Quoi de neuf sur l'île d'Enola ?

Période en cours
Printemps 2025

~22 - 28° / Températures en hausse et grand soleil !

Intrigues et Events
Intrigue n°3 : « Ferveur »
L'Elu auto-proclamé des Monarchistes fait son entrée ! La Compétition, Elixir et le Gouvernement sont en crise et les Anarchistes demandent la démission du Chef du Conseil.
Mini event n°1 : Panique à Vanawi !
Un blocus Anarchiste est en cours à Vanawi, sous surveillance des forces de l'ordre.

Missions et Défis
Un guide dans les ruines (mission)
Faites découvrir les ruines du Titak !
La comète (défi)
Découvrez un mystérieux astéroïde.

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Burn My Dread - Natsume
Natsume Enodril-Miyano
NATSUME MIYANO
INFORMATION GÉNÉRALES

Nom : Miyano. Il a pendant longtemps été Shimomura, mais récemment, il a décidé de le changer pour prendre celui de sa mère. Il en est très satisfait et a tendance à insister de manière insupportable quand quelqu'un se trompe.
Prénom : Natsume. Pour l'anecdote inutile, il s'écrit avec les kanjis de bourgeon et été.
Surnoms : Natsu, Natchou, Natou, Natnat, Mémé, Tsume, lapinou, "l'autre casse-pieds" (version polie), Nat. Les réactions risquent d'être différentes de l'un à l'autre, toutefois. En général, disons qu'il ne vaut mieux pas tenter si vous n'êtes pas proche, puisqu'il se vexerait.
Âge : 24 ans.
Date de naissance : 21 avril 1998, en pleine nuit.
Genre : Masculin, enfin, "par défaut", mais il s'en fiche pas mal au niveau de l'identité de genre. Il est probablement davantage agenre, mais n'y a jamais réfléchi.
Origines : Japonaises, de Sapporo. Techniquement, il n'a pas encore abandonné sa nationalité nippone. Quelques lointaines origines chinoises et coréennes si l'on remonte loin.
Date d'arrivée sur l'île d'Enola : 16 Mai 2014.
Métier/Occupation/Études : Équivalent d'un CAP en élevage, puis études en sciences de la vie. Pendant sa licence, il a fait des stages à temps partiel dans des pensions pour compléter ses connaissances. Il est actuellement en deuxième année de doctorat, ce qui le force parfois à assurer des TD à la fac. En outre, il a passé le concours d'Etat d'Hôte de Pension et l'a réussi lors de son second essai, en 2021. Il vend d'ailleurs des fruits, légumes et plantes produites dans le jardin de sa pension de temps à autre. Pour l'instant, son objectif est de terminer sa thèse et de réussir à tenir son élevage.
Lieu de résidence : Périphérie de la forêt d'Érode, rattaché à Dimaras.
Groupe : Neutres.
Sous-Groupe : Éleveurs - Scientifiques.
Rôle : Hôte de Pension (type plante) - Scientifique libre (Génétique pokémon, influence sur les productions corporelles).
Pseudonyme :
- Athéris, ancien nom de soigneur/résistant. Il a disparu officiellement pendant l'épidémie, et Natsume n'a pas cherché à nier sa supposée mort.
- Wakagi, surnom de chercheur, quand il publie des articles en ligne. Il le trouve un peu nul, mais a la flemme de le changer car il se le trimbale depuis plusieurs années. On le trouve parfois sur les réseaux sociaux à faire des threads explicatifs, bien longs et soporifiques.

FICHE DRESSEUR
Informations
Rôle : Éleveur itinérant => Hôte de Pension.
Lien vers le Sac de la version 1 : Here.
Voulez-vous utiliser le dé shiney? : /.

Modifications à votre équipe
=> - Chamallot ♂ - Toshiro - Simple - Malpoli
DESCRIPTION DE LA MODIFICATION: Évolution en Camérupt. "Simple" devient "Armumagma".
PREUVE: Histoire.
=> - Mélancolux  - Suzaku - Corps Ardent - Timide
DESCRIPTION DE LA MODIFICATION: Évolution en Lugulabre (Pierre Nuit dans le sac).
PREUVE: Histoire.
=> - Cizayox  - Yamamoto - Technicien - Jovial
DESCRIPTION DE LA MODIFICATION: Évolution en Cizayox.
PREUVE: Peau métal dans le sac de V1, Histoire.
- Pyrax  - Himiko - Corps Ardent - Gentille
DESCRIPTION DE LA MODIFICATION: Passage en pokémon assistant.
PREUVE: Histoire.


PHYSIQUE
Couleur de peau : Il a toujours été naturellement très clair de peau, et n'a jamais eu l'habitude de bronzer jusqu'à son arrivée sur l'île, ayant toujours vécu dans une zone à climat frais.  Il se met à prendre des couleurs depuis qu'il a construit sa pension, mais cela ne l'empêche pas de prendre des sacrés coups de soleil durant les périodes chaudes.
Description des cheveux : Honnêtement, avec ses gènes, passé 8 ans, il a arrêté de tenter de les dompter. Héritage bien malgré lui de son père, ses cheveux sont incroyablement hérissés et ébouriffés, ne supportant jamais de rester en place. Seul un bon coup d'eau peut les aplatir, suivi d'une grosse dose de gel, ce qui n'arrive vraiment pas souvent. Ils tombent jusqu'à sa nuque, et pas un centimètre de plus car il ne supporte pas de les laisser pousser. Châtain tirant un peu sur un mélange d'acajou et de fauve, la couleur est on ne peut plus banale, en tous cas. Natsume est toutefois très soigné avec eux et il en prend soin. C'est pour cela qu'il est quasiment impossible de trouver un nœud, sauf quand il perd la mesure du temps. Les blagues à ce propos ont d'ailleurs tendance à l'exaspérer, étant donné qu'il doit l'entendre 150 fois par jour depuis qu'il est en âge de comprendre des mots.
Description des yeux : Formés en amande, plutôt grands et un peu plissés, ils sont assez quelconques, d'autant que leur teinte noisette, avec un petit liseré ambré, n'est pas spécialement rare. Les cils sont longs et un peu ondulés. Le regard, toutefois, est plus changeant. Perçant et tranquille, scrutateur et presque morne en public, c'est une toute autre histoire quand il est privé. Il devient plus paresseux, distrait, mais débarrassé d'une froideur en somme toute purement artificielle, laissant place à un éclat vif et doux, plein de curiosité. Les sourcils fins, très expressifs, donnent souvent à son visage un air hautain, qu'il ne tente pas nécessairement de faire disparaître. Souvent cernés, c'est un résultat de ses cycles de sommeil franchement pas convenables.
Taille : 1m70. Plutôt grand pour un japonais, mais de taille moyenne sur Enola.
Poids : Entre 60 et 63 kilos, en fonction des périodes, mais le plus souvent un 61. Il a des pertes et des reprises de poids régulières, son métabolisme étant encore particulièrement capricieux et instable à cause desdites chutes et montées. Il n'est pas foncièrement musclé, même si le travail manuel l'a renforcé. Depuis l'épidémie, il est en proie à des troubles alimentaires compulsifs, alternant entre les phases où il ne mange rien et celles où il s'empiffre de sucre, à sa grande exaspération.
Description de la silhouette : Si sa corpulence a pendant longtemps été maigrichonne en raison d'une santé défavorable qui lui laissait un organisme plutôt fragile, les années et le climat chaud d'Enola, lui ont permis de se développer plus sainement. Plutôt mince mais bien moins sec qu'avant, élancé sans non plus être grand, il n'a rien d'exceptionnel au niveau du corps. Il a même un peu de graisse ventrale, à vrai dire. Ni robuste ni tout particulièrement souffreteux, en somme. Quelques muscles ont fait leur apparition, bien que ce sont davantage ses jambes et ses cuisses qui peuvent se targuer d'être résistantes, grâce à son travail et ses joggings réguliers. En outre, ses épaules restent un peu tombantes, même si ses postures plus rigides pourraient tendre à faire croire le contraire, et c'est volontaire.
De visage, les traits sont plutôt légers, mais anguleux : le menton est plus arrondi, en revanche. Le nez, lui, est petit et droit, quoique ses narines ont tendance à gonfler d'une manière ridicule quand il perd patience. La bouche comme les lèvres sont fines, mais il a tendance à les mordre à chaque fois qu'il stresse ce qui... Arrive très souvent, du coup, il se plaint ensuite d'avoir des gerçures, et c'est le même cinéma chaque année. Il a gardé de sa mère des joues légèrement arrondies, et des pommettes hautes, rieuses, qui contrastent plutôt pas mal avec son expression de zombie habituelle.
L'air soigné et droit d'apparence, assuré et marchant à pas décidés, c'est davantage une mise en scène qu'autre chose. Lorsque l'on fouille un peu, on trouve un individu assez gauche, un peu mou, à la démarche irrégulière, gesticulant un peu dans tous les sens par des mouvements secs et nerveux, mais étrangement précis, parfois.
Enfin, quant au style vestimentaire, il est assez rigide... En public. Il se contentera alors d'une chemise bien fermée, nouée ou non par une cravate, avec des pantalons toujours à sa taille, même si il préfère ceux plus larges. Pour les chaussures, il est assez discret et sobre, avec des chaussures de ville, voir des talonnettes, parfois. Parce que oui, en amphi il a souvent l'air plus petit que ses étudiants et ça peut être un peu gênant, du moins dans sa tête. En privé, néanmoins, c'est un tout autre délire : t-shirts rouges, bruns ou noirs, chemises jamais repassées, pantalons plus larges ou chipés à son copain, et d'immondes chaussettes colorées mais très confortables, des baskets, ou même des pantoufles. Il aime bien les pulls trop grands pour lui, également. Grand adepte des couleurs chaudes, il fait parfois quelques exceptions pour le vert foncé. Toutefois, si il y a une chose qui ne le quitte pas, c'est un grand manteau noir et large, obtenu quand il avait dix-huit ans, et qu'il refuse obstinément de changer, quitte à le faire réparer de temps à autre ; il a même gardé deux petits trous, restes d'impacts de balles.
Quand il travaille dans sa pension, on le trouve souvent en tablier ou en salopette, avec des vêtements amples et un chapeau sur la tête pour ne pas faire d'insolation. De magnifiques grandes et longues bottes en caoutchouc ornent ses pieds, lui permettant ainsi de marcher dans la boue et dans la bouse lorsqu'il le faut. Classe et très élégant, hein ?

Problèmes de santé physique : Natsume a toujours eu des soucis de santé, même à sa naissance. Atteint d'asthme chronique léger, il fait une à deux crises par semaines et de la dyspnée nocturne plusieurs fois par mois, mais son état s'améliore depuis qu'il vit en lisière de forêt. Quant à son métabolisme, ce n'est pas vraiment une flèche, et il a une certaine facilité à tomber malade, bien que ce dernier se soit renforcé au cours des années. Depuis qu'il a été touché par l'émergendémie, toutefois, il a quelques problèmes de poids et doit faire attention à ne ce que sa santé ne rechute pas. Ah et oui, pour lire et travailler sur un bureau, il doit mettre des lunettes.
Particularités autres : Marqué à plusieurs endroits de son corps par des accidents, il a des restes de brûlures à l'avant-bras gauche, une petite cicatrice fine et rosée laissée par un couteau au niveau de son abdomen, et une plus grande trace en croix dans son dos. La troisième s'est beaucoup résorbée avec le temps et de la chirurgie de réparation. Les deux dernières lui ont été fait quand il était sous Enola, dans des conditions assez glauques, tandis que la première est un simple souvenir d'un accident lorsqu'il était enfant. Il ne les aime pas particulièrement, mais il a appris à faire avec.
Dans un registre moins négatif, une petite patte d'ursidé brune aux contours dorés est dessinée sur son épaule droite. Si vous lui demandez ce que c'est, en revanche, il vous snobbera magnifiquement. Et, petit détail insignifiant, mais il a une tâche de naissance un peu triangulaire sous la cuisse gauche, héritée de sa mère.

CARACTÈRE
Personnalité :
Actif - Affirmatif - Plutôt poli, presque éloquent en public (presque) - Ambitieux - Appliqué - Cache un côté plus vif et plein d'ardeur - Appliqué - Assidu - Astucieux - Autonome - Plus brave qu'il ne le croit lui-même - Côté très doux et tendre réservé à ses pokémon, aux animaux et aux végétaux - Clément - D'apparence assurée - Débrouillard - Critique, souvent sans se rendre compte de l'effet - Courtois - Assez digne de confiance - Loyal - Direct - Discipliné, excessivement, veut en permanence être dans le contrôle de soi, mais se soigne - Économe - Prévoyant - Endurant - Enthousiaste quand il veut - Entreprenant, n'hésite plus à essayer des choses ou à prévoir des projets - Plutôt juste, ou du moins essaie de l'être - Méthodique - Minutieux - Ouvert d'esprit - Pacifiste à l'excès des fois - Utopiste, bon courage pour lui faire avouer, toutefois - Patient - Ponctuel - Productif - Rationnel - Réfléchi - Respectueux, s'est assagi - Rigoureux - Sensible, à son grand regret - Sérieux - Plus serviable qu'il ne le fait croire - Soigneux - Plutôt stable, calme ses tendances lunatiques, mais est sujet à des rechutes si quelques points sont abordés - Stratège, parfois sans se rendre compte que sa manière de prévoir est blessante et réifiante pour les autres - Structuré - Studieux - Tenace - Travailleur - Vigilant - Joueur - Se force à tenter d'être optimiste, avec des résultats variants - Calme - Diplomate - Taquin - Discret - Tendre - Altruiste caché.

Abrupt, ne saisit pas toujours la brutalité de ses mots et de ses actions - Acerbe quand il perd patience - Mou - Anxieux - Façade arrogante - Difficultés sociales, à comprendre le langage corporel ou à décoder des signes sociaux qui paraissent évidents, comme le sens d'un ton ou d'un sourire - Brouillon dans ses formulations - Cachottier - Calculateur - Capricieux - Caractériel, tente de s'améliorer - Cassant - Catastrophiste - Caustique - Peut se montrer coléreux ou tempétueux dans les mauvaises périodes ou si poussé à bout - Complexé le niant très fort - Cynique - Se déborde en acceptant trop de travail - Distrait, pense toujours à cent choses à la fois - Étourdi - Froid - Hypocrite - Assez inaccessible - Intransigeant - Ironique - Laxiste - Nerveux - Maladroit - Maniaque - Peut se montrer méprisant - Moqueur - Restes de naïveté - Orgueilleux - Peureux de nature - Provocateur - Râleur - Renfermé - Revêche - Revanchard - Rigide - Ringard (à tout jamais) - Doctor Es Sarcasme - Secret - Soupçonneux - Sournois - Retors - Strict - Tatillon - Timide quand il est intimidé ou dans une situation qu'il ne saisit pas totalement - Négligeant quant à lui-même - Mauvais joueur, se contient - Rancunier - Ne capte rien à l'art - Blasé de la vie - Emmerdeur professionnel - Très puéril quand il s'y met - Mesquin - Fier - Pas très attentif - Bavard quand le sujet l'intéresse - Lâche sur pas mal de points, surtout sur ses pensées - Sale tendance à beaucoup aimer faire de la provoc - Peu compétitif ou combatif, préfère lâcher l'affaire que d'aller dans la confrontation - Ça l'arrange d'être pris pour un empaffé hautain - Ne supporte pas de ne pas comprendre quelque chose, peut devenir désagréable dans ce cas - Assez inexpressif, plus par flemme qu'autre chose.

Conformiste - Académique - Distant - Introverti - Tendances misanthropes qu'il tente de maîtriser - Plutôt simple - Peu spontané, si il fait quelque chose, c'est qu'il y a réfléchi, mais peut aussi se montrer impulsif sous le coup de la panique - Zélé - Dans son monde, sa petite bulle, ne réalise pas toujours ce qui se passe en dehors, ou trop tardivement - Bien trop curieux - Pâte molle et gentille au fond - "Précoce", mais ce dernier point lui a emmené plus de soucis que d'avantages, se sentant toujours un peu à l'écart ou mal à l'aise dans le système académique, en plus d'avoir des difficultés à ne pas se poser des questions tout le temps. Il est du genre à se vexer quand on lui dit que ça doit lui faciliter la vie.

Goûts/Dégoûts :
Le lapin aime... Les pokémon plante et insecte - Tout ce qui est végétal - L'intelligence, il a la mauvaise habitude d'admirer un peu trop ceux qui en ont et d'en oublier les défauts - La série gundam, cache ses collectors sous son armoire - Son vieux doudou lapin dissimulé sous trente-six tonnes de paperasse - Se lever tôt - Regarder des documentaires animaliers - Le thé et les tisanes, il sait d'ailleurs très bien les faire - Faire des compositions florales et juger les vieux bouquets moches vendus chez des fleuristes - Les énigmes et mystères, il peut pas s'empêcher de mettre son nez dans ce qu'il ne comprend pas - Le froid - Les glaces saveur vanille et fruits - La nourriture saine - Le vert et le brun - Qu'on lui fiche la paix - Les choses plus puériles comme faire des cabanes d'oreillers, il rattrape un peu son enfance inexistante - Le silence - Les bibliothèques, universités et autres musées - Jouer à des jeux vidéo pas trop prise de tête - Les films d'horreurs et vieux films, il a un certain goût pour le noir/blanc et les premiers films de monstre - Les monstres aussi, tiens, ça le fascine - Les reptiles, il a l'impression de s'y reconnaître un peu et il apprécie leur constance au calme - Tout ce qui est bizarre et étrange, ce qu'il ne connaît pas et tente de découvrir, en somme - Le shortcake à la fraise - Les fraises, aussi - La série Professeur Layton, sérieux, c'est le genre à faire toutes les énigmes sans prendre d'indices par pur masochisme - Marcher quand il réfléchit, il lui arrive de faire des ronds dans son labo ou chez lui quand quelque chose lui triture le cerveau, et il se donne ainsi parfois même le tournis à lui-même (génie, on vous dit).

Le constipé n'aime pas... Que les choses soient déréglées ou imprévues - Qu'on tourne autour du pot, ça l'énerve et lui donne des boutons - Tout ce qui est très philosophique, il trouve que ça casse pas trois pattes à un canard - Qu'on tente de le manipuler, ça peut le mettre dans une rage folle et endommager irrémédiablement une relation - Les repas excessivement gras - Le feu - Les hauteurs - Les villes urbanisées à l'excès et sans espaces verts - Le bruit - Les fruits et légumes plein de pesticides - Le poisson, autant dire que grandir dans son pays natal n'a pas été facile - Être sous-estimé - Cuisiner - Faire des fautes de français - Rater quelque chose - Les expressions typiquement françaises qu'il ne comprend pas, c'est une bonne idée si vous voulez le rendre dingue - Les traditions - Les enfants - Qu'on tente de le diriger - Parler de lui - Les gens qui envahissent son espace personnel - Ceux qui sont soumis aux autres - Les vêtements serrés - Les Miliciens, même si il se soigne et le cache - Les arts plastiques, il est nul - N'aime pas la conversation "pour la forme" - Ne pas avoir le contrôle de son esprit ou de son corps - Tout ce qui est danse ou qui demande un peu de grâce, vu qu'il a celle d'un pachyderme.

Objectifs et aspirations : Natsume a toujours été ambitieux, et ce ne sont pas les années qui ont terni ses exigences vis à vis de lui-même. Si il est plus humble, il ne décolle pas de l'idée de parvenir à ses résultats en matière de recherche et de pouvoir fabriquer des médicaments. Très déterminé sur ce point, bien qu'il montre parfois des signes de fatigue face à ses avancées et échecs répétés, il persiste inlassablement. Il focalise malheureusement une grande partie de son estime de soi et de sa progression sur son travail en tant qu'éleveur et scientifique, et veut s'assurer que ses pensionnaires vivent le mieux possible. Il n'aspire pas du tout à la célébrité, la gloire ou même quoi que ce soit du genre puisque cela le répugne : tout ce qu'il veut, en vérité, est une vie tranquille, loin de l'agitation, du bruit, ou des troubles. Si il le pouvait, il deviendrait sûrement ermite au fond d'une forêt, en soit. Il n'a pas vraiment d'autre désirs particuliers quant à son existence, au delà peut-être de celui de ne pas retomber dans ses travers passés.
Peurs : Il n'est pas vraiment du genre à se confier sur ces derniers points, pour dire vrai. Mais, même si il aimerait bien avoir le contrôle total sur ses peurs, il ne peut pas nier en être rempli, les dissimulant grâce à l'habitude. Sa plus grande est certainement celle des espaces clos, qui est tout bonnement maladive et qui, si il tente de l'apaiser, ne s'est pas calmée avec le temps. Il est suivi, mais ne sera définitivement jamais à l'aise dans des pièces étroites ou même complètement fermées. Une porte, ou même une seule fenêtre ouverte, le rassurera. En outre, sa crainte des tremblements de terre s'est calmée au prix d'une longue et pénible thérapie, mais disons qu'il blanchira malgré tout, et devra faire avec des débuts de nausée, encore plus si les tremblement se prolongent. Ce qui, ironiquement, n'arrangera sûrement pas le fait que la maladie, ou plutôt l'idée même de son retour, le met très mal à l'aise. Ayant gardé de très mauvais souvenirs de son métabolisme au cours de ses vingt premières années, et surtout de la période de l'émergendémie, il lui arrive des fois de s'inquiéter pour rien, ou de paniquer à l'approche de symptômes.
Au niveau des peurs plus intimes, deux se distinguent nettement : celle de l'échec, qu'il est incapable d'assumer tant celui-ci le met en rage et le terrorise, et celle d'être dépendant des autres d'une quelconque manière. Tout concept d'engagement ou de laisser ses fardeaux sur les épaules des autres le met mal à l'aise ou le rend furieux contre lui-même, respectivement. Les deux sont intimement liées, en soit : Natsume refuse complètement l'idée d'être faible, inutile ou « défectueux ». Il se voit comme une machine que l'on peut réparer à coup de volonté, ce qui est loin d'être la vérité. Si il se soigne pour ce qui est de son incapacité à accepter qu'il est normal d'échouer, c'est un travail difficile et très pénible, qui a tendance à ébranler sa confiance en lui-même. Enfin, sans que ce soit très surprenant, l'ancien conflit a laissé une crainte de le revoir resurgir, et il a tendance à voir dans les tensions naissantes une preuve de l'inéluctabilité de cela. L'implication de ses proches dans un des quelconques organismes ne l'aide donc pas à éviter de faire l'analogie ou d'avoir peur dans son coin.
Sur une note plus légère, il est autant mal à l'aise en présence d'enfants qu'en présence de pokémon feu ou vol. Pour les premiers, c'est davantage car il craint de les blesser, et qu'il a du mal à les comprendre. Mais il a gardé de son enfance la peur panique d'agir comme un monstre à leur égard, et, se sachant sec et 'complètement débile', il a tendance à s'en éloigner le plus possible. Pour les seconds, au delà du 'ils ont pas de bras les oiseaux et le feu ça brûle', quelques mauvaises expériences ont cimenté sa méfiance. Et comme si ça ne suffisait pas comme ça, les hauteurs le terrifient, si bien qu'il n'arrive à voler qu'avec des personnes très proches.

ALIGNEMENT
Votre personnage a-t-il/elle connu Enola entre 2008 et 2017, sous le joug du Régime, et que pense-t-il de cette époque ? : Natsume est arrivé sur l'île en sachant très bien que le gouvernement n'était pas exactement démocratique, mais il s'en fichait au départ, ne souhaitant pas s'en mêler. Neutre par désintérêt au départ, il n'a pas pu fermer les yeux lorsque les éventements dramatiques se sont accumulés et ont touché ses proches. N'arrivant pas à supporter sa propre inaction et lâcheté, il a fini par prendre une identité de soigneur pour aider les civils et les blessés, pokémon ou humains. Toutefois, risquant beaucoup à se trouver entre les deux camps, il a accepté, à contrecœur de rejoindre la Résistance, et s'est toujours cantonné à un rôle de support. Se souvenir de cette époque est parfois difficile, vu qu'il a vécu des moments très douloureux comme beaucoup de monde, mais il arrive à l'accepter et ne cherchera pas forcément à changer de sujet, bien qu'il fait attention à ses mots. Il estime que, étant arrivé en 2014 et n'étant pas né ici, « il n'a pas vraiment le droit de se plaindre », manière pour lui d'étouffer son propre ressenti.
Que pense-t-il de la manière dont les choses ont évolué, et du nouveau gouvernement ? : Ça aurait pu être pire, mais ça pourrait être mieux. Assez négatif de nature, il tente toutefois de se dire que les prochaines élections et les potentielles réformes pourraient amener des améliorations. Il aimerait bien avoir confiance en les hommes politiques, en somme, mais cette confiance reste à gagner, et vu son pessimisme, c'est un sacré travail.
Que pense-t-il de la légende de Regigigas ? : Il n'y croit absolument pas. Pour lui, c'est un conte de fées, ou au mieux une vieille religion d'un autre temps. De toute façon, l'idée même de royauté l'a toujours dérangé, et il ne prendrait pas très bien de voir quelqu'un prétendre gouverner tout le monde. Il a tendance à glousser quand on lui dit qu'on y croit, et de hausser les sourcils d'un air hautain.

Qu'est-ce que votre personnage pense d'Elixir ? : En tant qu'adolescent, si il les avait connu à cette époque, il les aurait rejoint sans la moindre hésitation et serait maintenant complètement endoctriné. Mais pourtant, Natsume n'est pas très fiévreux à l'idée de les rejoindre, loin de là. Ce n'est pas à cause de l'Emergya, qu'il se méfie. Même en ayant durement été touché par la maladie, il estime qu'il serait stupide de ne pas étudier cette source immense d'énergie. Mais disons que les tensions naissantes ne le rassurent pas, et que la dernière attaque en date de cette communauté le met mal à l'aise. Si il trouve qu'ils ont raison, le fanatisme qu'il croit percevoir l'effraie. D'autant plus qu'il se voit mal s'opposer nettement à la Compétition, malgré ses pensées.

Qu'est-ce que votre personnage pense de la Compétition ? : Ah, la question tendue... Si vous la lui posiez, il commencerait par vous dire que tout cela est très compliqué, que ce sont des questions auxquelles il ne peut pas donner de réponse car personne n'a la vérité, et que c'est tellement complexe, tu ne veux pas un thé, à la place... ? Vous l'aurez compris, Natsume a la sale habitude de noyer le poisson à ce propos. Il fait à peu près tout en son pouvoir pour éviter de se positionner, mais en réalité, la Compétition le met très mal à l'aise. Si il n'a jamais été très fan de combats, il a cessé de les considérer uniquement comme un concours d'egos en côtoyant des dresseurs, mais il reste indifférent face à toutes leurs campagnes marketing. Si leur aide est appréciée, il se méfie, car rendre à Enola son ordre et son lustre d'auparavant, cela ressemble beaucoup à la maxime du Régime, pour lui. En outre, la Milice le met extrêmement mal à l'aise, et il tend à changer de trottoir quand il les voit passer ; il ne comprend pas vraiment de quel droit ils s'arrogent des prérogatives militaires. Son dégoût tout naturel pour l'arbitraire et le traditionalisme rigide, hérité de son mépris pour sa famille biologique, lui font hausser les sourcils face à certaines de ses valeurs. Lui qui ne croit pas en la justice, le droit ou même en la police leur réserve le même mépris, conscient ou inconscient. Mais même si il est loin de les rejoindre, il n'arrive pas à les rejeter totalement, ne serait-ce que par le fait que plusieurs de ses proches sont fortement impliqués envers eux. En somme, il ravale ses pensées pour lui, grommelant parfois dans sa barbe, dans l'espoir de calmer sa frustration et que personne ne l'entende.

