L'Elu auto-proclamé des Monarchistes fait son entrée ! La Compétition, Elixir et le Gouvernement sont en crise et les Anarchistes demandent la démission du Chef du Conseil.
« Comment t’arrive à le gérer, sérieux ? - Des sacrifices humains et un verre de sang de chèvre tous les matins, à jeun. Avec une rondelle de citron, tu ne douterais pas que ça passe aussi facilement. »
Nagisa leva les yeux au ciel, pas même amusée par le ton narquois et l'air faussement neutre de son cadet. D'un coup d’œil, elle regarde son neveu d'adoption plaquer sa tête contre les vitres des couveuses, de grandes étoiles émerveillées dans ses yeux bleus. Depuis tout à l'heure, il ne cesse de courir partout, et il ne lui a pas accordé autre chose qu'un sourire, chose inhabituelle. Alors elle boude presque, une mine grognon sur le visage, et le Miyano ne peut s'empêcher de glousser. Il est de bonne humeur aujourd'hui, bizarrement. Peut-être que c'est le calme plat de ce mois de janvier, ou les vacances qui l'ont détendu plus qu'il ne l'aurait cru. Le début de l'année s'amorce doucement, sans heurts particuliers, et il en profite tant qu'il le peut. Enfin, pour lui, la satisfaction passe par le fait de trimer les bottes enfoncées dans des matières marronâtres que nous ne décrirons pas, en salopette et en se demandant en même temps quand exactement il allait se remettre à sa thèse, mais chacun son truc.
Les visites sont assez rares dans la pension, alors il n'est pas très dérangé par la venue de sa sœur aînée. Au delà des proches, il veut dire, et de quelques exceptions, comme Mell, comme Blanchett, ou bien même Alice, qu'il retrouve de temps à autre perchée dans des arbres dont il faut ensuite la tirer quand elle se met à trembler des genoux. Nagisa sait comment il fonctionne, de plus, et n'est pas embêtée par le fait qu'il travaille à côté en ne l'écoutant que d'une oreille. En vingt-quatre ans, bientôt vingt-cinq, elle a eu le temps de comprendre. Pendant qu'il examine attentivement les œufs présents dans la pouponnière, le regard critique, les touchant avec douceur de ses mains gantées pour en examiner la santé, Nagisa fait le tour. Elle n'est pas venue souvent, en fait. Ou du moins, pas dans les bâtiments, et elle était persuadée que ces derniers n'étaient pas dans le même état auparavant. Alors il lui avait distraitement expliqué que la peinture avait été refaite, que le système de gestion de la température lui avait coûté une jolie somme mais qu'il était tout neuf, et qu'il s'était embêté à rajouter quelques couveuses pour gérer le flux grandissant d’œufs dont il devait s'occuper, mais elle avait déjà oublié tout ça. Comprenez, le blabla administratif avait tendance à la faire bailler aux corneilles.
« Papaaa, quand est-ce qu'il sort, le bébé ? - Patiente un peu, ça ne devrait tarder. Et je t'ai déjà dit de ne pas crier. »
Le jeune garçon fit une moue boudeuse, et poussa un long soupir dramatique. Natsume ne vit pas l'intérêt de lui faire remarquer qu'il ne devait pas faire ça car il allait salir la vitre, car il avait abandonné depuis longtemps. Après quatre ou dix-neuf fois à la répéter, hein... Devant son ton désintéressé, Nagisa imita un « gniagniagnia » très puéril.
« Roh, pas la peine de jouer aux rabats-joies. Viens, Axel, tu peux monter sur mon dos pour mieux voir. »
Surexcité tout à coup, l'enfant leva les bras bien haut, un grand sourire sur le visage, riant pour un rien tandis que la presque trentenaire le tenait fermement, le bout de ses lèvres légèrement tordu vers le haut. Si sa poigne est ferme, elle n'en est pas moins attentive et sans brutalité. Bizarrement, et Natsume ne voulait pas vraiment réfléchir à la raison qui faisait qu'il trouvait ça un peu exaspérant, Nagisa n'avait absolument aucune difficulté avec les enfants. Bien au contraire, en réalité. Il y avait eu quelques soucis au début, bien sûr, au vu du fort caractère des deux, mais la programmeuse s'était vite faite à l'enfant, et pour il ne savait quel raison, sûrement car son côté bourru, joueur et un peu gaga sur les bords plaisait beaucoup à Axel, le gamin s'en était entiché tout aussi rapidement. Peut-être, et jamais il ne l'admettrait, du moins pas maintenant, que Natsume enviait cette facilité malgré lui. Une once de jalousie, ici et là, qui lui faisait sortir des répliques de mauvaise foi, de temps à autre.
