« Alice, je peux jouer à la console ? »
La question de mon cousin me fait très légèrement diverger mon regard mon objet électronique. Affalée lamentablement sur le canapé, j'ai pourtant du mal à me concentrer sur mon jeu, puisque le petit garçon ne cesse de venir chercher mon attention toutes les cinq minutes. J'ai beau l'avoir calé devant la télé et ses jouets, il continue de me tenir la jambe. Je soupire d'un air exaspéré, sans m'embêter à faire croire au garçonnet que je ne suis pas dérangée par ses interruptions régulières. Déjà que je n'aime pas beaucoup le baby-sitting... Je veux bien que ce soit de bonne guerre, comme je squatte chez Natsu, mais bon, Axel est lourd, comme môme. Il est toujours à réclamer de l'attention et à bouger partout, c'est vraiment hardcore de le tenir.
Honnêtement, j'aimerais cent fois mieux faire autre chose, et sans surprise, cela me rend de mauvaise humeur, voir carrément infecte, si j'étais assez honnête pour l'avouer. Natsu va rentrer dans une vingtaine de minutes, en plus, enfin normalement, alors je me permets de me dire que ce sale gosse peut attendre un peu. Couché à côté de moi, mon Hoothoot me jette d'ailleurs un regard circonspect, me menaçant des yeux de ne pas me montrer trop désagréable. Mais qu'il est chiant, Albus, des fois...
« Non, je t'ai déjà dit que t'étais trop p'tit. »
Il est pas méchant, hein. Juste que... Quand je viens pour me détendre, j'ai pas envie que Natsu me le mette sur les épaules. En plus, je... J'ai du mal avec lui, en vrai. Je sais que ce n'est pas de sa faute si papa allait mal, fut un temps. Mais le voir me fait repenser à cette époque, celle où je l'entendais pleurer quand j'allais dormir, celle où il me faisait peur, avec ses vertiges qui le rendaient aussi pâle qu'un fantôme et le faisaient s'écrouler au sol comme une poupée sans fils. Je ne devrais pas en vouloir à Axel, et ce n'est pas le cas. Mais je n'arrive toujours pas à me débarrasser de ce nœud dans mon ventre quand je le vois. Peut-être que c'est aussi un peu parce qu'il me fait penser à tonton Clive, et que je ne préfère pas me rappeler d'où il est, à l'heure actuelle. Tout un tas de trucs que je n'arrive pas à clarifier dans ma tête, et qui rendent mon ton aussi sec, bien que ce ne soit sans doute pas une excuse valable.
« Maiiis papa il a dit que c'était toi qui restait avec moi, mais tu fais rien qu'à jouer sans moi!-
- J'ai pas envie, Axel, fiche-moi la paix ! »
Mon ton est monté d'un coup, et à vrai dire, ce n'était pas du tout prévu. Si je m'immobilise pour examiner le visage du gamin, je me rends compte sans trop de surprises que ce n'était pas la chose à faire, du tout. Les traits du plus petit se décomposent en si peu de temps, trop peu pour que j'arrive à allonger plus d'une phrase. Ses yeux s'humidifient, ses épaules se haussent, et il se contracte comme si il avait peur que je ne me mette dans une colère noire.
« Attends, je-
- T-t-t-t-t'es m-m-échante ! E-en plus t'es m-m-moche et tu p-pues comme u-un caca! »
Il crie, mais entre ses sanglots et ses bredouillements, cela m'inquiète plus que cela ne me fait peur. Et à vrai dire, j'ai autre chose à faire, puisqu'à peine a-t-il fini de m'insulter qu'il se met à courir en dehors de la maison. Si la porte ne claque pas, je sais toutefois qu'il est sorti, et me relève brusquement. Non mais non, oh merde ! Natsu va me tuer ! E-et franchement quand il fait son regard fixe, là, je... Drah ! Si il lui arrive un truc, j'suis bonne pour plus sortir le restant de mes jours, e-et... Bah j'ai pas envie qu'il lui arrive un truc, quoi, merde !
« Axel ! O-oh non, Axel, où tu vas ?! »
Il ne me répond pas, évidemment, alors qu'Albus s'accroche fermement à mes épaules, resserrant sa prise en me fusillant du regard. Ça va, merci, j'ai pas besoin qu'il me fasse des reproches pour que je comprenne que j'ai fait une grosse bêtise !