Qu'est-ce que votre personnage pense des Anarchistes ? : Dans l'idée, Natsume dira qu'un monde sans structure, ça ne tient pas. Son côté pragmatique et cartésien pense qu'il y a nécessairement besoin d'une organisation, n'importe laquelle, mais il n'est pas contre eux dans les faits. Il aime beaucoup l'idée d'une société sans système hiérarchique, et complètement égalitaire, mais un certain côté misanthrope le pousse à se dire que cet avis ne sera jamais majoritaire. Par dépit, il n'ose pas y croire. C'est pourtant vers eux que certaines de ses idées politiques tendent le plus, juste après Elixir. Faudrait-il encore qu'il ait le cran de les affirmer...

Alignement/Allégeance ? : Il a, en soit, plus d'affinités avec Elixir, ou les Anarchistes d'une certaine façon. Mais la situation est telle qu'il refuse complètement de prendre parti, ou ne serait-ce que donner son avis. Il vit assez mal les tensions naissantes entre les différents groupes et son vécu ne l'aide pas vraiment à y voir plus clair. Neutre par volonté plus que par croyance, disons.
ET VOUS?
PUF/Surnom : Faustiche/Segnifer.
Âge : 20 ans.
Disponibilité : Ça dépend des semaines, mais généralement j'suis pas la dernière sur la CB :v:
Comment avez-vous connu le forum ? : J'étais là quand on l'a ouvert, chais pu trop.
Suggestions ? : Mangez des pommes.
Personnage sur l'avatar : Sawada Tsunayoshi [Katekyo Hitman Reborn !]
Code : Nia.
Autre: Cébo les papillons.
Natsume Enodril-Miyano
Natsume Enodril-Miyano
Eleveur
Voir le profil
Lun 27 Nov 2017 - 0:29
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Natsume Enodril-Miyano
CHRONOLOGIE, PARTIE 1
TW abus d'enfants (psychologiques, physiques), mort (par asphyxie). Si l'un de ces thèmes vous dérange, je ferais un résumé à la demande.

Ma tête hurle. Du moins, j'en ai l'impression. Les maux de crâne empirent, et ma fièvre aussi. Les premiers jours, c'était encore supportable. Maintenant, j'ai l'impression qu'elle va exploser d'une seconde à l'autre. Ma température grimpe doucement ; je ne suis même pas sûr ce que je vois ou j'écris soit vrai, la moitié du temps. Entre deux blessés, je vois des choses qui n'existent pas. J'ai besoin de faire le point, de m'assurer que j'ai encore le contrôle sur ce que je sais, que je n'oublie rien.

I. 0 > 16 ans ; Du Japon à Enola.

Je ne sais pas trop par où commencer, à vrai dire. Je pourrais parler de maman, de ses difficultés avec ses parents qui, aussi aimants qu'ils étaient, s'étaient révélés trop protecteurs pour qu'elle ne désire pas l'indépendance au plus vite. De son besoin de s'affirmer, dans une fratrie où elle se sentait diminuée, moins brillante que son frère, et moins assurée que sa sœur. Elle était douée de ses mains, pourtant. Pourtant, « la peinture, ça ne nourrit pas, Miyu », lui avait dit son père, et elle s'était vexée. Maintenant que je sais ça, je comprends un peu mieux comment mon géniteur a fait pour la manipuler. Enfin, je ne peux que supposer, à vrai dire. Mais ça n'a pas dû lui rendre la tâche difficile, quand elle est tombée enceinte. Quelques mensonges, des belles paroles, l'attention positive dont elle avait désespérément besoin, et elle est restée.
Peut-être qu'elle le prenait en pitié, aussi. Maman a toujours été trop empathique, trop avenante, trop reposée sur sa relation avec les autres. J'ai l'impression qu'elle pensait pouvoir le changer. Il n'y avait pas grand chose à faire, néanmoins. Kazuo Shimomura n'a jamais vu que lui, et elle n'était rien d'autre qu'un objet, qu'un défouloir à ses yeux, qu'une tête à afficher, de préférence pour embellir son ego. C'est sans doute aussi pour ça qu'il l'a « laissé » garder ma sœur aînée : l'idée qu'elle s'échappe lui était plus insupportable que sa venue au monde. C'était bien tout ce qu'il lui importait. Et puis, les conséquences de ses actions, il n'avait pas tant à s'en inquiéter, à ce moment-là : même avec une enfant sur le dos à dix-neuf ans, il avait maman pour tout arranger, n'est-ce pas ?
Namiko, ma grand-mère, leur avait acheté un appartement, avait financé le mariage en vitesse, et s'était assurée que l'affaire ne s'ébruite pas trop. Après tout, le dernier fils Shimomura qui engrosse une jeune fille à peine majeure... Dans une famille aussi rigide, conservatrice et à cheval sur l'étiquette, ça ne pouvait pas passer. Mais il n'a jamais eu à s'occuper ni de son épouse, ni de sa fille. Tant mieux, en un sens. Tant que je n'étais pas né, elles étaient seules, isolées, méprisées, mais c'était toujours... Enfin, peu importe. A vrai dire, je ne sais pas grand chose de cette époque, autre qu'elle perdait de plus en plus contact avec sa famille, ses amis, et que les disputes devenaient de plus en plus violentes. Sans doute que Kazuo s'était déjà lassé de son jouet, et ne supportait pas de ne pas pouvoir la renvoyer, maintenant. Sa mère veillait au grain, exaspérée par ses frasques répétées.

Je... Ne comprends toujours pas comment un second « incident » a pu arriver à peine quatre ans après le premier, à vrai dire. Et par là, je parle de ma naissance. Même en cherchant dans son journal, je n'ai rien trouvé. Mais les fait sont là : alors que Kazuo se dépêtrait à peine de la honte de son 'erreur', ma mère était enceinte une seconde fois. Je sais, de ce qu'on m'a raconté, qu'il est entré dans une colère noire, et que maman a manqué de le quitter définitivement lorsqu'il l'a menacé de représailles si elle ne mettait pas un terme immédiat à son « problème ». Manque de bol pour lui, elle a toujours été assez teigneuse, quand elle le souhaitait, et elle n'a pas démordu. Quand bien même il rêvait de me « noyer dans la rivière la plus proche », comme il me le faisait savoir si gentiment, il n'en a pas eu l'occasion. Je suis donc né le 13 avril 1998, par une nuit calme et assez quelconque, en somme, contrastant avec l'orage qui grondait déjà entre mes parents.

Dès le départ, je n'ai toutefois par rendu la tâche aisée à ma mère, néanmoins. A peine avait-elle le temps de se remettre de ma venue au monde que les médecins durent rallonger son séjour à l'hôpital, marmonnant dans son dos que je ne passerai sûrement pas l'hiver. Trop maigrichon, atteint d'une jaunisse qui les alertait de par sa sévérité, il n'y avait bien que maman pour y croire. Je sais qu'elle était épuisée, à cette époque. Mon père la délaissait totalement, ne s'étant même pas montré le jour de ma naissance, et à vrai dire, je crois que le fait que Namiko l'ait déshérité ce jour-là précisément avait rendue la pilule difficile à avaler. Elle se raccrochait à moi, je pense, même si en agissant ainsi, elle délaissait de plus en plus Nagisa.
Ça ne s'est pas arrêté, d'ailleurs. Aussi injuste que ce soit, je bénéficiais d'un traitement de faveur auquel ma sœur n'avait pas le droit, et elle ne se gênait pas pour me le faire ressentir, alternant entre l'affection et la colère dès lors qu'elle me jetait un regard. Elle qui était déjà méprisée de son père, je la privais d'une mère. Je ne m'en rendais pas compte, en étant enfant : j'étais bien trop content qu'elle s'occupe de moi. Mes maladies fréquentes, mes difficultés à respirer, ou même à supporter le plus bête des virus la mettait souvent à mon chevet. Je n'ai pas énormément de souvenirs de ma petite-enfance qui ne se soit pas passé dans ma chambre, à vrai dire, tant j'ai passé mes premières années reclus et isolé. Il n'y avait que maman, Nagisa et moi. Et, aussi ambivalente qu'était ma sœur, elle ne me détestait pas totalement. Elle s'est adoucie, peu à peu, bien que je voyais toujours dans son regard un peu de rancune à chaque fois que maman accourait auprès de moi pour me réconforter. Elle, lorsque notre père hurlait, ne pouvait pas se permettre de pleurer contre quelqu'un.

Les cris ne se sont pas adoucis avec le temps, bien au contraire. Plus le temps passait, plus sa carrière stagnait, et plus je grandissais, plus Kazuo devenait agressif. Son mépris, ses insultes, ses hurlements, nous avons eu le droit à tout. Je me souviens que rien que l'entendre rentrer chez nous faisait se tendre chacun de mes muscles, même quand je n'avais que cinq ans. Que le duvet sur mes bras se hérissait, et que des nœuds impossibles à défaire me serraient la gorge et le ventre, m'accompagnant jusqu'au moment du coucher, seul instant de répit. Quand il marchait derrière moi, j'avançais toujours un peu plus vite, craignant le coup. Je m'immobilisais à chaque grincement des marches de l'escalier. Chaque mot, chaque petite respiration de trop, je tentais de savoir si elle risquait de nous mettre en danger.
Parfois, cela partait de rien. J'avais mal mis mes chaussures, j'étais encore malade, j'avais oublié de ranger correctement mon sac en rentrant de l'école. Peu importe, à vrai dire. Souvent, c'était durant le dîner : il suffisait que l'un de nous fasse tomber un aliment, ou que maman n'ait pas parfaitement cuisiné, car évidemment, monsieur n'aurait jamais pu mettre la main à la pâte. Dès lors, c'était infernal. Il hurlait, me lâchant parfois une ou deux claques, jusqu'à ce que maman intervienne, les larmes aux yeux, ou que Nagisa tente de me défendre, les genoux tremblants. Moi, je m'étouffais entre les pleurs et les larmes, aggravant parfois la situation dès lors qu'une crise d'asthme venait me lacérer les poumons. Puis, lorsqu'il en avait terminé, il n'y avait plus que le silence glacial de maman qui tentait de faire la vaisselle, sanglotant entre deux claquement des couverts sur les assiettes.

J'ai du mal, à vrai dire, de me souvenir de tous les détails de cette époque. J'en oublie de plus en plus, mais la thérapie m'a rappelé ceux que mon esprit avait caché au fond de mon mémoire. Amnésie traumatique, apparemment, aggravée par des soucis postérieurs. Mais maintenant, je m'en rappelle, des tâches bleutées sur les bras de ma sœur. De ses excuses toutes plus étranges, alors que je ne la voyais que rarement se battre à l'école. Du fait qu'elle se cassait trop souvent les os pour que ce soit normal. Je ne sais pas trop pourquoi j'ai été incapable de reconnecter les pièces du puzzle pendant aussi longtemps : sans doute me disais-je que si j'étais « épargné » du pire, alors il devait en être de même pour elle. L'agressivité grandissante de Nagisa, tant envers maman qu'envers moi, fait plus sens quand j'y réfléchis en sachant cela.
Il n'y avait bien que notre tante maternelle pour lui remonter le moral, mais cette dernière mourut d'un accident de moto peu de temps après l'anniversaire de mes quatre ans. Maman souriait moins, après ça. Son frère était déjà décédé avant ma naissance, et voilà qu'elle perdait le dernier contact qui lui restait avec sa famille, qu'elle n'avait plus contacté depuis longtemps. Sans doute n'osait-elle pas, mais les faits étaient là : elle était complètement isolée. Plus personne ne pouvait la soulager ni l'aider à s'échapper, et elle s'y est résignée. Je pense, peut-être à tort, qu'elle m'a autant protégé à cause de cela. Sans doute pensait-elle que quitte à n'avoir pu sauver ni sa fille ni elle-même, elle pouvait essayer avec moi.

Au vu de la violence des Shimomuras envers elle, toutefois, je me demande des fois comment elle a pu tenir aussi longtemps. Oh, bien sûr, ils ne l'ont jamais insulté directement. C'était plus insidieux, plus discret, plus « acceptable », en somme. Des remarques ici et là, des ricanements dissimulés entre deux gorgées d'alcool inutilement hors-de-prix, et des regards hautains à peine voilés à chaque fois que nous étions invités à une de ces fichues réunions de famille. Nagisa avait le malheur d'être indisciplinée, revêche, « pas assez sage pour une fille convenable », en somme, et moi, j'étais maigrichon, frêle, et constamment malade, « pas assez fort pour un garçon ». Nous ne correspondions pas à ce qu'ils désiraient, et notre existence étant en soit déjà le fruit de nombreux gloussements  dédaigneux. Même maman, « idiote et de mauvaise vie », n'était pas épargnée par ces remarques trop nombreuses. C'était une accumulation, petit à petit, et chacun d'entre nous l'a vécu difficilement. Nagisa se révoltait davantage, je me suis entêté à essayer de prouver ma valeur avec mes notes, et maman s'enfermait peu à peu dans son monde. Là où ma sœur en voulait au monde entier, je voulais qu'il m'accepte. Enfin, à cette époque.

Ce n'était pas en me réfugiant à l'école, ni dans les cours, que je parvenais à susciter une quelconque affection de la part de mon père, toutefois. Seuls mes échecs étaient remarqués, et l'attention des autres à ce propos ne semblait jamais se concentrer sur autre chose. De toute manière... Un gamin hyperactif, pleurnichard, qui ne supportait pas de devoir suivre des méthodes rigides, il ne passe pas un excellent quart d'heure, peu importe le fait que les notes soient souvent excellentes.
Aussi amical que je sois, d'ailleurs, j'avais toujours eu du mal à m'adapter aux autres. J'étais sociable, pourtant, mais des années de réclusion et de traumatismes accumulés me rendaient nerveux, tandis que des difficultés sociales naturelles me rendaient incapable de décoder certains codes et comportements. Peureux, je préférais les grands groupes où je pouvais me noyer sans être vu. Il a fallu Kaori pour que je commence à me faire quelques amis, enfin, comme l'on s'en fait en primaire, en réalité. Plutôt rude, elle me rappelait Nagisa, et je crois que c'est ce qui m'a fait lui faire confiance. Les moments où je pouvais me cacher chez elle étaient bien les seuls de paisibles, à vrai dire, et je commençais à comprendre pourquoi Nagisa passait autant de temps chez ses camarades. Personne n'a dit quoi que ce soit, pourtant. Que ce soit les enseignants, les parents des autres élèves ou même les voisins, jamais quiconque n'a posé la moindre question. Le remarquer me faisait me demander si j'en valais vraiment la peine, ou même si je n'exagérais pas trop, alors je me contentais de me dire que peut-être je le méritais. Peut-être que mon père avait raison, après tout, et que si je me comportais comme il le souhaitait, alors tout prendrait fin. Ça n'est jamais arrivé. Et je n'ai jamais vu l'ombre de la carrosserie blanche d'une voiture de police.

Maman fatiguait de plus en plus. Je le sentais, quand elle me parlait, qu'elle n'était pas toujours complètement avec moi. Ses sourires étaient creux, elle oubliait de plus en plus de choses. Trop jeune pour comprendre, j'acceptais ses explications disant qu'elle travaillait juste beaucoup. Les antidépresseurs qu'elle s'enfilait comme des tics-tacs, eux, je ne les voyais pas. J'essayais de me concentrer sur mon arrivée dans l'enseignement secondaire*, et de me dire que ses félicitations pour mon entrée dans une « bonne » école ne sonnaient pas comme des paroles vides. La mort de Kaori, d'une pneumonie, m'avait occupé l'esprit et m'empêchait de me concentrer sur les sentiments de qui que ce soit d'autre. Pour compenser, et également car j'avais désespérément besoin d'attention, je me mêlais à des groupes que je ne fréquentais pas avant. Insolent devant les professeurs, agressif même lorsqu'on me mettait face à l'autorité, je suscitais de plus en plus l'agacement parfaitement compréhensible des adultes, envers qui mon dégoût se faisait de plus en plus sentir. Ils me fatiguaient, tous, avec leurs règles, leurs codes, leur rigidité, leur refus de voir que je n'allais pas bien, quelque part. Leurs traditions, même, me donnaient des haut-le-cœur, et je prenais un malin plaisir à provoquer ma famille à chaque fois que l'on me traînait à l'une des foutues réunions où je me sentais toujours anxieux et exclus. Je leur en voulais, à tous, de vivre la conscience tranquille, de ne pas tressaillir à chaque fois qu'ils passaient la porte de chez eux. J'en voulais à mes camarades, aussi. Je les enviais d'être heureux, de ne connaître ni les cris, ni les coups. De vivre dans cette espèce de bulle que je pensais idéale, incapable que j'étais de saisir les nuances quand je comparais ma situation. Il n'y avait bien que le Chamallot que maman m'avait offert, sans doute pour m'aider, ou la Prismillon de ma sœur aînée. Je n'ai pas vraiment réalisé qu'il y avait chute, puisque cela faisait longtemps que je n'étais plus capable de remarquer quand je trébuchais. C'était lent. Ce n'est pas comme dans une fiction larmoyante, ou dans un de ces films pathétiques qui vous font croire qu'on s'oublie aussi aisément qu'avec un seul choc. Les premiers sont brutaux, évidemment. Puis, on s'y habitue. On prend les coups, mais on ne pleure plus, on ne hurle plus. On ne se débat plus. On se laisse faire, et on se demande, un jour, au final, si on ne devra pas laisser la douleur nous étouffer. Il y a un dernier déclic, oui. Mais ce n'est qu'une goutte d'eau.
*l'enseignement au Japon se découpe en quatres cycles, le shôgakko (primaire) de 6 à 12 ans, le chûgakko (secondaire) de 12 à 15 ans puis le kôkô (équivalent du lycée) de 15 à 18 ans. Le système est sélectif, même entre le primaire et le secondaire.

Le 12 mai 2012 n'était pas particulièrement remarquable, au début. Sûrement pour tenter de se persuader qu'il y avait moyen de « raccommoder » quelque chose avec mon père, car bien sûr il avait réussi à lui rentrer dans le cerveau que nous étions responsable de la situation et que c'était à nous de nous améliorer, maman m'avait demandé de venir avec elle pour lui rendre visite, dans son bureau. Je n'étais pas particulièrement friand de l'idée, et je me rappelle même qu'elle a haussé le ton lorsque j'ai refusé de m'habiller. C'était de plus en plus fréquent, depuis peu. Elle qui avait toujours été douce, en dépit de tout, et patiente, se montrait pressée dans ses gestes, nerveuse, agitée par des tics qui ne me disaient rien de bon. Nagisa, quand je le lui faisais remarquer, me rétorquait que « j'avais qu'à m'occuper de mon cul », sûrement car elle était encore en conflit avec elle à ce moment-là. J'essayais de ne pas porter attention à sa respiration plus courte, évitant de demander si elle prenait bien sa ventoline régulièrement comme moi, car j'avais une idée de la réponse et que je n'avais pas envie de l'entendre. On avait pris le métro, ce jour-là. Tout le long, elle regardait ailleurs.  La tête penchée sur la vitre du wagon, elle avait quelquefois un regard vers moi, vide et fatigué, et elle ébouriffait machinalement les cheveux, sans que quoi que ce soit ne paraisse naturel. Pour le coup, j'étais devenu silencieux. Du haut de mes quatorze ans, moi qui me montrait si revêche depuis deux ans, je m'étais contenté de serrer sa main dans la sienne ; elle était encore chaude.

Je n'ai jamais aimé les grandes entreprises, et je crois que la famille de mon père n'était pas étrangère à cette aversion toute naturelle. Tout ça, ça sentait bon les faux-semblants, les règles sans la moindre logique, l’autoritarisme et la hiérarchie vides de sens, injustes, cruelles d'apathie. L'argent, déjà, me dégoûtait. Sans doute cela explique-t-il certaines de mes difficultés actuelles, mais là n'est pas le sujet. Tout ça pour dire que, déjà mal à l'aise, j'évitais de prononcer le moindre mot, des frissons pleins l'échine à chaque fois que je remarquais des regards sur nous. Ironiquement, je suis presque rentré dans l'ascenseur en accélérant le pas, bien content d'être isolé des regards.
Maman rajustait ses cheveux, quand la terre a tremblé. Elle était en train de me demander si je la trouvais jolie, car elle croyait sans doute que son apparence rendrait mon père plus docile, ou du moins elle essayait d'y croire, quand nous avons trébuché tous les deux. Ma tête a heurté le sol avec une telle violence que j'ai cessé de voir pendant quelques secondes, une douleur sourde et brutale immobilisant chacun de mes muscles, m'empêchant même de crier. Je n'ai pas vu maman tomber, au début. La lumière s'est éteinte. Je n'avais jamais été mal à l'aise dans le noir, jusque là, mais la terre continuait de trembler. J'avais l'impression que tout allait s'effondrer, et alors que j'appelais désespérément ma mère, terrorisé, seule sa respiration m'a répondue.

Rapide, irrégulière, sifflante. Je connaissais les symptômes, l'ayant vécu plus d'une fois dans ma vie. J'ai fouillé le sac avec précipitation, les mains tremblantes, tandis que la lumière revenait peu à peu. Plus les secondes passaient, et plus je l'entendais s'aggraver. Mais je ne trouvais rien, parce qu'il n'y avait rien à trouver, tout simplement. Je ne le savais pas encore, mais cela faisait des mois qu'elle n'avait pas touché à sa ventoline.
C'était lent. C'est ça, dont je me rappelle le plus. Ça n'a pas été rapide, du tout. Je crois que je l'ai entendue s'étouffer pendant presque une demie-heure. Enfin, je n'en sais rien. Nous étions coupés de tout, bloqués, et moi-même, je sentais bien que la crise de panique me vidait l'esprit. Les poumons, aussi. J'avais peur de m'étouffer à mon tour. Elle ne disait plus rien de cohérent. Puis, il y a eu un dernier râle, et j'ai vu toutes les lueurs disparaître de son regard. Sa main était encore chaude.

Je serais incapable de vous dire ce qui s'est passé, ensuite. Je crois que j'ai... Disjoncté, en quelque sorte. J'ai hurlé. Après ça, il n'y a plus que le noir. Nagisa m'a dit, longtemps après, qu'on m'avait trouvé lové contre elle, plusieurs heures plus tard, et que je refusais de lâcher sa main. Pourtant, elle était froide.
Ensuite, il y a eu l'hôpital. Pendant presque une semaine, on m'a gardé sous observation, me forçant à me nourrir, mais je vous épargne les détails les plus glauques. Je ne saurais dire ce qui passait dans la tête de Nagisa, à cette période, et je ne sais pas vraiment comment elle a fait pour tenir, quand elle devait m'empêcher de regarder de trop près les fenêtres ouvertes en hauteur. On s'est éloigné, quelque part. Elle s'est renfermée dans son rôle d'aînée, et moi, j'étais de plus en plus incapable de comprendre ce qui se passait autour de moi. C'est peut-être ça, le pire, dans la dépression.
Mon père, lui... Bah, la blague. Il a réagi à la mort de maman comme un enfant à qui l'on aurait dit que son jouet était cassé. Je ne l'ai même pas vu verser une larme (encore aurait-il fallu qu'il en soit capable). Tout au plus m'a-t-il hurlé dessus, me reprochant d'en être le responsable. Pour je ne sais quelle raison, j'y ai cru. J'ai cru que peut-être je nous avais fait rentrer trop tôt dans cet ascenseur, qu'elle s'était étouffée car elle voulait me rassurer avant tout, que j'avais dû l'inquiéter... Je ne sais pas pourquoi je l'ai cru, cette ordure. Mais encore à l'époque, il avait sur moi un pouvoir dont je ne me rendais pas compte. Nagisa, quand elle me voyait baisser le regard, claquait de la langue et me tirait le bras loin de là. Dans sa dureté, même si elle me reprochait de ne pas me révolter davantage, bien qu'elle n'aurait pas dû, je voyais bien qu'elle était de plus en plus usée. Je ne l'ai pas souvent entendu pleurer, de toute façon. Sauf le jour où il m'a laissé avec une fracture de mandibule. Ce jour-là, elle a craqué. Je ne l'avais jamais vu aussi furieuse. On est partis quelque jours chez son copain de l'époque, après. Puis on est retourné à la maison, et il ne nous a pas accordé un regard, évidemment. Les gens de là-bas non plus, pour dire. Comme d'habitude, en somme, et je commençais à fatiguer.

Puis, Nagisa est partie, en août 2013. Je n'ai pas su pourquoi, sur le coup. J'ai appris plus tard qu'elle avait accepté de débarrasser le plancher si mon père me fichait la paix, menaçant de porter plainte, quitte à être écrasée sous la pression des Shimomuras, tant qu'elle pouvait salir définitivement leur réputation. Elle se fichait bien que sa carrière soit brisée, ou quoi que ce soit d'autre. Elle avait toujours eu plus de courage que moi, de toute façon. Mais à ce moment, je l'ai détesté. Du jour au lendemain, elle n'était plus là, et il n'y avait qu'un œuf d'Arcko pour compenser son départ ; c'était bien maigre.
Après, c'était de pire en pire. Je disparaissais de la maison des jours entiers, refusant de croiser mon père, faisant tout ce qui était en mon pouvoir pour échapper à mon quotidien. Peu m'importait qui je côtoyais, tant qu'on ne me posait pas de questions, et qu'on me permettait de croire que j'avais un moyen d'être à l'aise quelque part. Mais je ne l'ai jamais vraiment été, à vrai dire. Ce n'était pas en traînant avec des types aux mœurs discutables, et à faire quelques tags pour jouer le pseudo-rebelle que je m'affirmais d'une quelconque façon. Hormis devenir plus agressif, je n'ai pas réalisé quoi que ce soit de particulier. J'ai pris plusieurs avertissements, d'ailleurs, et j'ai même été expulsé de mon collège. Il n'y avait plus personne, d'ailleurs, pour venir me chercher au commissariat lorsque j'étais pris dans des situations où je n'étais pas plus que présent au mauvais moment. Il y avait bien Namiko pour payer mes cautions, eh. Faut croire que c'était le seul avantage à être né dans cette famille, mais même ça, ça me foutait la gerbe. J'avais horreur de leur devoir quelque chose ; c'est même sans doute pour ça qu'elle le faisait.

