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What if ? (conclu de Ludwig et Alex)
Ludwig Green
What if ?
Ferme des Green-Onizuka - Automne 2026
CW : bon, alors, déso pour le spoil, mais cet OS parle de la mort d’Alexander et de la manière dont sa disparition va affecter Ludwig et son entourage proche. En plus du fait que c’est un OS très émotionnel qui va beaucoup parler de mort, ça parle aussi assez frontalement de deuil, de suicide, de dépression et d’abus familiaux. Il n’y a rien de graphique ou de sanglant dans l’OS, qui se veut plus optimiste que l’inverse, mais ça ne l’empêche pas d’être (à mon avis) dur à lire, surtout si vous êtes sensible à ces thématiques.


Soltan

Sans dire que mes problèmes ont miraculeusement disparu du jour au lendemain, je pense être arrivé à un point où je me sens un peu plus en paix avec moi-même que d’habitude. On me dit toujours que je travaille trop, Illéas me parle de thérapie régulièrement, que c’est nécessaire « même si je me sens pas trop mal en ce moment, au contraire, même, profites-en pendant que tu as l’énergie ». Je commence à me dire qu’il a peut-être raison, lorsque je me suis rendu compte, encore récemment, que ce n’est pas normal de ne presque jamais me sentir « bien » avec soi-même. De cette réalisation est née une question qui me donne encore le vertige actuellement : ai-je un jour été heureux avant de me poser ? Plutôt que m’attarder sur cette interrogation effrayante, j’ai immédiatement pensé à mes enfants auprès desquels je me sens comblé… enfin, ce serait mentir que de dire que c’est le cas en permanence, que certains traumatismes, certains remords ne me rongent pas. Ce serait se voiler la face que d’avancer que leur présence et leur amour ont magiquement fait disparaître tous les problèmes et ce que je refoule depuis fort longtemps. J’ai simplement tout enfoui. Mon travail à la ferme m’a toujours semblé m’apporter de la joie, même si ce n’est pas une évidence quand on voit ma sale tête.

Non, mon travail ou ma vie de famille ne sont pas le problème… seulement, une fois seul, jamais je ne me suis senti « bien » ou « heureux ». Je n’ai jamais vu le problème avant d’essayer de donner un sens à tout ça. La solitude et l’isolement ont toujours semblé me convenir, alors pourquoi remettre tout ça en question maintenant ? A croire que mon fonctionnement de base n’a jamais été le bon. J’ai fait beaucoup de choses qui ne peuvent être excusées ou pardonnées et je sais qu’en avoir conscience ne changera pas grand chose. Il y a des jours, de courts moments où j’arrive à oublier tout ça, quand je sais que ma vie est encore devant moi, que je dois être là pour mes gamins. Des fois, ça me réveille la nuit et je cogite pendant des longues heures. Je devrais bien révéler ce que j’ai fait, la vérité aux enfants un jour. Mais… ça ne les concerne pas directement, donc, est-ce que c’est vraiment nécessaire ? Ça me semble malhonnête de me faire passer pour un type bien alors que j’ai fait commis des crimes impardonnables. Marilyn et Ludwig en savent, malgré eux, déjà plus qu’ils devraient. Même si je crois qu’ils ont oublié, que leur subconscient les en protège. Je ne sais pas combien de temps tout cela va tenir. Tous les deux, ils sont déjà capables de s’abandonner et de se mettre en danger et de se faire du mal, quand ils ne se sentent pas bien. Cela m’est malheureusement que trop familier. Peut-être, quand les enfants n’auront plus besoin de moi, alors je me confronterais à tout ça. J’avouerais.

Pour le moment, je me satisfais de les voir grandir comme des enfants normaux. Ludwig va dans la bonne direction, je le vois bien. Des fois, je crois même qu’il commence à oublier sa famille biologique, à passer à autre chose, à se libérer de l’emprise qu’Alexander a toujours eu sur lui. Il a beaucoup de courage. A son âge, je ne pouvais pas en dire autant. Concernant Alex, je n’ai plus de nouvelles de la prison depuis un moment déjà, rien à signaler selon les responsables de son dossier… est-ce que c’est une bonne chose ? Je crois qu’une part de moi s’inquiétera toujours un peu pour ce sale con. Je m’étais attaché à lui, fut un temps. Après tout, je ne suis pas mieux que lui sous certains aspects. J’ai tué et fait du mal consciemment alors, comme il l’a dit des dizaines de fois, « quelle différente entre nous » ? Si c’est la frustration qui me gagne quand je pense à Alex, je ne peux qu’être amer et envahi d’envies de violence en pensant à ses parents. Mes pensées noires ne sont jamais bien loin. Quand je vois Ludwig souffrir et m’annoncer qu’il n’a pas dormi de la nuit à cause de ses cauchemars, l’idée d’aller tous les tuer, de trouver les moyens de les faire disparaître à jamais de la vie de mon protégé persiste dans mon cerveau. Heureusement, ça ne reste que des pensées enfermées dans ma tête et c’est déjà moins sombre là-haut que ça l’était il y a dix ans.

Tout ça pour dire que les choses ont progressé, malgré tout. Je cache encore trop de choses et je ne suis vraiment pas subtil ou malin, mais je vois quand mes enfants sont en souffrance ou non. Et je crois qu’ils vont de mieux en mieux. Shizune dit la même chose. Notre séparation n’a pas l’air de les avoir mis trop mal. Quant à mon ressenti… est-ce que cela a vraiment de l’importance ? Si j’avais dû craquer, cela serait déjà arrivé ces dernières années, non ? J’ai trouvé de quoi m’occuper et être bien avec ma famille et je compte bien m’en contenter. Peut-être que l’été prochain, j’emmènerais les enfants à Unys voir leurs grands parents, leurs oncles, tantes et leurs cousins. Oui, ce serait bien. Je pense que ça ira. Que quoiqu’il arrive, on pourra--

drriiiing

Ah. C’est toujours dans ces moments-là que le téléphone sonne de manière étrangement plus sinistre que d’habitude, hein ? Mon-- Ma cousine Eriksen dit que je seul péquenaud à encore avoir un téléphone qui fait « dring » d’ailleurs… peut-être que c’est elle qui appelle d’ailleurs ? J’appréhende car ça fait longtemps et la dernière fois, on s’est pris le chou à propos de son mec (enfin, ex-mec, maintenant, mais on est d’accord, j’ai été con) et la fois d’après, elle m’a dit qu’elle transitionnait et changeait de prénom… et j’ai pas tout compris. Je ne suis pas assez renseigné sur ces sujets-là et si je ne fais rien, on me traitera bientôt de vieux boomer. J’ai pas trop osé la rappeler de peur d’encore dire des conneries qui pourraient la mettre mal. Evidemment, c’est ma cousine. Jill c’est Jill et je l’accepte, hein. Enfin bref. Maintenant, je me suis persuadé que Jill m’appelle, comme pour oublier l’étrange malaise qui m’envahit tandis que je décroche le combiné et que ce n’est pas la voix que j’attendais qui parvient à mes oreilles.

« Euh, allo ? »


C’était, effectivement, pas Jill.


Quelques minutes sont passées. Je n’ai sur prononcer que des « ah » « d’accord » « oui » « merci » stupides jusqu’au moment où j’ai raccroché, sans répondre lorsque le Dr Nikolos a dit quelque chose comme « si vous avez besoin d’aide c’est aussi mon travail d’orienter les familles de mes patients décédés à trouver de l'aide et des spécialistes ».

Alexander est mort il y a quelques heures.

Il me faut m’asseoir pour faire passer le bourdonnement dans mes oreilles. Je me sens mal et ma tête est lourde. J’ai vu flou l’espace des quelques instants. Puis, une panique silencieuse, sourde, me gagne pendant quelques minutes, jusqu’au moment où je me calme et ne pense plus à rien, que ma tête est vide, que je me suis juste mis à fixer le plancher.

En regardant les interstices entre les lattes du parquet, je percute finalement que ça va être à moi d’annoncer à Ludwig que son grand frère est mort. Qu’il s’est tué dans la matinée, après avoir échappé à la surveillance des matons. Qu’ils ont essayé de le ranimer sans succès car il était sans doute déjà trop tard lorsqu’ils l’ont trouvé. On m’a vaguement détaillé la manière dont il s’y est pris mais j’ai déjà à moitié oublié.

Comme l’enchaînement se doit d’être encore plus dramatique, je sursaute en entendant la porte d’entrée s’ouvrir et les voix des enfants qui rentrent de l’école et foncent directement prendre leur goûter. Ils doivent penser que je suis dehors, comme habituellement à cette heure. Je ne peux pas lui annoncer là, maintenant. J’ai besoin de temps. Du temps que je n’ai pas. Il va falloir s’occuper des affaires d’Alex, de l’enterrement ou de… je n’en sais rien, moi… ne me dites pas que je vais devoir me taper une conversation téléphonique avec ce chien de la casse de Nagel père ?! Certainement qu’il est déjà au courant aussi. Bon sang de bonsoir. J’ai besoin de prendre l’air.

