| Henri Leblanc-Poulin œuvre dans le milieu scolaire depuis presque vingt années maintenant. D’abord enseignant puis directeur, il n’a jamais eu la crainte des cas plus difficiles, des élèves houleux et combattifs, de ceux qui causent moult soupirs et découragements. Il a commencé auprès d’eux après tout, à une autre époque il lui semble, dans un service pour adolescents des services sociaux. Il y a quelque chose chez lui qui le pousse à voir au-delà des comportements, à se questionner sur leurs intentions, sur leurs blessures. Avec ses employés, il doit souvent déployer son vécu en tant qu’éducateur spécialisé, qui lui semble lointain. À leur expliquer que rien n’est si simple. Avec Amethyst Blyns, cette adolescente qui donne de nombreux maux de têtes à ses professeurs, il en est ainsi. La jeune fille use ses enseignants d’une différente manière. Elle n’est pas particulièrement méchante, agressive ou désordonnée, ni intelligente pour tout s’avouer. Non, le jeu de la jeune fille à la chevelure violette est celui de l’attention, celle qu’elle réclame sans cesse et de manière inappropriée. Elle fatigue. Elle est maladroite. Même lors des bons moments, elle manque de délicatesse ce qui la rend souvent détestable aux yeux des autres. Henri a vu à de nombreuses reprises que l’élève en souffre, ses relations amicales souvent houleuses voire même conflictuelles. Elle a fait des efforts depuis son arrivée dans l’établissement au moins pour être plus mesurée, mais tant lui reste encore à faire que le directeur a un peu pitié de ses nombreux échecs sociaux.
Puis parfois, dans sa panique de plaire, dans ce besoin inépuisable du regard de l’autre, Amethyst fait des bêtises. Irrémédiablement, elle finit dans son bureau mais s’il ne s’agit que de banalités. Henri se sait peut apprécié de l’adolescente, de toute manière ce n’est pas ce qu’il cherche, son approbation. Il a simplement envie de l’aider, même si celle-ci lui lance des regards venimeux, tournée sur sa chaise en lui tournant presque le dos. Une posture qui en signifie énormément. Heureusement, monsieur Leblanc-Poulin ne se soucie plus de ses manigances pour le faire réagir depuis un moment, il poursuit la lecture du rapport émis par un intervenant de l’école sans trop se presser tandis que la jeune fille pousse d’énormes soupirs dans l’objectif de le faire tiquer. Posant finalement le dossier, il lève les yeux vers elle. Amethyst le regarde aussi, de ses yeux immenses qui mangent la moitié de son visage. Il y lit de l’animosité bien sûr, mais surtout de la crainte. Ses gestes sont raides même si elle feint l’indifférence. Il aimerait bien qu’elle cesse de se méfier de lui, mais connaissant un peu son vécu, il se doute que ce n’est pas si aisé.
«Tu t’es inscrite à la Compétition à ce que je vois, Amethyst. Félicitations. Tu comptes t’orienter vers quelle discipline, dressage ou Coordination?»
Devant l’évident traitement de silence que lui impose la jeune fille, détournant le regard pour scruter obstinément le mur face à elle, le directeur se retient de soupirer.
«Je sais qu’il s’agit d’un projet qui te tient à cœur, Amethyst. Je n’ai pas l’intention d’être une entrave à ton rêve. Sauf que les actions ont des conséquences.»
«C’est même pas de ma faute! Ils ont essayé de me prendre l’œuf, ils auraient pu le briser et…»
L’adolescence a presque bondi de sa chaise devant les paroles pourtant calmes et mesurées de son aîné. La peur l’imprègne maintenant, elle tremble un peu mais manifeste le tout par l’agression. Henri comprend pourquoi elle impressionne certains de ses enseignants lorsqu’elle a ses moments de colère. Elle est plutôt grande malgré sa carrure maigre, et la puissance de ses émotions, bonnes ou mauvaises, a certainement de quoi faire réagir.
«Assieds-toi, Amethyst. Pas besoin de crier, je connais l’histoire. Tu as amené l’œuf remis par la Compétition et tu as fanfaronné devant tes amis…»
«J’ai pas fanfaronné!»
«… et certains ont décidé que ce serait amusant de te le prendre et de l’agiter sous ton nez. Puis tu as frappé ce-dit nez. C’est bien ce qui s’est passé?»
Une fois de plus, la petite reste silencieuse, reprenant place sur sa chaise.
«C’est Denis, monsieur, je vous le jure, il l’avait cherché!»
«Oui, ça on est d’accord. Denis avait cherché de se prendre une baffe. Ce qu’il a fait s’apparente à de l’intimidation et nous prenons ça très au sérieux.»
Amethyst lève les yeux au ciel devant sa tentative de la rassurer, de la mettre de son côté. Comme si elle pouvait compter sur un adulte de toute manière, et qui plus est un directeur d’école qui n’a fait que lui mettre des bâtons dans les roues depuis son arrivée dans cette école. N’est-ce pas?
«Sauf que tu sais très bien que les Pokémon sont interdits sur la propriété de l’école, Amethyst. Tu savais et tu as tout de même pris la décision de l’amener en prenant les risques que quelqu’un ne te le prenne. Tu as aussi pris la décision de frapper Denis plutôt que de chercher de l’aide. Je sais que ce n’est pas facile pour toi, sauf que voilà, tu connais les règles Amethyst.»
«Vos règles sont stupides.»
D’entre les dents de l’adolescence, son aîné a bien entendu sa réplique.
«Pardon?»
«Rien.»
Henri soupire.
«La conséquence pour ton comportement est deux jours de suspension. Ce n’est pas ta première bagarre, Amethyst, on en est là.»