J'avais envie de partir. De m'éloigner d'eux, le plus rapidement possible. Alors bien sûr, j'aurais pu attendre l'université pour partir dans un autre pays, mais les multiples blâmes et avertissements sur mon dossier scolaire, en dépit de mes bonnes notes, condamnaient beaucoup mes projets. Je n'étais pas malheureux de voir se fermer les portes des établissements « d'excellence » (la blague), toutefois. Mon futur, je le voyais à m'occuper de pokémon. Mon Arcko et mon Chamallot étaient bien tout ce qui me permettait de tenir le coup, à l'époque, et j'avais développé une curiosité toute naturelle vers le type plante, en plus de celle que j'avais déjà pour le type insecte depuis la Prismillon de ma sœur. Alors, un peu par envie d'aller contre les souhaits de ma famille qui voyaient en moi un énième médecin, homme d'affaires, juriste ou commissaire (bon sang, quel horreur), je me suis inscrit dans un cursus peu prestigieux d'élevage par correspondance. L'équivalent d'un CAP, sur Enola, si vous voulez. Franchement, c'était bien la seule chose que je trouvais intéressante dans ma vie, à cette période.

Mais l'idée de partir me trottait toujours dans la tête. Et puis, un jour, en entendant parler des adultes qui mentionnaient (négativement, bien sûr, le compliment honnête n'existe pas chez les Shimomuras) le fait que j'avais des cousins sur une île de Pacifique, j'ai eu un déclic. Et pourquoi pas, hein ? Dans un pays non asiatique, en plus, j'avais l'idée que je subirais peut-être moins de traditionalisme rigide, et que je serais plus loin de leur emprise, à tous. Bien sûr, toutes mes recherches furent faites en secret. Alors j'ai étudié, j'ai calculé, regardé comment faire, accéléré mon apprentissage du français, que j'avais déjà eu l'occasion de pratiquer grâce  aux (à cause de, plutôt, de mon point de vue) cours particuliers que j'avais depuis l'enfance en terme de langues. Ça ne m'avait pas rendu polyglotte, d'ailleurs, parce que n'avais pas de talent particulier ni d'envie d'apprendre. Vous saurez d'ailleurs que je parle anglais comme un français parle l'anglais, voir pire. Mais là, pour le coup, j'avais une motivation.

Vous me direz, ce n'était pas non plus foncièrement intelligent ou raisonnable, comme projet. Je ne prétends même pas le contraire. J'étais juste tellement désespéré que n'importe quoi aurait fait l'affaire. Et Enola faisait très bien l'affaire : la dictature, pour le coup, je me disais que c'était presque secondaire. Ou du moins, je me persuadais que ce ne devait pas être si terrible, si des touristes continuaient à affluer en masse. J'ai eu l'occasion de voir que non, mais nous y reviendrons plus tard.

Avec le recul... Sérieusement, ce n'était pas l'idée du siècle. Du tout, même. Je suis arrivé dans un pays dont je ne connaissais que la théorie, dont la langue m'était souvent difficile à pratiquer régulièrement (ne parlons de pas de l'écrit, seigneur), dans un état d'esprit où je prenais tout pour une menace. Franchement, ça aurait pu tourner tellement mal, que je suis étonné de m'en être aussi bien sorti.  
Quand j'ai fait part de mon projet à mon père, un peu car il m'avait surpris à faire des valises, il n'a pas énormément réagi. Je ne sais pas si à ce moment-là j'attendais encore quoi que ce soit. Peut-être que quelque part, aussi malsain que ce soit, j'espérais une once de preuve d'affection, malgré tout. Je ne l'ai pas eu. Tout au plus m'a-t-il demandé sèchement combien je voulais pour vivre, mais ça, apparemment, c'est ma grand-mère qui a géré. On m'a donné un numéro, et c'était tout. J'avais ma date de départ : le 16 mai 2014.
Natsume Enodril-Miyano
Natsume Enodril-Miyano
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Lun 27 Nov 2017 - 0:38
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Natsume Enodril-Miyano
CHRONOLOGIE, PARTIE 2
TW torture pour ce passage, même note qu'auparavant.

II. 16 > 19 ans : S'adapter

Après avoir vagabondé un peu, je suis finalement retrouvé devant la porte d'un de mes grands-cousins, inconnu jusque là, Faust Donovan. Je ne savais pas trop quoi penser, à vrai dire. Je n'aimais pas l'idée d'être dépendant de quelqu'un, mais, bah... J'avais seize ans. Et disons que mon père ne rechignait pas trop à me laisser une pension alimentaire tant que j'étais loin, alors je pouvais participer comme je le pouvais. Je suppose que Faust m'a accueilli par gentillesse, bien que je l'applaudis de m'avoir supporté. J'ai rencontré quelques personnes, que ce soit Katya, qui malgré le fait qu'elle était extrêmement enquiquinante était appréciable, Isaac avec qui j'avais une entente cordiale, et la fille de Faust, Alice, qui, bien que j'avais toujours eu du mal avec les enfants, me permettait de les trouver un peu moins insupportables. J'avais la tête hors de l'eau, pour une fois, et bien que je ne savais pas toujours comment le gérer, c'était très appréciable.

Je n'avais pas perdu de ce côté revêche, orgueilleux et colérique qui était devenu la meilleure des carapaces depuis plusieurs années. Enfin, celle qui échouait le moins, en vérité. Je n'avais pas vraiment envie de sympathiser plus que ça, et toutes ses tentatives pour m'approcher me rendaient plus agressifs encore. C'était un peu... Chaotique. Alternant entre rejet et recherche de son attention, j'ai vraiment dû le fatiguer. Lui, de son côté, à se montrer surprotecteur et étouffant, suscitait chez moi des réactions d'aversion toutes naturelles, au vu de l'emprisonnement que je subissais auparavant. Même alors que j'acceptais de me confier et inversement, j'avais tendance à disparaître certains soirs, ne revenant que tardivement, ce qui l'agaçait encore plus. En même temps, avec une guerre civile dehors, j'aurais pu comprendre, même si il m'a toujours semblé inutilement insistant. Quand je revenais, d'ailleurs, c'était toujours une dispute, plus ou moins forte, je claquais la porte de ma chambre, et on se réconciliait après. Sauf qu'il y a eu une escalade, pendant une période.

L'une de ces disputes, toutefois, fut plus violente que les autres. Pour la petite histoire, cela faisait un petit bail que j'avais des soucis avec une petite frappe de quartier, que j'avais provoqué par simple plaisir de voir sa tête se décomposer une fois humilié devant ses sous-fifres. Et, malheureusement, j'avais oublié du haut de mon mètre soixante et de mes cinquante-kilos tout mouillé, sans le moindre muscle, je ne risquais pas de pouvoir me défendre. Après que mon Arcko, enfin, Massko, m'ait défendu et tiré de ce mauvais pas, j'ai traîné mon corps fatigué et douloureux jusqu'à la maison, espérant pouvoir me doucher, et filer au lit juste après, sans répondre de rien. J'avais même volontairement pris mon temps pour rentrer, dissimulant les traces de coups sur mon corps pour éviter les questions.

Mais Faust n'était pas dupe, et on a crié plus fort. Et il est parti en claquant la porte, furieux. Du coup, je me suis retrouvé seul, frustré, en colère, et le corps encore endolori de partout, à rager sur ma console de jeu. Manque de bol, je n'étais pas totalement seul, et Arceus seul savait que je le voulais. C'est là que j'ai rencontré Samaël Enodril. Enfin, rencontré... Disons plutôt qu'il a planté sa tronche devant ma tête, à essayer de sympathiser avec un sourire, et que je l'ai envoyé paître au loin, ne désirant pas qu'un 'enquiquineur' me dérange alors que j'étais d'aussi mauvaise humeur. Je voulais être seul, et avec sa tête que j'aurais caractérisé à l'époque comme 'gentil garçon insupportablement niais protagoniste d'une série d'aventure pour gamins dans un dessin animé et équivalent de dora l'exploratrice', il m'énervait déjà. J'ai été désagréable, espérant par là qu'il foutrait le camp, puisque c'était comme ça que ça marchait depuis toujours.
Manque de bol pour moi, il était têtu. Autant dire que nos débuts ont été... Rudes, disons. Après qu'il m'ait soigné de force, je mourrais juste d'envie de lui coller la droite de sa vie, aussi pacifiste que je sois. Qu'on ne soit pas restés en mauvais termes, d'ailleurs, j'ai toujours un peu du mal à y croire. Mais peu à peu, les choses se sont calmées, et je me suis fait un de mes premiers amis sur Enola. Enfin, pas le premier, hein. Juste que je me montrais plus 'calme' avec les autres, et que cette expérience m'a également permis de m'entendre un peu mieux avec Faust par la suite. Quelque part, c'est aussi grâce à ça que j'ai progressivement cessé de voir tout le monde comme une menace potentielle. Yasmina Black me prenant comme stagiaire dans sa pension, j'ai aussi pu approfondir mes connaissances en élevage, et valider mon diplôme à la fin de l'année.

Je ne pouvais pas, toutefois, rester éternellement en dehors des conflits qui secouaient l'île. J'avais beau fermer les yeux sur ce que je voyais, un événement m'a ramené à la réalité. J'étais à Vanawi, en juillet 2014, quand Sulfura a surgi du Limar, rendu furieux par un homme qui tentait de le contrôler. Je n'étais pas sur le « champ de bataille », toutefois. Faust m'avait déposé à l'arrière, et, protégé par son Absol. C'est la première fois que j'ai vu un désastre de mes yeux. Un vrai, et pas ce qu'on montrait à la télévision avec autant d'apathie que si c'était une énième pub pour un film de science-fiction. Et puis, il y a eu un choc. Une gamine est morte dans mes bras : elle était à peine plus âgée qu'Alice. Encore sonné, j'ai porté son cadavre jusqu'à l'endroit où l'on commençait à soigner les blessés, et il a fallu un coup de l'Absol pour que je comprenne que ça ne servait à rien.
J'ai fait quelque chose que je n'avais pas fait jusqu'alors : m'impliquer. Même si mes bras tremblaient et que je ne devais mes maigres connaissances qu'à ce que m'avait appris Mina et les livres, j'ai essayé d'agir. Alors bien sûr, faire des bandages, calmer des gens blessés, ce n'était rien. Foncièrement, c'est même carrément inutile, mais sur le moment, j'ai eu l'impression que je faisais quelque chose de bien. Que je n'étais pas centré sur moi-même. J'avais envie d'aider ces gens, alors que la notion de m'impliquer m'aurait fait horreur il y a quelques mois à peine. Franchement, peut-être que j'ai rattrapé mon désir obsessif de me prouver que je pouvais avoir une utilité, une valeur, comme ça, aussi égoïste que ce soit. Aucune idée. J'ai agi comme... Ouais, nan, je vais pas dire « comme me le disait mon cœur », bordel, on dirait de la mauvaise fiction. Et j'aime pas la fiction.

C'est d'ailleurs à cette occasion que, m'occupant de la blessure que s'était infligé Samaël en tentant de calmer Sulfura, notre lien a commencé à se raffermir. Au fil du temps, nous sommes devenus plus proches, et j'ai commencé à me confier sur des craintes passées, ce qui était encore nouveau pour moi. Lui-même se dévoilait un peu je crois, et nous pansions en quelques sortes nos traumas communs mutuellement, tous deux dans une période où il nous fallait passer au delà d'une année éprouvante.
Dire que je m'attendais à développer des sentiments amoureux pour lui, néanmoins, était une vraie blague. Alors oui, bien sûr, il y avait depuis un mois ou deux un étrange début de tension entre nous, et des échanges qui auraient dû nous mettre la puce à l'oreille, mais sérieusement, j'veux dire... Tout ça, je m'en fichais pas mal. Et je n'avais pas l'intention d'interrompre mon petit train-train pour ce « genre de niaiserie ». C'était difficile, au début, d'accepter ça. Il a bien fallu l'aide de Katya pour que je comprenne quelque chose, et ça m'a terrorisé. Au delà même de l'idée de rejet ou autre, l'idée d'attacher autant d'importance à quelqu'un me faisait peur, et je voulais simplement étouffer mes émotions jusqu'à ce qu'elles suffoquent. Ça n'a pas marché. C'était même carrément un désastre et, en l'évitant, il est vite apparu qu'il y avait un souci. J'ai fini par craquer et lui révéler la vérité, désireux qu'il s'en aille et me fiche la paix, pour que je n'ai plus à me sentir ainsi. Ça n'est... Dites, je vous ai déjà dit que je suis nul pour ce qui est de comprendre les émotions des autres ? Oui, parce que je n'avais toujours pas compris que mes émotions étaient réciproques, et j'ai eu l'air ridicule. Enfin bref. Tout ça pour dire que ce fut un élément important. Je ne prétendrai pas que tout était tout beau tout rose tout le temps, néanmoins. Il y a eu des disputes, nombreuses au début, des désaccords, des tons mal choisis, et même carrément des propos désagréables de notre part à tous les deux. Mais on a appris à gérer et ne plus répéter les mêmes erreurs, ce qui, bien que c'était difficile pour moi, m'a rendu plus apte à me montrer respectueux des sentiments des autres. Quelque part, en me forçant à gérer des conflits, chose que je n'avais jamais fait avant, j'ai pris en maturité.

Je prenais mes marques, peu à peu. Dès septembre 2015, j'avais entrepris de commencer un cursus en faculté, débutant une licence en sciences de la vie. En effet, mes recherches d'amateur commençaient à avancer et j'étais persuadé que je ne risquais rien à prendre ce chemin, sachant que je ne me sentais pas encore « prêt » à vivre de l'élevage. J'avais tant à apprendre... Et je ne comprenais pas encore assez. J'avais aménagé un petit laboratoire très sommaire dans ma chambre, et j'avais commencé quelques études, à mon niveau, qui ne me menaient souvent qu'à tenter d'approfondir mes connaissances, continuellement frustré par mon expertise que je ne jugeais assez bonne. Mais, ironiquement, j'aimais ce que je faisais.  
J'ai rencontré Charlie vers le début du mois de novembre, il me semble. Je serais infoutu de vous donner une date exacte. Une longue histoire de cambriolage qui a mal tourné, et de tentatives plus ou moins fructueuses de les arrêter. Les détails ne sont pas si importants que ça, mais la relation amicale que je formais avec elle était quelque part le résultat de cette ouverture progressive. Elle me rappelait un peu Kaori, des fois, aussi, et elle est devenue à son tour ma meilleure amie. Je pourrais citer d'autres personnes, comme Adélia, Tristan, et d'autres, mais l'idée était un peu près la même. Une petite routine se formait tranquillement, jusqu'à décembre de cette même année.

Après deux ans d'absence, je revoyais Nagisa. Débarquée de Madrid, elle était venue me retrouver chez Faust et je... Je n'ai pas très bien réagi, non. J'ai pesté, ragé, vociféré comme un animal blessé, souhaitant étouffer dans ma colère une douleur sourde que je n'avais jamais vraiment réussi à apaiser. Elle, elle avait l'air de s'en ficher. Je crois plutôt qu'elle s'était préparée à ça, et après tout... Je n'étais pas vraiment le premier type à lui hurler des horreurs à la figure, hein ? Je devais avoir l'air ridicule, face à elle. Je le suis devenu encore plus quand, après qu'elle m'ait confié le journal de ma mère, je découvrais les dessous de ce que j'avais toujours vu, de loin, sans jamais le comprendre. La folie lente de maman, la souffrance de Nagisa, les raisons de son isolement. J'ai mis un temps à prendre le choc. Je le prendrai toujours, je crois. Mais j'avais arrêté de me voiler la face, et je crois que c'était déjà un grand pas.

L'événement dont je me rappelle plus, ensuite, c'est la progression des mes recherches au mois de janvier. Après des semaines de tâtonnements et d'échecs répétés, je n'y croyais plus vraiment. Enhardi par cette réussite qui me donnait pour la première fois confiance en ce que je faisais, je n'ai toutefois pas pu m'empêcher d'être surpris lorsqu'une des professeures de mon université m'a contacté. J'avais envoyé mon idée de travail pour un concours quelconque, sans trop d'espoir, mais j'avais été choisi en « deuxième option de secours » pour intervenir, très ponctuellement, au cours d'un colloque. C'était mon premier contact avec le monde académique, et il m'a fasciné. J'avais l'impression d'être libéré de toutes ces normes rigides qui avaient rendu ma scolarité si pénible, auparavant. Admiratif, sûrement trop, d'ailleurs, je prenais madame Kenway comme modèle scientifique, et elle n'a jamais vraiment cessé de m'aider quand je venais lui demander son aide. Plus tard, cette aide se révélerait plus précieuse que je ne l'aurais cru.

Un problème, toutefois, m'attendais au tournant. Enfin, celui-là, je l'avais vu venir, je crois. J'avais beau vouloir fermer les yeux, je ne pouvais pas prétendre que je ne voyais pas Faust disparaître à intervalles réguliers, ou que je ne me rendais pas compte que mon copain quittait le lit en pleine nuit, me laissant parfois sans explications, ou du moins aucune qui ne soit pas un mensonge dissimulé. J'étais, je crois, à cette période, incapable d'aborder le sujet sans la crainte de la réaction qui suivrait. Je n'avais jamais vraiment abordé de sujets aussi compliqués sereinement. Durant longtemps dans ma vie, les problèmes ne se réglaient pas : ils se taisaient, se conservaient, et on tentait les oublier, aussi inefficace que ce soit. Alors je fermais les yeux, et je ne disais rien. Je souriais, alors même que j'avais sous la gorge une bile amère de reproches, de tristesse et de colère à revendre. J'avais peur. Peur de devoir enterrer de nouveau des gens, peur de voir s'effriter un sentiment de sécurité que j'avais cru enfin à ma portée. Sans doute que mon incapacité à accepter les visions autres que la mienne à ce moment-là ne m'aidait pas à calmer ma colère, moi qui trouvait les actes de la résistance tout particulièrement futiles. Et puis il y a eu le mois d'avril 2015.
Je venais tout juste d'avoir dix-sept ans qu'on m'apprenait que Samaël s'était fait tirer dessus, et avait échappé de très près à une mort précoce. Si il y a une chose que je ne pourrai jamais oublier, c'est l'odeur de son sang qui agressait mes narines alors que j'attendais, prostré à une chaise, dans un bunker inconnu, les muscles paralysés, tant par la peur que la mémoire de la mort de ma mère qui me revenait violemment en tête. Je me souvenais aussi de l'odeur du sien, ce jour-là.
Après ça, sans surprises, nous nous sommes disputé. J'ai pris la décision d'altérer ma mémoire, effaçant le souvenir de son apparence de résistant car je savais que le reste me reviendrait forcément, et j'ai espéré que ce serait suffisant. Ça ne l'était pas. Nous n'avions pas assez parlé, et des pensées étaient restées cachées, surtout de ma part. J'avais ravalé ma colère, me disant que c'était normal, et avait laissé la rancune faire son chemin dans un coin de mon esprit. Je lui en voulais. Et oui, je sais que ce n'était pas sain. C'était pourtant tout ce que je connaissais, et je n'avais jamais eu le moindre exemple pour me montrer une meilleure façon de procéder. Alors je me taisais, quand je le voyais partir, me contentant d'un visage fermé et d'un ton froid, distant. Je me disais qu'il méritait mon mépris, qu'il n'avait qu'à assumer ses choix et cesser de se dérober comme un lâche à chacun de mes propos, alors même que je savais être le principal responsable de la tension sous-jacente entre nous. Enfin, je voulais apaiser ma sensation de culpabilité en pensant ceci, comme si cela pouvait suffire à effacer les erreurs de mon comportement parfois carrément odieux. Tout au plus, je ne faisais que faire des sous-entendus de temps à autre, ou des remarques cinglantes. Peut-être que je voyais là un autre abandon, semblable à celui de Nagisa, peut-être que la mort de Nova, la petite-amie de Katya, dont la détresse m'était visible chaque jour, me rappelait cette possibilité d'être à sa place, ou alors c'était la crainte du conflit qui m'empêchait de parler. Je ne saurais pas dire quel élément était le plus fort. La rancune s'est tassée dans un coin, mais, par chance, elle n'a pas eu le temps de me dévorer avant que les choses n'empirent.

La thérapie que j'avais débuté depuis peu, ne serait-ce que pour calmer mes craintes quant aux tremblements de terre, me fatiguait assez pour que je sois trop épuisé à l'idée même de débuter un conflit. Et mes recherches qui avançaient à grand pas, du moins, à mon niveau, m'occupaient l'esprit. Intéressé par les poudres de mes pokémon insectes, je commençais à m'interroger de plus en plus quant à l'impact de leur constitution génétique quand à celles-ci, ce qui n'était pas si anormal, au vu de mon métier d'éleveur.
D'ailleurs, pour m'acheter du matériel, j'ai commencé à mettre la main à la pâte et à accumuler les petits jobs. Fleuriste, vendeur de fast-food, serveur, magasinier, père noël de supermarché (n'en parlons pas), devoirs à la maison, plongeur, agent d'entretien... J'ai dû faire le tour, vraiment, d'à peu près tout ce que je trouvais, et je m'en fichais, tant que ça me permettait de m'approcher un peu plus près des outils dont j'avais besoin. Ce n'était pas inutile non plus, même si mon ego m'en empêchait de m'en rendre compte sur le moment. Pour moi qui était né les fesses dans la soie et qui avait grandi dans une famille où l'argent n'avait jamais été un souci, c'était un rappel à la réalité diablement nécessaire, je le crois. Je ne l'ai pas pris comme un choc, du tout. Cela m'a permis de comprendre des choses simples, et d'ouvrir un peu mes yeux sur la réalité, voir la dureté, du quotidien pour madame-monsieur-tout-le-monde. Ce monde-là me fatiguait et me peinait, même si je faisais encore un peu comme avec tout depuis que j'étais enfant ; je tentais de garder mes sentiments au loin, apeuré par ma propre empathie naturelle, elle qui m'avait apportée tant de difficultés par sa sensibilité. Quelque part, je crois que ça a constitué un des éléments majeurs, l'air de rien, de mes convictions politiques actuelles.

J'ai rencontré April peu de temps après. Un peu plus jeune que moi, je l'avais tiré d'un mauvais pas (en vrai, mes pokémon l'ont fait), alors que je cherchais un Abo dans le but d'en extraire le venin pour mes recherches (et aussi un peu parce que j'aime les reptiles, faut pas déconner). Et, vu qu'elle était passionnée de poison, on a très vite sympathisé. Je n'ai appris que plus tard que c'était la fille adoptive de madame Kenway, mais je me fichais bien de ça. J'avais de l'admiration pour ses efforts, personnellement, et cela me faisait toujours plaisir de parler à quelqu'un de mon domaine, alors... Enfin, dans ce registre, il y avait aussi Mell. On s'est rencontré par des Tds en commun à la fac, malgré des années différentes, et j'étais bien trop content de m'être fait un pote en cours (c'était rare, soyons honnête, avec mon expression patibulaire). Je n'avais plus besoin d'utiliser les méthodes d'avant pour sociabiliser, et il me motivait à continuer sur ma voie, malgré mes crises de pessimisme fréquentes.

Mais il y a eu la marche. Je n'avais pas prévu d'y aller, au départ. Mais je savais, au fond de moi, ce qui allait se produire. Je le savais quand April a prétendu être ailleurs, je le savais quand Faust et Sam ont disparu, je le savais même avant que les premières nouvelles d'une fusillade n'éclate. Je ne saurai pas trop vous dire pourquoi ce jour-là en particulier. Sans doute que c'était ça, ma goutte d'eau. Une marche pacifiste qui vire en bain de sang. J'ai pris mon Majaspic avec moi, et j'y suis allé.
Je n'ai pas eu le temps de faire grand chose, toutefois. Alors oui, j'ai pu éloigner et défendre quelques personnes, mais je n'ai pas eu de chance. La vie n'est pas un nanar holiwoodien, de toute façon. J'ai eu le temps d'épargner à April un sort funeste en prenant un coup pour elle, même si il m'a coûté cher. Un couteau dans l'abdomen plus tard, et je me retrouvais à me vider de mon sang chez la sœur aînée de mon amie. Je vous épargnerai les détails glauques sur comment vous vous sentez après une hémorragie, des organes endommagés, et près d'un mois en fauteuil roulant. Vous n'imaginez pas, toutefois, à quelle ingéniosité j'ai fait fait recours pour ne pas avoir à être trop dépendant des autres. Mais je ne regrettais pas, malgré tout, même quand les médicaments et la douleur me gardaient éveillé certaines nuits, débilité par la souffrance après un mauvais geste. Alors bien sûr, personne n'aime souffrir, et j'aurais bien aimé passer outre cet instant déplaisant, mais la constatation était la même. La peur était présente, également. Mais il y avait de la fatigue, de l'agacement, et une forte envie de cesser de détourner le regard. Cette dernière ne m'a plus quitté, par la suite.

En parlant de la sœur aînée d'April, d'ailleurs, celle-ci m'avait demandé de passer la voir, à l'occasion. On avait un peu discuté entre temps, et sans que ne je connaisse vraiment ses raisons, elle s'était proposée pour m'entraîner. Si j'avais envie de refuser au départ, je devais me rendre à l'évidence : avec ma carrure de brindille, mon talent inexistant en sport et en combat (je veux dire, donner des mandales à des brutes, ce n'est pas vraiment du haut niveau), je risquais surtout de me faire un nouveau sourire de joker au bide si je recommençais ce que j'avais fait sans préparation. Elle me disait qu'elle avait une dette envers moi ; je crois qu'il y avait aussi de la curiosité de sa part. Et de la mienne aussi, car j'avais rarement l'occasion de trouver quelqu'un qui pouvait me défier à ce point et tenir le jeu, ce qui ne me déplaisait pas totalement (j'aime bien batailler verbalement, que voulez-vous, chacun son 'kink' comme disent les jeunes). Je la prenais suffisamment au sérieux pour l'écouter, malgré le fait qu'elle ne me faisait pas le moindre cadeau et que ses opinions divergeaient radicalement des miennes sur de nombreux points.
Elle n'a pas compris, d'ailleurs, mon désir de pacifisme. Mais j'en avais simplement marre. Les cris, la violence, je les connaissais depuis que j'étais enfant. C'était celle qui avait blessé ma mère et ma sœur, moi, également, celle qui blessait parfois les pokémon que je récupérais, celle qui blessait mes amis et mes proches depuis que j'étais ici. Je n'en pouvais plus, d'un côté comme de l'autre. L'opinion négative que je me faisais de la Résistance, certes beaucoup moins appuyée que celle tout bonnement méprisante quant au Régime, me faisait encore refuser de les rejoindre. Pour moi, ils n'étaient pas foncièrement blancs, en « provoquant » le Régime, même si je savais que c'était beaucoup plus compliqué et que je simplifiais selon mon bon vouloir. Leur violence ne me semblait pas excusable non plus. Pourtant, j'ai bien été forcé d'accepter qu'elle avait raison en me disant que je ne ferais que prendre des risques inutiles, à rester planté entre les deux camps, si je voulais pouvoir soigner des innocents. La Résistance avait moins de chances de toucher des civils, alors soit, si il fallait écouter leurs grands laïus sur la liberté... J'y étais prêt. Et Athéris est né.