Je respire un coup et sors du bureau, prend le temps de garder la face le temps de dire bonjour aux gamins comme il se doit, de m’assurer que leur journée s’est bien passée. Je ne veux surtout pas avoir l’air louche. J’annonce que je dois descendre rapidement chercher quelque chose au centre-ville et que ça ne me prendra pas plus d’une heure. Ils sont habitués et savent quoi faire en cas de problème. Ils pourront jouer à la console en attendant, d’ailleurs, ils ne verront pas l’heure passer que je serais déjà revenu. Sans plus tarder, je monte dans le pick-up et l’amène vers la sortie du chemin de terre, puis remonte un peu vers la montagne, sur une crête toute proche, mais assez loin pour être… eh bah, loin de la maison. Pas assez pour la perdre de vue, ceci dit. On ne sait jamais.

Une fois sorti, je commence à fumer par pur réflexe, pour me détendre. J’hésite un instant avant d’appeler Jill… je me sens ingrat d’appeler comme ça, pour m’épancher sur mes problèmes plutôt que m’intéresser à ce qui se passe dans sa vie. Mais je ne vois pas qui d’autre je pourrais appeler… Shizune, peut-être ? Et si j’appelais juste le père Nagel pour l’insulter dans ma langue maternelle ? Non, c'est stupide et ce serait brasser de l'air. Du coup, je compose le numéro de ma cousine. Je sens que ma gorge se serrer quand la tonalité retentit, mais je suis soulagé d’entendre sa voix lorsqu’elle décroche.

Par où je commence ? Comment je dois faire ? Ce n’est pas elle qui aura les réponses mais malgré moi, j’espère qu’elle me donne les mots magiques à dire à Ludwig pour annoncer la nouvelle sans que cela le détruise. Je ne veux pas assister à ça. Je ne veux pas le voir s’effondrer après tous ses efforts, après tous ses progrès. Je ne veux pas que tout ça fasse de la peine à ses frères et sœurs. Que Marilyn soit encore malheureuse en voyant son frangin au plus mal, qu’Iris et Mikoto soient confus et se sentent impuissants alors que ce n’est pas leur faute et qu’ils sont trop jeunes pour tout ça. C'est bien égoïste, mais je voudrais qu'aucun enfant n'ait à se confronter ainsi à la mort. Mais... je n'y peux rien.

« Euh… Soltan ? T’es là ? »

J’inspire profondément, je reprends brièvement le contrôle.

« Euh. Ouais. Pardon je… »

Le silence à l’autre bout de la ligne trahit l’inquiétude de la Eriksen. Il faut bien que je parle, que j’annonce la chose à quelqu’un.

« C’est… c’est Alexander. Il s’est tué. »
« Quoi ? »


J’entends ma cousine bouger de l’endroit où elle se trouve afin d’être au calme. Pas le genre de causerie où tu mets le haut-parleur en plein apéro terrasse.

« Le frère de Ludwig. »
« Ouais, je sais mais… merde… je.. tu vas faire quoi ? »

Je baisse les yeux, m’affaisse d’avantage sur le capot du véhicule, gratte la terre avec le bout de ma botte. Je sais pas comment lui annoncer un truc aussi difficile à digérer. Je commence à ruminer un peu, dans des propos surement bien confus. Ma cousine écoute sans me couper, sans poser des questions. J’ai la gorge nouée et je sais que ma voix tremble et faiblit par moments, que je me retiens de craquer malgré moi. J’ai encore cette stupide mentalité que je suis l’homme de la maison, de la situation et que ne n’ai pas le droit de faiblir ou de pleurer.

Je me sens bien égoïste, car la pensée qu'il pourrait me détester pour tout ça me traverse et me donnerait presque une excuse minable pour lui mentir. Evidemment que je ne veux pas être celui qui va très certainement le faire pleurer. Toutefois, je serais un bien mauvais père en lui dissimulant la réalité au sujet d'Alex. Je dois trouver les mots. Mais… mais il n’y a pas de manière douce pour transmettre ce genre de nouvelle, pas vrai… ?

« J’suis désolée. Je sais pas quoi te dire. Je… tu vas lui dire, à Ludwig ? »
« Je sais pas comment lui dire. »

Je me crispe. La tête recommence à me tourner.

« Mais bon, bah… j’ai pas le choix, hein ? »

J’aimerais avoir le choix. Mais il n’y a pas même matière à débat. Ça ne fonctionne pas ainsi.

« Il va… ça va le… il va juste être tellement… »


Je sens que l’émotion s’empare de ma voix. Pourtant, ce n’est pas la première fois que j’annonce des mauvaises nouvelles à mes enfants. Quand nous avons annoncé, avec Shizune, qu’on se séparait, Mikoto a pleuré, Marilyn a crié et Iris ne voulait plus nous parler pendant presque trois heures. Ils l’ont mal pris et même si nous avons fait au mieux pour leur expliquer la situation, je pense qu’ils resteront marqués par cet évènement. Annoncer à Ludwig la mort d’une des personnes les plus importantes de sa vie c’est… différent. Les enfants peuvent revoir Shizune quand bon leur semble, mais Ludwig ne reverra plus jamais son grand frère. Il n’aura même pas pu lui parler une dernière fois.

« Ouais, c’est rude. Ça va être dur pendant un bon moment. »

Je sais. Pour ça que je dois être là. Je n’ai pas d’autre choix que de prendre sur moi.

« Je sais. »
« Ecoutes, euh, je sais pas quoi te dire mais… courage et appelles-moi si ça va pas. »

Je veux pas continuer de lui tenir la jambe à chaque fois que ça va mal. En plus, je dois encore m’excuser. Ce que je fais, comme pour changer de sujet temporairement. Ça marche un peu. On finit par parler un peu d’autre chose et elle essaie de me faire ricaner avec son humour cringe de cousine débile. C’est bien joli, tout ça, mais je peux pas retarder l’échéance éternellement. Donc on finit par se dire au revoir et je reste encore un peu là, avec la voiture, pour attendre que le reste de l’heure passe. Et après, il est temps d’y aller.



La soirée se passe normalement. Ranger le goûter en grognant, faire les devoirs, préparer le diner, mettre un film et les regarder vaquer les uns après les autres à leurs propres occupations. Le soir, Ludwig aime bien être tranquille dans sa chambre. Il prend ce temps pour parler avec ses amis sur internet. Il n’y a pas de bon moment pour lui annoncer ça. Donc, je frappe à la porte.

« Lulu ? Je peux te parler ? Euh... ça va ptet prendre un petit moment.  »

Il me laisse entrer et je vois tout de suite qu’il sent que quelque chose cloche quand je ferme derrière moi. D’habitude, je laisse ouvert. Sauf quand j’ai quelque chose à lui dire juste à lui. Il me sourit d’un air serein, mais je le sens nerveux. Il fait part à ses amis en vocal qu’il va revenir, se déconnecte et ferme son ordinateur.

« Qu’est-ce qu’y a ? T’as l’air bizarre ce soir ! »

C’est bien possible ouais, je dois tirer une gueule d’enterrement (sans mauvais jeux de mots).

« Oh, euh… ouais, désolé. Euh… »

Ludwig est sur sa chaise, appuyé sur le dossier qu’il gratte avec ses ongles. Je le sens pas trop à son aise. Il racle le tissu et m’observe m’asseoir sur le lit. Je ne sais pas s’il a déjà flairé la mauvaise nouvelle. Probablement. Mais il fait comme si ne rien était.

« Ludwig, je dois te dire un truc, c’est… »

J’entends presque la voix de Marilyn, qui, si elle était là, se mettrait à scander des « oups, dramaaaaaaaa ». Le sourire du blondin s’amenuise. L’air est devenu lourd dans la petite chambre. Je me mords l’intérieur de la lèvre.

« Désolé de t’annoncer ça comme ça mais, je vois pas d’autre manière de… »

Je prends une pause. Ne pas partir en courant. Ne pas bloquer maintenant.

« Alex est… il est mort. »

J’ose à peine regarder Ludwig dans les yeux. Son visage est devenu livide. L’air est étouffant. Je serre les dents.

« Je suis déso- »
« NON ! »


Son, cri perce le silence. Un cri strident, viscéral, plein de détresse. Il y a un silence. Tout son corps s’est mis à trembler. Un rire nerveux forcé franchit ses lèvres.

« C’est pas vrai… c’est… tu… c’est une blague. Hein, Soltan ? Tu me fais juste une grosse blague de merde ? A-Avoue ? »

Il n'arrive pas à se contenir. Il tremble, sa voix est faible et butte sur chaque mot. Ses yeux sont remplis de larmes et sa gorge bloquée par des hocquets incontrôlables. Je fixe le sol en espérant m’y enfoncer tout entier et disparaître.