J'ai l'habitude de la pension de Natsu, mais j'avoue que d'un seul coup, sa grandeur me fait me sentir perdue. Je me sens minuscule, comme écrasée par les grands arbres dont l'ombre et la proximité me font me sentir étouffée, comme si c'était de leur faute si ma respiration s'est accélérée. Décontenancée, le cœur battant bien plus vite, je regarde de gauche à droite, sans jamais vraiment parvenir à fixer mon regard ou me concentrer, tant la panique se fait grande. Non mais, si ces sales papillons de malheur voulaient bien bouger leurs fesses, déjà qu'ils sont moches !
« Axeeeeeeeel ! Axeeeeeel, reviens-là ! C-ça suffit ! »
Je ne le vois nulle part. Mais non, mais non... C'est un gamin, comment est-ce qu'il va faire si il s'aventure dans la forêt ! Perdue dans ma peur, je ne pense même pas à demander de l'aide aux employés de Natsu. Inquiète à la fois d'être enguirlandée sauvagement et prise de court par la peur, je ne vois pas tout de suite ce que je suis sensée faire. La logique n'a plus vraiment de prise dans mon cerveau : j'ai l'impression qu'il vient de disjoncter, me laissant seule avec le nœud glacé dans ma gorge. Agacée par l'insistance d'Albus sur mon épaule, j'éclate de fureur en lui aboyant presque au visage.
« Bon sang Albus, laisse-moi- ! »
Je me tais lorsque je l’aperçois me montrer l'un des grands enclos de la pension. Enclos dans lequel se trouve des... Oh non. Oh non, ce panneau rouge, là, avec des gros points d'exclamation pour dire de s'éloigner, c'est celui des Séviper. Mon sang se glace et j'ouvre de grands yeux horrifiés. Même si Natsu m'a toujours dit de ne pas prendre les serpents pour des monstres sanguinaires, tout une panoplie de films et de représentations culturelles me font imaginer le pire. Je cours jusqu'à l'entrée, saute par dessus la clôture grâce à l'adrénaline qui me confie une agilité que je ne me connaissais pas.
Et oh, la vision d'horreur. Si la plupart des serpents se tiennent éloignés, l'un d'entre eux semble poser des yeux intéressés sur l'enfant, bloqué contre un arbre, les yeux plein de larmes. Je ne suis pas fine psychologue, et à vrai dire, je m'en fiche. Là, tout ce qui m'importe, c'est de sortir mon cousin de là.
« Gros vers dégueulasse, dégage ton gros cul merdeux de là ! Pétasse ! »
Mon cri coléreux a au moins attiré l'attention de la créature, qui détourne le regard de l'enfant et pose sur moi des yeux fendus emplis de colère. Je me choque moi-même de ma vulgarité , mais... Au moins, la provocation fait son effet, car le reptile glisse vers moi avec rapidité et tant de menace dans ses iris qu'en reculant, je trébuche sur mes propres pieds. La douleur ne me fait même pas réagir. Axel aurait sans doute le temps de s'enfuir, e-et puis... Rien ne peut m'arriver, là ? Hein ?
Albus se dresse subitement devant moi, levant les ailes pour tenter de faire peur au serpent, quand bien même ce dernier est bien plus grand, et sûrement plus puissant, que lui. Si l'oiseau rugit pour tenter d'intimider son adversaire, ce dernier ne semble pas très dérangé, et lui saute dessus avec une vélocité qui me déconcerte. Les écailles du Séviper se resserrent rapidement autour du Hoothoot, réalisant une attaque Ligotage que je ne reconnais que lorsque j'entends Albus piailler de douleur. Inquiète, je crie, comme pour tenter d'attirer son attention.
« C-Choc mental, Albus ! »
Il y aurait sûrement pensé sans moi, à vrai dire, mais j'avais désespérément besoin de le voir essayer. Des ondes violettes furent émises par mon ami, que nous avions heureusement pris le temps de perfectionner en entraînement, permettant de relâcher légèrement la pression du serpent, juste ce qu'il faut pour qu'il se dégage. Néanmoins, alors qu'il tentait de prendre un peu de hauteur, un violent coup de queue du Séviper l'envoya claquer au sol avec une telle virulence que le bruit du choc me fit hoqueter d'horreur. Oh, Arceus, non ! Je savais que nous étions encore loin d'avoir pris de la puissance, m-mais... !
L'oiseau titube. Plaqué au sol par un Séviper au regard mauvais, dont la langue coupée se met à siffler comme pour goûter l'air, il n'arrive pas à se relever. Le coup étant sans doute rude, très rude. Mes yeux s’humidifient. J'ai peur, j'ai vraiment peur. Mais Axel hurle, plus loin. Il hurle de crainte, et je le vois bien.