Mes débuts dans la résistance n'ont pas toujours été faciles, et je n'avais pas véritablement envie de les rendre aisés. J'envoyais paître au loin les résistants qui tentaient de sympathiser, pas forcément en me montrant désagréable, mais juste en étant, bah... Moi. C'est à dire coincé, froid, et sec ; je n'étais pas là pour faire ami-ami, et c'était ma méthode pour m'empêcher de penser au fait que certains disparaissaient entre chaque « mission ». On débattra ailleurs sur mon manque de maturité, parce que franchement, je ne suis pas d'humeur à ça. Tout ça pour dire que je ne suis pas fait des masses d'amis, et que Golden Wings, que j'ignorais être l'identité résistante de mon copain, faisait partie de ceux-là. C'est important pour plus tard, je vous le promets. Je pourrais vous raconter comment on s'est retrouvés la tête dans le fumier, mais franchement, ce n'est pas très intéressant.  Près de six mois s'étaient écoulés, sans que je n'ai de soucis trop grave. Et ensuite, il y a eut février 2016.

Je ne sais absolument pas comment parler de tout ça. Depuis le début, je suppose, c'est déjà bien. C'était une simple mission de routine, de base. Enfin, plus dangereuse que d'ordinaire. Il avait fallu s'aventurer dans les environs des zones dévastées de Baguin, puant la poudre et le sang sans interruption depuis années, de ce qu'on m'en avait dit. Je n'avais pas posé trop de questions, à vrai dire. Je faisais ce que je devais faire, voilà tout. Mais la ligne de front a reculé, ce jour-là. Bien trop vite pour que quiconque n'ait le temps d'évacuer convenablement les soigneurs à l'arrière, ou les blessés qu'on emmagasinait là. J'avais une formation en combat, alors j'ai tenu le coup, mais les accidents arrivent, et j'ai été saisi par des régimeux, comme une dizaine d'autres pauvres âmes, et emmené par un fourgon.
Je ne savais pas à quoi m'attendre, à ce moment. J'avais une idée, bien sûr. Entre résistants, les rumeurs couraient, et j'avais eu assez du très peu que laissait échapper Samaël à ce sujet pour me faire une idée de ce qui m'attendait. Je m'étais renfermé dans le silence, un peu comme quand j'étais enfant, tentant d'oublier la peur en ne pensant plus à rien. Ma dissociation aurait presque fonctionné, si l'un des deux gardes de l'arrière n'avait pas fait l'erreur de toucher à un gamin blondinet, aux traits qui me seraient plus tard familiers sans que je ne les reconnaisse, menaçant de l'achever comme il avait achevé quelqu'un avant lui. Quelques morceaux de sa cervelle tâchaient encore mes chaussures, d'ailleurs.

Je n'ai pas pu m'empêcher d'intervenir, malgré la peur qui me tenaillait le ventre. Technique habituelle : un peu de provocation et d'ego vexé, et l'attention de cette brute était sur moi. Les coups, ça, franchement... Bah oui, c'était pas fun, mais j'avais déjà vu pire. Au pire, je me disais que ça m'éviterait d'avoir à rester conscient durant tout le voyage jusqu'à la prison. Mais, en voyant les fioles qui se trouvaient dans mes poches de l'avant, il a eu une idée, peut-être trop brillante pour quelqu'un d'aussi stupide (et oui j'ai tendance à traiter d'imbécile tous ceux que je n'aime pas, c'est totalement arbitraire et je le sais). Il n'a pas eu le temps de m'en faire avaler beaucoup. Une seule est passée par ma gorge.
C'était suffisant. De toutes les créations que j'avais réalisé en échouant à fabriquer des médicaments, celle-ci était celle dont je n'étais pas sûr des résultats, et que j'appréhendais d'utiliser. J'aurais dû suivre ma première impression et la laisser rangée sous clé dans mon laboratoire, d'ailleurs. Mais c'était trop tard. Le goût était immonde, mais là n'était pas la question. L'effet n'a pas été immédiat. Enfin, l'effet sur le long terme : à court terme, il y avait la douleur, la sensation de brûler à petit feu, et la violente nausée qui m'avait percuté. Mais le pire n'est pas arrivé tout de suite.
Oh, non. J'ai eu le temps de sentir le fourgon être attaqué de plein fouet par une attaque, que je serais infichu de vous détailler, car j'étais à l'intérieur, je vous le rappelle. Et le véhicule a fait des tonneaux pendant un temps, m'envoyant aux pays des limbes suite à une chute brutale et à un choc au niveau de la nuque.

Je n'étais pas vraiment inconscient, mais dire que j'étais pleinement dans le contrôle de mes pensées, de mon corps ou même dans un état mental normal aurait été une vaste blague. Comprenez, je me suis réveillé avec une barre de métal fichée dans ma jambe droite (qui m'a laissée une cicatrice, d'ailleurs, étrangement petite au vu de la douleur), et un autre problème, en plus du fait qu'ouvrir les yeux dans un champ de bataille ne soit pas vraiment idéal. Heureusement pour moi qu'un de mes collègues résistants m'avait récupéré, d'ailleurs, car j'étais encore en train de réaliser ce qui se passait.
Ou du moins, de réaliser que je ne savais rien. Impossible de me rappeler mon nom, ou même ce que je faisais là. Ce que j'avais avant. La douleur et le choc m'empêchaient de réagir. Parler me semblait dur, tout comme le fait de comprendre ce qu'on me disait. J'étais désorienté, et j'aurais été bien incapable de situer quoi que ce soit dans l'espace-temps ; ces problèmes m'ont même accompagné pendant des mois, après. Plus tard, j'ai appris que la fiole de poison qu'on m'avait fait boire avait provoqué un blocage des artères, qui avait abouti à une coupure temporaire en alimentation du sang dans le cerveau. Le résultat, je le ne connaissais pas encore, mais il était sans appel : amnésie neurologie transitoire, avec récupération rendue bien plus ardue suite à un choc traumatique important. Ça, évidemment, je ne le savais pas. J'étais bien trop perdu. Seule la mort de celui qui m'avait sauvé avait réussi à me tirer une réaction, mais je n'avais pas eu l'énergie de m'enfuir quand quelqu'un s'est approché. J'aurais dû.

Après ça, je... Disons que les champs de bataille, ce sont pour certains l'occasion de pouvoir faire ce qu'ils veulent, avec l'assurance de ne pas avoir à s'inquiéter que l'on retrouve les corps. Il y en a partout, après tout, n'est-ce pas ? Le mien ne ferait pas de différence. Enfin, je n'en sais rien. Quand je me suis réveillé, le dos ligoté à une chaise, face à une femme qui n'attendait que ça pour se mettre à son œuvre, je vous avoue que j'ai cru à une blague. Ce n'était pas possible, que tout se suive comme ça, n'est-ce pas ? J'ai bloqué. Enfin, j'ai bloqué jusqu'à ce que la lame me lacère la peau. Une fois, puis deux. Encore, encore, et encore. Je n'ai pas mis longtemps avant de hurler. Personne n'aurait pu, je crois. Je n'ai jamais compris pourquoi elle faisait ça, mais vraiment je m'en fichais. Puisqu'elle tenait mon Majaspic sous la menace, je ne pouvais rien faire d'autre que subir alors qu'elle continuait de marquer cette foutue marque en X dans mon dos. La douleur était telle que je n'étais plus vraiment conscient, et je n'arrivais même pas à voir devant moi. Je ne me souvenais plus que d'une chose : d'une manière ou d'une autre, le nom d'Athéris me disait quelque chose. Alors ce devait être moi, n'est-ce pas ? Je m'y raccrochais même désespérement.

Sans mes autres serpents, Fran et Byakuran, mon Arbok et mon Séviper, je ne m'en serais pas sorti vivant. Leur offensive nous a permis d'immobiliser ma tortionnaire, par un crachat d'acide dans la figure, tandis que je déversais le contenu d'une de mes seringues dans ses veines. Ils nous ont sauvé, et m'ont tiré loin de là alors que je continuais de me vider de mon sang. J'étais... J'étais très près d'y passer, ce jour-là. J'ai eu beaucoup de chance. Et à vrai dire, j'y serais passé si un dernier signe du destin ne m'avait pas attiré loin des bras de la mort.

C'est la bonté d'un groupe qui m'a sauvé. Une bande de quatre personnes, survivant en squattant dans une maison dévastée et abandonnée des ruines de Baguin. Deux d'entre eux m'avaient trouvé en train de me vider, Hatori lové contre moi, jusqu'à ce qu'ils ne parviennent miraculeusement à stopper hémorragie. J'apprenais plus tard leurs noms : Yannick (mais il préfère Yann), une grande perche mal rasée excentrique très amicale et joueuse, Jean, un homme bourru mais doux comme un agneau, Laure, une femme dont les rictus moqueurs trahissaient toujours une once d'inquiétude, et enfin Maxime, un jeune homme (en fait non) de mon âge avenant et bien trop gentil. Maxime, qui avait étudié la médecine quelques années, m'avait évité une mort subite, bien que je continuais de boiter et que j'étais encore fragile comme un Vivaldaim, à l'époque. Je tremblais à chaque pas, et une douleur sourde me remontait le corps à chaque fois que je faisais un geste brusque. Mais malgré le fait que j'étais un poids, malgré le fait que j'étais supposément un résistant, malgré le fait que je ne pouvais pas les aider, ils m'ont gardé. Ils m'ont aidé, alors que je ne savais pas moi-même si ils auraient dû le faire. Et pour ça, je n'aurai jamais assez de reconnaissance.

Ma mémoire en lambeaux, mes souvenirs des douleurs récentes que j'avais subi, les traumatismes divers qui me gardaient éveillés chaque nuit, et mon état physique plus que discutables ne me rendaient pourtant pas particulièrement amical. Seul ce foutu faux nom était stable, alors c'était tout ce que j'avais. Cette personnalité froide et distante était devenu tout ce que j'avais de moi-même. Parler de troubles de la personnalité à ce sujet, d'ailleurs, n'était pas du tout exagéré. Je ne m'en rendais pas compte, évidemment. J'avais déjà assez à faire pour survivre sans avoir à m'embêter de ce genre de considérations, même si elles hantaient mes nuits.
Je n'ai pas toujours été correct, avec eux, d'ailleurs. Alors bien sûr, dès que je fus en état, je me mettais à les aider, apprenant même par là à construire des petits meubles basiques, talent qui m'est encore utile aujourd'hui. Je partais à la recherche de nourriture abandonnée une fois que mon corps pouvait me permettre de fuir lorsque le combat se rapprochait de trop près, ou que des personnes agressives se faisaient connaître. Même négocier avec d'autres groupes était devenu quelque chose que je me forçais à faire, outrepassant ma timidité en me persuadant que j'en étais capable, puisque je pensais que c'était ainsi qu'Athéris agissait. Mais malgré tout, il m'arrivait d'être désagréable, surtout au début.
Je m'étais montré odieux avec Maxime, tout particulièrement. Je ne sais pas pourquoi, mais quelque chose dans son caractère m'énervait. Sans doute était-ce sa gentillesse, qui me renvoyait l'image de ma propre indignité, ou encore le fait que j'estimais qu'il se mêlait d'affaires qui ne le regardaient pas. Yann, lui, ne s'en formalisait pas, tandis que Laure me renvoyait la balle. Seul Jean ne savait pas trop où se mettre, mais il était souvent bien trop doux pour que mon mauvais tempérament me fasse réagir.

Pourtant, j'ai changé, petit à petit. Chacun d'entre eux m'a apporté quelque chose, et m'a fait découvrir un nouveau point de vue, des choses que je n'aurais jamais imaginé jusque là, ou que je n'avais tout simplement pas vu auparavant. En même temps, de là où je venais... Mais justement. Ces préjugés-là, je ne les avais plus. J'étais vierge de toutes préconceptions. Ma méfiance diminuait avec le temps, et ils devinrent vite mes nouveaux piliers, me permettant de me détacher de cette identité à laquelle je me raccrochais obsessivement auparavant. C'est Yann, d'ailleurs, qui m'a offert le long manteau que je ne quitte plus depuis, et auquel je suis étrangement attaché. Je les admirais, quelque part, et j'essayais de me forcer à sortir de mes plate-bandes pour leur rassembler un peu plus. L'ingéniosité de Yann, la gentillesse bourrue de Jean (bon pour cette partie, faut pas abuser non plus), l'éloquence de Laure ou bien même l'optimisme souriant de Maxime ; tout me montrait que j'avais beaucoup à apprendre. Et j'étais avide d'apprendre. Il n'y avait que ça à faire, après tout.
Tout n'était pas rose non plus. Le danger, le froid, car même sur une île tropicale on vient à le ressentir quand on ne ne peut jamais se réchauffer la nuit, et la faim. La faim, surtout, était la pire. Les douleurs abominables qui tordaient le ventre dès lors que l'on passait plus de deux jours sans se nourrir, ou alors avec pas plus qu'un quart de boîte de conserve, la perte de goût devant les aliments insipides et parfois (voir souvent) périmés que l'on s'enfilait sans poser de questions, et la difficulté de devoir se rationner sous peine de ne pas tenir le long terme. Je connaissais pas tout ça. Mais j'en venais à développer une hargne non négligeable contre ce monde qui était bien heureux de nous laisser au loin, à mourir lentement. Le Régime comme la Résistance : aucun d'entre eux ne mettait un terme aux combats qui auraient pu nous coûter la vie chaque jour, ne serait-ce que par une balle perdue. J'en voulais aux gens que je croisais dans les rues, parfois, de prétendre que tout allait bien. J'en voulais à tout, sauf à eux. Mes vieux démons revenaient, mais je ne pouvais pas les reconnaître, cette fois.

Je fatiguais, de plus en plus. Mes souvenirs ne revenaient pas, et hormis quelques bribes très vagues, je continuais d'être désespérément perdu. Je sentais, en plus, que nous avions de plus en plus de mal à nous nourrir. Puis, il y a eu un moment fatidique. Lors d'une soirée où nous avons été attaqués par un autre groupe, Maxime et Laure ont pris une balle. Si Maxime, dont j'avais découvert le genre féminin depuis longtemps suite à un accident (que j'aimerais effacer de ma tête), m'assurait dans sa convalescence que je n'étais en rien une gêne, c'était trop tard. L'idée s'était introduite dans ma tête.
Alors, persuadé que je trouverais quelque chose en fouillant du côté de la Résistance, je suis parti. J'ai essayé de les rejoindre, faisant comme si tout était normal, surpris parfois de rencontrer des regards ambivalents de la part de résistants que je connaissais déjà. L'un d'entre eux, d'ailleurs, m'aurait dit quelque chose si mes souvenirs n'étaient pas trop flous. C'était bien ironique, quelque part, que Golden Wings me trouve sans me reconnaître, alors que cela faisait un mois et demi qu'il me cherchait sous un autre nom. Pour peu, j'en rirais presque quand j'y pense.

Nous nous sommes battus. J'étais au bout du rouleau, lui aussi, et c'était la cible parfaite de ma frustration lentement accumulée. Notre combat pathétique, d'ailleurs, dont la violence se limitait à son agressivité, fit chuter mon déguisement. C'était fini, à ce moment. Même si je ne comprenais pas sa réaction de choc, ou même le nom qu'il cria alors qu'il semblait me reconnaître, lui paraissait fou de joie. De mon côté, j'étais terrorisé. Sous le choc, trop d'informations se heurtaient à mon visage. Je croyais au piège, et la panique me rendait illogique. Il fallut l'intervention d'Hatori pour que je le crois et accepte de le suivre. Au bout de tout ce temps, j'étais enfin revenu à la maison, mais j'avais encore beaucoup de mal à la considérer ainsi.

Redécouvrir tous ces visages, tous ces lieux, c'était particulièrement difficile. Ma sensibilité, toujours haute, en prenait un nouveau coup, et les surcharges sensorielles étaient fréquentes. Je ne comprenais pas le sens de leurs regards, ou même de leurs paroles. Pour eux, j'étais Natsume. Moi, j'avais encore du mal à tourner la tête quand on m'appelait ainsi. Je n'arrivais pas à me sentir chez moi, même dans ma chambre, que je trouvais froide et inhospitalière. Même redécouvrir mes pokémon fut compliqué. La présence insistante de Samaël, quant à elle, me rendait mal à l'aise, car j'étais sûr malgré tout que quelque chose clochait quand il me parlait du fait que nous étions amis. Seul Clive, le jumeau de Faust, trouvait grâce à mes yeux. Sortant lui aussi d'une période très dur, tout aussi perdu, je crois que nous avons vu l'un en l'autre une figure étrangère, qui ne nous regarderait pas avec des attentes pleins la tête. Ou du moins, on le voyait comme ça. C'est assez rapidement devenu un ami et, aussi étrange que ce soit pour moi, il se mettait à me prendre comme confident. Adouci par mon séjour dehors à ce sujet, je ne l'avais pas repoussé. C'était plaisant, de pouvoir faire confiance. Sans doute que je me reposais sur ses silences, lorsque nous nous retrouvions à deux dans la bibliothèque, pour me construire un semblant de calme.
Ma sœur fut l'une des premières que je revis. D'elle, je ne me rappelais rien. Mais il y avait dans ma poitrine ce sentiment indescriptible, cette affection que je ne saisissais pas totalement, qui me poussait à tenter de comprendre. Sans ça, je me demande si j'aurais continué, tant le chemin de récupération était douloureux. J'avais perdu l'espoir de retrouver la mémoire, mais sa douleur m'avait poussé à me montrer courageux.  

Alors bien sûr, les problèmes de santé étaient multiples. Suite à mes privations sur la durée, mes carences et mes blessures, j'étais sous surveillance médicale accrue, et mon métabolisme digestif commençait déjà à présenter des signes de dysfonctionnement, durement touché. J'avais perdu une dizaine de kilos, et tombait dans une maigreur affolante, mais je devais me réhabituer petit à petit à manger, chose qui était devenue difficile et plus du tout ordinaire. Là, encore, j'arrivais à me forcer, également car Clive était intraitable à ce propos. Mais c'était long, pénible. Et je ne parle pas de mes douleurs liées à l'asthme, car nous en aurions pour trop longtemps. Un mois s'est découlé comme ça, jusqu'à la fin du mois de mai de cette même année.

Je n'y croyais plus, à vrai dire. Mais il y a eu un déclic, lié à un vieux souvenir cher qui m'en avait rappelé d'autres, et ainsi de suite. Je récupérais ma mémoires, par morceaux certes, mais des morceaux suffisamment gros pour que beaucoup de choses fassent sens. L'afflux soudain d'informations, et ça ne vous surprend plus à force, m'a provoqué une crise de panique que Faust a dû calmer. Mais la colère, elle, n'avait pas diminué. Cette rage envers le monde bouillait encore, et je ne savais pas quoi en faire.
Je savais, en revanche, envers qui la diriger. Ou du moins, qui saurait m'aider à gérer ce qu'on ne m'avait jamais appris à gérer sainement. Comme un enfant paumé, je me suis abrité dans l'arène de Charlotte, apeuré par l'idée de devoir confronter la réalité en parlant à Samaël (parce qu'il symbolisait pour moi cette vie que je n'avais plus),  de devoir gérer mes propres émotions, et même, quelque part, la rage de l'injustice. Cette rage-là, elle m'habitait depuis longtemps. Elle s'était toujours lovée au creux de moi, s'enflammant un peu plus à chaque fois, sans jamais déborder. Je tentais de la contrôler, obsessivement, ne me faisant pas confiance et ne supportant pas devoir de nouveau accepter que certaines choses étaient tout simplement absurdes. Mais ce jour-là, c'était autre chose. J'ai frappé, longtemps. J'en avais les jointures abîmées, même. Mais cela m'a fait un tel bien que je n'avais, véritablement, pas de mot de remerciement à donner à celle que j'avais l'honneur de considérer mon amie, moi qui n'était qu'un sale gosse craintif, derrière cent couches d'apparence. Ce soir-là, j'ai parlé. De ce que je pensais, de ce que je considérais comme des pensées honteuses. Je me suis permis d'avoir l'air vulnérable. Pour la première fois, j'ai parlé de maman, de mon père, de ma vie avant d'arriver sur l'île. Je ne l'avais jamais fait avant, avec quiconque, et jamais aussi ouvertement. Mais après ça, je me sentais mieux. Tellement, tellement mieux. Elle m'a sauvé, je crois, d'une certaine façon. Ou elle m'a épargné de nombreuses nouvelles années douloureuses. Des fois, je me demande si elle le sait.

Me restait encore à affronter la réalité des choses avec Samaël, et ce fut ardu. Pour moi, vouloir quelque chose, c'était un peu, je veux dire... Je n'essayais jamais vraiment, en fait. Je regardais ce qui me tombait dans la gueule, et je faisais avec, toujours dépité par cette impression que je serai forcément impuissant. Les beuglements de mon père et les impacts de ses gestes sur mon estime de moi n'étaient certainement pas étrangers à cette croyance profonde. Alors, quand j'ai compris ce que j'avais à faire, j'ai mis un temps. Trois jours, exactement. Comprendre le sens des regards lourds de regret qu'il posait sur moi jusque là était déjà compliqué en soit, et j'avais peur de la suite. Mais, poussé par ma rencontre avec Charlotte, j'ai fait quelque chose que je n'avais que rarement fait jusque là : essayé. J'ai essayé. J'ai pris des risques, je lui ai laissé l'opportunité de me blesser, parce que j'avais cessé de voir les sentiments des autres uniquement comme des potentielles causes de danger pour moi. Cet égocentrisme puéril, de défense, je l'ai abandonné. Et j'ai bien fait, pour une fois. Pour ma santé mentale (comme la sienne je crois, ne nous mentons pas). Il a fallu du temps, évidemment. Tout n'est pas redevenu rose tout de suite, mais j'avais l'impression de progresser un peu. Se réhabituer a demandé du temps, mais j'avais enfin la sensation de progresser, de cesser d'être un poids lourds dans notre couple. Certaines de mes mauvaises habitudes, comme mon refus d'assumer mes sentiments au profit de ma fierté et de mes craintes, disparaissaient progressivement ; j'avais eu trop peur de tout perdre. De le perdre, aussi, car j'ai eu besoin de ça, aussi idiot que ce soit, pour réaliser à quel point ça aurait été aisé. Et je n'avais plus jamais envie de laisser les choses me passer entre les doigts. Je l'ai accompagné, fier de lui, mon regard ne cherchant maintenant plus à cacher cette étincelle affectueuse que j'avais trop longtemps cru honteuse, quand il a mené son dernier combat de compétition, même quand il a dû se dépatouiller avec la pression inconfortable de sa célébrité naissante, et je ne le regretterai jamais.

Puis, il y a eu le mois de septembre. Et les... Et les choix de Clive, disons. Je me réhabituais à peine à une vie normale, ayant rattrapé mon deuxième semestre de fac de justesse grâce aux rattrapages. Des choses aussi banales que faire de nouveau des expériences avec Mell, me mettre à travailler de nouveau, recommencer à aller en cours, retourner visiter le dojo de Charlie, écouter les conférences de madame Kenway... Beaucoup de choses, en outre, dans lesquelles j'étais encore assez peu à l'aise, mais qui me revenaient doucement. Moi, j'en avais presque fini. Pas Clive, toutefois.
Je ne sais pas vraiment pourquoi il m'a demandé mon aide. Il avait besoin de moi pour cacher ses mensonges, et même si j'ai mal réagi quand il m'a annoncé qu'il avait mis quelqu'un enceinte (sales préconceptions qui me sont passées, depuis), je n'ai pas rechigné à accepter. Je n'ai jamais été porté vers la divulgation de secrets, et je lui devait bien ça. Je voyais bien, en plus de ça, qu'il n'arrivait pas à se confier à quiconque, et... Il me faisait pitié, oui, quelque part. Alors je l'ai aidé à reprendre la compétition, j'ai soigné ses pokémon quand il en avait besoin, et j'ai menti par omission pour justifier ses disparations. Même si Faust m'a jeté quelques regards mauvais par la suite, je m'en fichais totalement.

Je n'étais pas très chaud à l'idée de retourner dans la résistance, mais je l'ai fait, certes avec des précautions. J'étais moins désagréable qu'avant avec mes camarades, mais pas moins distant. L'une des missions dont je me rappelle le plus, où j'ai senti que mes nerfs étaient encore à vif depuis mon retour, est celui où j'ai croisé un des officiers du régime. Plus tard, j'apprenais son nom et quelques autres détails que je suis bien content de ne pas avoir connu à ce moment ; Dio Silvery. C'est l'une des premières fois où je me suis demandé si je faisais bien de refuser de tuer ou blesser grièvement quiconque. Je n'ai pas craqué, toutefois, mais mes principes étaient secoués de telle manière que j'ai gardé cet épisode en tête pendant longtemps, me demandant si injecter des poisons douloureux était plus « éthique ». Franchement, même aujourd'hui, je ne saurai pas dire.

Ma vision de l'éthique, d'ailleurs, allait provoquer une rupture radicale au cours du mois de décembre 2016. Une présentation de l'émergya, à laquelle un groupe de résistants s'était invité pour découvrir ce que le Régime pouvait bien couver en secret depuis plusieurs mois, et franchement, je n'étais pas du tout à l'aise. Je sentais venir le trouble. Les résistants étaient de plus en plus tendus, ces derniers temps, depuis que les soldats s'étaient mis à parader avec orgueil dans les rues, persuadés qu'ils allaient bientôt gagner définitivement. Et, j'aurais dû le voir venir, mais ils ont craqué. Deux généraux face à eux ; l'occasion était visiblement trop alléchante. Plus préoccupé par la montée en tension, j'ai tenté d'évacuer les civils avec d'autres résistants, mais j'ai fait l'erreur de croiser le chemin de Faust.
Lui ne comprenait pas que je ne veuille pas qu'on garde les généraux sous le menace, voir qu'on les exécute sur le coup. Il y avait une lueur dans son regard qui m'a effrayé, et a dressé tous les poils de mon bras. Nous nous sommes très violemment disputés. Le genre de dispute qui ne se répare pas, même avec des efforts. Après ça, et après m'être réfugié pathétiquement chez mon copain, je ne suis pas revenu « à la maison ». J'ai déménagé un peu informellement, même si j'avais honte de déranger ma belle-mère, le temps de trouver quelque chose d'autre. J'étais plutôt à l'aise, en dépit de tous ces mouvement successifs. J'ai même eu l'occasion de me reconnecter avec une partie de ma famille, techniquement, par le biais de Kagami. Ma grande-tante avait en effet commencé une relation amicale (ah oui, amoureuse, zut, j'oublie toujours) avec la mère de mon copain, ce qui me permettait de l'apprécier de plus en plus avec le temps, à force de la voir.