Natsume haussa donc les sourcils devant tant de mièvrerie complètement assumé, et poussa un soupir satisfait en constatant que l’œuf qu'il examinait était en parfaite santé. Content de lui, il alla le reposer dans la couveuse vide et inscrivit quelques notes distraites sur la fiche de suivi. Il se permettait presque d'être content de lui, pour le moment. Pas de travail en retard, et il n'avait pas la sensation de bâcler pour terminer au plus vite. C'était aussi pour ça qu'il autorisait à Axel de le suivre, puisque les mercredi après-midi étaient souvent un peu longs pour lui, et qu'il ne serait pas une gêne. Bon, après, il aurait peut-être dû se retenir de mentionner l'éclosion qui ne tarderait pas à arriver.
« Et ça va être un Tardiveyette, c'est ça ? - Larveyette. - Ouais, une chenille, quoi. »
L'éleveur retint comme il peut son grognement, sachant très bien que sa sœur ne faisait que le provoquer, vu qu'elle examinait son visage avec un pareil sourire de mange-merde. Mais il n'allait pas se plaindre pour de vrai : c'était signe qu'elle allait bien, et bien mieux qu'il y a quelques années. En même temps, Nagisa avait toujours sur se débrouiller seule, et l'éleveur ne pouvait mentir sur le fait qu'il avait longtemps jalousé cette capacité, croyant par dépit qu'elle était absente en lui. Mais elle était plutôt secrète, alors il n'allait pas la questionner davantage : sa vie personnelle ne regardait qu'elle. Au moins comme ça, il pouvait prendre des nouvelles d'Isaac, même si elle râlerait toujours un peu avant, en marmonnant que ce n'était pas son job de le tenir au courant et qu'elle ne servait pas de relais postal, tout ça.
Sans se presser, l'Hôte s'approcha de la couveuse qui attirait tant l'attention, et esquissa un sourire attendri en voyant à quel point l’œuf remuait depuis quelques heures déjà. Doucement, petit à petit, la coquille abîmée et déjà fendue il y a un moment se fragilisait de plus en plus. Il était même resté levé un peu plus tard que prévu hier soir, dans l'espoir d'assister à une naissance précoce, mais non. Il faut dire que cet œuf était un peu particulier, et que le nippon l'avait rarement quitté des yeux depuis qu'il l'avait découvert dans les plaines fleuries de Nuva Eja au cours d'une sortie avec Samaël. Agissant un peu comme un parent surprotecteur, il s'était surpris à faire des allers-retours bien trop souvent dans la pouponnière pour s'assurer que tout allait bien. Il avait ses raisons, se défendrait-il si on lui faisait remarquer qu'il était un peu trop parano sur les bords.
« Il va pas être malade le bébé, hein ?
L'inquiétude d'Axel transparut lorsqu'au lieu de continuer à jouer avec les mains de sa tante, il jeta un coup d’œil à son tuteur, peiné. Natsume, attendri par l'attention sincère et affectueuse de l'enfant auprès des œufs, avec qui il semblait bien plus doux, ne put empêcher son ton de se faire lui aussi rassurant et chaleureux.
« On verra bien. Mais même si il est malade, c'est mon travail. »
Il n'avait pas donné tous les détails, évidemment. Mais un œuf abandonné et attaque par ses propres parents, dont il gardait d'ailleurs les séquelles, c'était suffisamment sérieux pour qu'il y veille religieusement. Pendant plusieurs jours, il l'avait inspecté chaque matin et chaque soir, rendant compte de ses différentes observations pour ne jamais perdre le fil au cas où la situation dégénérerait. Alors oui, peut-être qu'il était un peu impatient, lui aussi, vu la façon dont ses doigts tapotaient rapidement ses genoux.
« … W-waaaah ! Ça bouge ! »
L'éleveur releva immédiatement la tête comme un suricate, curieux, et son expression s'illumina dès lors qu'il vit qu'Axel avait raison de s'exciter, cette fois. En faisant signe à sa sœur de reculer un peu, le jeune adulte ouvrit la couveuse avec patience, avant d'en sortir l’œuf tout en veillant à bien l'envelopper de ses bras, pour qu'il ne tombe pas. Tandis qu'Axel sautillait sur le dos de cette pauvre Nagisa qui retenait comme elle le pouvait des grimaces de douleur devant l'assaut régulier de son popotin sur ses épaules, Natsume entreprit de couvrir l’œuf d'une couverture chaude, au cas où le changement de température serait trop brutale. Mais déjà, la coquille se fendait, lentement, sûrement. Le reste ne fut pas long. Mais, contrairement à ce que l'Hôte aurait cru, la larve sortit avec les fesses en avant, au lieu de la tête comme c'était usuellement le cas. Le spécialiste plante fronça les sourcils, car c'était toujours dangereux pour le coup et la motricité du bébé de naître ainsi, mais c'était à prévoir au vu des chocs successifs que l’œuf avait subi, d'un coté. Il en fut d'autant plus attentif que, ignorant les émerveillements d'Axel sous forme de 'waaaah c'est beau' et les jurons impressionnés de Nagisa qui valurent à cette dernière un regard noir lorsque l'enfant rit d'entendre un 'putain', ses doigts étaient occupés à tenir la coquille. Finalement, après que le corps se soit extirpé péniblement de son caveau ovale, une tête jaune et de grands yeux noirâtres se posèrent sur eux. La créature, plutôt timide, cacha dès lors sa tête, intimidée par les trois regards concentrés sur elle. Le grand cri d'Axel avait sûrement joué, à vrai dire.