Il a plus peur que moi.
Mes muscles agissent tout seul. L'adrénaline me propulse presque à elle seule. Sans comprendre comment je le fais, je me relève, et même si je titube, je me jette sur l'enfant que je couvre de mon corps, le protégeant en montrant mon dos. Le gamin hoquette, surpris, mais s'accroche à moi avec désespoir, et je ne peux pas dire que je ne fais pas la même chose.
Mais ce mouvement a attiré le regard du serpent, je le sais bien. Si il tourne la tête vers nous, le Hoothoot profite de ce changement de perception pour se mettre devant nous, même si ses membres tremblent. Je sens qu'il est à bout de souffle. Sa respiration est rapide, et son regard n'est pas concentré. Rien que tenir sur son unique jambe doit lui être difficile. Et je vois qu-... Mais qu'est-ce que... ?
Mes yeux s'écarquillent. Une vive lumière blanche s'est mis à l'entourer, et je reconnais très nettement les signes d'une évolution. C'est rapide, mais le Séviper n'attend pas poliment, mettant ses crocs en avant pour ce que je reconnais comme étant une Morsure. Si ses crocs se ferment sur le corps de la chouette, cette dernière continue de grandir, prenant l'apparence d'un grand Noarfang dont la puissance toute nouvelle envoie temporairement son adversaire en arrière.
Il est magnifique. Couchée contre le sol, serrant Axel dans mes bras, si je me permets de l'observer, je vois bien, toutefois, que cela ne suffira pas. Car Albus souffre. Je reconnais à ses ailes tremblantes qu'il est pris de spasmes, sûrement dévoré parles saletés que ce maudit reptile a bien pu lui injecter. Et pourtant. Pourtant, il reste devant nous, sans reculer, sans s'écarter. Ce combat ne va pas bien se terminer. Nous sommes encore à mille lieues du niveau de ce foutu Séviper, qui jette maintenant vers nous un regard plein de haine. Mais bon sang, depuis quand est-ce que Natsu garde un pareil spécimen ici... ?! Je ne veux pas que la chouette se blesse. Alors je me relève sur mes coudes, et je lui hurle dessus. Comme animée par une fureur désespérée, je l'interpelle avec vivacité.
« Recule ! »
Rien n'y fait. Il ne m'accorde pas un seul regard, et dresse ses deux ailes devant nous, comme pour le défier. Pour détourner son attention. Pour nous donner le temps de fuir. Ma poitrine s'est gelée.
« Albus, non ! Recule, j't'ai dit ! Tu m'écoutes ?! »
Il ne m'écoute pas, non. Il ne m'écoutera pas, je le sais déjà. Et déjà, le reptile s'élance, près à porter une nouvelle attaque qui, elle, pourrait bien être la dernière. Terrorisée, je n'arrive pas à bouger. Je ne suis pas à la hauteur du courage de l'oiseau, moi. Je ferme les yeux, crispée, et serre Axel contre moi. Pardon, Albus.
« Byakuran ! »
Un autre Séviper, plus grand, plus massif, plus brutal et l'air bien plus puissant, saisit son congénère et l'envoie brutalement au sol. Immobilisé, le mâle tente de se défendre, mais s'arrête lorsqu'il croise le regard orageux de l'éleveur, dont les yeux ne promettent rien de bon. Je ne sais pas ce qu'il va faire de ce Séviper, mais probablement rien de bon, en tous cas. Il est blanc, et ses mains tremblent de fureur alors qu'il s'approche d'Axel et moi. Si je crains que cette colère que je perçois envers lui se tourne vers ma personne, je baisse les yeux honteusement. Je le mériterais bien. J'ai agi comme une imbécile odieuse et immature, alors il peut s'énerver si il le veut, ce serait normal. Je ravale ma salive, sentant mes yeux s’humidifier à mon tour, maintenant que la peur descend enfin. L'enfant est encore lové contre ma poitrine, et me serre, mais la vision de son tuteur semble le faire réagir.
« C-c-c'est pas s-sa faute, j'te p-promets, je, je, c'est moi q-qui...
- Venez-là. »
Il nous fait signe d'approcher, et si je ne ne comprends pas trop, Axel a compris, lui. Il prend ma main dans la sienne et nous fait nous approcher, de telle sorte que nous nous retrouvons collé contre l'éleveur, qui enserre sa prise avec une telle fermeté que j'en suis surprise. Ce n'est que maintenant que je remarque la crainte dans ses yeux, que je confondais avec de la hargne auparavant.