« Je suis désolé. Tellement désolé. Je… pardon. Je sais pas quoi-- »

Ludwig pleure quelques instants en silence, le visage figé dans une expression de choc. Il est parfaitement immobile, renifle à peine, fixe le mur opposé d’un œil morne, en laissant les larmes s’écouler. Moi, je fixe mes mains crispées l’une sur l’autre. Elles tremblent, elles aussi.

« Mais on va t’aider. Ça va aller. Je suis l— »

Probablement trop tôt pour lui dire tout ça. Il n’en veut pas.

« MAIS TAIS-TOI ! »

Il se remet à crier pour me faire taire, il a des haut le cœur et peine à trouver sa respiration. Il hoquette et se laisse glisser de sa chaise et tombe à terre. Il fixe le sol en criant et en sanglotant, tous ses gestes ont perdu leur contrôle lorsqu’il se recroqueville brusquement.

« Non… Alex… non… non… ! »

Sa voix s’emporte et s’amplifie entre deux hoquets. Même si je m’efforce de garder contenance, la scène est insoutenable à observer. Je me sens impuissant. Je ne l’ai jamais vu pleurer aussi fort. Je ne l’ai jamais vu avoir aussi mal. Je dois dire, à travers la porte, aux autres qui sont montés à l’étage en entendant les cris, de retourner dans leur chambre pour le moment. Que je leur expliquerais.

Finalement, je m’approche du blondin qui frappe le plancher, éructe des mots incompréhensibles et qu’il ne veut pas voir ses frères et sœurs. Je le vois taper plus fort, attraper ses cheveux brusquement. Il va se faire mal. Il me repousse quand je veux prendre sa main pour l’empêcher de se blesser, il me hurle des choses incompréhensibles. Il veut surement que je parte mais il est hors de question que je le laisse tout seul ainsi.

« Ludwig, f-fais attention, tu vas te faire mal.. »

Derrières ses yeux embués de larmes, ses yeux bleus perçants me fusillent. Il ne veut pas m’entendre. Je vois qu’il m’en veut. Je… je peux le comprendre.

« Fermes-la ! Toi tu…. t-tu le déteste… t-t-tu… t-tu dois être c-content q-qu… ! »

Qu’est-ce que je peux bien trouver à répondre à ça… ? Rien. Je reste immobile. Sa main se dirige vers le lit, il tente d’attraper quelque chose de rassurant. Je lui fais passer une de ses peluches qu’il se met à serrer plus fort. Il hurle dans le coussin et ne semble pas prêt de se calmer. Au moins, il ne se fait plus mal.

Au bout d’un long moment, les pleurs ne retentissent plus aussi fort. Je ne sais pas quoi faire. Est-ce que c’est un bon moment pour m’approcher ?

« Ludwig ? »

Il ne répond pas. Il se tourne vers moi, se remet à pleurer en me voyant. Doucement, je dirige ma main vers son épaule pour l’y poser. Avant que j’ouvre la bouche une nouvelle fois, il se jette dans mes bras et me serre fort. Les cris reprennent de plus belle. Je serre son corps en espérant qu'il s'arrête de trembler, en espérant soulager sa douleur.

« Pourquoi… ? C’est pas juste… pourquoi… ? »

Je ne sais pas pourquoi. Je ne lui aie pas encore révélé qu’il s’est suicidé, comme si c’était l’épargner. Dois-je lui dire ? Je n’en sais rien, je ne saurais même pas l’expliquer, je n’ai aucune idée de ce que son grand frère ressentait pour en arrivait là. Personne ne le saura jamais… c’est sans doute ça, le plus glaçant.

Alex était… quand je l’ai rencontré, je m’attendais déjà à le voir se jeter sous un train un jour ou l’autre. Je ne peux pas dire que je ne comprends pas l’envie de se supprimer. Que je n’y ait jamais pensé… à disparaitre d’un monde bien souvent injuste où tout ce qu’on trouve, c’est la solitude, une famille maltraitante, la mort d’êtres chers, la culpabilité qui ronge jusqu’à la moelle après avoir commis l’irréparable. Oh, je ne plains pas Alexander, non. Pas plus que je ne pleurnicherais sur mon sort. Plus maintenant. Il a cherché à se retrouver seul, à se faire détester et il a réussi. Il a abandonné son petit frère dont il avait promis de s’occuper. Pour lui, il avait décidé de changer. Mais il a simplement replongé dans ses vieux travers et a recommencé à tout détruire autour de lui. Sans jamais assumer la moindre responsabilité.

… Ludwig a probablement raison, quand il dit que je le déteste.

Il a bien fallu que j’éloigne Ludwig de lui petit à petit. Peu importe si c’est ce qu’il désirait au fond de lui-même ou non, c’était évident, que tout le monde lui tournerait le dos un jour ou l’autre. Il n’a jamais été heureux, non, mais il n’a jamais cessé de s’enfoncer plus profond non plus. Il n’a jamais vraiment abandonné l’idée de faire souffrir les autres pour avoir la sensation de se sentir mieux. Evidemment que les choses auraient pu être différentes. Evidemment que ça aurait pu être évité. Mais ce n’est pas de Ludwig, de son daron ou de moi que ce changement dépendait. J’ai beau être parfois sceptique avec la psychiatrie, je pense que le Dr Nikolos a fait ce qu’il pouvait de son côté. Cela fait longtemps qu’Alex sombrait, n’écoutait plus personne et rejetait tous ceux qui lui tendaient la main. C’est bien triste et ce n’était certainement pas la bonne réponse à tous ses problèmes, mais je ne vois pas comment ça aurait pu se finir autrement.

Je me contente de serrer mon protégé contre moi. J’espère que cela peut l’aider à se sentir mieux et un peu en sécurité. Mais je doute que les choses s’arrangent avant un moment. J’ai la gorge qui me fait mal en pensant au pire, s’il recommence à se faire du mal. Je crains qu’il veuille imiter son grand frère, qu’il fugue de nouveau, voire pire. Qu’il ne soit plus jamais heureux.

Ça va prendre du temps. Mais… mais ça va aller mieux un jour, non… ?


***



Annoncer les mauvaises nouvelles est devenu automatique. Marilyn, Iris et Mikoto ont eu besoin d’explications après les crises répétées de Ludwig et le fait qu’il reste cloitré dans sa chambre. Ce n’est pas la mort d’Alex qui les a choqués, mais de voir l’état dans lequel Ludwig est depuis. Ils sont inquiets, c’est bien normal. Je fais au mieux pour répondre aux questions, surtout celles des jumeaux. Marilyn, comme d’habitude, encaisse en silence. Les trois essaient de distraire Ludwig comme ils le peuvent. Ils sont adorables. Je ne leur air rien demandé de spécial (si ce n’est de ne pas poser de question à Ludwig s’il ne parle pas de lui-même de son grand frère et de sa mort), mais mes trois enfants sont attentifs. J’espère que ça aide Ludwig. Je pense que ce doit être difficile pour eux aussi, de me voir aussi concentré sur le Nagel ces derniers temps et de prendre sur eux… et je ne parle pas des formalités administratives et de toutes ces histoires d’obsèques.

J’ai eu le père Nagel au téléphone, évidemment et autant dire que je ne garde pas mon calme. Ai-je vraiment besoin de préciser qu'en dehors d'un "ah, c'est malheureux... mes condoléances", il a eu l'air de s'en carrer royalement. Comme d'habitude, il fait comme si tout ça ne le concernait pas. Mais je ne vais pas m'appesantir là-dessus quand j'ai plus important à penser. Je n’étais plus proche d’Alex depuis longtemps, mais il a laissé des affaires et une lettre, dans laquelle il a été très clair : il ne voulait pas être enterré dans son pays d’origine. Il ne voulait pas être enterré du tout, d’ailleurs, mais incinéré car il l’a écrit : « ça fait trop religion, la religion c’est ennuyeux et j’ai pas envie d’être associé à un truc ennuyeux et le feu au moins c’est flashy puis bon c’est symbolique ». ..Oui, moi non plus, j’ai pas trop compris.

Ce qui reste de ses affaires, des choses concernant ses Pokémon, aussi, tout ça ira à Ludwig quand il sera prêt. Je n’ai pas lu la lettre qu’il a destiné à son petit frère spécialement (mais peut-être que je devrais, histoire de m’assurer qu’il n’y a rien de trop sensible dedans), même si tous ces documents ont déjà été inspectés minutieusement. Il a fallu se farcir les flics et d’autres démarches… j’ai pu voir le Dr Nikolos qui a renouvelé sa proposition d’une entrevue avec Ludwig, à l’occasion. Mais j’ai l’impression que ce serait remettre du sel sur plaie tant que le blondin n’est pas prêt.

Franchement, j’ai aucune idée de si je fais les choses correctement. Je suis sur pilote automatique, une fois de plus et organiser des obsèques ce n'est pas ce qu'il y a de moins rébarbatif. Il n’y aura pas grand monde, mais je le fais pour Ludwig. Lui veut être là, il veut dire au revoir à son frère. Peut-être dire quelques mots. J’espère que ça l’aidera, dans le futur, à tourner la page.