Avec délicatesse et pour ne pas l'effrayer, car il était toujours quelqu'un d'autre dans ce genre de cas, un peu comme si il devenait celui qu'il aurait été si certains soucis n'avaient pas existé, il s'accroupit (quitte à avoir l'air débile) et esquissa un sourire doux. Même sa voix en était devenue pâteuse, molle, infiniment affectueuse alors que cette Larveyette, car c'était visiblement une femelle, ne le connaissait que depuis quelques secondes. Mais pour lui, en même temps, cela faisait presque une semaine qu'il s'en était pris d'attachement.
« Qu'est-ce que tu es jolie, toi... »
Il n'avait pas pu s'en empêcher, alors qu'il posait sa main devant la chenille pour qu'elle ait le loisir de l'ignorer si elle le voulait. Quelques secondes passèrent, et Natsume était persuadé qu'un grand dilemme devait se jouer dans sa tête, mais elle finit par accepter la caresse dégantée des doigts de l'éleveur. Un peu envieux, et peut-être car il était tout aussi attendri, Axel se mit à gigoter dans les bras de Nagisa pour descendre, ce que l'informaticienne laissa faire sans broncher, pas surprise pour le moins du monde. Il alla se presser auprès de son parrain, tirant légèrement son pantalon car il avait appris que tirer la manteau n'était pas autorisé. Son impatience se sentait, mais Natsume ne l'en réprimanda pas. Il aurait été mal placé, sur le coup.
« Je peux la caresser aussi ? Je peux, hein ? - Doucement, mais oui. Fais attention, elle est petite, donc encore fragile. »
Pour illustrer ses propos, il prit la main de l'enfant dans la sienne pour la guider, et la posa sur la tête de la larve nouvellement née qui se laissa faire en se pressant un peu. Elle aussi découvrait, en même temps qu'Axel, qu'elle était loin de ne pas aimer ce contact. Des lueurs éclairèrent le regard du gamin, qui souriait maintenant béatement. Natsume, plus tranquille, et toujours avec cette même voix tranquille, reprit la parole, comme heureux de partager quelque chose qui lui donnait tant d'allégresse à son filleul.
« Tu vois la feuille qui l'entoure ? Si la couleur est aussi vive et qu'elle sent de cette manière, c'est qu'elle est en bonne santé. »
Axel hocha vivement de la tête. Son comportement irréprochable n'était pas étonnant, à vrai dire : dès lors qu'il s'agissait d'apprendre quelque chose qui l'intéressait, il devenait sage comme une image. Et avoir le privilège de caresser la Larveyette semblait être une motivation suffisante pour qu'il suive au millimètre près, enfin, comme un enfant pouvait le faire, les conseils de l'Hôte. Pour il ne savait quelle raison, Natsume ne pouvait pas nier qu'il n'appréciait pas la vision du garçon en train de s'occuper de la petite, comme si il était soudainement bien plus naturel et à l'aise. Il se permit même de reculer et de le laisser faire, toujours en veillant attentivement si jamais un mouvement brusque était réalisé. Nagisa, qui observait sans un mot depuis tout à l'heure, glissa quelques mots d'une voix taquine.
« T'es vraiment tout mou avec les petits, en vrai. - Avec les pokémon, oui. - Tu vois ce que je veux dire. »
Le Miyano s'était tendu et crispé, mais il n'avait rien dit de plus, conscient que répondre au sous-entendu de sa sœur ne ferait que lui faire plaisir. Ce n'était pas nouveau, qu'elle veuille lui parler de sa relation avec Axel. Comme si de rien n'était, il retourna auprès de sa feuille de soins pour inscrire ses dernières conclusions, satisfait malgré tout de voir que tout s'était bien déroulé. Hormis une certaine petitesse et maigreur, rien d'anormal ne semblait avoir été remarqué, et les mouvements de la Larveyette avaient été suffisamment naturels pour qu'il ne s'inquiète pas tout de suite. Il faudrait voir plus tard, évidemment. Et non, il ne s'intéressait pas à ça juste pour éviter une conversation pénible. Mais Nagisa voyant clair dans son jeu, comme d'habitude car elle considérait des fois l'avoir presque élevé en partie, elle n'hésita pas à se rapprocher. Elle parla cette fois à voix basse, plus lentement, les sourcils légèrement froncés.