Nous n'avons eu beaucoup de temps pour reprendre notre souffle, néanmoins. Au cours d'une mission passée avec Samaël, nous nous sommes aventurés près d'une zone qui ne m'était que trop familière ; les ruines de Baguin. Je n'était pas à l'aise, mais je n'avais pas envie de parler de ça. J'aurais dû. Nous sommes tombés dans un piège, et je revoyais le visage défiguré mais familier de ma tortionnaire, qui était devenue encore un peu plus folle avec le temps. Je me suis rappelé, alors, que la fiole que je lui avait injecté dans les veines était la même que celle qui m'avait coûté la mémoire : de l'Oblivion. Ceci expliquait en outre son « temps de pause » dans ses activités, et il est inutile de dire qu'elle me vouait une rancune profonde, et que la frustration de ne pas avoir pu terminer son travail la dévorait.
Elle avait trouvé un autre moyen de me faire souffrir, toutefois. Avant de me régler mon cas, elle a tenu à torturer Samaël sous mes yeux, lui injectant mes poisons par pur sadisme. La vision m'a hanté longtemps, évidemment. Je vous épargne les détails, mais Yann nous a sauvé la mise, et j'ai passé presque trois jours, ne fermant presque jamais l’œil, n'avalant rien, dans le seul but de fabriquer un antidote. L'aide de madame Kenway me fut cruciale : sans elle, il ne serait sans doute plus parmi nous. Ces événements avaient fait naître en moi une profonde crainte de mes créations, et une culpabilité évidente. Je n'avais pas, cette fois également, trouvé l'envie de mettre fin à ma tortionnaire. Je soignais ma honte en m'occupant de mon copain, maigre compensation que c'était à mes yeux. Pourtant, tout cela fut l'occasion pour moi de discuter avec lui tout ça, et il a su apaiser ces voix dans ma tête que je n'osais pas contredire. Je n'ai pas totalement oublié, hein. Je m'en veux toujours. Mais... C'est normal, je suppose. Peu importe.

Au moins, après cela, il m'a aidé à retourner voir ceux que j'avais abandonné à Baguin, et ils ne m'ont pas du tout accueilli froidement. C’était simplement comme si j'étais parti en vacances, et j'ai gardé contact avec eux, les aidant dès que je le pouvais. J'ai regardé mes erreurs en face, même si c'était difficile, même si je n'aurais jamais osé avant.
Heureusement pour moi, les six mois d'après furent très calmes. En dehors du fait d'aider Sam face à son stress quant à sa nouvelle fonction, et Clive pour qui la naissance de son fils s'approchait, je n'ai pas fait grand chose. Et franchement, après tout ça, je ne vais certainement pas m'en plaindre.

Axel est né en mars 2017. Je ne sais pas vraiment quoi en penser, à ce moment-là. C'était juste, eh bien, le fils de Clive, quoi. Je n'avais jamais été particulièrement à l'aise avec les enfants, et il me le rappelait bien, de telle sorte que j'évitais de le prendre dans mes bras de craindre qu'il ne tombe, ou même de le blesser rien qu'en l'effleurant. Pourtant, et Arceus que j'aimerais faire des tests sur la santé mentale de Clive, des fois, mais il m'a désigné comme parrain. J'ai mis un temps à accepter, à vrai dire, et j'ai beaucoup protesté au début. Mais, comme il y tenait, et parce qu'il y avait cette lueur bizarre dans ses yeux, j'ai cédé. Ça avait l'air de lui tenir à cœur. Je ne pensais pas ça comme important, à ce moment-là. Ça m'a juste rappelé que j'étais peu doué avec les gosses, mais j'étais fier de Clive, malgré tout. Du type reclus et fermé, il était devenu plus ouvert, patient et tranquille. Un changement qui, quelque part, ne m'était pas étranger. Notre aisance avec l'autre s'explique bien mieux postérieurement, maintenant que j'y pense : à l'époque, je trouvais juste ça naturel. Et, même si je le niais, j'avais une certaine affection pour son fils, bien caché sous deux tonnes de pessimisme quant à mes « talents » de parrain.

Et enfin, il y a eu le mois d'août 2017. Personne ne s'attendait vraiment à ce que le Régime tombe aussi brutalement, je crois. Mais j'ai vu le PDT s'effondrer sous mes yeux, au réveil, à travers une fenêtre. Sonné, j'ai malgré tout pris le chemin d'Amanil avec Samaël, réagissant comme je l'aurais fait si c'était une mission de la résistance : c'était pour les civils, qu'Athéris était né, à la base. Le reste, c'était assez peu important.
La chute du Régime, en soit, était extrêmement secondaire avec toutes les catastrophes qui se sont déroulées successivement. Il y avait bien trop à faire. Au moins, cette fois, je savais quoi faire. Mes mains ne tremblaient plus, ou quasiment plus, quand je sortais une balle, que j'arrêtais une hémorragie ou que je recousais quelqu'un. Je faisais ce que je pouvais, c'est tout. Je ne réalisais pas encore le chaos qui s'était imposé, tellement c'était confus. C'était fini, toutefois.

Je sais, pourtant, que mes premiers symptômes ont commencé peu de temps après. Ma tête est toujours aussi lourde. Je le sens, même, que des choses manquent. Je crois que ma mémoire flanche.
Je n'ai plus beaucoup de temps, avant de finir comme tous ces gens que l'on enferme et attache tant ils deviennent déraisonnables. Peu importe. Hors de question que je reste immobile, maintenant. Je n'en ai plus l'envie. Quitte à perdre la raison, il est hors de question que ce que cette leçon quitte mes pensées ; je peux toujours fonctionner, et le dissimuler, alors c'est toujours ça de pris.
Tant reste à faire, et je n'ai plus l'intention de subir ma vie.

Natsume Enodril-Miyano
Natsume Enodril-Miyano
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Lun 27 Nov 2017 - 0:39
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Natsume Enodril-Miyano
HISTOIRE, PARTIE 1

Octobre 2017

Il fait beau, dehors. Le ciel arbore un joli bleu, sans trop de traces de gris. On entend de temps à autre piailler un oiseau, stupide bestiau incapable de quitter sa branche. Les klaxons continuent d'assaillir leurs tympans, et l'on se presse dans les rues comme pour s'enfourner dans des masses noirâtres informes, s'écoulant dans les avenues et les impasses. Natsume le sait car il le peut le voir à travers les fenêtres, ça. Pour une fois, elles sont ouvertes. Enfin, à moitié seulement ; on évite de montrer ce qui se passe à l'intérieur. L'émergendémie se propage comme une nuée de poudre. Les hôpitaux sont débordés. Il faut bien entasser les malades quelque part, en attendant, et toutes les mains disponibles sont utiles ; les leurs aussi. La queue de son Luxray bat l'air négligemment, se frottant de temps à autre contre la taille de son dresseur, comme pour lui apporter un peu de chaleur. Il a froid, pourtant. Très froid.

« Resserre les sangles. On va avoir besoin de le maintenir, ou il va se mordre la langue. »

April hoche de la tête sans un mot, le regard sérieux alors que son compagnon s'applique à la tache. Les gestes sont rapides, tentent d'être précis. L'aîné n'accorde pas un regard au visage de son patient, impassible. Il ne peut pas, de toute façon ; trop de gémissements semblables parviennent à ses oreilles. Ses doigts gantés tapotent l'aiguille, et il soupire en constatant qu'il est obligé de le faire sans anesthésiant, de nouveau. Pas comme si ils étaient facilement trouvables, après tout, n'est-ce pas ? Il sait que les médicaments sont des denrées rares dans le besoin, et Vanawi lui semble être plus que dans le besoin, depuis le début de l'épidémie. Depuis le début de tout ça, à vrai dire. Les visages défilent les uns après les autres. Que ce soit ceux d'inconnus ou non, Alice ou d'autres, ne change au final pas grand chose. Il a comme l'impression désagréable que tout le monde finira par y tomber ; Tristan n'était pas le premier ni le dernier non plus.
D'un coup, sa main se crispe d'un coup autour de l'aiguille, et ses épaules se tendent. Une violente sensation de nausée vient le parcourir, mais ce n'est pas la première. Il ne réagirait même plus, à force. Ce n'est pas ça, qui le perturbe.

Relève tes cheveux, mon ange. Tu ne verras rien en les laissant comme ça.

Qu'il avait rêvé de cette voix. Que n'aurait-il pas sacrifié pour l'entendre de nouveau, n'est-ce pas ? Il ne relève pas la tête, pourtant, mais il n'arrive pas vraiment à porter attention au patient qui attend, pourtant, hagard, geignant de douleur. Il est crispé. La silhouette de sa mère semble si réelle, pourtant, quand il ose relever les yeux, et c'est tout comme si elle était présente. Elle se dessine dans cette grande pièce, ce salon de de l'auberge de sa grande-tante qui semble être devenu un mouroir, comme si elle était étrangère à toute cette cacophonie sinistre. Il aimerait y croire. Il ne faut pas, toutefois. Il sait que ce serait précipiter l'inévitable. Mais, à côté de son amie, Miyu ressemble tellement à ses souvenirs.

« Natsume ? »

La voix d'April le tire de son état léthargique. Hayato le fixe d'un air circonspect, une lueur de méfiance dans ses iris rougeâtres. Ce n'est pas la première absence qu'elle remarque. Il ne faut pas, pourtant, que ce soit trop fréquent pour qu'elle fasse le lien. Le nippon lui adresse un bref signe de la tête et se remet au travail, comme si ils n'étaient que des ouvriers dans une usine. La blonde lui laisse le bénéfice du doute, mais elle plisse les yeux lorsqu'elle se voit obligée de plaquer la tête de leur patient pour l'immobiliser.

« Tu ne crois pas qu'on devrait tenter de le calmer ? Je veux dire, avec ce qui s'est passé...
- Il ne va pas se calmer. Tu l'as bien vu toi-même, non ? »


La jeune femme ne baisse pas les yeux, mais elle paraît résignée, et fatiguée, aussi. Les drames, ça n'a rien d'exceptionnel ces temps-ci. Sa voix est rude, peut-être trop. Il ne se sent pas l'énergie de la corriger, toutefois, et il pousse un soupir lourd lorsqu'il est obligé de bloquer le bras du malade pour s'assurer que l'aiguille n'aille pas perforer quoi que ce soit d'autre qu'une veine.

Doucement ! Où est passée ta douceur d'avant, mon p'tit bourgeon ?

Il a l'impression que sa mère le nargue. La gentillesse dans sa voix, la bienveillance, il a la sensation qu'elles ne sont que de vastes moqueries que lui réservent les débuts de sa folie naissante. Alors que l'injection se déroule, April pose le regard sur la petite personne qui les observe, plus loin, silencieusement, depuis tout à l'heure.

« Qu'est-ce qu'on fait, pour elle ?
- J'en sais rien. Je trouverai quelqu'un pour l'emmener ailleurs, elle n'a pas à voir ça. »


Il sort négligemment l'aiguille et la pose à droite, expirant juste le temps de son mouvement. Il n'est pas vraiment mis à l'aise par le fait de voir des enfants ici, après tout, car ne ce sont pas des images pour eux, mais il ne peut pas surveiller tout le monde non plus. Natsume n'est pas sûr, toutefois, que laisser la jeune Morgane regarder son père biologique se tordre de douleur soit vraiment une bonne chose, et il vient à demander d'un œil à son Luxray de l'éloigner juste un peu. Au sol, l'homme continue d'être assailli par des sursauts de peine. L'éleveur se demande brièvement si lui aussi, il finira ainsi. Une nouvelle fois, April le sort de sa rêverie morbide.

« C'est le combientième, aujourd'hui ?
- J'en sais rien, April. Si tu crois que je vais fais le compte depuis le début de tout ça...
- Non, je veux dire, le nombre de malades que tu vois aujourd'hui. »


Surpris, il peine à répondre sur le moment. Sa neutralité se défait durant l'espace d'un court instant, et la lueur accusatrice dans le regard de son amie a le mérite de le mettre au moins un peu mal à l'aise. Il répond de la seule manière qu'il connaît : par un sarcasme bête comme tout et qui, il l'espère, mettra un terme aux questions pourtant légitimes qui lui ont été posées. Elle n'y croira pas, mais ce n'est pas ce qui importe. Le rictus joueur sur ses lèvres ne convint que lui.

« On aura le temps de discuter de mon brushing quan- »

Un son le tire soudainement de ses propos. Tout à coup, les sangles lâchent. Natsume n'a pas le temps de réagir, pris sur le fait, autrement qu'en éloignant April d'un vif mouvement du bras. L'homme aux cheveux bleus vient de se relever, titubant. Les yeux de la petite fille s'écarquillent. Le Luxray se relève brusquement, méfiant, le dos dressé, les pattes en avant, le corps arqué. Les yeux écarquillés, le corps lourd, il jette des coups d’œil circulaires et nerveux autour de lui, comme si il cherchait quelque chose. Il ne remarque même pas sa fille, et de sa voix transparaît une panique incontrôlable.

« Lyn ! Lyn, où est ce que t'es... ?! »

Natsume s'immobilise. Pendant une seconde, l'un de ses doigts s'est arrêté sur la tâche pourpre qui orne disgracieusement l'une de ses manches. Ne sachant que dire, il garde le silence, mais cherche comment agir. Ce n'est pas le premier qu'il voit, à vrai dire. Sérieux, il se relève lentement, dans l'espoir de ne pas attirer l'attention. C'est raté. Il rentre vivement en collusion avec le mur, et grogne plus d'agacement que de douleur. La main sur sa gorge le maintient bloqué, et l'asiatique serre les dents.
Ma nausée était déjà assez aiguë comme ça, merci bien. Sérieusement.
La silhouette de sa mère semble rire, comme si tout cela était très drôle. Comme si le regard désespéré et fou de l'homme qui fait bien trois fois son poids et sa taille n'était pas une menace très importante.

« C'est toi qui l'a ?! Allez, dis-moi ! Où est-ce que vous l'avez mis ?! »

Natsume ne répond pas. Il n'a pas de réponse qui lui plairait, après tout. Que dira-t-il, après avoir lui avoir confié sa mort ? Qu'il était désolé ? Qu'il avait tenté tout ce qu'il avait ? L'un comme l'autre, il n'est pas sûr que tous ces bons sentiments soient d'une quelconque utilité en ce moment. Il ne se méfie pas vraiment, au début, laissant sa main glisser discrètement vers l'une de ses poches abritant un puissant somnifère. Il n'est pas vraiment enchanté à l'idée de l'utiliser, mais il est persuadé que cela suffira.

« V-vous lui avez fait du mal, hein ! »

L'homme est loin, perdu. Sûrement qu'il était un type bien, avant. Sûrement. Peut-être que c'est pour ça que le soigneur est surpris lorsqu'une lame effleure sa joue de très près, laissant derrière elle une fine coupure rosée. L'éclat brillant du scalpel le fait sursauter.

Merde, mais quand est-ce qu'il a pu... ?!
Il ne réagit pas assez vite. C'est un fort grognement bestial, digne d'un fauve enragé, qui le tire de ses pensées. Il voit un éclair bleuté saisir son assaillant et le faire tomber au sol avec une force à peine maîtrisée, dans une litanie de feulements et de geignements aigus. Horrifié, Natsume est presque sûr qu'il voit s'enfoncer la lame à plusieurs reprises dans la chair, mais le lion garde la prise sur sa proie. Des éclaboussures rouges tâchent ses vêtements. Il ne se permet pas de lâcher, même alors que tous ses membres tremblent. Pas une seule morsure de sa part n'est tentée ; il ne fait que maintenir l'homme à terre le temps qu'il faut pour que les humains agissent et l'immobilisent.
Il ne peut pas d'abandonner, lui non plus. Pas maintenant.

« Hayato ! »

Il fait beau, dehors. Demain, ce sera peut-être le cas aussi.

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Décembre 2017

« Tu comprends ce que je te raconte, au moins ? »

Il ne lui répond pas. Le regard perdu, vague, fixé sur un point invisible dans l'air, il ne semble même pas l'entendre. Les yeux creux, délavés, vides d'une quelconque lueur, seul le son haché de sa respiration perturbe le silence glacé de la petite pièce. Il ne bouge pas, et ses membres semblent lourds comme du plomb à chaque fois qu'il amorce un mouvement. Un cadavre, voilà tout ce que pense Nagisa alors qu'elle observe la silhouette décharnée et amaigrie de son cadet, le visage crispé, perdu dans une neutralité défensive ô combien nécessaire. La sueur couvre son front, et il expire difficilement, pris de spasmes, fébrile de fièvre. Son corps se tord d'une manière si brutale qu'on croirait qu'il va se briser en deux.
Lorsqu'un nouveau geignement désespéré lui échappe après un long haut-le-cœur, une tête de fauve noirâtre se redresse par dessus la couverture. Nagisa se permet un pas, mais s'immobilise lorsqu'elle reconnaît la silhouette d'un Luxray à l'air fatigué. Une attelle entoure l'une de ses pattes arrière, la droite plus précisément, et chacun de ses mouvement semble être lent, difficile. Il boite péniblement, se tire avec le peu de force qu'il a encore pour allonger sa tête par dessus le matelas et donner quelque chose à son humain pour qu'il s'y accroche. Voyant qu'il ne semble pas inquiété par son approche, la nippone amorce plusieurs pas en approche du lit. Ce mouvement semble surprendre le malade, qui relève brusquement le regard. Nagisa retient sa respiration. Elle accepterait n'importe quoi, à l'instant. Un mensonge, même, tant qu'il a l'air vrai.

« Pardon, je... »

Pour la première fois, il la regarde. Mais elle sait qu'il ne la voit pas. Qu'il est loin, très loin, bien plus encore que lorsqu'ils étaient séparés par des continents. L'attention rivée sur point dans le mur, Nagisa sait qu'il ne lui parle pas vraiment.

« Je suis désolé, je te jure que je ne voulais pas... J'aurais dû t'aider, je... »

Une sensation désagréable remonte du fond de sa gorge. Elle n'a pas vraiment besoin de l'entendre parler davantage, et elle regrette pour la énième fois cette foutue ressemblance avec sa mère. Les dents serrées, elle tente d'étouffer son amertume et jette un coup d’œil aux pilules qu'elle a emmené avec elle. La voix du plus jeune se casse, mais elle ne lui prête pas attention. La scène lui est horriblement familière, bien trop, même. Si elle en oubliait les posters collés un peu partout (d'un type qui ressemblait un peu à un catcheur) et l'absence de blanc aux murs, ce serait à s'y méprendre.  Elle chasse la main qui tente de toucher sa joue, comme pour s'assurer qu'elle est bien réelle, et jette à son frère un regard plein de colère qui ne lui est pourtant pas destinée.

« Bordel, t'as vraiment perdu la boule. »

Ce n'est pas comme si elle pouvait vraiment lui en vouloir, n'est-ce pas ? Il ne serait pas le premier à avoir succombé à l'émergendémie. Peut-être qu'elle lui reprocherait d'avoir dissimulé les premiers symptômes, si elle n'était pas si fatiguée, et en colère contre le monde tout entier. Elle n'en a pas l'énergie, toutefois. Trop brusque, sûrement, elle présente les médicaments au plus jeune, qui recule soudainement dès qu'il le voit. Une lueur de crainte vient de s'allumer dans son regard, et Nagisa ne l'a que trop vu par le passé pour qu'elle ne lui lacère pas la poitrine quand elle est dirigée vers elle.
Il se débat. Vivement, brusquement, comme un animal enragé, craintif face à un danger inexistant.

« L-lâche-moi ! 
- Arrête, bon sang ! Tu crois que j'ai envie de faire ça ?! De revoir ça ?! »


Sa voix monte. Les jambes de Nagisa tentent de le bloquer, mais il est bien moins maigrichon qu'avant, et elle a du bien mal à le maintenir sur le matelas. Il beugle. Crie comme si on tentait de l'égorger, et elle y croirait presque. Le forcer à avaler ses médicaments n'est ni plaisant, ni aisé ; elle a l'impression qu'une éternité s'écoule avant qu'il ne cesse de gesticuler. Quand c'est enfin le cas, et qu'elle se permit d'expirer, tremblotante, le bruit de sanglots lourds lui fait relever les yeux. Il n'y a que du regret dans ceux de l'éleveur. Il tremble comme un enfant, comme celui qu'il redevient lorsque la démence lui vole toute lucidité.

« D-désolé, m-maman... »

Nagisa se crispe. Sa poigne s'adoucit, paradoxalement. Puis Natsume sursaute, et de nouveaux geignements se déversent de sa gorge comme dans une houle de douleur. Elle ferme les yeux. C'est reparti.

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Avril 2018

« Tu t'en remets bien, mine de rien. Le vaccin d'Elixir a l'air d'avoir fait son travail. » 

La remarque lui tire à peine un regard alors qu'il rajuste négligemment les pans de sa veste. Les mots de Clive sonnent creux, et il ne voit pas l'intérêt d'y répondre avec un véritable engouement. Un sarcasme ne serait pas de bon goût, en plus, au vu du moment. Du moins, le souvenir de sa sœur lui donnant des coups de coude lorsqu'il se montrait indifférent lors des situations pénibles lui permet de ne pas faire cette erreur.

« Ça va. Rien de bien exceptionnel non plus. »

Malgré ses propos, un geste un peu trop rapide lorsqu'il prend ses affaires lui tire une crispation soudaine, signe qu'il retient un juron de douleur. Il n'a pas vraiment envie de revenir sur ce sujet, alors il fait comme si de rien n'était, même si Clive se doute de la supercherie. Le souvenir est encore trop vif, et il n'a pas envie de se rappeler de l'état pathétique dans lequel était son corps il y a encore trois mois. Alors il diminue, il tempère. Il doit avouer ne pas être trop à l'aise non plus, dans l'appartement désormais vide de Clive. L'ancien officier semble saisir son malaise, car il lui adresse un sourire puant de maladresse et de gêne, tentant d'être honnête et sincère.

« Désolé, pour tout ça. Je sais que je te mets dans une position inconfortable.
- Ça ne serait pas la première fois. »


La réplique est sortie toute seule, mais il n'y a pas de reproche dans son regard. Sa voix, toutefois, est froide, sans douceur. Il le réalise lui-même après, et semble traversé par un courant de regret. Ce dernier lui fait ouvrir la bouche brièvement, comme si il souhaitait dire quelque chose, mais rien n'en sort au final. L'aîné esquisse un rictus désabusé, pas surpris pour un sou.

« Wow. Charmant. »

Natsume lève les yeux au ciel. Il porte toujours la lanière de son sac avec fermeté, comme si il s'y raccrochait pour éviter de faire le moindre commentaire. Ce geste lui rappelle alors que hormis l'enfant dans ses bras, Clive ne porte rien. Le bébé gazouille et agite ses mains potelées dans l'air, comme pour attraper le visage fatigué de son père. Ses petites jointures tentent de se refermer, sans succès. En évitant de trop attarder son regard sur l'enfant de peine de ressentir une pitié qui l'empêcherait d'accéder au souhait du plus âgé, il aborde l'autre sujet rapidement.

« Tu as fait tes affaires ?
- J'pense pas qu'ils me laisseront refaire la déco, tu sais. »


L'humour de Clive et son gloussement ne lui font aucun effet. Tout au plus lève-t-il les yeux au ciel, exaspéré par l'humour noir de son ami depuis quelques jours. Le sujet est déjà suffisamment sensible comme ça, et il ne digère pas totalement la situation, malgré ce qu'il dit. Accompagner un ami en prison, le laisser se rendre, ce n'est pas quelque chose qu'il pensait faire un jour. Mais il n'est pas du genre à briser des promesses, malheureusement pour lui, pour il ne sait quelle raison mêlant loyauté et orgueil. Voyant le visage du cadet être aussi fermé face à sa plaisanterie, l'expression joueuse de Clive disparut, remplacée par une lassitude certaine. Le hérisson soupire profondément, visiblement embarrassé que son jeu décontracté et désinvolte ne parvienne pas à détendre son interlocuteur.

« Écoute, Natsu...
- Arrête de t'excuser, t'es insupportable. Je savais ce à quoi je m'étais engagé, cesse de me prendre pour un enfant. »


Peut-être que c'était trop sec, encore une fois. Peut-être qu'il devrait s'interroger sur la sensation d'amertume égoïste qui lui pourrit au fond de la gorge, mais il n'en a pas la foi. Natsume regarde ailleurs. Il ne devrait pas se sentir mal.
C'est ce qu'il jugerait juste, non, en temps normal ? Un criminel de guerre doit purger sa peine ; des actes aussi barbares que des meurtres doivent être punis. Mais, égoïstement, il ne peut s'empêcher de se sentir trahi. Abandonné une nouvelle fois, comme si cela le concernait alors qu'il n'a aucun droit de réclamer de son ami de rester, car il sait que ce comportement est égocentrique. Mais ce n'est pas le premier qui s'en va, et il fatigue. Peut-être que les actions récentes de Tristan étaient un peu liées à ça, aussi. Une déception de plus, peut-être celle de trop pour sa fatigue continuelle. Il a l'impression que, contrairement à ce qu'il dit pour faire figure de solidité, il est bien plus proche d'un gamin en plein caprice.

« Je sais. Je ne mettrai pas tout ce poids-là sur un enfant. »

Son regard s'est un peu plissé. Natsume ne dit rien, mais les yeux de Clive se dérobent lorsqu'il essaie de les rencontrer. Il n'est plus vraiment sûr qu'ils parlent encore de la même chose.

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Juillet 2019

« Yann, je ne suis pas sûr que cette vis aille là, à vrai dire.
- Tatata ! Laisse faire le maître et écoute ! »


Reprendre les études a été assez dur, il doit l'avouer, après tout ça. Les universités ont rouvert, peu à peu, et il ne s'est pas gêné pour s'y replonger le plus rapidement possible. Sans surprise, sa licence s'est terminée sans accroches, et envisager son arrivée en master le fait sourire stupidement à chaque fois qu'il y pense ; il a l'impression qu'il en a enfin fini avec le rabâchage bête et méchant de ses cours. Mais, pour une fois, ce n'est pas ses études qui suscitent chez lui le plus d'excitation. Et la planche qu'il accroche avec maladresse sur une autre planche n'y est pas étrangère.
Le Shimomura lève les yeux au ciel face à la remarque faussement prétentieuse de la grande perche mal rasée. Il sait bien qu'il rigole. Dans le silence tranquille de la lisière de la forêt, bien qu'il l'apprécie, un peu d'activité ne fait pas beaucoup de mal. Il n'a jamais vu ce lieu animé depuis qu'il y traîne, à vrai dire, et cela fait maintenant un an. Un an qu'il passe par ici, admirant le paysage, le petit cours d'eau qui traverse cette partie clairsemée de la forêt. Il n'avait pas vraiment prévu de faire quoi que ce soit d'autre, au départ, car admirer lui suffisait bien. Mais il y avait eu un pokémon pour qui il avait fallu construire un abri. Puis un second. Et, sans qu'il ne s'en rende compte, depuis les réformes du nouveau gouvernement, l'idée de passer le concours d'Hôte lui trottait en tête.
En attendant de le passer, il se disait que profiter de son temps libre pour commencer à construire n'était pas une si mauvaise idée, surtout quand il avait des mains en plus de disponibles. Maxime et Yann s'étaient proposés de suite, comme beaucoup d'autres, en soit. Même Faust, Samaël ou Nagisa étaient venus mettre la main à la pâte. Même si construire en été, puisqu'il avait enfin des vacances, était épuisant à cause de la chaleur sur leurs dos, Natsume ne parvenait pas à perdre un gramme de motivation. C'était un peu un rêve d'enfant qui se réalisait, alors il s’exécutait toujours avec le sourire, même pour les tâches les plus pénibles. Pour sa surprise, d'ailleurs, il n'était pas le seul.

« Au moins, Maxime ne prend pas des grands airs insupportables...
- Ce serait dur de le battre, de toute façon.


Maxime, en passant derrière eux, esquissa un rictus goguenard, le ton taquin. Natsume pouffa bêtement en plantant son clou. Yann eut le mérite d'avoir l'air vexé.

« Je t'entends, blondinet ! »

Ces chamailleries bon enfant ne les empêchaient pas, toutefois, de travailler avec ferveur. Le chantier avançait lentement, évidemment, et il avait failli à plusieurs occasions faire appel à des professionnels, mais ils étaient partis de loin : le petit cabanon vétuste dans lequel Natsume avait créché commençait enfin à ressembler à quelque chose. Les premiers bâtiments n'étaient encore que des charpentes, évidemment, mais la motivation ne faiblissait pas. Seul un point de détail, toutefois,  intriguait Yann. Le plus âgé se pencha un peu vers Natsume.

« Tu vas faire comment, sans concours ?
- Bah. Rien ne m'empêche de commencer à construire, non ? Tant que je ne fais pas d'élevage, j'ai bien le droit de construire. Je le passerai juste à la fin de l'année. »


Il n'avait pas l'air apeuré pour le moins du monde, comme si il parlait d'une simple routine. Sans doute que cela devait en avoir l'apparence pour lui, mais le mal rasé ne put s'empêcher d'être tout de même intrigué par ce comportement assez désinvolte, inhabituel de sa part à ce sujet. Il cligna des yeux et, alors qu'il terminait de poncer un morceau de bois, fronça les sourcils.

« Bon, sans être discret, t'as fait comment, pour les fonds ? »

L'éleveur eut l'air surpris de cette nouvelle question, mais il hésite à répondre, comme si il réfléchissait sur la manière de formuler correctement ses propos. Un sourire joueur s'étira sur ses lèvres et, faisant comme si de rien n'était, il répondit d'un ton amusé.

« Demande-toi plutôt comment je vais faire pour vous payer si vous finissez par travailler avec moi, ça te sera déjà plus utile. »

C'était bien tenté. Jouer sur ses sentiments pour le ramollir et lui faire oublier l'évitement à peine discret du principal problème était un beau coup, mais pas suffisamment indiscret pour que Yann ne le remarque pas. Dès lors, il n'eut qu'à réfléchir un peu, et une seule lui vint en tête. Son expression s'assombrit. Il n'avait pas vraiment envie d'imaginer Natsume dans la même situation que lui il y a quelques années, après tout.

« Gamin, t'es sûr que les banques valent mieux que les autres options ?
- J'suis un grand garçon, Yann. Maintenant montre-moi tes soit disant prouesses et active-toi ! »


Le plus vieux n'insiste pas. Natsume n'a pas l'air d'avoir envie d'en parler, et il n'est pas surpris. Il ne peut pas le forcer, de toute façon. Et il n'en a pas vraiment l'envie : ils ont déjà assez de travail comme ça.

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Juin 2020

« Vous saviez, que j'avais échoué. »

Esther ne répond pas tout de suite. Elle prend le temps de boire une gorgée de sa boisson, s'étirant tranquillement sur la chaise de son salon. L'air tranquille, elle observe le bord de sa tasse, comme si rien ne la dérangeait. Natsume a l'air plus sérieux, à l'opposé. Le visage fermé, illisible, sa voix est inquisitrice.

« Quand je vous ai parlé de mes réponses à l'examen théorique, vous saviez déjà, n'est-ce pas ? Que j'allais rater le concours d'Hôte ?
- En effet. »


Elle hoche de la tête, l'air de rien, mais ne s'explique pas davantage. Elle l'attend. La déception suinte du plus jeune, qui reste muet durant un moment. Puis son expression se dénoue, et il ose prendre la parole. Le regard baissé, il semble presque réfléchir à haute voix. Ses sourcils sont froncés. C'est comme si il revenait méthodiquement sur ce qu'il sait,

« Depuis ce qui est arrivé à Hayato, je ne voulais pas envisager de nouveau l'hypothèse que je n'étais pas fait pour l'élevage. C'est à cause de moi, si il boite, maintenant. Je n'ai pas assez révisé, et c'est ma faute, mais... »

Il tapote le bord de la table. Relevant la tête, il plissa les yeux, confus, sa voix exprimant une vraie incrédulité.

« Pourquoi est-ce que vous ne me l'avez pas dit ?»
- Exactement pour cette réaction, Natsume. »


La surprise doit se lire sur son visage, car Esther glousse sans honte lorsqu'elle le regarde. Il cligne des yeux bêtement, et une question muette brûle dans ses iris. Elle ne lui fait pas l'affront de faire croire qu'elle ne la comprend pas. Un sourire doux s'affiche sur ses lèvres et elle prend une voix tranquille, absolument pas stressée.

« Vous n'avez pas l'habitude d'échouer aux études. Je savais qu'en vous le disant, vous ne feriez que vous torturer l'esprit. Et, honnêtement, je pense qu'il fallait que cela arrive un jour. »

Esther pose sa tasse, laissant le temps au plus jeune de digérer la nouvelle. Il ne dit rien, mais elle sait qu'elle a touché un point sensible.

« Si vous voulez vous engager dans la recherche, il va falloir vous habituer au fait que vous allez échouer, perpétuellement. Tous les jours, même. Pendant des années, voir peut-être même pendant des décennies. »

Natsume ne dit rien au début. Il semble plongé dans ses pensées. Son aînée ne tente pas de le bousculer, sachant très bien qu'il a besoin de temps. Un temps qui lui semble bien court lorsqu'il finit par répondre d'ailleurs, sûrement car il mûrissait déjà sa pensée depuis plus d'une journée. Sa voix laisse transparaître un peu de faiblesse durant une seconde, comme si il n'osait pas. Comme si le dire lui demandait un effort non négligeable, remuait une crainte qu'elle ne se permettrait pas d'explorer.

« L'important, c'est de continuer, c'est ça ? »

Il n'a pas l'air d'être sûr de lui, mais il veut y croire. Et elle ne peut pas s'empêcher d'être touchée par cette lueur un peu perdue dans ses yeux, comme si il apprenait lentement quelque chose qu'il lui était ardu d'accepter. Comme si cela lui demandait un effort colossal. Et elle n'est pas femme à briser les efforts.

« Eh bien, si vous me prenez en directrice de master puis de thèse, il va falloir vous y habituer, j'ai vraiment une très, très mauvaise intuition. »

Son expression taquine ne tient pas longtemps. Elle finit par glousser sans honte lorsqu'un air choqué se dessine sur les traits du nippon, ébahi, rougissant comme un enfant devant son idole. Il balbutie, probablement sous le choc.

« Je, ehm. Je vois. Vous êtes sûre que ça ne vous dérangerait pas si... ? »

Esther sourit. Elle pose son menton dans la paume de son main, et le regarde avec un grand rictus sur les lèvres.

« Natsume, je vous aime bien. Mais bon sang, que vous êtes con, des fois. »

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Août 2020

Mais qu'est-ce que je fous. Qu'est-ce que je fous, bordel, c'est pas à moi, de faire ça !
Il n'y connaît rien, en mômes. Le jour où Clive lui avait demandé d'être le parrain de son fils, il n'avait pas refusé pour rien. Il le sait, et il a au moins l'humilité de dire qu'il ne peut pas les gérer. Ils sont tellement fragiles, tellement faciles à casser, et lui est tellement brutal avec tout ce qui n'est pas végétal et pokémon, qu'il estime avoir assez d'intelligence pour ne pas se risquer à les approcher de trop près. Il a toujours été le petit dernier, après tout. Pas de frère ou de sœur cadet, et dans sa famille, il faisait souvent office de nain de service. Ou peut-être que c'est simplement irrationnel, qu'il y a une peur plus profonde au fond de sa tête, mais qu'il ne veut pas y réfléchir. Peut-être qu'il croit que, à l'instar d'un autre Shimomura avec lequel il partage malheureusement la moitié de son ADN, il ne pourra se montrer que négligent. Qui sait, hein.
Mais malgré tout, il fait des ronds dans la chambre d'Axel, chez Faust, à tenter de calmer le môme qui ne cesse de hurler à la mort dans ses bras. Natsume ne sait pas si c'est les dents, l'humeur, ou juste la malchance qui fait qu'il continue de brailler depuis tout à l'heure. Il a pourtant tout vérifié : la couche, le biberon, ou même juste un vague câlin pour l'apaiser. Mais rien. Axel continue de pleurer à s'en arracher la gorge, rivalisant presque avec lui quant aux capacités de crachat de décibels.

« Bon sang, tu veux pas faire autre chose que pleurer ? Tu veux pas dormir ? C'est bien, ça, dormir ! »

Il est ridicule, et il le sait. Mais il n'est pas supposé être là. C'est Faust, qui devrait s'en occuper. C'est lui qui en a la garde, après tout, depuis que Clive est en prison. Mais il n'y arrive pas ; Natsume n'a pas besoin d'une licence en psychologie pour le comprendre. Les raisons, ça... Sûrement qu'il ne supporte pas l'emprisonnement de son jumeau. L'éleveur n'a pas nécessairement envie de lui demander. Cela ne résout pas son problème, d'ailleurs, car si il a bien fallu intervenir lorsque Faust ne le faisait pas, il n'est pas plus avancé pour calmer le gamin.
Il ne sait pas vraiment où il doit mettre sa main. Ni si il agit bien. Mais il expire, lentement, sûrement. L'enfant s'accroche à son cou en ravalant quelques sanglots morveux, et le scientifique grimace, car il sait qu'il va devoir passer sa cape au lavage après ça.
Il ne peut pas s'empêcher d'être surpris lorsqu'il sent que les sursauts d'épaule du petit se calment. Ses pleurs se tarissent. Il ne le lâche pas, mais il semble déterminé à rester à sa place. Natsume soupire, satisfait. Sentant la petite pression contre lui, le nippon lève les yeux au ciel, mais sa main se perd dans les cheveux de son filleul qu'il ébouriffe doucement, comme on lui avait fait plus d'une fois dans son enfance. Le geste semble plaire à Axel, qui esquisse un sourire stupidement joyeux entre deux reniflements morveux. L'éleveur ne peut s'empêcher de le lui renvoyer, certes plus discrètement.

« T'es vraiment pas possible... Et ton oncle est un gros con. »

La pensée lui a échappé. Les grands yeux ouverts d'Axel se posent sur lui, et sa bouche s'ouvre dans un 'o' attentif.

« ... Gocon ? »

Natsume sursaute, son expression se transformant en un air horrifié. Choqué, il se perd en balbutiements, devant les rires du petit garçon qui ne voit rien d'autre que quelque chose de très drôle dans la réaction grotesque de son parrain. Le plus petit hérisson répète avec un entrain candide et enfantin, riant à grands éclats d'une voix claire.

« Gocon, gocon ! 
- Ah non, non, non ! Répète pas ça ! Axel, ça suffit ! »


Malgré lui, il s'étonna à ressentir une étrange sensation de chaleur au fond de sa poitrine, mais il valait mieux l'ignorer. Pour l'instant, il ne souhaitait pas y réfléchir.
Bon sang, Clive, tu pouvais pas en faire un tranquille, hein...

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Février 2021

Qu'est-ce que j'ai foutu.
Ce n'est pas une bonne idée. Ce n'est vraiment pas une bonne idée. Il est à peine capable de subvenir à ses propres moyens, il n'est absolument pas à l'aise, et surtout, il n'a absolument pas la maturité nécessaire. Natsume le sait. Il est assez lucide pour ne pas croire qu'il la vérité universelle du haut de ses vingt-trois ans, tout ça parce qu'il paie ses factures et vit seul. Non, vraiment, quand il additionne toutes les raisons qui feraient que ce serait une idée désastreuse, tout concorde dans le même sens : il ferait bien d'abandonner tant qu'il est encore temps.
Mais il est là, chez lui, à ouvrir la porte de chez lui pour un gamin de quatre ans à peine, qui porte vaillamment son petit sac à dos au motif à pois, et qui observe la petite maison avec de grands yeux impressionnés. Il déambule un peu maladroitement, curieux, comme indifférent à l'air sonné du plus âgé. Tandis que Natsume peine encore à comprendre la situation, l'enfant tourne sa tête vers lui, l'air absolument pas dérangé.

« Où qu'elle est, ma chambre ? »

L'éleveur cligne des yeux, paumé. Il ne saisit pas tout de suite ce que l'autre veut dire. Axel dit ça comme si de rien n'était, mais Natsume réalise peu à peu ce que son choix provoque, dorénavant. Même en allant chercher la valise chez Faust, il n'avait pas encore compris. Même en en discutant avec ce dernier, ou en faisant part de la nouvelle à Clive. Il comprend tout juste les conséquences de ce qu'il vient de faire.
… Sa chambre. Sa quoi ? Ah oui. Sa chambre. Bien sûr. Oh bordel. J'ai même pas encore aménagé la chambre du haut. Mais quel con.
Dormir sur le canapé va visiblement être la solution, en attendant. Bah, Samaël râlera peut-être, mais il faut bien assumer ses choix, et ce ne sera que temporaire. Reprenant un peu d'énergie et de réactivité, le jeune homme prend la main du garçon, plus qu'heureux d'être la cible de son attention, et le guide jusqu'à sa propre chambre.

« Ah, euh. Viens. J'vais te la montrer. »

Et lui qui comptait passer tout son temps à réviser pour sa nouvelle tentative au concours... Bah, il n'était pas à une insomnie près. Il n'était pas sûr, toutefois, de pouvoir dire qu'il avait bien agi.

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Juillet 2021

« Doucement ! Voilà, là, juuuuste là ! ... Parfait, ne bouge plus et coupe ! »

L'enseigne est enfin bien découpée. Son Insécuteur attend son hochement de tête, et il termine de la tailler, lui donnant enfin l'air présentable. Souriant comme un imbécile, Natsume fait quelques pas en arrière pour regarder pleinement la vision qui se présente à lui. Il sautillerait presque sur place si il le pouvait, tant la vision lui semble sorti de ses rêves les plus puérils. Il a du mal à y croire, à vrai dire. Près de deux ans de travaux, de sueur, de larmes, de panique devant son compte en banque frôlant la banqueroute, mais il peut se dire qu'une partie du travail est terminé. Bien sûr, seuls les bâtiments de travail sont finis, et des aménagements ainsi que des agrandissements devront être faits avec le temps. Bien sûr, la maison du fond où il vit est encore pleine de bâches et demandera quelques années supplémentaires. Mais il s'en fiche. Il continue de regarder leur œuvre avec une tête béate, fou de joie. Maintenant qu'il a le concours, il peut enfin ouvrir cette foutue pension.
À côté de lui, Nagisa hausse les sourcils, un peu blasée par l'hyperactivité de son petit frère. Cherchant quelque chose à dire pour le calmer ne serait-ce qu'un peu. Déjà que l'Anorith et l'Insécateur qui se jetait des regards en face d'eux la mettait mal à l'aise...

« Tu t'es quand même pas mal embêté juste pour le principe. C'est pas comme si Elixir et la Compétition ne cherchait pas des affiliés...
- C'est non, je te l'ai déjà dit. Hors de question de lécher les bottes de ces rapaces. Et je n'étais pas tout seul. »


Sa sœur imite son ton d'un air puéril, avec un très beau 'nianiania' qui ferait pâlir Axel de jalousie.  Pour elle, il ne fait que faire la diva. Mais son expression est plus ferme, et Nagisa renonce à l'idée de persévérer sur ce point-là. Roh lala, ce qu'il pouvait être susceptible... Elle reprit un ton narquois et changea de sujet plus discrètement.

« Ouais, fin en attendant, t'as quand même dormi dans un taudis pendant quoi... Deux ans ?
- Ce n'était pas un taudis ! C'était juste, ehm... Modeste.
- Mouaiiiis. »


Gloussant moqueusement, elle laissa le plus jeune lui lancer un morceau de terre à la figure, se vengeant par un croche-patte vicieux. D'accord, elle devrait peut-être arrêter le charrier avec ça, mais tout de même... Quand elle avait découvert qu'il n'avait même pas l'eau chaude, à une période, elle avait manqué de le noyer dans la rivière, ne serait-ce que par espoir que sa boîte crânienne soit remplie par quelque chose. Quand Natsume tomba au sol lamentablement, et il ne s'embêta pas à se relever à cause d'une sorte de résignation ultime, elle lui jeta un coup d’œil curieux. Ses sourcils se foncèrent quand elle se mit à détailler sa corpulence.

« Dis, tu manges correctement, hein ? T'as repris, mais... »

Son ton laissait voir un peu d'inquiétude. Natsume se crispa légèrement. En même temps, il ne pouvait pas la blâmer, bien que ce genre de remarques le mettait toujours mal à l'aise. Il connait assez bien le diagnostic comme ça. Troubles alimentaires compulsifs. Depuis la fin de l'épidémie, il sait qu'il ne mange pas assez. Qu'il a une relation malsaine avec la nourriture, refusant de manger 'de trop' par crainte de voir se réduire les stocks, ou tout simplement en oubliant de le faire. Le sujet est sensible, pourtant. Si il a repris du poids grâce à ses efforts (et aussi grâce aux lasagnes de sa belle-mère), il sait pourtant que l'équilibre est fragile, et la crainte de la maigreur se réveille assez aisément. La remarque de sa sœur, ainsi, le fait se tendre. Mais elle ne s'en formalise pas, habituée à son comportement, et pas franchement troublée par le fait de le secouer un peu. Il se relève brusquement, visiblement mal à l'aise.

« Ça va, Nagisa, je n'ai pas besoin que tu me surveilles.
- Venant d'un type qui s'est nourri pendant trois ans aux ramens à l'eau, c'est quand même bien osé.
- C'est ma pelle dans ta tête, qui va être osée.
- Calmos, Charles Ingalls. »


Natsume lève les yeux au ciel. Nagisa continue de ricaner, mais la façon dont il tape les pieds et la regarde d'un air impatient parle assez. Même l'air émerveillé l'Insécateur finit par l'agacer suffisamment pour qu'elle accepte d'ouvrir son sac à dos, en sortant un objet d'acier. L'expression de l’éleveur s'illumina presque automatiquement en le voyant.

« C'est bon, c'est bon. La voilà, ta peau métal. »

Natsume ne se gêna pas pour récupérer l'objet, et s'éloigner de sa sœur pour s'approcher de la mante. L'insecte écarquilla les yeux et se mit à battre des ailes nerveusement, surexcité, tandis que l'Anorith à côté de lui l'observait avec un sourire attendri. L'asiatique passa une main sur la tête du jeune mâle, une lueur pleine d'affection dans ses yeux.

« Tu étais tellement petit, quand je t'ai eu... »

Il s'en souvenait encore. Même si il était connecté à des souvenirs douloureux, il avait été l'un des premiers œufs dont il s'était occupé avec autant d'attention, et le voir aussi grand maintenant suscitait chez lui une chaleur étrange, indescriptible. Un peu ému malgré lui (stupides émotions), il tendit doucement l'objet à la mante devenue presque aussi grande que lui, avec l'âge.

« Allez, Yamamoto. Pour fêter ça. »

Le sourire jovial de l'Insécateur ne disparaît pas tandis qu'il se rapproche, et que son corps se transforme lentement. Petit à petit, il grandit. Lorsqu'il finit enfin par le dépasser en taille, c'est un grand Cizayox robuste qui se retrouve devant lui. Ne pouvant s'en empêcher, le Shimomura enlace brusquement son protégé, essuyant des débuts de larmichettes qu'il sent couler sous ses yeux.
J'suis vraiment, vraiment niais.
Nagisa, derrière eux, pousse un soupir, mi-écœurée par la mièvrerie qui se joue devant elle, mi-touchée. Elle finit par se rapprocher et poser une main tendre sur l'épaule de son cadet.

« J'suis fière de toi, tu sais. »

Il le sait, maintenant. Et peut-être qu'il se permet de l'être également, juste un peu.

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Août 2021

« Donc, comme me l'a demandé mon client, je vous livre les documents qu'il m'a demandé de vous transmettre. Tout y est. L'acte de naissance, la reconnaissance de l'état-civil, et d'autres documents plus personnels. »

Il hoche de la tête négligemment, les yeux posés sur les différents feuillets qui viennent de lui être donnés. Nerveusement, il jette de temps à autre un coup d’œil à la porte entrouverte, mal à l'aise dans ce bureau exigu et particulièrement étroit. Il a besoin de tout son self control pour ne pas gesticuler avec anxiété sur sa chaise, ne serait-ce que pour éviter que la jeune femme en face de lui ne perçoive quoi que ce soit. Rien qu'en rentrant dans le bâtiment du cabinet, il n'était pas à l'aise, alors être dans une petite pièce sombre pour regarder des papiers soporifiques... Merci Arceus qu'il ait été habitué à lire des documents juridiques depuis l'ouverture de sa pension, tiens.
L'avocate en face de lui ferme son classeur avec un sourire sur son visage, ce que Natsume a bien du mal à imiter de son côté. Un peu sonné, il se pince l'arrête du nez, comme pour se réveiller. Faire emménager Axel chez lui était quelque chose : le voir entériné dans les papiers en est une autre. Il a encore l'impression de dormir, car tout s'est enchaîné de manière si automatique qu'il a l'impression d'être pris dans un engrenage avançant à son propre rythme. Il mentirait si il disait qu'il ne se sent pas un peu submergé, comme si toutes ces feuilles allaient l'avaler tout cru. Seul son air sérieux et imperturbable pourrait faire croire qu'il maîtrise la situation.

« Il y aura quelques visites d'inspecteurs, évidemment. Au vu de la déchéance de l'autorité parentale, le transfert de la tutelle à monsieur Donovan puis à vous, il est normal que les services sociaux s'intéressent au cas d'Axel. Le cas de son géniteur étant sensible... Mais je ne pense pas qu'il y ait raison de s'inquiéter, toutefois, ce n'est qu'une procédure. »

Le sourire rassurant et enthousiaste de la juriste aux cheveux blancs lui tire à peine un hochement de tête pour signifier qu'il l'a bien vu, par simple politesse. Il n'arrive pas à détacher ses yeux des longues lignes noires, interminables, qui lui paraissent très pénibles à décrypter, ce qui n'est pas inhabituel avec l'avocate de Clive. Le mot 'inspecteur' lui laisse un désagréable goût dans la bouche, quand il s'imagine devoir justifier de ses qualités de tuteur auprès d'un spécialiste ; il a bien du mal à voir comment un type aussi paumé que lui pourrait bien être jugé apte, après tout. Il remet toutefois cette inquiétude au fond de sa tête, et tente de se concentrer sur ce qu'il voit.
Un détail, néanmoins, attire son attention. Ses sourcils se froncent, et il remonte brutalement au début du dossier. Il semble tout à coup bien plus concentré. Ses yeux se perdent dans l'immensité noir-blanc, jusqu'à ce que son regard s'arrête sur un point de détail et qu'une lueur de surprise ne le traverse. Ses traits doivent le montrer durant juste une seconde, car la jeune femme le remarque et l'observe d'un air curieux, un peu inquiète. Il a blêmi, également.

« Monsieur Shimomura ? »

L’appellation le fait tiquer. Une pique désagréable le traverse, le forçant à relever la tête, comme à chaque fois que son nom de famille est prononcé. Il ne sait pas pourquoi, mais depuis peu, il ne le supporte plus. Comme si quelque chose le démangeait, depuis qu'Axel était arrivé, par rapport à ce nom. Il ne fait toutefois aucune remarque à l'avocate, ne voulant pas la mêler à tout ça, et cligne des yeux, feignant de ne pas savoir ce qui la perturbe.

« Quelque chose vous dérange ? »

Il hoche négativement de la tête, et referme le dossier avec calme, l'air de rien. En tapotant la couverture, il parle d'une voix neutre et simple, pensif.

« Non, rien du tout. Juste... Vous auriez des informations, sur la mère ? Alanna Davis, c'est ça ?
- Non. Mon client m'a dit qu'elle était partie et avait abandonné toute autorité dès la naissance et n'a pas voulu élaborer davantage. Il faudra lui demander personnellement, si vous voulez des informations.
- Je vois. »


Autant dire que je n'en saurai rien, vu la tombe qu'il peut être en matière de secrets.
Natsume soupire, toujours un peu blanc, et il se relève en remettant son manteau sur ses épaules. Maugréant un peu, il reprit ses affaires et prit la direction de la sortie.

« Je vous remercie. Je vous tiendrai au courant si j'ai des questions supplémentaires. »

Un signe joyeux de la main lui fit comprendre qu'il pouvait partir. Il referma la porte derrière lui et expira profondément, profitant du fait qu'il n'était pas encore très visible, dans ces longs couloirs interminables. Il jeta un nouveau coup d’œil au dossier dans ses bras et une grimace s'étira sur son visage. Bon sang, comme si il n'était pas déjà surchargé de travail, avec ses cours à préparer, la pension à gérer, et Axel à occuper durant les vacances... Mais il devait s'y faire. Il avait agi en connaissance de cause.

« Qu'est-ce que t'as ? T'as l'air... Un peu choqué. »

La voix de Maxime le tira de ses pensées, et il lui offrit un maigre sourire pour la rassurer. Il avait demandé à la jeune femme de l'accompagner lorsqu'il avait pris rendez-vous, mais la voir lui rappela l'information qu'il venait d'apprendre, aux détours de deux lignes sur l'acte de naissance. Natsume ne répondit pas par la voix, préférant ouvrir le dossier et en sortir la feuille importante, la plantant devant les yeux de l'aînée, mettant bien en évidence le nom de famille de la mère. Elle lui en avait déjà parlé, après tout, de temps à autre, par petits morceaux. Supposer avait été donc été aisé.

« Comment tu crois que tu vas annoncer à Axel que t'es sa tante, dis-moi ? »

La blonde s'immobilisa, les yeux écarquillés. Elle saisit brusquement l'objet que tenait l'éleveur, le parcourant minutieusement du regard, blêmissant à vue de nez. Son calme tranquille habituel venait de prendre un choc, et de son côté, Natsume en profita pour tenter de faire le point.
Bon sang, Clive ! Tu pouvais pas ouvrir ta bouche, pour une fois ?! J'ai pas que ça à faire, moi, de farfouiller cent ans pour trouver des informations comme ça !
Entre énervement, fatigue et léger choc, il a du mal à savoir quoi faire ou même dire. Sans doute est-ce pour cela que son regard se pose aussi intensément sur Maxime, à la recherche du moindre détail qui pourrait le rassurer juste un peu. La blonde s'est tue, et son visage assombri est inhabituellement sérieux. Si sa voix tente d'être rassurante, elle ne peut pas feindre être parfaitement à l'aise.

« … Certainement pas tout de suite. »

Natsume lui fait signe de la suivre, mais il ne dit rien. En zigzaguant dans les couloirs, il finit par jeter un coup d’œil à son amie, qui observe toujours la feuille d'un air un peu morne.

« Il va falloir qu'on parle.
- ... Donne-moi un peu de temps, s'il te plaît.
- Tout le temps que tu veux, mais il le faudra. »


Certainement pas maintenant. Autant pour lui que pour elle.

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Janvier 2022

« Papa, pourquoi tonton y parle à la télé ? »

L'enfant agite négligemment ses crayons sur sa feuille, le regard posé sur l'écran de télévision. Dessus, Méphisto y est occupé à répondre à une série de questions en provenance de divers journalistes. Assis à table, l'enfant néglige son plat. L'adulte continue de tailler ses légumes sans un mot au début, claquant de la langue lorsque l’appellation parvient à ses oreilles. On pourrait croire qu'il est trop occupé à préparer les repas de la journée prochaine pour répondre, mais ce n'est pas le cas. Un détail semble l'avoir perturbé. La voix de Natsume est moins douce qu'elle devrait l'être, alors qu'il déverse les morceaux de carotte et de pomme de terre dans le mixeur.

« Ne m'appelle pas comme ça. Et termine ta soupe, Axel, ça va être froid. Faust fait juste son travail. »

Tout le long, il ne jette pas un seul regard à l'écran de télévision. Son visage est fermé, inexplicablement dur. Il porte son attention ailleurs, ne voulant pas faire croire au gamin que son agacement est dirigé vers lui. C'est assez complexe, toutefois, vu la tension qui le parcoure depuis que le petit a parlé, et même depuis que cette stupide émission a commencé, à vrai dire. Axel ne s'en inquiète pas, et il redouble de curiosité. L'air distrait, il trempe son pastel dans sa soupe alors que sa cuillère reste intacte sur la table.

« Tu l'aimes pas, son travail, toi, papa ? »

Natsume se crispe à nouveau. Peut-être qu'il est un peu trop rapide, lorsqu'il reprend le crayon tâché de soupe de la main d'Axel, qui gonfle les joues puérilement et se met à taper furieusement sur la table, en colère. Un regard ferme du plus vieux le fait lever les yeux au ciel, mais il cesse.

« Axel. Je t'ai dit d'arrêter. »

L'éleveur ne saurait pas dire si il parle de l’appellation, ou de ce qu'il fait à l'instant. Ça importe peu, de toute façon. L'enfant gonfle les joues et imite son ton d'un air moqueur, mais le scientifique n'a pas l'énergie de le reprendre. Il doit retourner assurer ses heures de vacation après, alors si il commence à se prendre la tête avec lui... Il ferait comme si il ne voyait pas cette fois-ci, voilà tout. Le fond sonore ne l'aidait aucunement.

« T'as un problème avec tonton ? »

Immédiatement, l'adulte éteint la télévision. Le visage neutre, il s'arrête dans son activité de cuisine et s'approche de la table pour s'asseoir, l'air visiblement fatigué. Il n'a pas envie de parler. Certainement pas de ça. Certainement pas quand des pensées connexes suscitent chez lui des émotions contradictoires et compliquées. Penser à la Milice, il ne préfère pas le faire. Il dort bien avec l'un de ses leaders, après tout, et si il y pense un peu trop, il sait qu'il ne pourra pas éviter une conversation qu'il ne veut pas avoir.

« Non. Récite-moi plutôt les premières lignes de ta poésie pour demain, que je vois si tu as retenu. »

Axel grogne, frustré. Au moins, il arrêterait de poser des questions.
Natsume Enodril-Miyano
Natsume Enodril-Miyano
Eleveur
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Lun 27 Nov 2017 - 0:40
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Natsume Enodril-Miyano
HISTOIRE, PARTIE 2
Octobre 2022

« Et donc, ce n'est pas l'emménagement à venir, qui vous angoisse ? »

Natsume triture nerveusement ses doigts, le regard posé sur ses propres mains. Il tente de se rajuster dans son siège, mais il lui semble bien inconfortable, comme à chaque fois. Il ne saurait dire si c'est le sujet ou le lieu qui le gêne. Il n'a pas percé le mystère depuis le tout début de sa thérapie, et Arceus seul sait à quand cela remonte ; il a cessé d'être amer en remarquant que les années s'écoulaient, sans qu'il n'y ait de signe qu'il soit prêt de la terminer. À chaque fois, face aux questions qu'il entend, il essaie de trouver une réponse. Ces temps-ci, pourtant, il a bien du mal à trouver ses mots pour parler de concepts qui devraient être simples. Le regard de sa psychiatre sur lui ne le déconcentre pas, mais ses sourcils se froncent au fur et à mesure que ses pensées se bousculent.
Voilà une semaine qu'elles sont un peu chaotiques, à vrai dire. Une semaine depuis une certaine conversation, qui, l'air de rien, voulait dire beaucoup de choses. Lorsque son copain lui avait proposé de venir emménager avec lui, il avait bugué, sur le moment. Ça s'était peut-être vu, quand sa poigne s'était crispée sur son stylo comme par réflexe. Il avait écouté les arguments de l'autre et, quelque part, n'était pas foncièrement contre. En dépit de son anxiété de départ, ce n'était pas ce qui continuait de le travailler.

« Non. Ça, je... J'en suis content. J'étais nerveux, mais ça se calme. C'est juste que je sais que, enfin... Après ça... »

Il se masse l'arrête du nez, l'air confus. C'est étrangement plus dur de parler de tout ça que d'écrire un chapitre de sa thèse, à vrai dire. Qu'est-ce que ses étudiants rigoleraient, tiens, si ils le voyaient en train de se faire du mouron pour un sujet aussi futile... Encore plus quand il aurait pu résoudre le souci avant, si il n'avait pas continuellement repoussé le fait d'y réfléchir.

« Je sais que... Je ne suis pas entièrement stupide. Je les vois bien, ses sous-entendus. Je sais qu'il pense à la suite, il est assez transparent. »

En même temps, c'était peut-être l'habitude, ou juste l'expérience, qui faisait qu'il saisissait assez bien ce que l'autre voulait dire quand il tentait (ou non) d'être subtil. Qu'il ne parlait pas forcément juste de broutille civile quand il mentionnait que leurs deux noms de famille s'accordaient bien. Et depuis, il évite le sujet. Il regarde à côté, fait comme si il ne saisissait pas, utilise des traits d'humour ou des marques d'affection pour le distraire, quoi que ce soit qui puisse lui permettre de ne pas y penser. Il ne sait pas vraiment pourquoi, mais il bloque. Cette connaissance le perturbe et l'effraie un peu, quoique qu'il en dise. Il a bien une idée du pourquoi, mais la raison n'est pas charmante. C'est bien pour ça qu'il est là, d'un côté.

« Mais vous ne lui en avez toujours pas parlé ?
- C'est compliqué. »


Réponse simple, facile. Lâche, et il le sait. Son ton un peu piteux montre qu'il ne tente pas de le cacher. En grimaçant, le lapin poussa un soupir. Bon sang, que c'était pathétique.

« C'est juste... J'ai l'impression que c'est toujours moi, qui ralentit tout. »

Cette impression, cela fait longtemps qu'il l'a. Elle ne l'avait pas hanté depuis ses dix-huit ans, d'ailleurs, mais elle semble revenue de son tombeau depuis peu. Il se demande si quelque chose cloche avec lui, si c'est normal d'être aussi inquiet par quelque chose qui ne devrait pas être, à ses yeux, plus qu'une formalité administrative. Si il n'est pas un peu étrange, à avoir peur alors qu'il y a pire, dans la vie, et qu'il n'a pas vraiment de raison quelconque d'être méfiant. Peut-être qu'il exagère. Qu'il devrait arrêter de se poser des questions. Sans qu'il ne s'en rende compte, voilà qu'il retombe dans ses vieux travers.

« Est-ce que c'est l'engagement qui vous effraie, ou l'acte en lui-même ? »

La voix de la femme en face de lui lui fait relever la tête. Il ouvre la bouche comme pour répondre, mais aucun son n'en sort. Comme si il était curieux de sa propre logique, il plisse les yeux et une lueur confuse passe dedans.

« Aucune idée. »

C'est honnête. C'est stupide, mais c'est honnête. C'est bien la seule qualité qu'il peut se trouver à l'instant. Ou peut-être pas totalement, car lorsqu'il y pense quelques secondes, seule une pensée lui passe par la tête. Il tapote doucement du doigt sur le bureau, l'air un peu plus sérieux.

« Mais chaque fois que je pense à ça, je ne peux pas m'empêcher de penser au passé. »

Ce n'est sûrement pas une bonne chose. En huit ans, il a fait de son mieux pour étouffer tous ces souvenirs, mettre au loin sa famille biologique, et ne jamais avoir à y repenser. Il s'est dit qu'il pouvait le faire aussi longtemps qu'il le voulait, car c'était un bon moyen de mettre au pas les pensées les plus compliquées. Maintenant, toutefois, il a l'impression que cela revient le déranger. Comme si il y avait cette plaie, toujours bouillante, au fond de sa tête, et qu'elle remuait frénétiquement les barreaux de sa cage pour s'en échapper depuis peu. Exaspéré par lui-même, il soupire lourdement.

« Vous avez pensé à retourner au Japon ? Si vous voulez faire le point, c'est peut-être un bon départ. »

Il s'immobilise temporairement. Il résiste à l'envie de refuser, au départ. Elle est forte, tant qu'il s'est senti se tendre dès qu'il a entendu la proposition de la plus vieille. En même temps, il a rejeté tout ça longuement, ne voulant plus s'y associer d'une quelconque manière, bien que la nationalité sur sa carte d'identité pouvait encore faire croire le contraire. Mais il s'étonne lui-même en constatant que le l'idée lui semble... Assez raisonnable, en somme. Pas tentante, mais raisonnable. Il doute de son utilité, mais il ne refuse pas immédiatement.

« Pas comme si j'avais le choix, de toute façon, j'ai des papiers à faire pour renouveler mon passeport. »

Comme pour se défendre, un rictus a fait le chemin sur ses lèvres. Il se permet un gloussement jaune en réalisant que ses relations à son pays natal se bornent à de simples mesures administratives, mais il ne peut pas nier que cela veut dire quelque chose en soit.  Entre les actes et les pensées, il y a un monde ; et il a la désagréable sensation qu'il n'arrive pas encore à couper les points. Il reste quelque chose, là-bas, et la pensée blesse son orgueil.

« Vous ne m'aviez pas dit que vos grands-parents voulaient vous rencontrer ? »

Ça, aussi. L'amertume est remplacée par du malaise, et il se surprend à bafouiller comme un enfant à qui l'on reproche une de ses bêtises.

« E-enfin, ça se trouve, je ne vais pas leur plaire, je veux dire...
- Vous ont-ils montré le moindre signe que c'était le cas ? »


Pause. Natsume se tait. L'absurdité de sa propre logique lui remonte en plein visage, et il baisse le regard, perplexe. Sa voix est plus lente, plus calme, comme si il mesurait chaque parole.

« Non. Non, ils avaient même l'air... Contents. »

Et bon sang, que la notion lui était encore étrange. Et étrangement motivante, malgré tout ce qu'il pourrait dire.

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18 Novembre 2022

Il lui a fallu un peu de temps, pour se décider véritablement. Mais au mois de novembre, c'était fait.  Laissant la pension à Yann et Maxime, ainsi qu'Axel à cette dernière et Kagami, il était parti pour presque un mois. L'emménagement avait donc été reculé jusqu'au mois de décembre, date à laquelle une partie des travaux de la maison seraient terminés, de toute façon. Dire qu'il n'était pas intimidé serait un mensonge. Il avait bien tenu l'apparence pour simuler une assurance toute naturelle, mais son corps parlait pour lui ; il tremblait tellement des genoux en sortant de l'avion qu'il avait trébuché en descendant, s'attirant le regard moqueur et dédaigneux des autres passagers. Ne parlons même pas de son air profondément stupide et perdu lorsque ses grands-parents étaient venus le chercher ; son expression gênée devant la pancarte qu'agitait sa grand-mère était digne d'une bande dessinée.
Tout le long du chemin, il a répondu diligemment aux réponses des Miyano, faisant attention à chaque parole, incroyablement nerveux. Discret comme une ombre, il glisse presque contre les murs lorsqu'il pénètre dans la maison puis dans sa chambre attribuée, parlant d'une voix timorée et placide à chaque occasion. Il s'étonne de la rapidité avec laquelle son arrivée l'a rendu aussi effacé, mais cela n'a rien de surprenant, en fin de compte. Il ne se sent pas à sa place. Il ne l'est plus depuis longtemps, et il ne sait pas pourquoi le constater lui fait un pareil choc.

« Tu es sûr que ça te plaît ? Si il faut, on peut t'aménager une autre chambre ! Ah, et j'ai mis une bouillotte sous ton oreiller, pour qu'il soit bien chaud. Tu sais, les hivers de Sapporo, hein...
- Tsuzume, laisse-le donc respirer. Et puis si il ne survit pas, ce ne sera que la sélection naturelle.
- La sélection naturelle emmènera un vieillard sénile avant lui !
- Tu ne crois pas que les fossiles ont la priorité ? »


Il sursaute un peu en voyant sa grand-mère gracier son mari d'un coup de canne bien senti dans le dos, et n'ose pas faire remarquer quoi que ce soit. Pour tout dire, ce ne serait peut-être pas entièrement faux qu'il craint le fait d'être à son tour la cible de cette furie. Furie joueuse, en réalité, car il entend bien les gloussements de Tsuzume, et remarque le rictus discret de Ryûchi. Intervenir, pourtant, il ne s'en sent pas capable : ce n'est pas comme si il faisait partie intégrante de leur groupe, n'est-ce pas ? Cela fait longtemps qu'il s'est fait à l'idée, alors il fait taire la pique douloureuse dans sa poitrine en cherchant une distraction, n'importe laquelle.
L'air de rien, il termine de nettoyer ses mains avec sa serviette humide et la repose sur le kotatsu, n'osant pas toucher un seul des plats qui sont disséminés dessus. Les mains posées sur les genoux, il attend religieusement.
Droit comme un i, il se sent quelque peu dépaysé. Cela fait déjà longtemps qu'il n'a plus dîné comme ça, ou dans une maison à l'architecture semblable. Tout lui semble étranger. Les odeurs, les sons, ou ne serait-ce que la taille des pièces. Il aurait cru que seul rentrer dans la maison de ses grands-parents lui donnerait cette sensation, mais ce n'est pas le cas. C'est la même depuis qu'il a commencé à zigzaguer entre les rues, sa valise à la main.
Plongé dans ses pensées, il ne remarque pas que ses baguettes se sont perdues dans son assiette, et il faut la voix de Tsuzume pour attirer  son regard. Sa voix est chaleureuse, et son ton doux, comme son sourire. Un sourire qui lui en rappelle un autre, aussi douloureux que ce soit.

« Il faudra qu'on t'emmène en courses pour savoir ce que tu aimes, et chercher des affaires pour toi, mais ça pourra attendre demain. En attendant, sers-toi tant que c'est chaud.
- M-merci. Et ce n'est pas obligé, sincèrement, je peux-
- Ça va refroidir. Et crois-moi, tu ne veux pas manger des tamagoyakis froids. Tu pourras prendre ton temps pour le shortcake en dessert. »


Ryûchi est intervenu si vite qu'il n'a pas eu le temps de terminer sa phrase. Le Shimomura se gratte la nuque, embarrassé. Sûrement que Nagisa est pour quelque chose dans cette connaissance de ses plats favoris. Pourtant, bien qu'une étrange chaleur se diffuse dans sa poitrine en remarquant l'attention portée à son confort, le malaise redouble quand il saisit peu à peu tous les efforts que font ses aïeuls pour le mettre à l'aise. Il se sent un coup bien ingrat, lui qui n'était jamais venu avant, et qui n'avait rien à leur offrir d'autre que son air robotique et perdu. Lui qui avait esquivé toutes leurs tentatives par le biais de Nagisa de le rencontrer, par peur, avec des excuses minables. Lui qui ne se sent pas chez lui, quoiqu'il tente, lui qui comprend enfin qu'il n'est plus chez lui, et qui peine à l'accepter véritablement. L'air désolé, il baisse les yeux, piteux.

« Je suis désolé. Si je vous dérange, enfin, je pourrai toujours trouver un logement dans les environs et- 
- Cesse donc de dire des sottises, Natsume. »


La voix sèche de Ryûchi le choque un peu, et cela doit se voir dans son expression, car les traits de son grand-père s'adoucissent lorsqu'il remarque sa réaction. Ou alors le regard si noir que Tsuzume lui avait envoyé l'avait convaincu de changer de ton, mais bien qu'il ne l'ait pas vu, Natsume choisit bizarrement de donner plus de crédit à cette hypothèse.

« Nous ne t'avons pas vu pendant presque vingt-quatre ans. Tu ne trouves pas normal que l'on veuille te voir ? »

La lueur sincère dans les yeux de l'ancien médecin, et l'éclat de peine qu'il entrevoit brièvement après, lui font fermer sa bouche. Il hoche négativement de la tête, se sentant soudainement bien sot, la poitrine lourde.

« … Si. Excusez-moi. »

Il retient un soupir, exaspéré par lui-même. Mais c'est Tsuzume qui réagit en première, s'attaquant à un sujet qu'il ne s'attendait pas à voir être mis sur le tapis avant un temps.

« Ah non, ne commence pas ! On dirait Nowaki à son âge ! »
- … Mon oncle ? »


Pour la première fois, son ton s'est teintée d'une curiosité toute naturelle, et sa voix, débarrassée de la crainte qui la modérait, est plus claire. Ses épaules se desserrent d'elles-mêmes. Il a relevé la tête, et si ses grands-parents échangent un regard, surpris par ce changement brutal, ils n'en disent rien. Une faim dévorante de savoir sur des choses qu'on ne lui a jamais dit fait brûler dans ses iris une étincelle vive et énergique. Le remarquant, Tsuzume gloussa doucement.

« Une vraie tête d'andouille. Si tu savais le nombre de fois où il s'excusait à des murs quand il rentrait dedans... Il ne faisait jamais attention à où il allait !
- En même temps, quand on voit sa mère...
- Roh, as-tu fini ! J'ai perdu le fil, maintenant ! »


Et juste, comme ça, il se permet d'essayer. Il les ouvre, ces pages de son histoire, de ses origines, gardées secrètes si longtemps, celles qu'il n'avait jamais osé regarder avant. Peut-être que ça ne marchera pas. Peut-être qu'il ne sera pas plus avancé, et qu'il ne saura toujours pas où est sa place après. Mais il n'a pas envie de laisser tomber.

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24 Novembre 2022

Il expire, puis inspire. Une fois, puis deux. Il savait, en venant, que ce serait difficile. C'était pourtant quelque chose qui le motivait depuis le début, et qu'il aurait dû faire il y a dix ans, si seulement on lui avait permis de venir ici, et qu'il en avait eu le courage. Une fine buée s'échappe de sa bouche, et ses doigts rougis triturent sans trop de raison le manteau de neige au sol. Accroupi devant le petit étang, il regarde distraitement le petit carnet tenant sur l'eau grâce à une maigre planche de bois. De chaque côté, les bougies disposées font luire un doux reflet sur la surface aqueuse. Il a attendu la nuit pour ça, probablement car il ne se sentait pas le courage de le faire dès le matin, et que la possibilité de se réfugier dans les bras de Morphée juste après lui semblait plus que tentatrice. Posé au fond du jardin de ses grands-parents, contemplant avec calme l'eau devant lui, une lueur distante brille dans ses yeux marrons. De petites couches de glaces surplombent l'étang, fragiles, craquelant dès lors que l'on les presse un peu. Derrière lui, il l'a bien vu, l'Ectoplasme de feu sa génitrice, l'observant méticuleusement depuis quelques jours. Il ne lui a donné aucun signe, mais il sait qu'elle est là. Sans doute attend-t-elle de voir ce qu'il a prévu.
Cela fait un moment, qu'il y pense. Après tout, si il a précieusement gardé cet objet pendant longtemps, s'y raccrochant comme à une ancre alors que sa découverte l'avait fait chanceler, c'est qu'il ne parvenait pas à s'en séparer. C'était la dernière chose qu'il tenait d'elle, après tout. Le journal de Miyu, aussi horrible qu'était son contenu, était tout ce qu'il avait pour comprendre sa génitrice. C'était une image faussée, il s'en rend compte maintenant ; mais l'admettre auparavant lui aurait été trop dur. Tant qu'il n'avait pas fait son deuil, c'était réconfortant. Bien plus douloureux, pourtant, que le peu d'apaisement que cela procurait. Il sait que cela doit passer.

« Je savais bien que l'on te trouverait ici.
- Le dîner est déjà froid, de toute façon. Alors à ce rythme...
- Ryûchi ! »


La voix de ses aïeuls le fait sursauter, et il manque de peu de chuter dans la mare. Ce qui, en plein hiver, lui aurait sûrement fait passer un sale quart d'heure. Tsuzume est assez rapide pour saisir son bras et le maintenir, l'air amusée par sa maladresse. Pris un peu en flagrant délit, ses joues prennent une teinte rougeâtre et il détourne le regard. Il se sent subitement très stupide, et puéril aussi.

« Je ne voulais pas vous faire attendre. Vous pouvez vous occuper, je me débrouillerai.
- Tu veux que l'on te laisse seul ? »


Sa grand-mère n'a même pas porté attention à ses excuses. L'air calme, elle le regarde avec attention, sans envahir son espace personnel. Natsume hésite. Il n'est pas vraiment sûr de ce qu'il ressent, et les expressions neutres de ses deux aînés le perturbent un peu. Refuser aurait été ce qu'il aurait fait il y a huit ans, et il se dit qu'ils ont peut-être le droit d'être là, eux aussi. Alors il finit par hocher de la tête, et s'écarte un peu pour leur faire de la place. Finalement, lorsque son regard se reposa sur l'eau, il se permit un sourire discret.

« Non, non. Je suis... Content, que vous soyez là. 
- Ne dis pas d'idioties, alors, jeune homme. En plus, je n'ai même pas terminé le dessert. »


Cette phrase lui tire à peine un gloussement. Quelques secondes passent, dans un silence presque religieux, moment durant lequel les pensées du scientifique se perdent. Il n'a plus besoin de ça. Elle n'aurait probablement pas voulu qu'il s'éternise sur ses mémoires toute sa vie, en plus de ça, sûrement pas quand ces derniers n'avaient rien de très glorieux. Il jette un coup d’œil discret aux deux personnes présentes à côté de lui et esquisse un sourire, avant de décrocher l'une de ses pokéballs. L'une des rares qu'il a emmené, à vrai dire, pour cette raison même.
Le Mélancolux qui en sort hulule doucement, lévitant par dessus son dresseur sereinement, connaissant déjà son rôle. Il baisse la tête, dans l'attente. L'éleveur sort une pierre sombre de sa poche, et, le regard solennel, la dépose sur le front du pokémon feu. La vive lumière qui l'entoure se reflète sur l'eau et les éclats de glace, rivalisant presque avec les rayons lunaires. Le Lugulabre qu'est devenu Suzaku agite doucement ses feux, faisant voleter des éclats ardents.

Puis, lorsque le signal est donné par un hochement de la tête de son dresseur, le Lugulabre dépose délicatement des flammes bleutées sur le lac, les laissant grimper sur les morceaux de glace comme pour les dévorer, se répandant jusqu'à la petite plaque de bois et les bougies. Le brasier n'est ni brutal, ni mou. Lent, mais énergique, comme elle. Natsume expire. Sa poitrine le pince. C'est un hommage qu'il n'a jamais pu lui rien, auparavant. Qu'on lui a volé, tenant sa main brusquement lors de l'incinération, le pressant de ne pas montrer indécemment sa peine. Mais il peut le faire, maintenant. Il peut penser à elle, et la regretter sans honte.

« Ce n'était pas ta faute. »

Des premiers crépitements résonnent dans l'air. Le feu brûle toujours, au même rythme. Les ricanements sinistres qu'il entend alors lui font à peine lever le regard ; il les reconnaît. Une ombre violacée se dessine derrière eux, s'étendant jusqu'à l'étang. Mayuri l'Ectoplasma ouvre la bouche, et un nuage de fumée violacée s'élève vers le ciel, accompagnant le brasier d'azur, le sublimant d'éclats mauves. Avec un sourire sincère et tranquille, Natsume pose son menton dans sa propre paume, serein.

« Je sais. Ce n'était pas la vôtre non plus. »

Il peut enfin clore tout ça. Fermer le vieux livre de ses regrets. Mais il lui reste encore une dernière page à mettre en place.

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28 Novembre 2022, soirée

Est-ce que c'est une bonne idée, vraiment ?
Il pourrait débattre longuement du oui et du non. Mais il a tendance à détester ces situations où il ne peut pas clairement décider, et c'en est une particulièrement complexe. Tout son être lui hurle de reculer. Les frissons qui lui remontent l'échine alors que ce foutu ascenseur monte lentement jusqu'aux étages supérieurs de la tour le forcent à prendre de grandes inspirations. Ce n'est plus le même, évidemment. Mais il est crispé, tendu. Peut-être à cause de ce qu'il s'apprête à faire, car il sait qu'il peut encore reculer, mais il pense sincèrement que c'est nécessaire.
Son Chamallot lui jette des coups d’œil méfiant. Toshiro a tenu à venir, lorsqu'il a appris ce qu'il comptait faire, et il n'en avait pas démordu, si bien que l'éleveur s'était laissé convaincre par son vieux Starter.

« Tu as l'air inquiet, mon vieux. »

Toshiro inspire et expire brusquement, élargissant ses narines d'une manière ridicule qui lui ressemble un peu trop. Le ton de Natsume est goguenard, comme si lui était bien au dessus de tout ça, et c'est justement à cause de ce mensonge que le Chamallot perd patience. Lorsque la petite sonnerie leur indique qu'ils sont arrivés au bon étage, l'expression du soigneur redevient neutre et froide, faisant disparaître l'étincelle d'affection qui avait brillé dans ses iris durant quelques secondes. Il redresse ses épaules, et ouvre la porte sans se donner la peine de toquer.
Huit ans. Huit années, qui, aussi difficiles qu'elles soient parfois, étaient rendues plus belles par l'absence du personnage devant lui. Cela fait huit ans qu'il n'a pas eu à supporter ce regard méprisant sur lui, cette expression froide, frôlant l'arrogance par son indifférence. Il n'a pas vraiment changé, en soit. Rien d'étonnant à cela. Les yeux du cadet se perdent sur le vieux bureau verni, remarquant les piles de dossier, et tout ces blablas administratifs qui lui ont toujours paru tellement soporifiques. Un rictus dédaigneux lui étire les lèvres. Il ne serait même pas surpris qu'il n'ait jamais quitté ce lieu, après tout.

« Natsume. »

Le ton est tout juste surpris. Tout juste condescendant, teinté d'une très fine couche de déplaisir à peine dissimulé. Le concerné ne s'attendait pas à grand chose, et il se contente simplement de considérer le Braségali présent en bout de pièce avec méfiance. Devant son silence, Kazuo Shimomura perd patience.

« Qu'est-ce que tu veux ? »

Te voir en taule, peut-être. Ou pas, j'en sais rien.
Il ne s'attendait certainement pas à un accueil aimant et chaleureux. Natsume a fait son deuil il y a longtemps à ce propos, de toute façon, et il hausse à peine les sourcils. Un gloussement caustique lui échappe devant le ridicule de cette situation. On dirait une blague, pour lui. Une mauvaise blague, une blague qui le fatigue, qui l'a usé pendant trop longtemps. Un peu las, il se permet un ton détaché, comme si il était redevenu l'adolescent prétentieux d'il y a dix ans.

« Adorable. La politesse t'écorcherait la bouche ?
- Je ne te dois aucun respect. Un raté comme toi ne le mérite pas. Tu nous fais tous honte. 
- 'Nous', 'nous'... Toi et moi ne sommes pas vraiment de bons petits Shimomuras, n'est-ce pas ? »


Un peu de fatigue se sent dans sa voix. Le regard plat, un peu désabusé, il n'a même pas l'énergie d'être sarcastique sur ses derniers propos. Il n'a plus besoin de tenter de se persuader du contraire. Mais il sent son géniteur se tendre devant ses propos, et son regard se voiler d'un voile de courroux. Le remarquant, le rictus de Natsume s'élargit.

« Au moins un truc que l'on partage, hein ? Dis-moi, Namiko ne t'a toujours pas remis sur son testament, je crois ? »

Le visage de Kazuo s'assombrit, et ses yeux lui lancent des éclairs, mais Natsume ne recule pas. Il y a un temps, il était terrorisé dès lors qu'il voyait cela, tant celui lui rappelait des souvenirs amers. Mais il lui semblait plus grand. Plus imposant. Sa voix lui agressait les tympans, sa proximité lui retirait tout droit à sa sécurité, ses gifles faisaient l'effet de coup de poings. L'enfant puis l'adolescent qu'il était baissait les yeux, quoique la seule différence qui existait entre les deux périodes était qu'une fois à l'adolescence, les pleurs devenaient des sarcasmes insolents. Il le terrorisait toujours, pourtant. Natsume mentirait si il disait qu'il ne ressentait pas la moindre crainte, même maintenant, mais il n'a pas l'attention du lui faire le plaisir de le montrer. Lorsqu'il voit le Braségali de son géniteur faire un pas vers eux, le regard mauvais, il empêche ses épaules de se lever. Arceus seul savait à quel point cette créature l'avait terrifié. Le ton acide et les sourcils froncés, il prend un air hautain.

« Laisse ton poulet miteux en dehors de ça. Je ne voudrais pas avoir à le blesser.
- Parce que tu pourrais lui faire quelque chose, toi ? Ne me fais pas rire, tu trembles déjà. »


Kazuo est narquois. Il s'amuse. Évidemment, puisqu'il n'a que ça pour se sentir mieux que tout le monde, pour se persuader qu'il le contrôle encore comme son petit jouet, comme un objet à sa disposition. Natsume aimerait nier aisément son affirmation, le voir surpris, médusé, déçu, quoi que ce soit tant qu'il afficherait sa déception.
C'est vrai, pourtant. Il sent ses mains frissonner. Si son regard ne cille pas, il ne peut pas empêcher le souvenir de le hanter, ou même son esprit de s'alerter du risque qu'il croit encourir. On lui a dit que c'était normal, qu'il ne pouvait pas s'attendre à passer au delà d'un trauma pareil facilement, mais la pensée l'enrage intérieurement. Il n'est plus l'enfant d'il y a vingt ans pourtant, mais c'est ainsi. Toshiro se place devant lui, l'examinant par des coups d’œil pour s'assurer qu'il ne tressaille pas ; et il ne le fait pas. Il garde les épaules droites, le défie des yeux, reléguant la crainte au loin. Elle n'a plus rien à faire ici : il est hors de question qu'elle le domine. Même si son corps craint ce qui pourrait arriver, Natsume n'a pas envie de le laisser gagner. Et cela doit sûrement frustrer Kazuo, puisqu'il continue de le provoquer, tentant encore et toujours de l'humilier.

« Exactement comme avant. Tu n'as jamais su faire que ça, de toute façon. Tu n'es rien de plus qu'un insecte.  »

Les insultes, furent un temps, le blessaient. Elles étaient quotidiennes, mais chacune d'entre elles était un coup individuel dans sa poitrine. Il ne comprenait pas que, malgré tous ses efforts, elles persistent. Mais, alors que l'éleveur le considère avec fatigue, il se rend compte qu'elles ne sont que des sifflements à peine audibles, maintenant.

« Pas même un seul regret, hein ? J'aurais dû m'en douter. »

Il n'est pas déçu. Il ne s'attendait pas à quoi que ce soit d'autre, mais il avait besoin de confirmer ce qu'il savait déjà. C'était nécessaire. Il est persuadé, maintenant, que le regret ne le suivra plus. Qu'il aurait un argument à opposer à son propre esprit traître lorsque celui-ci tenterait de le convaincre qu'il exagérait ce qu'il avait subi. Comme à chaque fois qu'il refusait de prononcer même le mot, qu'il évitait la conversation, jugeait qu'il était le seul responsable par sa 'faiblesse'. Ces mécanismes de défense n'ont plus besoin d'être, maintenant. Ce n'est pas de sa faute, et il l'accepte.
Kazuo serre les dents, l'air plus sévère. Son petit jeu ne fonctionne pas, et il le voit. Il perd patience. De ses souvenirs, cela ne se passait jamais comme ça, et il déteste perdre le contrôle, alors il aboie. Il aboie, levant la voix, comme pour forcer le plus jeune à courber l'échine comme il le désirerait.

« Je n'ai aucun regret à avoir, hormis celui de ne pas t'avoir mis dehors plutôt. Tu m'as rendu un service, en détalant comme un pleutre pour aller planter des carottes. Au moins, tu es à ta place. »

Natsume ne réagit pas tout de suite. Durant un instant, Toshiro s'inquiète, perturbé par le silence de son dresseur. Les traits de son visage se sont durcis, et son regard s'est raffermi. Froid, il est devenu complètement illisible. Puis, finalement, après quelques longues secondes, il ricane, et un rictus amer s'étend sur son visage.

« Et tu es à la tienne. Seul. »

L'éleveur ne donne pas le temps à son géniteur de répondre. Plissant les yeux, il semble pris dans une réflexion tranquille. Il n'a pas envie d'exploser. Aucune flamme de haine n'assombrit ses iris, et il ne les baisse pas.

« J'étais en colère, mais... Tu me fais pitié. Et tu ne la mérites même pas, ma pitié. Maman valait mieux que ça. »

La rancune ne s'efface jamais totalement. La colère non plus, quelque part. Mais il ose croire qu'il peut l'estomper, ou la laisser disparaître dans le flot du temps, bercée par tout ce qui vaut mieux que ça dans sa vie. Il n'a plus besoin d'elle. Ce n'est pas envers lui que cette énergie doit être guidée, et elle ne doit plus jamais l'être. Mais il n'a plus besoin de la crainte non plus. L'étouffer ne le sauvera pas, il le sait, à présent. L'ignorer, tout autant. Alors il la prend contre lui, supporte le tambourinement de glace contre sa poitrine, et l'accepte comme elle est. Et, sans qu'il ne comprenne vraiment comment, elle cesse de se débattre. Même de voir l'avocat lever vers lui un air méprisant, parlant comme si il crachait à chaque parole, cela ne lui fait rien.

« Ta traînée de mère est morte parce qu'elle était faible. C'est ce que font les faibles : ils s'accrochent aux autres pour vivre, comme des sangsues. Exactement comme toi. Vous m'avez pourri la vie, et tu n'as même pas l'humilité d'être reconnaissant. »

Ses mots veulent sans doute blesser ; ils n'y parviennent pas. Son jugement n'a aucune valeur. Et il est presque sûr que toutes ses paroles aussi, à vrai dire. Natsume hoche négativement de la tête. Ses mains ont cessé de trembler, et ses épaule sont plus droites.

« Non. Ça, tu l'as fait seul. Et je ne te dois absolument rien. Tu es pathétique, Kazuo.
- Alors pourquoi est-ce que tu es venu ici ? Pour pleurer à mes bottes et me réclamer mon attention, encore une fois ?
- Ne me fais pas rire, papa. »


La moquerie suintante est amère. Fut un temps lointain, il aurait aimé pouvoir l'appeler ainsi. L'époque où il il le regardait avec de grands yeux attentifs, désireux de son attention, incapable de comprendre la haine qu'il lui réservait, se défendant de ses traitements par des tentatives de les réconcilier qui n'avaient aucune chance de réussir. Fut un temps, il avait été un enfant espérant, mais il ne l'est plus. Il sait, maintenant, qu'il ne sera jamais ce père. Et il n'a pas besoin de lui. Il n'en a jamais eu le besoin, contrairement à ce qu'il lui disait. Contrairement aux mensonges insidieux qu'il lui mettait dans la tête à coup de cris, de coups et de déchaînements de haine verbale qui duraient parfois des heures, jusqu'à ce qu'il finisse par s'excuser. Désireux que la douleur s'achève, coûte que coûte, il était prêt à s'y forcer à y croire. Tant que Miyu cessait de pleurer...
Il expire. Sortant de poche une lettre garnie et bombée, il la pose sur le bureau avec un mépris tout naturel, la lui jetant presque au visage. Kazuo ne daigne pas la ramasser, se contentant d'exiger des informations par son silence. Pour peu, l'éleveur hésite presque à les lui refuser ; mais il doit le faire, si il veut pouvoir partir.

« C'est mon renoncement à ton héritage, et à tout lien avec toi. Je me demande pourquoi je ne l'ai pas fait plus tôt, à vrai dire. »

Sa voix est calme, posée, mais il observe attentivement le visage de son géniteur. Celui-ci pâlit visiblement devant ses mots, et Natsume ne devrait pas être satisfait. Il ne devrait pas aimer le voir ouvrir rapidement, presque nerveusement, ce qui vient de lui être donné, parcourant les lignes inscrites avec hâte. Un rictus s'étire sur le visage du plus jeune, car il sait que son aîné ne pleure pas la quelconque absence d'un lien filial qui n'a de toute manière jamais existé.

« Quoi, tu as peur de ta mère ? Tu as l'air tout pâle, d'un coup, Kazuo. »

Namiko n'aimera pas, elle. Et il n'y a qu'une personne que cette chose aime ; elle. Natsume sait qu'elle détestera voir ses prévisions et ses plans ne serait-ce qu'un peu bousculés, et c'est là qu'il s'amuse. Car il voit Kazuo se décomposer, perdre cette façade d'arrogante pour laisser place à son vrai visage, celui que Natsume connaît bien trop. Ces yeux meurtriers, ce regard gonflé de sang, sa posture qui se veut imposante alors qu'il se relève brusquement, ils ont longtemps été ses cauchemars. Le Braségali à côté de lui s'avance, l'air menaçant, mais l'éleveur ne lui en veut pas : ce n'est pas de sa faute, si son dresseur en a fait une pareille créature.

« Je suis ton père, tu me dois le respect. »

Natsume rit. Kazuo l'amuse, avec son ton dur et ferme, autoritaire, comme si il cherchait désespérément à reprendre le contrôle sur lui. À retrouver son défouloir, ce gamin sur lequel il passait ses frustrations, et ce qui lui permettait encore d'être regardé par sa propre mère. Mais il ne l'a plus, le contrôle, et un sourire fier se dresse sur le visage du scientifique

« Tu n'es rien, pour moi. »

Il tape du pied. Toshiro se dresse devant le Braségali, le considérant d'un air menaçant ; si il ose faire un pas, il n'hésitera pas. Le plus grand des deux pokémon souffle des narines, croyant sans doute que cette petite chose ne lui fera rien, alors il fait un pas en plus. Il l'a remis tant de fois à sa place que, tout comme Kazuo, il ne voit pas ce que pourrait lui faire cet insecte-là. Si Natsume porte une main à sa ceinture, prêt à sortir l'une de ses autres pokéballs si la situation dégénère, il s'arrête lorsqu'il voit son vieil ami claquer les pattes au sol. Lui non plus, visiblement, n'a pas l'intention de le laisser gagner.
Son corps grandit. Le Chamallot a fermé les yeux, un sourire sincère sur son visage, tandis qu'il prend peu à peu l’apparence de ce Camérupt qu'il a toujours rêvé d'être, sans vraiment oser, patientant le moment où son dresseur serait prêt. Le Pokémon feu rugit, imposant, massif. L'une de ses pattes est levée, dans une menace silencieuse, et le Braségali hésite, soudainement nerveux. Il cherche le regard de son dresseur, et Natsume ne retient pas un nouveau gloussement en voyant le visage décomposé de Kazuo. Il ne croit pas qu'il osera faire trembler la terre, lui qui le connaissait terrorisé par le moindre tressautement terrestre. Ça n'est pas utile, voir même mature. Mais bon sang, que cela fait du bien.

« Ça se mérite. Et tu ne mérites rien de ma part, hormis du mépris. Il est hors de question que vous continuez à être dans ma vie, d'une quelconque façon.
- Tu ne peux pas effacer tes racines, quoi que tu fasses. Tu nous dois tout.
- Je ne vous dois rien. Mon mépris, c'est déjà trop. Si ça ne tenait qu'à moi, tu serais déjà derrière les barreaux. »


Le regard de Kazuo se durcit. Mais c'est de la peur, et Natsume le sait.

« Je ne vois pas ce que tu veux dire. Et même si tes allégations mensongères étaient vraies, il y a prescription.
- Pas pour la presse. »


Il n'y croit pas, à la justice. Il ne croit plus en elle, plutôt. Elle ne pourra jamais effacer ce qui s'est passé, elle n'a jamais essayé et elle ne tentera jamais de le faire ; aucune forme de police ou de justice ne les a jamais sauvé, lui, sa sœur et sa mère. Celle-ci peut brûler en enfer, de son point de vue. Mais il peut oublier. Il peut oublier qu'il n'y aura jamais droit, et qu'il doit oublier seul, faire le chemin vers la guérison par ses propres moyens. Et ça, il sait que le temps ne l'arrêtera pas.

« Comment tu penses que Namiko réagirait, hm, si tes erreurs lui coûtaient sa carrière ? Tu penses qu'elle te pardonnerait ? Qu'elle t'aimerait toujours, comme elle aimait Kotone ? »

Reconnaissant le sous-entendu fait par l'évocation de feu sa sœur aînée, Kazuo serre les poings. Le ton de Natsume n'est même pas narquois ; il est juste amusé, un peu amèrement, de la facilité avec laquelle son interlocuteur s'émeut de cela. Il ne devrait pas être surpris, pourtant.

« Tu ne le feras pas. Tu es trop effrayé.
- Non. Je n'ai plus le temps, Kazuo. J'ai une vie à vivre. Mais je veux que toi, tu vives dans la peur. »


Sûrement avec arrogance, il pense la connaître intimement. Elle l'a accompagné pendant si longtemps, paralysant ses membres, ses pensées, ses envies et ses émotions. Il sait les dégâts qu'elle peut faire, et c'est bien plus que ce que toutes les vengeances ponctuelles, inutiles ou même violentes peuvent faire. Les punitions sont inutiles. Mais il se satisfait de celle-là. De cette menace qu'il fait dodeliner au dessus de sa tête, semblable à l'épée de Damoclès qu'il sentait pointer contre sa gorge à chaque pas qu'il faisait, étant plus jeune. Sa voix est devenue froide.

« Tu vas pouvoir goûter à ta propre médecine. Ressentir ce que Maman a vécu chaque jour, ce que tu nous a fait vivre. Tu vas être dans l'attente du coup, en permanence. Et ça te détruira.
- Elle t'écrasera. Tu n'es rien. »


Pause. L'éleveur ne répond pas tout de suite. Il le sait, ce qu'il risque. Namiko n'est pas une femme qui aime être défiée. Seul, il n'a pas les moyens de se défendre. Mais il n'est plus seul, et il n'a plus envie de les laisser gouverner. Alors il sourit un peu, comme si il honorait la mauvaise blague devant lui.

« Peut-être. Oui, mais je sais que je ne suis rien, contrairement à toi. »

Il n'est pas et ne sera jamais heureux. Kazuo n'est d'une aide à personne ; il n'apporte rien. Il n'a rien construit de ses propres bras, ne s'est jamais développé au delà de ses propres préconceptions. Il n'est ni aimé, ni aimant. Il n'a jamais grandi. Il n'a toujours été qu'une pauvre, pauvre petite chose ridicule et pathétique qui prend de grands airs et rabaisse ceux autour de lui pour se sentir exister. Un pervers narcissique, voilà tout ce qu'il est. Et Natsume sait qu'il n'est pas dans ce cas-là. Il n'a peut-être ni carrière particulièrement brillante, ni tout ce que les Shimomuras attendent de lui, mais quand il voit son géniteur, il se permet d'être satisfait lui-même.
Un rictus fier se dessine sur son visage. Oui, il n'est rien. Et Arceus que c'est bon, de ne pas être exceptionnel.

« Mais je suis un insecte, n'est-ce pas ? Tu l'as dit toi-même. »

Toshiro sourit, satisfait. Il sait déjà.

« Et les insectes survivent toujours. Les insectes comme moi te survivront. »

Le fils de Miyu tourne le dos. Il n'a rien d'autre à faire ici ; il n'a jamais vraiment eu quelque chose à faire, mais il se sent léger, maintenant. Sa poitrine lui semble plus légère d'un poids pesant dont il avait oublié la présence et la pression.

« Toshiro, nous partons. »

Personne n'ose le retenir. Et, l'air guilleret, le Camérupt se permet même une dernière offense, levant la patte sur le canapé hors de prix du bureau. Lorsque le hurlement de rage de son géniteur lui parvient aux oreilles alors qu'il passe entre les couloirs, Natsume rit.
Mais c'est un rire clair, tranquille. Ses épaules sursautent, et il pouffe comme un enfant, comme il aurait dû le faire depuis toujours, comme ce gamin qu'il n'a jamais pu être. Un sourire sincère, plein de dents, stupide sûrement, illumine son visage. Ses yeux brillent de petits éclats joyeux alors qu'il rencontre le regard de Toshiro et qu'ils partagent des gloussements goguenards. Maintenant, ces cris ne lui font plus peur.

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28 novembre, nuit

La tête appuyée contre son oreiller, il expire et inspire régulièrement, tentant de calmer sa respiration irrégulière depuis qu'il a fermé la porte de ce foutu bureau derrière lui. Les bras serrées autour d'une veste qui n'est pas la sienne pour tenter de calmer son rythme cardiaque par une odeur familière, le regard un peu vide, ses membres continuent de trembler. Cette assurance qu'il a réussi à maîtriser tout à l'heure, il se demande maintenant où elle est passée. Il est exaspéré, également, de voir que se débarrasser de ses démons passés est plus dur qu'il ne le désirerait, et qu'il ne peut se satisfaire que de pas de bébés. On lui a dit, pourtant, que le mot en a, qu'il refuse encore de prononcer, laissait des séquelles bien plus difficilement effaçables que ce que laisseraient croire la plupart des fictions larmoyantes. En soupirant, il tente de se dire que c'est normal et qu'il n'a aucune honte à avoir ; c'est encore une tâche ardue.
La chambre d'adolescente de sa mère est petite, mais étrangement confortable. Colorée, en désordre, un peu comme elle, mais même si le lit est dur comme du béton, il oublie vite l'inconfort du matelas. Il n'a pas envie d'y penser maintenant, de toute façon.
Une vibration de son téléphone cabossé le fait presque sursauter de son cocon de couverture, une étincelle d'impatience faisant soudainement briller ses yeux. Son expression se défait toutefois lorsqu'il remarque que le message qu'il reçoit sur skype lui indique qu'il ne pourra pas faire la conversation qu'il avait prévu avec son copain ce soir ; pour être honnête, il espérait un peu l'utiliser pour penser à autre chose, mais soit. Il ne pouvait pas lui en vouloir d'être occupé, de toute façon. En soupirant, il tente de dissimuler sa déception, et garde pour lui l'information de sa visite auprès de son géniteur. Inutile d'inquiéter qui que ce soit avec ça. Si il hésite à contacter Mell ou Charlotte, il se dit finalement qu'il n'aura peut-être ni l'énergie de fausser la bonne humeur, ni celle de supporter le moindre écart de rien du tout. Tant pis. Il n'aura qu'à attendre que le sommeil vienne, même si cela lui paraît être une bonne blague, au vu de son état.

La porte de sa chambre s'ouvre, pourtant. Surpris, il hésite à faire comme si de rien n'était. Ouvrir brusquement son ordinateur et prétendre être en train d'étudier des articles, même tardivement, aurait pu passer. Il aurait même sûrement eu assez d'énergie pour un faux sourire de quelques secondes. Mais il n'en a pas l'envie, ou du moins il n'a pas le temps de l'avoir.
Lorsque Tsuzume rentre dans la pièce, elle considère d'abord la couverture enroulée autour de son petit-fils, ses yeux un peu rouges malgré son visage froid et dur, et la façon dont il détourne le regard, ne s'embêtant pas à la saluer pour prétendre que tout va bien. L'universitaire s'adoucit, et fait quelques pas dans la pièce, avec lenteur, comme pour laisser le temps à l'autre de lui signifier son désir de solitude si tel était le cas.

« Tu veux en parler ? »

Pas la moindre brutalité ne transparaît de sa voix. Natsume se redresse un peu, ne souhaitant pas lui donner d'impression de mépris, et il sèche ses yeux rapidement, honteux malgré lui. Les bras croisés par dessus ses genoux, il grimace et hoche négativement de la tête, le cœur aussi lourd que ses paupières fermées.

« Non. »

Tsuzume sourit doucement et lui fait signe qu'elle a compris. Mais cela ne la fait pas sortir pour autant. Elle s'approche de nouveau, mais tourne un peu à droite et ouvre une étagère renfermant une bonne cinquantaine de boîtiers cassettes pleins de poussière.  Elle en saisit une dizaines à mains nues et le pose sur le lit, avant de s'asseoir sur le rebord, l'air avenante.

« Bon. Eh bien tant mieux, j'avais des films de prévus. Et tu dois me mettre à jour avec tous ces gueux bidéos, là, sur ton ordinateur. D'ailleurs il faudra le changer, ton ordinateur, qu'est-ce qu'il est laid ! »

Désarçonné, le jeune homme ne se permet qu'un sourire timide, mélange entre un rictus gêné et une tentative maladroite de montrer qu'il apprécie l'attention. Il ne se sent pas envahi, étrangement. Il n'a pas vraiment l'habitude des membres de sa famille qui respectent ses bornes, à vrai dire, et il est agréablement surpris, comme à chaque fois avec eux. Il hoche de la tête lentement, et c'est bien maigre comparé à toute la reconnaissance qu'il ressent soudainement en direction de sa grand-mère. Le sourire de Tsuzume ne sonne pas faux, lui, ni sa gentillesse. Certains comportements de sa mère semblent s'expliquer, tout à coup. Des fois, il se demande ce qui se serait passé, si il avait grandi dans cette famille-là et pas chez les Shimomuras. Sans doute que Miyu n'aurait pas eu à être déçu de voir son petit bourgeon dépérir aussi longtemps.
Il laisse la vieille femme mettre en place la télévision à écran cathodique et le lecteur aussi gros qu'une imprimante. Tapotant des doigts sur la couverture, il finit par oser prendre la parole, d'une voix certes discrète, mais tout de même. Une idée germait lentement dans son esprit, audacieuse pour quelqu'un comme lui.

« Dites, est-ce que je pourrais vous demander quelque chose... ?
- Si tu cesses de me parler comme si j'étais ta supérieure, peut-être. »


Il glousse un peu, mais il esquisse un sourire désolé. Expression que Tsuzume accepte comme elle est, lui faisait signe de parler. Le ton du Shimomura s'affirme sans qu'il ne le remarque.

« J'ai quelque chose à faire avant de partir, je pense. »

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18 Décembre 2022

Sa tête s'appuie contre le bord de son siège. Il expire longuement, la poitrine encore un peu chamboulée. Il n'arrive pas encore à se concentrer pleinement sur les lignes de son livre, même alors que l'avion s'est envolé depuis un petit moment maintenant. Ses pieds battent nerveusement le sol, tapotant d'une manière sûrement insupportable le siège de son voisin du devant. Ce n'est pas comme si le voyage allait être long : il serait de retour, après bientôt un mois de voyage, sur l'Île. Et le départ n'avait pas été particulièrement pressant non plus, quoique si Tsuzume avait pu lui éviter de lui pincer les joues de cette manière, il n'aurait pas été contre.
Pourtant, c'est comme si toute la tension venait de lui tomber dessus d'un seul coup. Il reprend une inspiration, se love un peu plus dans la veste qui lui sert de couverture et d'oreiller à la fois, fatigué. Il s'est passé un peu trop de choses pour qu'il ne se sente pas un peu lourd, et il profite du fait que personne n'est là pour le voir pour se relâcher. Nouvelle expiration.
Les mains dans ses poches, il sent pourtant ses doigts toucher quelque chose. Se rappelant de ce que c'est, il cligne les yeux, et finit par sortir l'objet, le considérant avec un air neutre et indifférent. Malgré lui, ses lèvres se tordent en un sourire fier lorsqu'il remarque le nom inscrit sur son billet d'avion.
Natsume Miyano
Pour une raison très puérile, il a la sensation qu'il ne le jettera pas. C'est la première fois qu'il le voit quelque part, et il se demande pourquoi il a attendu aussi longtemps avant de le faire. Peut-être parce qu'il s'en sent capable, maintenant. Peut-être parce que, peu à peu, il tourne une nouvelle page. Que ce soit à pas de bébés ne changeait rien : il s'en satisferait.
Natsume Enodril-Miyano
Natsume Enodril-Miyano
Eleveur
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Mar 5 Déc 2017 - 1:09
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Victini
Ouf, toute une aventure cette fiche! Je te félicite encore une fois, tu t'es lancée dans toute une entreprise et tu as vaincu avec brio! L'histoire est intéressante et poignante. Je t'avoue que j'ai préféré les moments réflexifs que les événements en soi, la construction du personnage est juste jouissive et c'est très très très bien réalisé. Je t'ai fait quelques remarques déjà sur Skype et le tout me satisfait donc je te valide aussitôt! Tu connais le chemin alors je t'évite les lignes inutiles (a)

Bon jeu avec Natnat **
Victini
Victini
Staff
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Sam 16 Déc 2017 - 15:41
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