Après une journée encore chargée, je frappe à la porte de mon protégé comme tous les soirs. Heureusement que j’ai employé plus de monde cette année à la ferme, qui ont accepté de prendre plus d’heures pour compenser pour ces prochaines semaines. C’est un peu la honte, de me reposer ainsi sur eux, mais c’est pas comme si j’avais trop le choix.

Une fois entré dans la chambre de mon protégé, qui ne semble toujours pas avoir fait de nuit correcte depuis la mauvaise nouvelle (et je crois que dans cette maison, nous sommes tous un peu dans la même situation). Il comate dans son lit en regardant ses dessins animés sur l’ordinateur. Il a été malade toute la semaine et fait peine à voir.

Je me permets d’entrouvrir la fenêtre pour laisser entrer l’air, range un peu les assiettes, tasses vides et autres trucs bazardés sur le bureau et par terre avant de finalement me poser sur la chaise du bureau, le carton d’affaires sur les genoux. Ludwig ne dit rien et garde ses yeux rivés sur l’écran, un peu trop crevé pour réagir normalement aux stimuli ou à ma présence tout de suite. Après un moment, il lève le nez et m’observe d’un œil morne.

« Qu’est-ce qu’y a ? »

Je me fige nerveusement l’espace de quelques instants. Puis, j’ouvre doucement le carton sur mes genoux, fouillant un peu sans trop savoir ce que je cherche.

« Bon, du coup, j’ai fait beaucoup de démarches chiantes, mais voila, euh… c’est les affaires d’Alex. Enfin, c’qu’y reste. Nikolos, enfin, le psychiatre, il a dit qu’il voulait te les donner. »

Je ne m’attendais pas à voir le regard de Ludwig s’illuminer légèrement. Il pose son ordinateur et se rapproche en restant sur son lit. Je lui tends le carton et il commence à l’inspecter. Il n’y a pas grand-chose, en dehors de bouquins et de carnets griffonnés avec des trucs qu’Alex voulait écrire.

« Oh, c’est ses pièces de théâtre… »

Ludwig feuillète longuement les pages.

« Il écrivait vraiment pas bien, c’est illisible… ! »

Un semblant de sourire passe sur ses lèvres. Il émet même un rire un peu forcé. Je ne m’attendais à ce qu’il réagisse si « bien ». Il observe les bouquins de cours d’un air un peu sceptique, sort le reste des ouvrages, puis tombe sur un vieux cahier miteux, tout au fond du carton. Il l’observe, les pages collent et sont pleines de poussière et il a du mal à l’ouvrir. A force de batailler avec le calepin, le blondin fait tomber quelques pages sur ses draps. Il s’en saisit, prêt à les remettre à leur place, puis se fige devant ses nouvelles trouvailles. Je vois ses lèvres trembloter et les larmes se remettre à couler sur ses joues. A la manière dont il rassemble les papiers, je devine qu’il s’agit de vieilles photos. En voyant qu’il est submergé par l’émotion, j’hésite à rester.

« Tu veux que je te laisse… ? »

Il ne dit rien, se contente de regarder les photos en reniflant, lâchant un sanglot de temps en temps. Un moment plus tard, il reste fixé sur une photo.

« Je… je pensais pas que Alex avait gardé autant de photos de moi. »

Il se rapproche de moi pour me les montrer. Ce sont des jolies photos. La plupart remontent à presque 10 ans de ça, quand Ludwig avait commencé à vivre avec son frère, près d’Amanil. Des photos de leurs balades sur les falaises, de Ludwig qui joue avec les Pokémon d’Alexander, d’eux deux dans divers endroits : en visite aux ruines, dans un parc d’attraction avec chapeaux improbables… Riku est là aussi, parfois. Je me demande ce qu’elle devient. Je devrais l’appeler pour lui parler de tout ça et lui proposer de venir passer quelques vacances ici.

Je ne sais pas si je devrais dire quelque chose. Ludwig renifle encore, avant de se remettre à parler.

« C’est bizarre. »

En l’observant, je vois qu’il a cessé de pleurer. Il est toujours bouleversé mais il a l’air d’avoir réalisé quelque chose. Bizarre ? Ça doit faire un drôle d’effet de revoir tout ça, après des années.

« J’ai l’impression que… que tout ça, c’était un rêve. Pas un mauvais ou un bon rêve mais juste… un espèce de truc que je sais pas si ça a réellement existé. C’est… c’est vraiment triste, mais en même temps… Je me sens… complètement décalé de tout ça. »

Ne sachant pas trop ce qu’il veut dire, je le laisse continuer.

« Tu sais, en fait, depuis déjà un moment avant qu’il… »

Il déglutit et a un léger haut le cœur. Reniflant à nouveau, il reprend.

« Enfin… je sais que sur les photos c’est pas… c’est pas le vrai Alex. Mais… »

Pas le vrai Alex ? Je sais pas trop de quoi il parle, enfin… sauf s’il veut dire qu’Alex a toujours eu tendance à jouer la comédie.

« Mais je sais pas… le Alex en prison, c’est… c’est pas vraiment mon grand frère non plus. »

Il baisse les yeux. Il a l’air trop épuisé pour se remettre à pleurer. Alex allait vraiment mal pour terminer ainsi. Il a toujours été déconnecté de la réalité et je ne vais pas excuser ses actes pour autant. Je peux comprendre qu’on dise qu’on ne savait pas vraiment qui il était, au final.

« Je sais pas… je suis paumé… depuis une semaine, j’essaie de me rappeler de tout ce que j’ai vécu avec lui et… ça fait mal, parce qu’il sera plus jamais là mais aussi parce que… je sais pas si c’est vraiment à lui que je pense ou... à un rêve qui était un peu trop vrai. »


Il se rapproche de moi pour avoir du réconfort et je lui donne en m’asseyant à côté de lui, passant mon bras autour de ses épaules.

« Alex il… il a toujours été tout seul, hein… ? Même avec moi et Riku… quand je regarde les photos c’est… il était pas vraiment là… toujours… toujours dans sa tête. »

Je vois ce qu’il veut dire. Dans toute la détresse que doit lui apporter la nouvelle de cette mort, il doit prendre conscience de certaines choses. Certainement se remémorer certains évènements d’une autre manière, je sais pas… je me rappelle que quand pépé Horatio est mort, je savais pas comment me sentir aussi. Je voulais qu’on se rappelle de lui positivement, mais en même temps, il a fallu qu’il meure pour que je regarde en face toutes les saloperies dont il était aussi capable. Il m’a fallu du temps pour tourner la page et faire le tri dans tous ces sentiments contradictoires, cela dit.

« Même quand on est avec lui… au final, lui, il est jamais vraiment là. Et je… j’aurais bien aimé pouvoir l’aider. »

Je commence à comprendre. Je ne dis toujours rien, même si j’ai envie de dire que ce n’était pas à lui d'aider son frère. Je sens Ludwig se crisper en se blottissant contre moi.

« Je pense à lui… tout seul en prison. Ça doit être horrible, de mourir comme ça. Mais… c’est pour ça qu’il est mort, hein ? En même temps… s’il était en prison, c’est bien car il a dû faire des choses… enfin… tu sais… »

Des fois, je me dis que j’aurais peut-être dû en parler plus crument à mon protégé, de la situation de son frère. Mais je ne sais pas trop. Comment faire comprends à un enfant d’à peine dix ans (et en admiration totale sur son grand frère) que la personne dont il était le plus proche et dépendant tuait et torturait pour gagner sa croute et le nourrir ? J’ai pas voulu et c’était peut-être irresponsable. Ludwig n’a jamais voulu voir les dossiers concernant ce qui a mené Alex en prison. Même s’il a été longtemps dans le déni, le blondin n’est pas aveugle. Il m'a déjà dit qu'il a perdu de nombreuses nuits de sommeil à essayer de comprendre, à imaginer le pire, a préférer les cauchemars plutôt qu'on lui expose les faits. Ca lui faisait peur mais je sais qu'il a fini par savoir, du moins, dans l'idée générale. Il l’a rapidement compris : on ne prend pas 25 piges pour rien.

« C’est… à cause de tout ça… il était dépressif comme moi. Et il avait… tellement de… de problèmes, dans sa tête. Il devait vraiment souffrir pour… »

Il a aussi bien compris, à force que je prenne d’énormes pincettes pour le dire, qu’Alex s’était suicidé. Peut-être se sent-il coupable de ne pas avoir compris plus tôt que son frère en arriverait là. Cela me peine de voir Ludwig s’en vouloir pour tant de choses… tant de choses pour lesquelles il n’est aucunement fautif.

Il y a un long silence. C’est pesant, presque douloureux. Je repense aux lettres qu’Alex a laissé et je me dis que c’est peut-être le moment de parler de ça à Ludwig. Je vais sûrement reprendre beaucoup de choses que m’ont dites ma cousine et Nikolos, car je ne saurais pas trouver les bons mots par moi-même, en espérant que ça aidera mon protégé.