« Tu t'en sors, avec lui, quand même ? - Il n'y a pas de raison que non. - Tu sais que si tu as un problème... - Nagisa. »
Ferme, sans être acide ou dur, mais suffisamment pour signifier qu'il ne voulait en aucun cas aborder ce sujet avec elle. Avec personne, à vrai dire, car il l'évitait dès lors que quiconque tentait l'aventure : que ce soit Faust, Sam ou même sa sœur à l'instant, c'était du pareil au même. Si Nagisa aurait insisté il y a quelques années, elle savait aussi qu'elle ne ferait que se heurter à un mur, et elle soupira, dépitée. Natsume se tendait toujours à ce propos, comme si il refusait d'admettre ses propres difficultés, de peur que l'on ne le croit incapable de se débrouiller, ou qu'on veuille l'aider, ce qui serait encore pire à ses yeux. Et comme Nagisa le savait bien, faire admettre à son frère que se faire soutenir n'était pas honteux et encore moins un défaut de caractère (bizarrement il ne croyait ça que dès lors qu'on parlait de lui, hein), c'était un travail d'une telle ampleur qu'elle n'avait pas l'énergie de s'en charger. Malgré tout, un autre détail, lié à ce sujet, la travaillait et elle en fit part en se grattant la nuque. Bon sang, qu'elle détestait ça, et que c'était gênant...
« C'est juste, depuis que t'es parti là-bas, tu sais... - Je sais. Mais je vais bien. Je vais mieux, si ça te rassure. »
Il a l'air neutre, calme, indifférent. Exactement la raison pour laquelle Nagisa se méfie, mais elle accepte d'y croire pour le moment : elle ne sait pas trop ce qu'il en a été, après tout, au Japon. Mais de ce que ses grands-parents lui avaient raconté, ça n'avait pas été un total désastre. Elle pouvait croire qu'il y avait un semblant de vérité dans ses paroles, en outre car son ton laissait transparaître un peu d'affection. Malgré tout, Nagisa se demande si il n'a pas l'air pensif, depuis. Mais elle ne se permet aucune remarque. Elle se doute que quelque chose relie cette anxiété par rapport à Axel et ce le Japon, mais elle se retient de faire remarquer quoi que ce soit. Entre eux, en même temps, on ne parlait jamais trop sentiments. Ça ne se faisait pas, voilà tout. Reste d'une époque où c'était bien trop dangereux, où tout menaçait de déborder à chaque instant, ce qui les rendait maintenant craintifs quand au fait de se confier l'un à l'autre, ou même simplement de partager leurs émotions. Il y aurait peut-être toujours ce mur, mais Nagisa se plaisait à croire qu'il s'était affaibli, depuis quelques années. Sûrement depuis l'émergendémie, quand elle y pensait.
Alors, soudainement plus guillerette par la force de ses talents d'acteurs et sa volonté de ne pas se morfondre, Nagisa esquisse un rictus joueur et tapote l'épaule de son frère cadet, qui la dépasse maintenant d'une tête, pour lui faire signe de bouger un peu. Le plus jeune leva les yeux au ciel devant la brutalité de sa sœur qui le guidait un peu brusquement vers la sortie, mais il ne se débattit pas.
« Bon, allez, fais moi faire le tour. Que j'vois si t'as fait ta faigniasse ou pas, entre temps. - Je t'ai déjà dit ce que j'avais fait faire. - J'ai oublié. - Tu ne m'as pas écouté, oui ! »
Nagisa ricana distraitement tandis que le Miyano fermait la porte derrière eux, verrouillant fermement la porte de la pouponnière. Alors qu'ils s'apprêtaient à partir, des bruits de pas se rapprochèrent précipitamment et on tapa brusquement à la porte, tellement que l'Hôte sursauta, confus.
« Papaaa, oublie pas Larveyette ! Et pis moi ! »
… Ah, oui, ça. Agacé et un peu embarrassé par sa propre bêtise, Natsume donna un coup de coude à sa sœur qui était partie dans de grands éclats de rire. Malgré lui, il gloussa tout de même un peu. Bizarrement, l'humeur était trop légère pour qu'il ne se sente à s'énerver, ces temps-ci.