A force de faire tant d’allers et retours vers et depuis l’Île Rocheuse, Lionel avait presque envie de croire au fait que son mal de mer était en voie de s’arranger. Malheureusement, il avait encore failli finir la tête dans les toilettes, ce qui aurait été embêtant car il avait fort à faire cet après-midi. Et on ne travaille pas bien le ventre vide. Lui et les autres gradés se relayaient pour les patrouilles à faire régulièrement dans le secteur et aujourd’hui, c’était son tour. C’est qu’il y avait beaucoup de choses à surveiller sur l’île rocheuse : les Monarchistes, pour ne pas les nommer, évidemment, mais aussi le reste de l’île qui restait hostile par endroits. Si la zone s’ouvrait progressivement aux visiteurs sous certaines contraintes, elle n’en restait pas moins dangereuse pour les gens qui sortaient des sentiers prescrits. Donc, il fallait surveiller que tout se passait bien pour les entrées et les sorties, qu’il n’y avait pas d’abus de la part des miliciens ou des visiteurs et que les routes étaient bien délimitées… Lionel le premier trouvait que tout cela cassait un peu le charme d’une exploration dans la nature, mais… mieux vaut ça qu’envoyer des gens face à des bêtes féroces et dangereuses.
Le périmètre et la surface de l’île n’avait pas tardé à être délimité et quadrillé. Seulement, l’île de Regirock, ce n’était pas qu’un maigre lopin de terre dépassant de l’océan. Les falaises étaient escarpées, les cascades spectaculaires, la mangrove extrêmement dense, les crêtes recouvertes de forêts et de buissons secs et piquants.. Les rangers et les scientifiques étaient visiblement impressionnés par la diversité de la flore, de la faune et des espèces qui se trouvaient dans le coin. La chose n’avait pas tardé à faire le tour des médias et avait amplifié la curiosité des gens au sujet de l’île rocheuse.
Les Monarchistes semblaient, pour le moment, tolérer les visiteurs, tant que ces derniers restaient à bonne distance de leur village. Lionel était toujours tendu en passant à côté du lieu de vie de cette communauté en train de s’agrandir, mais, ce n’était dans l’intérêt de personne que de chercher les ennuis. Enfin, il y avait bien eu cette histoire des Pokémon volés et des anciens monarchistes/ex-régimeux qui restait un gros morceau et provoquait beaucoup d’inquiétudes. Si Lionel avait appris quelque chose de cette expérience et depuis qu’il fait son travail de liguien… c’est que les extrêmes ont tendance à se rejoindre. Surtout quand il s’agit de… eh bien, Lionel formulerait ça ainsi : « surtout quand il s’agit de gens qui ont pour but de restaurer la suprématie d’une civilisation et d’une énergie millénaire ». Il n’avait pas vraiment fait le lien avant de le voir de ses propres yeux lors de son expédition avec les autres de la ligue (parce que bon, il est mou et il est devenu un peu trop précautionneux quand il lui faut se forger un avis donc il ne veut pas trop faire d’amalgames), mais… c’était inquiétant, tout ça.
Bref, tout ça pour dire que ces patrouilles n’étaient pas à prendre à la légère. Les gens sur l’île rocheuse, que ce soit les Monarchistes ou les touristes, n’étaient pas spécialement contents de voir passer des miliciens en uniforme dans le coin, mais bon… même si ça le faisait toujours tiquer et que ce n’était pas spécialement agréable, le Roque-Lartigue commençait à se faire à l’idée. En ayant (notamment) un copain qui sort des « ACAB » bien souvent, se plaint toujours de la police et de l’autorité en général, le gosse de riche en développerait presque une conscience au sujet de son travail… ah oui, il lui avait bien fallu ça pour réagir. C’est un peu consternant, mais bon, mieux vaut qu’il commence à réagir maintenant que jamais.
La compétition était loin d’être la seule qui avait fort à faire sur l’île rocheuse. Sans collaborer avec les Rangers de manière permanente, la situation ne serait pas aussi « bonne » qu’actuellement. On ne va pas se mentir, tout ça n’était certainement pas idéal mais au moins, un semblant de stabilité avait été atteint ces derniers mois… c’était calme (probablement trop calme). En effet, l’aide des Rangers et d’Elixir était rapidement devenue capitale pour délimiter les zones ouvrables ou public et les zones dangereuses. Cela sans compter qu’il fallait évidemment faire en sorte que l’écosystème et les territoires des Pokémon et animaux présents dans le coin ne soient pas mis sans dessus-dessous. En soi, dès l’installation des Monarchistes, toutes ces bestioles avaient dû migrer un peu dans leurs habitats et maintenant que plus d’humains s’amenaient dans le coin, la situation demandait d’autant plus de vigilance. Enfin, c’est ce que Lionel avait retenu des rapports en tout cas… car il n’est pas naturaliste ou franchement renseigné sur ses sujets, donc, bon. Il a fait ce qu’il pouvait.