« Tu, euh. T’as pas à trouver les réponses maintenant. Ça va prendre du temps tout ça, et, euh, bah, c’est normal. Et euh, surtout… »

Je déglutis, le sachant pendu à mes paroles.

« C’est pas ta faute. Ça a jamais été ta faute. C’était pas à toi de le sauver non plus, d’ailleurs. »
« Bah… c’est trop tard, toute façon... »


Je vois bien que ça le bouleverse. Il ne retient pas de nouvelles larmes.

« Pardon je… je sais pas quoi dire mais, euh… Je sais que là, tu dois te dire que ça va toujours être la dépression, mais… »

Je me dis que peut-être, si je lui parle de la mort d’Horatio, ça va l’aider… ?

« … Quand mon grand père est mort, je me disais que je serais triste toute ma vie. Mais, petit à petit, ça s’est arrangé. Parce que je me suis rendu compte que je pouvais aller bien sans lui. Que j’étais plus fort que ce que je pensais. »

Je marque une pause puis je regarde mon protégé. La suite va sonner mélodramatique.

« Toi aussi, faut que tu saches que tu es fort. »
« C’est pas vrai… je suis trop nul, j’arrête pas de pleurer et… et… »


Je le vois sangloter et je comprends qu’il ait du mal à me croire, dans son état actuel.

« Non, je t’assure. Tu es vraiment fort, Lulu. Tu es une des personnes les plus fortes que je connaisse. »


Il ne dit rien dans un premier temps. Il sourit faiblement puis son regard dévie à nouveau pour fixer le vide.

« …Moui… mais ça sert à rien d’être fort, là. »

Je me sens naze avec mes certitudes de vieux boomer. C’est vrai, ça doit lui faire une belle jambe, d’être fort, vu la situation. Ça lui prendra certainement moins de temps, à Ludwig, pour se remettre. Dans mon cas, le fait que rien n’allait pendant si longtemps n’était pas seulement dû à la mort de pépé. Ludwig est… il est courageux et intelligent. Il s’est remis de bien des choses difficiles et j’ai envie de croire qu’un jour, ça ira mieux.  

« Je veux dire… les choses ne restent pas… tu- c’est normal que tu sois triste et tu as le droit d’être triste, hein. J’veux juste que tu saches que t’es pas tout seul, on est là pour toi et—euh .. bah, que les choses finiront par s’améliorer. »

Si même un abruti comme moi a fini par accepter le changement, c’est que tout le monde en est capable.

Je me masse la nuque, embarrassé de buter sur les mots comme un gamin, alors que je suis censé faire mon taff de tuteur, d’adulte responsable. Mais bon, j’avoue, c’est demandant émotionnellement, tout ça. Enfin… en ayant des enfants, c’est quelque chose à quoi fallait m’attendre… y’a encore même pas 10 ans, j’étais débile, immature et je ne m’attendais vraiment pas à devoir tant m’enrichir de ce côté, à retrouver l’envie de vivre ainsi. Mais, honnêtement, aujourd’hui, je ne sais pas comment je survivrais sans ça. Je ne voudrais pas que les choses soient autrement. A part pour ce foutu spectre de la mort qui ne cesse d’aller et venir dans mon entourage, évidemment.

« Alex a aussi laissé une lettre pour toi. Tu pourras la lire quand tu voudras mais… enfin… si tu veux, je vais vérifier avant si y’a rien de trop sensible dedans… ? »
« Une lettre… ? »


Car au final, il s’agit ni plus ni moins d’une lettre écrite avant un suicide. Je veux dire… j’ai pu en lire et c’est plutôt violent. La Eriksen n’allait vraiment pas bien, fut un temps. Heureusement, elle a renoncé. Mais je n’imagine pas ce que ça doit faire quand l’auteur de la lettre est déjà mort.

« Je sais pas… je crois pas que j’ai la force de lire ça. »

Intérieurement, je suis un peu soulagé qu’il ne veuille pas lire la lettre tout de suite.

« Ok. Bon… sinon, je sais que c’est un sujet chiant et pas marrant du tout mais… concernant les, euh… bah… »

Oui, bon, aller, dis-le.

« Les obsèques. »

Quel mot à la con.

Je sens Ludwig se tendre. Il n’a pas l’air très à l’aise. Je ne vais pas le forcer à quoique ce soit. Cependant, ça pourrait peut-être l’aider pour faire son deuil. Du moins, c’est tout ce que je souhaite.

« …Euh… On peut pas attendre un peu ? »

Erh. J’aimerais bien. Mais on n’a pas non plus l’éternité, malheureusement. Je crois pas que ce soit une très bonne idée de faire trainer ça en longueur non plus.

« Bah… pas éternellement, non. »
« Ah… »


Ça lui fait pas plaisir, je le vois bien.

« Mais, euh, je me disais que tu voudras peut-être écrire quelque chose pour le lire… ? Y’aura vraiment pas grand monde en dehors de nous. »
« Mais écrire quoi ? »

J’hausse les épaules. Je me rappelle bien des obsèques de Pépé Horatio. C’était complètement bondé de militaires ronds comme des queues de pelles, ça puait le tabac partout et on a tous fait nos discours comme des bons petits soldats. C’était trop sollenel et je me rappelle que j’ai regretté de ne pas avoir dit tout ce que j’avais le cœur.

« Ben, ce genre de trucs c’est… si t’as des trucs à dire à Alex, c’est l’occasion. Ou si tu veux dire ce qui te pèse... ce genre de trucs. »
« Ah. »


Sans grande surprise, il n’a pas l’air follement enthousiaste.

« T’es pas obligé. Le Dr Nikolos a dit que, euh, même si tu veux le garder pour toi, ça pourra te faire du bien d’écrire tes… enfin, tu vois. Tes émotions, quoi. »

Hahaha, c’est ironique que ce soit moi qui conseille de parler de ses émotions à quelqu’un. Faites comme si je n’étais pas le dernier des hypocrites pour le moment, ok ? C’est bon, hein, c’est pas le moment. Ludwig ne répond pas et reste blotti contre moi. Il porte ma main jusqu’à ses cheveux et s’endort en peu de temps. Je souris doucement en le regardant faire. Il me semble un peu plus serein, pour la première fois depuis quelques jours.
Ludwig Green
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Ven 6 Jan 2023 - 22:14
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Ludwig


Bon… on y est. Si je veux dire au revoir à Alex, c’est maintenant. Je me lève et je regarde les gens dans la petite salle où nous nous sommes rassemblés pour les obsèques. Il n’y a que des gens que j’aime et je me sens protégé. Je crois que… ça va aller. Ça va être nul pendant un bon moment mais… mais à la fin, tous ces gens seront encore là, pas vrai… ?

« Tu voulais dire quelque chose ? »

Sur mon siège, je me sens tout petit au milieu de notre groupe venu pour Alex… enfin, apparemment, ils sont plutôt là pour moi. Soltan, Marilyn, Mikoto, Iris, Riku, Lise, Alice… ce n’est pas que je ne veux pas qu’iels soient présent.e.s, mais je n’ai pas très envie qu’on entende ce que j’ai à dire à mon frère. Après un petit moment de silence, je me lève et me tourne vers mon tuteur.

« … je peux rester tout seul avec lui ? »

Sans discuter et après s’être assurés que tout irait bien, Soltan et Riku me disent d’appeler si j’ai besoin de quelque chose, puis accompagnent les autres dehors et je me retrouve seul à côté de la boite ouverte. C’est… si bizarre, comme endroit. C’est un peu glauque mais tellement silencieux. J’entends ma respiration, comme si elle résonnait dans cette pièce trop grande. Mon cœur bat fort, lui-aussi. Tellement de personnes mortes doivent être passées ici… et moi, je me sens bien vivant. C’est si calme. Si angoissant et serein en même temps.

Je ne sais pas combien de temps s’écoule dans ce silence, pendant lequel je me tienstout raide, assis sur ma chaise, juste à observer la boite de loin. Je n’ai pas encore osé regarder le cercueil ouvert. Bien sûr, je veux voir son visage une dernière fois. Mais… je sais qu’il n’y a qu’un cadavre dans cette boite. Qu’il ne va pas se relever comme un ressort et crier un « surpriiiiiiise » (il en aurait été capable, avec son humour parfois un peu douteux).

Tandis que je me lève enfin de ma chaise, j’en viens à me demander si les fantômes existent, si Alex me regarde, là, quelque part, à flotter au plafond sans que je ne puisse le voir une dernière fois. J’ose à peine m’en approcher pour le moment, mes pieds sont cloués au sol. Je sais que si je m’approche, ce sera pour dire au revoir. Est-ce que je suis prêt pour ça ? Qu’est-ce qui va se passer, ensuite ? Combien de temps est-ce que je penserais encore à Alex ? Est-ce que je vais finir par l’oublier ? Je ne peux même pas concevoir ma vie sans lui, sans son souvenir. L’idée même me fait peur. Jamais je ne pourrais. Une vie sans Alex… j’ai cru que jamais cela serait possible. Et j’ai l’impression que je flotte seulement, depuis quelques semaines. Que je n’existe qu’à moitié. Pourtant, aujourd’hui, je suis là, bien vivant.

