sa réponse, même si je savais déjà qu’elle avait approuvé Lionel "même s’il est riche". D’ailleurs, elle aime bien me vanner devant ses amies en disant que je suis un "gold digger", maintenant. C'rest parti pour me suivre toute ma vie, ça je le sens, même Soltan me vanne. Je suis ravi que toutes ces vieilles approuvent mes choix en ricanant : "oh tu as bien raison, moi si j’avais su, j’aurais ravalé mon orgueil et épousé un riche aussi, pour me faire veuve noire et garder la fortune !". Enfin, je ne compte pas tuer Lionel dans son sommeil après m’être assuré d’être seul sur son testament pour aller voir la police avec des lunettes de soleil et un air bouleversé. Et puis, on va pas se marier, hein… right… ? Je n’ai pas ce genre de rêves de midinette, moi, jamais. La mariage, très peu pour moi. Même avec Lionel. Huhu. Breeeef.

« N’oublies juste pas de m’appeler et de venir me voir avec Lionel de temps en temps, hein ! »

Hm. Elle fait déjà comme si j’allais partir demain. Pfff, même moi je ne suis pas aussi pressé ! Je me redresse et pose mes mains sur mes hanches, faussement véxé par ses derniers propos.

« Hé ! Je suis pas encore parti ! »
« Zut, j’imagine que je dois annuler mon orgie de demain soir alors... »


Je lève les yeux au ciel en prononçant un "mooom, please..." du cringe. Cette vieille va tous nous enterrer. En attendant, j’espère que Lionel est bien parti. J’ai hâte qu’on se téléphone et qu’on s’organise pour ma venue. Cela fait longtemps que je ne m’étais pas senti aussi motivé par quelque chose, que je n’ai pas l’impression de faire quelque chose pour mettre mon désir au second plan. Je n’en peux déjà plus d’attendre d’aller le retrouver.
Unys - Décembre 2024
Lionel Roque-Lartigue
Lionel Roque-Lartigue
Elite
Voir le profil
Mer 18 Mar 2020 - 14:15
Revenir en haut Aller en bas
Sauter vers: