Je suis au téléphone avec un collègue, un gars bien meilleur que moi -expérience quand tu nous tiens- en chirurgie et beaucoup plus à l'aise avec les pokémons feu. Je lui détaille l'état du Ponyta, ce qu'il doit préparer, le temps qu'il me reste avant d'arriver. Dix minutes. Je m'assure qu'il prenne bien en compte l'urgence de la situation puis je raccroche et je roule encore un peu plus vite. Je sors de la voiture sept minutes après le coup de téléphone, le poney dans les bras et je me dirige tout de suite vers la salle de soins d'urgence, accueilli par mon collègue. On procède à un nouveau diagnostic, on met l'animal sous perfusion, on le prépare à la chirurgie et à une transfusion puis mon rôle s'arrête là, je laisse son équipe s'occuper de l'intervention et je vais me tourner les pouces dans la salle d'attente et me ronger les sangs. J'arrête pas de fixer l'horloge murale, il est seulement 9 heures 57, j'ai encore toute une journée de travail qui m'attends mais je suis bien incapable de me concentrer. Je revois son regard, sa détermination, sa volonté de vivre et toute l'animosité que j'ai lu dans ses yeux pour celui qui devait être l'artisan de sa mort. Qu'est-ce qu'il m'arrive ? Je sursaute quand mon collègue passe la tête par l'entrebâillement de la porte et m'invite à le rejoindre. Je jette un dernier coup d'oeil à la montre, plus de deux heures sont passées, je n'ai rien remarqué, j'étais absorbé dans mes pensées. Quel professionnalisme.

« Alors ? Comment ça s'est passé ?
- Aussi bien que possible. On a recousu les plaies les plus graves et désinfecté les autres. Il n'est pas tiré d'affaire mais on a doublé ses chances je dirai. Du repos et des antibiotiques, un changement régulier des bandes et ça devrait aller.
- Génial. Dis, tu penses que j'ai bien fait ?
- Je ne pense pas qu'il y ait de bonne ou de mauvaise décision dans ce genre de situation. Si tu l'avais laissé partir, tu n'aurais fait aucune erreur. Mais en choisissant de le ramener ici, tu l'as peut-être sauvé. Seul l'avenir dira si tu as fait le meilleur choix. Allez courage jeunot, tu en verras d'autres. »

Il me tape amicalement sur l'épaule et s'éclipse pour aller chercher un café. J'en profite pour aller voir le pokémon, allongé dans un boxe dans une petite écurie adjacente, sur un lit moelleux de paille et recouvert d'une petite polaire pour lui tenir chaud. Il se réveille petit à petit sous le regard attentif d'une infirmière qui m'adresse un sourire chaleureux. Je reste à plusieurs mètres de l'animal, ma peur choisissant la chute d'adrénaline pour refaire surface. Il va falloir très certainement lui trouver un maître, à la vue de son état, ou bien il a été abandonné ou bien il était sauvage mais je ne pense qu'il avait un dresseur.

« Quelqu'un s'est présenté pour le réclamer ?
- Non docteur. Vous allez le garder ?
- Moi ?! Vous plaisantez... C'est un type feu...
- Oh, je pensais que... Enfin, vous l'avez ramené jusqu'ici, je pensais que vous aviez vaincu votre peur.
- Hm. Qui sait. »

Après ça, les jours ont défilé. J'ai passé la première nuit à la clinique pour garder un oeil sur le poney puis son état s'est nettement amélioré de jours en jours. Huit levers de soleil sont passés depuis, personne n'est venu réclamer le ponyta et il semble s'être attaché un peu à moi. Rien de très notable, il ne me crache simplement pas un jet de flammes à la figure quand je pénètre dans la grange alors qu'il ne rate aucun autre médecin. Peut-être qu'il ressent simplement ma peur et qu'il réalise qu'il n'a pas besoin de m'effrayer un peu plus. Ce qui est certain, c'est qu'il est suffisamment remis pour rejoindre un refuge en attendant d'être adopté, il ne peut pas éternellement rester à la clinique. Et à cette simple pensée, je ressens un pincement au coeur, comme une douleur vive, un sensation étrange qui laisse un arrière goût amer. Mais qu'est ce que je ferai d'un poney de feu ? Franchement ? J'habite au milieu d'exploitations agricoles, ce ne serait pas un problème de louer un champs à côté de la maison mais... C'est un pokémon feu. Ce serait dingue, complètement dingue. Et pourquoi pas ? Oscar Wilde avait l'habitude de répéter que les seules choses qu'on ne regrette jamais sont les folies.  

Deux jours plus tard, un pick up tirant un van se gare devant l'entrée du champs. L'homme, un ami voisin d'une quarantaine d'années descend, me serre la main en parlant bruyamment du temps de la journée puis baisse la porte et laisse sortir le ponyta. J'ai été forcé de demander un coup de main, j'en aurais été bien incapable tout seul, il y a encore du travail sur la gestion de ma phobie mais j'ai l'impression d'avoir progressé, un peu, juste un peu mais c'est un grand pas pour moi. J'ai adopté un poney, enfin une ponette plus exactement. Je la regarde hésiter à sortir, probablement angoissée de se retrouver à nouveau en pleine air, à découvert. Nous la laissons faire jusqu'à ce qu'elle se décide et bondisse d'un coup de le pré, galopant à toute allure à la découverte de son nouvel environnement, stressée, cherchant la fuite. Aussitôt, mon Rocabot se précipite à sa rencontre et l'angoisse laisse petit à petit place aux jeux. Ils jouent tout les deux à se poursuivre, à aboyer, à hennir, à se cabrer. J'observe le ballet d'un regardé amusé alors que ses voisins de pré, un groupe de Tiboudets observe curieusement la scène et s'approche de la barrière pour saluer la nouvelle arrivante. Je remercie mon ami, l'invite à venir prendre un café mais il refuse poliment, bientôt l'heure de la traite. Il me souhaite bonne chance et me laisse à ma contemplation béate de la vitesse et de la force de la petite jument. Le rocabot n'est pas le moins du monde impressionné lui, il s'approche parfois très près et je retiens mon souffle avant de le relâcher quand la ponette part en galopant dans la direction opposée. Si ce n'est pas la décision la plus folle... Un petit bout de chemin parcouru.

Il y a des bonnes journées, des moins bonnes et des mauvaises. Celle-ci est sans conteste possible une très bonne journée.