Vivant, oui.

Je pense à Irina, aussi. J’ai l’impression que la mort a toujours été très présente, dans notre famille. Qu’elle était presque comme un personnage à part entière. Qu’on lui donnait corps, malgré nous, que certains l’alimentaient, même, à leur manière. Quand j’y pense, Helmut a toujours semblé obsédé par la mort et Alex aussi… enfin, c’est ce que Riku a dit, un jour. Je crois que… ils m’ont peut-être un peu transmis ça aussi. Ces dernières semaines, une question m’a fait perdre le sommeil en repensant à ma fratrie, à ce que nos parents nous ont fait : pourquoi moi ? Pourquoi est-ce que c’est moi qui ait survécu, entre nous trois ? Est-ce que si je n’étais jamais né, Alex serait encore en vie ? Est-ce qu’il aurait fallu que lui et moi, on ne se rencontre jamais, pour que tout s’arrête de merder dans notre famille ? On saura jamais et c’est sans doute un peu stupide d’aller si loin dans l’exercice de pensée… mais des fois je me sens mal d’être le seul qui a eu le droit à une vie « normale », ces dernières années.

Je me rappelle soudain la lettre d’Alex, qui était avec ses affaires, que j’ai lue avant de venir. Alex… maintenant, je sais qu’il voulait que je survive. Que je vive.

En me rappelant sa lettre, que je garderais sur moi encore longtemps, je me sens envahi d’un nouveau courage. D’une nouvelle force de vivre. Je bouge enfin, m’approche de la boite sans plus trembler. J’inspire profondèment et observe le cercueil ouvert. Je pensais être choqué à point d’avoir la nausée mais… je me sens un peu soulagé. C’est assez bizarre. Je sais qu’Alex est mort, que j’ai son cadavre bien habillé et maquillé juste devant moi. Mais au moins… c’est lui. Et il n’a pas l’air de souffrir, il a l’air paisible (enfin, évidemment, les gens chargés de l’embaumer ont bien fait leur travail). C’est moins impressionnant que ce à quoi je m’attendais. Je ne sais pas quoi ressentir et je reste sans rien dire, à observer mon grand frère. J’avais presque oublié qu’il n’avait plus les cheveux blonds comme avant. Il m’a l’air… étrangement vieux, pour ses 35 ans.

« …Alex ? Tu m’entends ? »

Mes mots résonnent si bizarrement. Je cligne des yeux, me sens un instant un peu stupide.

« Non, tu m’entends pas. Mais bon. Moi j’ai quand même des trucs à te dire. »

Je fouille dans mes poches.

« Je… j’ai même écrit une lettre, comme pour répondre à la tienne ! Bon… je suis pas très doué avec ces trucs-là, hein. Mais bon… toi non plus, héhé ! »

Je me surprends à rire un peu, triste mais sincère. Je baisse les yeux sur ce que j’ai écrit. J’ai l’impression que rien de tout cela n’a de sens… peut-être bien, que non, après tout mais… on s’en fiche, non ? J’inspire profondément.

« Cher Alex… »

Ma gorge n’est pas sérrée comme je m’y attendais. Alors je continue.

« Au moment où j’écris cette lettre, je suis… vraiment pas bien. Je suis vraiment triste que tu sois plus là. Je n’ai… j’ai même pas pu te dire au revoir pour de vrai, c’est pas juste... ! »

Mes mots me semblent stupides. Ça me frustre, ça me met presque en colère. Je devrais trouver des mots plus jolis, mieux formulés.

« Tu sais ce que je me suis dit, en écrivant ma lettre ? Que… que c’était pas juste, que y’ait que moi qui soit encore vivant. C’est horrible, non ? En plus, je crois que c’est… c’est pas normal, quand même, à mon âge que… que je pense autant à la mort des gens que j’aime comme ça. »

Je me mords la lèvre en sentant mes yeux me faire mal. Je veux pleurer, mais pas de tristesse.

« C’est… est-ce que c’est horrible, si je te dis que… que je t’en veux un peu ? »

Je renifle en sentant les larmes couler. Je reste ainsi un moment.

« Je… je sais pas… mais le Dr Nikolos a dit que… que je devrais dire ce que je ressens. Même si c’est pas forcément positif. »

Je prends une courte pause.

« En vrai… je t’en veux pas juste « un peu ». Je… »

Je me sens soudain coupable. Mais… mais quand j’y réfléchis… j’ai un peu le droit de me sentir en colère, non ?

« Tu m’as beaucoup menti. Des fois… je me disais que tu étais comme pap—comme tu sais qui. »

Je ne prononcerais pas son prénom ici.

« Puis… je me suis dit que j’allais lire ta lettre. Parce que j’espérais que… j’allais comprendre qui t’étais, enfin. »

J’inspire profondément.

« Comme moi, t’as pas eu une enfance facile. Le… les darons, ils nous détestaient tellement. Ils voulaient pas s’occuper de nous… Je les déteste tellement aussi. Des fois je suis tellement en colère que j’arrive pas à dormir, que je veux tout casser, crier sur tout le monde et… enfin… comme toi. »

Nouveau silence.

« Quand tu as dit que tu allais t’occuper de moi… je me suis dit qu’on aurait plus jamais de problèmes. »

Encore aujourd’hui, je repense à cette époque comme à un rêve étrange. Doux, mais amer. Dans tous les cas, ça ne m’a pas l’air d’être réel.

« Tu étais gentil avec moi… personne n’avait été gentil comme ça avec moi, avant, sauf peut-être Ellias et tonton Hanz. C’était pas toujours parfait avec toi… tu n’as jamais voulu me dire ce que tu faisais comme métier. Tu me mentais déjà beaucoup… Bon, maintenant, je sais un peu mieux pourquoi tu préférais rien dire. »

Encore cette colère qui revient par intermittence.

« Avec toi, c’était toujours des secrets, des cachotteries. »

Je me suis toujours demandé pourquoi.

« Peut-être car… je crois que t’étais toi-même perdu. Et que c’est pour ça que… eh bah… que tu as fini par… »

Je déglutis difficilement. Comment je peux encore réussir à pleurer avec tout ce que j’ai lâché ces dernières semaines ?

« Enfin. Je… je devrais pas parler de trucs tristes, hein ! On est là pour se souvenir de toi en bien avant de te dire « au revoir », non ? »

Je pensais sincèrement que ce serait ça. Que j’écrirais des trucs ultra positifs. Mais je me suis rendu compte que… qu’il y avait tellement pas que ça, depuis mes discussions avec Soltan. Pas que du beau. Pas que de l’amour. Y’avait… beaucoup d’amertume. Beaucoup de violence, même. Et que… que parler que du beau c’était comme si je parlais juste des mensonges d’Alex. Sans parler de moi, de ce que je ressens. J’aurais voulu qu’il sache, en fait, ce que je ressentais. Qu’il sache que j’allais mal. Que j’ai eu envie de mourir. Que sans Soltan et mes frères et sœurs, sans Alice, sans Lise, sans Riku je… je ne sais pas où je serais.

« C’est bizarre, parce ce que… en écrivant ça, je me suis dit que j’allais parler de mon enfance. Des choses belles qu’on a vécu tous les deux. Du fait que tu me cuisinais des bonnes choses. Que tu chantais bien. Que tu racontais bien les histoires. Que tu me faisais toujours rire quand j’étais triste. Mais, maintenant que tu n’es plus là, j’ai… j’ai l’impression que tout ça… que tout ça était un peu faux. Que ce n’était pas vraiment toi. »

J’aurais tellement aimé que ce soit lui. Qu’Alex ait été la personne incroyable que je pensais qu’il était. Enfin… il était incroyable. A sa façon. Mais…

« Le vrai Alex… c’était pas vraiment le grand frère dont j’ai rêvé. Que j’ai mis des années à regretter. A espérer qu’il revienne. Je sais pas quoi ressentir. Enfin, si… j’suis en colère. Parce que c’est pas juste de mourir comme ça mais aussi… je suis en colère contre toi, Alex. »

Mes poings se ferment. J’ai mal au cœur et l’envie de partir en courant me prend temporairement.

« Alex… pourquoi tu m’as laissé comme ça ?! »

Sans le vouloir, j’élève la voix.

« T’avais promis… t’avais dit que… !! »

Je tremble un peu. La colère me noue la gorge un moment. Je couvre ma bouche avec ma main pour étouffer un sanglot. Je laisse les larmes couler. Je sais que je ne suis pas obligé de continuer. Je crois que je viens de sortir de moi ce qui était le plus compliqué à dire, à admettre. En colère oui… ça fait longtemps que je me sens ainsi et je suis épuisé de le cacher. Je suis épuisé de faire croire que je trouve encore du positif dans toutes ces histoires de famille, dans le fait que mon grand frère m’a abandonné pour… pour quoi en fait ?! Et en même temps… aujourd’hui, je suis tellement moins en colère qu’avant. C’est même super bizarre comme, malgré la tempête dans ma tête, je me sens étrangement serein et en contrôle. C’est vraiment la journée des émotions contraires.