Le mot tombe tel un coup de hache, brisant tout sur son passage. Amethyst a quitté son masque de colère hautaine pour considérer le plancher, les yeux brûlants. Bien sûr qu’elle savait. Même si elle s’attendait à ces paroles, elles n’en demeurent pas moins destructrices pour elle. Elle tente d’en vouloir à son vis-à-vis, mais elle ne ressent qu’un profond dégoût envers elle-même, envers toutes les décisions qu’elle a pu prendre aujourd’hui et qui ont mené à cette conséquence. Elle savait qu’il en serait ainsi en frappant son confrère. Sauf qu’elle n’a pas pu s’empêcher, pas devant la crainte de voir son œuf se briser, pas lorsqu’on menaçait son rêve, qu’on se moquait d’elle pour celui-ci. Encore une fois, le brasier a produit flamme, un feu brûlant que l’adolescente n’a jamais véritablement compris, ni réussi à calmer.
«J’peux pas être suspendue… Je vais être disqualifiée de la Compétition… Il faut que j’aille en cours…»
Cette fois, elle fait moins la fière. Vraiment moins la fière. Le directeur aimerait tant l’aider, mais Amethyst est responsable de sa propre destinée, chacune de ses actions a des conséquences, elle doit l’apprendre.
«C’est le règlement de l’école, Amethyst, tu le connais.»
Tandis qu’il signe les papiers de la suspension et rédige la note à son père, Amethyst se met à pleurer en silence, sentant tout son petit monde basculer. Son rêve, pour une erreur comme tel… Ses sanglots ne semblent pas affecter Henri, mais en réalité chaque pleur le déchire un peu plus. Il n’aime pas jouer ce rôle, même si la jeune fille en a besoin. Le silence se fait un peu lourd entre eux. Lorsqu’il a terminé, l’adolescente s’empare du billet, essuyant ses larmes au passage. Elle s’imagine déjà ne plus jamais pouvoir réaliser son souhait de se produire dans les Amphithéâtres cette année, comme si sa vie ne se résumait qu’aux prochains mois. Toujours avec cette difficulté de se projeter plus loin. Sauf que cette vision du présent lui permet d’avoir une idée.
«Attendez monsieur! Monsieur, attendez, j’ai une idée, s’il vous plaît!»
«Amethyst, ta conséquence n’est pas à marchander…»
«Vous avez besoin de volontaires pour le nettoyage de la cour non? Je vous donne une semaine… non, un mois! S’il vous plaît!»
Henri retient un sourire. Amethyst tente une fois de plus de réparer ses erreurs, mais au moins cette fois, la solution apportée est à la hauteur de ses gestes. Henri la regarde tandis qu’elle l’épie, désespérée. Il ouvre la bouche puis la referme.
«Un mois. Si tu manques une seule journée de la corvée, les journées de suspension seront réinstaurées. Et il n’y aura pas de passe droite la prochaine fois Amethyst.»
«Je sais… Je sais…»
«Cet Œuf, je veux qu’il reste à la maison, comme tes autres Pokémon.»
«Promis…»
Henri soupire. Il ne sait pas si elle tiendra sa parole, mais il l’espère. Il préfère considérer ses élèves avec optimisme, malgré la tendance de certains à se saboter. Il n’aura jamais vu l’adolescente aux cheveux violets aussi passionnée et cette idée le rassure dans un sens. Il est vrai qu’elle n’a manqué aucun cours depuis le retour en classes alors peut-être. Rapidement, le directeur signe une nouvelle notice qu’il donne à la jeune fille en échange du billet de suspension qu’elle devait présenter à son père ce soir-là.
«Maintenant file avec ton Œuf avant que je change d’idée. Et n’oublie pas ton engagement.»
«Non monsieur. Merci monsieur.»
Il doit avouer qu’il préfère tout de même ce sourire brillant à ses sanglots déchirants. Amethyst, elle, s’empresse de quitter le bureau du directeur en tenant contre elle son sac d’école. Ses pas la mènent rapidement hors de l’école, dans une ruelle qu’elle connaît bien pour l’avoir visité à de nombreuses reprises. Elle s’assoit sur le trottoir en tâchant d’utiliser les techniques que son éducateur lui a enseigné afin de garder son calme. Elle compte dans sa tête, serrant l’œuf contre elle, pour faire taire l’anxiété résiduelle de sa rencontre avec le directeur. Lentement, les symptômes s’apaisent. L’adolescente parvient à faire taire sa peur et se concentrer plutôt sur son soulagement. Elle regarde la coquille colorée de bleu et de violet avec un soupir, encore habitée de la honte de ses propres émotions et réactions aujourd’hui. Quand tout à coup, l’œuf se met à luire, elle passe tout près de l’échapper sur le bitume, émettant un petit cri de surprise. Elle ne s’y attendait plus, du moins pas après tous les événements de la journée. Surexcitée, elle assiste à la naissance tout en encourageant le petit à montrer le bout de son nez. Une petite créature émerge de la coquille, semblable à une fleur recroquevillée contre elle-même. Au départ, Amethyst ne comprend pas de quoi il s’agit, jusqu’à ce que la femelle ne défasse un peu ses tentacules de son visage.
«Vorastérie? Wow la chance! Voir qu’ils m’ont offert un Vorastérie!»
Devant les protestations de la petite, Amethyst se reprend avec un petit rire gêné.
«Oups, une!»
Malgré ses tentacules couverts de pointes, Amethyst n’hésite pas à la serrer contre elle. Elle a eu si peur de la perdre aujourd’hui. À présent, elle se promet de tout faire en son pouvoir pour garder la petite Samus auprès d’elle. Et pourquoi pas devenir une Coordinatrice douée par ce fait même? (c)Golden
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