Cela dit, il avait tenu à bien lire et relire sa documentation pour ne pas avoir l’air trop con devant les Rangers qu’il devait aller rencontrer aujourd’hui pour une patrouille commune dans un périmètre encore peu connu de l’île. Il n’était pas prévu de laisser les scientifiques d’Elixir s’aventurer seuls dans le coin, sachant que quelques grosses bêtes avaient été aperçues dans la zone concernée. En soi, Lionel ne voyait pas de problème dans la démarche de la compétition d’être présente lorsque les Rangers faisaient leur travail. L’idée que les Rangers pouvaient trouver ça intrusif de leur part ou percevoir ça comme de la surveillance zélée lui échappait un peu. Bref, pour le coordinateur, c’était logique d’envoyer la compétition pour aider en cas de pépins ou de combats avec des grosses bêtes. Pas qu’il pensait que les Rangers ne pouvaient pas se défendre seuls, hein… mais aux yeux du co-chef de la milice, cette collaboration était de première importance pour ne pas répéter certaines erreurs du passé. Il est probablement naïf de croire que les choses peuvent être aussi simple que « si tout le monde fait copain-copain ça ira mieux », d’autant plus qu’on ne fait pas copain-copain avec n’importe qui non plus (genre, les ex-régimeux, on peut éviter)… mais il n’aime pas le conflit et reste persuadé que pour ne pas retomber dans une guerre civile, se rassembler et collaborer sur de bonnes bases sera une pierre majeure à un édifice plus sain que… bref. Évidemment, ce n’est ce qui comblera le fossé des autres injustices et inégalités sociales, mais bon, une chose à la fois pour le gosse de riche qui est quand même pas mal lent.
Zingaro progressait hors du périmètre autorisé aux les civils avec Aegis et Vaati à ses côtés. L’Absol s’était montré très sérieux durant des patrouilles récentes et cela avait encouragé le coordinateur à l’emmener avec lui aujourd’hui. Pour le moment, Lionel n’avait rien vu qui méritait d’être signalé et les gens respectaient les périmètres prescrits… tout semblait sous contrôle et se passer sans problèmes, en fait.
Alors qu’il s’approchait avec deux de ses subordonné.e.s (les autres étaient restés à patrouiller dans les zones ouvertes), Lionel remarqua un changement d’attitude chez sa Ekaiser. Celle-ci avait levé la gueule et semblait s’agiter avec un certain enthousiasme en reniflant une odeur familière. En regardant devant eux, le coordinateur ne tarda pas trop à comprendre en voyant un Felinferno au côtés d’une Ranger gradée à la silhouette familière.
Oh-oh… c’est embarrassant. En reconnaissant Roxanne, la cheffe ranger avec qui le milicien avait déjà eu des… bon, disons que leur dernière (et unique) mission commune s’était terminée de manière mitigée. Lionel déglutit difficilement. Ce n’est pas que leur collaboration avait été un fiasco total (quoique), mais… bon clairement, s’il ne s’en rendait pas compte sur le moment, Lionel avait honte de la manière dont il s’était comporté à l’époque. Des fois, en repensant à ses débilités et au fait qu’on lui avait reproché de ne pas appliquer des procédures basiques par mollesse, il restait éveillé la nuit avec un embarras tétanisant. En même temps, c’était mérité et Roxanne n’avait été ni la première, ni la dernière à lui faire ce genre de remarques et à lui dire implicitement de bouger un peu son gros cul de maître coordinateur. A force, Lionel avait fini par saisir le sens d’une certaine citation somme toute méconnue qui fait : « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités »… et par envisager d’arrêter de prendre les miliciens pour des magical girls capables de sauver le monde.
Enfin, de toute façon, il fallait y aller et parler avec la cheffe et surtout éviter les « oh coucou Roro, alors, ça boume ? Alors on attend pas Lionel ?! » entre autres bêtises. En se passant dans sa têtes toutes les manières à ne pas employer pour saluer de manière professionnelle sa collaboratrice du jour, le bleu s’approcha d’un pas mesuré, non sans être complètement tendu comme la fermeture de sa valise quand il revient de 3 jours de convention. Avant qu’il ne puisse ouvrir la bouche, Aegis se précipita vers Olbéric qu’elle avait reconnu en roulant des mécaniques. Sur le coup, Lionel émit un rire crispé mais n’allait pas rouspéter… après tout, d’habitude, c’est plutôt lui qui fout la honte à sa Ekaiser.
« Hem. Madame Nowak, bonjour. Nous venons pour… eh bien, nous sommes là pour vous assister dans votre expédition dans la zone D-7 de l’île. Vous avez sûrement déjà été prévenus, mais, même si la zone est calme depuis quelques jours, on nous a fait remonter plusieurs apparitions de formes évoluées sauvages potentiellement dangereuses dans le coin. »
Lionel avait l’impression de forcer une formalité assez peu naturelle, mais bon, c’était toujours mieux que d’arriver de manière nonchalente et de demander à Roxanne d’échanger un check popotin. Il n’avait pas envie de paraître froid non plus, car ce n’est clairement pas son genre et il ne voudrait pas que cela rebute la cheffe ranger ou la fasse se sentir prise de haut. Aussi il s’éfforça de garder un air avenant. Au moins, même s’il faisait quelques efforts, la Nowak ne serait, pas trop dépaysée étant donné qu’il avait gardé sa molesse constante et son expression naïve.
« Je suis aussi là pour vérifier si la zone pourrait être ouverte au public par la suite. » Un peu fébrile en espérant ne pas dire n’importe quoi dans un moment d’égarement, le coordinateur sentait son cœur affoler un peu à l’idée d’être mal interprété.
« Nous ne sommes pas là pour vous déranger dans votre travail, juste… en renfort si les choses tournent mal. »
Il envoya un regard entendu à Roxanne qui devinerait sans mal comment la situation pourrait éventuellement « mal tourner ». Cela va sans dire qu’il espérait que tout se passe sans problèmes.
« Enfin… tout se passe bien ? Si vous avez quelque chose à signaler, n’hésitez pas. »Après avoir salué en bombant la poitrine Olbéric, Aegis était revenue auprès du coordinateur, non sans avoir l’air toute fière de se trouver là.
Oui, bon, Gigis, contiens-toi, quand même... ce n’est pas comme si on prévoyait de faire de la bagarre. Sans vouloir décevoir la dragonne car il connaissait son goût pour l’adrénaline, Lionel avant tout de même envie de lui préciser qu’il n’espérait pas, pour sa part, avoir à se battre.
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