« Je voulais vraiment trouver quelque chose de moins triste à dire, en fait. Mais… je… j’aurais l’impression de mentir. De me mentir à moi. »

Comme si… comme si je continuais encore à l’attendre. Comme après le jour où il m’a laissé.

« Mais… j’ai quand même lu ta lettre. Même si je suis pas moins en colère je… je sais que… qu’à la fin, tu voulais que… »

Je sors la lettre que j’ai gardé au fond de ma poche depuis quelques jours. Mes doigts tremblent lorsque je déplie le papier.

« « Désolé pour tout ce que tu as vécu à cause de mes bêtises et mes mensonges. S’il te plait, vis une plus belle vie que moi. » »

Je me contente d’articuler les mots qu’il a inscrit d’une écriture tremblante. Je lis, à peine audible. Ces mots sont pour moi seul.

« Donc… Alex, je sais qu’au fond, malgré tout… tu tenais à moi. Tu voulais que je sois heureux. »

Je poursuis, d’un ton presque rassurant. Comme si c’était encore à moi de le rassurer, même maintenant qu’il est mort.

« Je… le psy a dit que je ne vais pas guérir tout de suite, mais… je suis bien entouré. »

Je repense à ces dernières semaines. J’étais très mal mais jamais je ne me suis senti seul. Jamais autant que j’ai pu l’être avant, quand Alex était là.

« Si je peux dire tout ça, si j’ai encore un peu de force, c’est parce que… ma vie, maintenant, elle est vraiment mieux qu’avant. J’ai… j’ai une famille géniale, que j’ai choisi. Alors je sais que… »

Je réalise soudain ma chance. Je n’ai qu’une envie, c’est terminer cette lecture et aller me réfugier dans les bras de Soltan et Riku.

« Quoiqu’il arrive, ça ira. J’aurais une belle vie. »

Je n’arrive pas à me retenir de m’effondrer en sanglotant alors que je tourne les talons pour rejoindre les autres. C’est dur. Je serais surement content d’avoir dit tout ça, un jour. De m’être soulagé le cœur ainsi, même si tout reste extrêmement confus dans ma tête. Que je n’arrive pas bien à croire ce que je viens de dire.

Quelques instants plus tard, les bras de Riku m’entourent et ses doigts caressent mes cheveux. Soltan est là et me tient la main en me félicitant. Je suis en sécurité. Je sais que ça va aller.

Le reste de la cérémonie s’expédie assez vite. Je garde la boite dans laquelle se trouve les cendres d’Alex pour le moment. Je ne sais pas trop ce que je vais en faire. On rentre vite à la ferme avec tout le monde pour manger. C’est un peu bizarre au début, mais comme la bouffe est bonne, qu’on est tous ensemble, ça met du baume au cœur. J’ai même un peu trop mangé, je crois, j’ai mal au ventre. Mikoto, Marilyn et Iris sortent pour jouer et faire les idiots avec Riku pendant que je reste sous le porche à les regarder. Je crois qu’y jouent à une sorte de baseball… ? Ah, non, Marilyn commence à taper sur des bouses de vache avec sa batte pour éclabousser Riku… typical Marilyn. Hihi.

Au bout d’un moment, Soltan finit par me rejoindre, après avoir fini la vaisselle. Je lève le visage vers lui et prend sa main. Il me sourit en coin avec cet air un peu gêné qu’il affiche souvent.

« Je suis fier de toi, tu sais. »

Je renifle un coup. Ça ira mieux un jour.

« Papa ? »

Je réalise soudain ce qui me semble pourtant évident depuis des mois. J’ai l’impression que les choses ont toujours été ainsi. Que je suis avec ma famille. Que ça n’a jamais été autrement, malgré tout ce qui s’est passé. J’ai la sensation que… c’est bien. Que j’ai bien choisi.

« Je t'aime. Merci pour tout. »

Il passe une main dans mes cheveux et me sourit. J’ai hâte que Soltan soit officiellement mon père. J’ai hâte de finalement vivre ma vie à moi. Quand j’irais mieux.

Alex

What if?
We just hadn't said goodbye?
Would your love now
Have been as good as mine?
Would I still think
Love is impossible to find?


Et voila, c’est fini. Enfin, presque. J’allais pas vous faucher compagnie sans un épilogue un peu cynique, tout de même.

Mon corps a déjà cramé et mes cendres seront jetées je ne sais pas où. Je me sens vide. Lourd. Rien à voir avec la libération que je m’imaginais quand j’ai échafaudé tout ce super plan pour me donner la mort tranquille, pépouze. Beaucoup trop d’énergie mise dans une idée somme toute quelque peu merdique. Parce que, évidemment, c’est maintenant que je regrette. J’aurais pu… c’est trop tard pour utiliser le conditionnel, je le sais, hein, mais bon.

Au final, je… je ne sais pas si j’aurais réussi à tout changer. Le doute était devenu trop grand, l’abîme trop insoutenable à regarder, alors que je n’arrivais même pas à trouver quelque chose qui me donne envie de me lever le matin. Je n’aurais pas réussi à trouver un sens à ma vie pour tenir encore 20 ans, avant de sortir de derrière les barreaux et repartir à zéro. Je n’arrivais plus à espérer une vie meilleure après tout ce qui s’est passé. Et pourtant, avec le recul… un monde où tout le monde m’aurait oublié, peut-être que ça n’aurait pas été si mal. Si ce n’est pas ironique. Moi qui voulais que tout le monde m’entende, me voie. Je voulais être célèbre à jamais par mes crimes, quitte à être méprisé dans le futur. Moi qui regardais avec suffisance les gens qui se laissaient mourir car ils finissaient par ne plus supporter l’enfer que ça peut-être d’être seul, isolé sans personne pour nous tendre la main… J’ai l’air fin, maintenant.

Pourquoi est-ce que j’ai fait tout ça ? Pourquoi est-ce que j’ai tant tué ? Pourquoi j’ai toujours ressenti ce besoin d’être si cruel ? Pourquoi je n’ai pas pris un autre chemin ? Pourquoi rien d’autre n’a jamais fait sens dans ma tête, alors qu’on m’a plusieurs fois tendu la main, proposé de me montrer un monde plus accueillant ? Honnêtement, j’en sais rien. Aucune excuse ne fait sens. Aucune excuse ne sera jamais suffisante. Et d’ailleurs je n’ai aucun désir de faire amende honorable. Soyons honnêtes… je n’ai pas de remords quant aux morts et aux souffrances que j’ai provoquées. Je me fiche bien trop des autres pour ça. Même en m’inventant une personnalité de grand frère qui en a quelque chose à faire, ça n’a pas marché. Mais j’ai emporté tout ça avec moi et le sens de mon geste avec. Personne, moi compris, n’aura jamais les réponses. Et… c’est peut-être pas plus mal. Les gens comme moi ne valent pas vraiment la peine qu’on s’attarde trop sur eux.

Pas de remords. Mais des regrets, oui.

Car j’aurais aimé le réaliser avant. Que malgré tout, j’avais une place en ce monde. Quelque part, peut-être. J’ai… j’ai fait des mauvais choix. Trop de mauvais choix. Ou peut-être que, au contraire, j’aurais dû accepter de choisir autre chose que la facilité offerte par la lâcheté plus souvent… ?

Ça n’a plus d’importance. Maintenant que je ne suis plus… j’espère que Ludwig m’oubliera un jour, lui aussi. J’observe encore quelques instants le petit blond et son daron le fermier se tenir la main sous le porche. Suis-je un fantôme ? Vais-je errer ? Après tour ça, je vous avoue que, dans l’absolu, j’ai un peu la flemme de devenir un Polthégeist ou d’hanter les gens… je pourrais peut-être devenir un Funécire ? Posséder une peluche avec un sourire de creep comme le mien et me faire Brannette ? Je ne sais pas. Tout ça n’a plus la même saveur. Est-ce qu’on va venir me chercher pour m’emmener vers un nouvel enfer d’existence ? Est-ce que tout ça n’a été qu’un vaste canular, un simulacre pour me pousser à commettre l’irréparable ? C’est pas important.

Je reste immobile un long moment, sans corps, avec la sensation de flotter au-dessus du porche, au-dessus du monde. Ce monde que je voulais être mien. Il est bien trop vaste pour un pauvre asticot comme moi. Je suis un sacré bougre de con, des fois.

Evidemment, j’ai une pensée pour mon père. Ah, non, je ne vais pas remettre une énième fois la faute sur sa personne (même s’il est responsable de beaucoup d’horreurs). J’ai choisi ma mort. J’ai choisi ma vie aussi, même si j’ai toujours juré le contraire, que j’adorais dire que ce qu’il m’a fait était à l’origine de toutes mes erreurs. En voulant ne jamais lui ressembler et me venger de lui dans chacun de mes méfaits, il semblerait que je l’ai imité à bien des égards. Il me voulait hors de sa vue, alors j’ai tué Irina en partant, pour lui rappeler mon existence. Et j’ai répété le processus. Encore et encore. Au final, je le sais, qu’il prenait un malin plaisir à contempler l’idée de me tuer, l’été où j’ai pris Ludwig en charge. Il se serait bien foutu de mourir dans un grand feu de joie dramatique… Le pire, ce qui m’a empêché de dormir, qui m’a serré la gorge tant de fois, c’est que tout ça l’indiffère. Ma mort l’indiffère. Ce que Ludwig a traversé par notre faute l’indiffère. Il va mourir vieux, riche, influent, sans aucun problème. Toujours en s’en foutant.

Peut-être que c’est là toute la différence entre nous. Malgré tout, j’aimais la vie. J’aurais aimé m’en rendre compte plus tôt. En voir plus. Vivre plus. Vivre autrement, sans penser à lui. Avoir un peu plus de courage.

Il m’est difficile, toute particule de poussière minable que je suis, de ne pas verser une larme. C’est stupide. Je ne devrais pas. C’est trop tard.

….

Il n’y a plus rien ici. Juste le silence. Ni froid, ni chaud. Ni blanc, ni noir, plus aucune couleur. Le vide absolu.

….

….

….


Une ombre rose passe à mes côtés. Je reconnais ce pas lourd et ces grognements patibulaires.

« Sophie ! »

Alors, elle aussi est passé de l’autre côté ? Je ne le savais pas. Ludwig n’a sans doute pas osé me le dire.

« Tu m’as attendu ma grande ? »

La Granbull remue la queue et me fait la fête. Elle me saute dessus et je lui fais des câlins. Sa chaleur m’affecte comme avant. Comme quand on était encore en vie. J’espère que les autres, Chris, Irma, Liz, Harald, Kaiser, Cassandra, Viktor… j’espère qu’ils vont bien et qu’ils vivront encore longtemps et libres.

« J’espère que je n’ai pas mis trop de temps… »

La chienne se met soudain à aboyer. Dans le vide, j’entends des pas se rapprocher. Puis une voix de crécelle résonne.

« Ah, bah si, même que c’est pas trop tôt !! »

Je me retourne pour trouver deux énergumènes dont les tronches me disent vaguement quelque chose.

« Hein ? »

L’un est grand, mince et me ressemble beaucoup avec son nez pointu, ses cheveux blonds et son costume kitsch (j’en suis un peu perturbé). L’autre a clairement des airs d’Helmut avec ses cheveux noir de geais et sa resting bitch face. Les deux ont clairement un look incroyable et ils me font penser à…

« … Arrière grand papy ?? Et… Arrière grand tonton ?! »

Waaaaaaah… C’est fou la vie, quand même ! Enfin… la mort. C’est fou la mort, quand même !

« Ohoho, tu vois, Olaf, notre réputation nous précède ! »

Le souvenir de leurs sales têtes sur les portraits conservés au grenier de la demeure Nagel, surtout. Il y en avait tellement. Franchement, j’ai toujours été un peu envieux de leur flow. Non, en vrai, je ne les ai jamais connus vivants mais rien que pour la manière dont mon père se plaignait d’eux et de leur superficialité, ils étaient devenus mes modèles. Surtout tonton Théodule et son portrait où il pose en peignoir à motif absolument immonde mais légendaire, allongé lascivement sur un divan devant d’autres portraits de lui-même. Avouez que c’est quelque chose. Un life goal à mes yeux. Peuh… dire que si j’étais pas mort, j’aurais pu vieillir ainsi. La vie est mal faite !  

« Rien d’étonnant à ça. On a tellement fait chier tout le monde de notre vivant. Pas pour rien que c’est nous qui devons aller chercher le gamin. »

Je les entends à peine converser. Ce qui se passe est bien trop incroyable pour que je gâche tout en ouvrant ma grande bouche. Enfin, si, j’ai la bouche bien ouverte, je dois avoir l’air très bête, d’ailleurs.

Un silence passe pendant que les deux frangins me fixent, en arquant un sourcil. C’est un peu gênant, mais, que dire… tout est si parfait, d’un coup. Je préfèrerais que ce soit vrai, cependant, et pas juste un fantasme complètement débile créé par mon âme à l’agonie.

« Olaf, je crois que nous l’avons cassé… Il ne va jamais s’en remettre. »
« Fermes ta bouche, tu vas avaler des mouches. »

Bouche-bée que j’étais, j’émets un étrange bruit guttural et scelle mes lèvres à nouveau.

« Euh… hein ? Quoi… ? Il y a des mouches en enfer ? »

Non, j’ai rien trouvé de mieux à dire.

« L’enfer ?! »

Les deux s’observent un court instant puis éclatent de rire. Sophie leur aboie dessus, comme pour leur reprocher de se moquer de ma naïveté.

« Oui, bah, je sais pas ! Ça me ferait bien chier, si avec tout ça, j’ai même pas le droit d’me faire fouetter les fesses par des incubes ! »

Ben oui… enfin… c’est ça qu’on fait en enfer, non ? De la torture ? Du panpan cucul ? Du tisonnier sur les fesses ou ailleurs… ? Je veux dire… si mon CV n’est pas très louable dans le monde des vivants, je ferais peut-être un carton dans le domaine des damnés et des morts… ? Hah, si seulement. Je ne suis qu’un simple mortel bien minable face aux pires monstres que l’histoire et l’esprit ont inventé !

Quand les deux compères ont fini de rire, ils me regardent avec un certain attendrissement. Puis, ils me font signe d’approcher.

« Aller, suis-nous. »
« On va où ? »

J’ai des étoiles pleins les yeux en leur emboitant le pas. Je suis soudain curieux.

« Nulle part. Tu sais bien. »
« Ah. »

… Bon bah… flûte.

« Tu as vraiment cru qu’il y avait quelque chose après la mort ? »

Je me tais. J’ai fantasmé sur l’enfer et ses démons démoniaques ammoniaque snack oligarques orgiaques à de nombreuses reprises, mais… bon, en réalité, j’ai fini par me faire à l’idée qu’après la vie, il n’y a que le néant.

« Mais, euh, pourtant, vous êtes bien là, vous. »

Grand-papy Olaf hausse les épaules et on dirait qu’il observe une caméra invisible en s’adressant à une audience imaginaire.

« Cherches pas. C’est juste une fantaisie de la narration. Et ça aurait été un peu chiant de conclure sans une dernière envolée dramatique et déprimante de ta part. »

« Oh. »

Et le réalisme alors ?! Quel scandale.

Oh mais… attendez. Mince alors.

« …Vous voulez dire que je peux… »
« De quoi ? »


Est-ce que cet espace est dédié à… à mes admirateurices ?! Je peux enfin… je peux… m’adresser à elleux ? Mais je n’ai rien préparé, enfin, par le porte-jaretelles de Cresselia… !

Je m’éclaircis la gorge. Je ferme les yeux. Je fais des « mimamooo » et mes gammes en « lalala » au milieu du vide. Mais je vois la scène. Je la vois dans ma tête. Je me laisse aller à faire quelques pas de danse de clown triste. Grand-papy, grand-tonton et Sophie disparaissent.

Enfin, je prends une grande inspiration et…

« Je veux CHANTEEEEEEEEEEEEER »

Ma voix raisonne à peine dans le vide. Je crois que tout s’assombrit autour de moi. C’est comme si, dans ce rêve mortifère, je revenais doucement à la réalité. Dans le présent… ou peut-être est-ce le passé ? Je sens… l’odeur âpre des couloirs du pénitencier. Mes mains touchent à nouveau le sol de la prison, froid sous mon ventre qui sera bientôt, lui aussi, glacé de l’intérieur.

« J’en ai ASSEZZZZZ d’être-euh dans l’ombre d’un artiiiiiiiiiiiiiiiste, j’en ai AAASSSSSEEEZ d’être une-euh STAAARRR dans les COULIIIIIIIIIIIIISSES »

Personne ne m’entend. J’aurais dû choisi un morceau moins débile à passer dans ma tête alors que tout termine et que je suis allongé sur le bitume comme un débile, incapable de faire le moindre bruit en attendant la mort.

« REGARDEZ MOUUAAAAAA ECOUTEZ MOI J’EXIIIIIiiiiIIIiiiiiSTE »

Il fait si froid. Je me sens si petit et frêle. C’est donc comme ça que je disparais. Ils arriveront trop tard. Ils ne me sauveront pas. Cette fois, c’est la fin, la vraie. C’est peut-être pas plus mal. Non. C’est peut-être dommage. Non. Non. Non. Juste encore un peu… C’est…

« J’ai tant rêvé d’être-euh CELUI QU’ON APPLAUDIIIIISSE »

Bref, salut, bisous.
Ludwig Green
Ludwig Green
Civil
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Ven 6 Jan 2023 - 22:35
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