« Ne refaites jamais ça, vous m'entendez ?! »
Si il lève un peu le ton, je sens bien à sa voix que ce n'est pas méchant, et Axel hoche négativement de la tête. Soulagée, je me permets de reposer ma tête contre lui, comme je le faisais étant enfant, alors que j'aurais tendance à dire que c'est pour les bébés de nos jours, sous le coup d'une fierté et d'une arrogance mal placées. Pourtant, je ne mérite pas cette attention. Pas du tout. Pas quand j'entends les geignements de douleur de mon Noarfang, pour qui je m'inquiète bien plus. Ça suffit, l'égocentrisme, ça a failli blesser Axel, et, et... Je baffouille nom de l'oiseau dans la direction de Natsu, priant pour qu'il ait un moyen de le soigner. Il en a forcément un, n'est-ce pas ? Comme quand j'étais enfant, je me raccroche à lui, dépendante de ses actions, comme de celles de papa, comme celles de tonton, des fois. Je cherche dans son regard un peu d'aide.
« Albus, il-
- Je vais m'en occuper. Pris à temps, l'empoisonnement ne causera rien de grave. Tu peux être fière de lui, en tous cas.
- Mais c'est de ma faute si-
- Albus s'est mis en danger pour toi comme tu l'as fait pour Axel. Tu veux remettre son courage en doute ? »
Si son ton est ferme, je sais que c'est plus pour me faire comprendre ce fait qu'autre chose. La nouvelle me tombe jusqu'au fond de l'estomac, et je réalise avec une certaine honte que mon ami avait raison sur toute la ligne, depuis le début, et que j'étais bien stupide de refuser de l'écouter. Je hoche de la tête, réfléchissant déjà à mes potentielles excuses. Natsu soupire et se relève, se massant l'arrête du nez avec un air fatigué sur son visage.
« C'est fini. Vous allez venir avec moi pour que je vous examine, puis je vais appeler Faust et-
- Non ! »
La panique m'a fait réagir d'un coup, et je vois bien à son expression qu'il est surpris par l'urgence dans mon ton. Cette dernière était si soudaine, d'ailleurs, que j'étais moi-même un peu choquée de la crainte que je ressentais. Vu la confusion qu'il affiche, je me tente toutefois à une explication, aussi maigre soit-elle.
« S'il te plaît, j-je ferais ce que tu veux, mais... Ne l'appelle pas, s'il te plaît. »
Je ne veux pas que papa voit ça. Qu'il sache l'énorme bourde que j'ai fait. Sans que je ne comprenne pourquoi, je me mets à avoir peur de ses réactions, alors que je sais très bien qu'il ne serait jamais aussi dur et sévère que je l'imagine. Et, quand bien même, je mériterais bien ses remontrances. Mais... Je crains qu'une bourde pareille ne rende notre relation actuelle encore plus compliquée, et c'est ça, qui me fait aussi peur. Je n'ai pas envie de parler avec lui de ça.
J'espère juste que Natsu ne me demandera pas de m'expliquer... Il m'examine pendant quelques instants, puis hoche de la tête, gardant malgré tout un air sérieux.
« Très bien. Mais je veux que tu restes ici ce soir pour que je te surveille, c'est entendu ?
- Hm-hm. »
Je soupire de soulagement. C'est déjà bien gentil de sa part de m'accorder ça, alors je ne vais pas jouer la difficile, vraiment. D'autant plus que, eh bien... Je m'en voudrais de laisser Axel comme ça. Pendant que l'éleveur soulève Albus dans ses bras, après m'avoir permis de caresser sa tête pour le remercier de son courage, j'esquisse un sourire fragile.
« Merci, Bubus. »
Le Noarfang roucoule doucement, puis je fais signe à mon cousin qu'il peut l'emmener. Quant à moi, je tiens la main du petit garçon, ne voulant plus le lâcher, dorénavant. Je l'accompagne à pas lents vers la maison, encore légèrement tremblante.
Sur le chemin, je ne sais que dire. Les mots me manquent, en fait. J'ai vraiment eu peur, pour le coup, et si rien de grave ne s'est produit au final, ce n'est pas du tout grâce à moi. J'ai été une vraie idiote. Je ne peux me permettre d'être aussi idiote tout le temps. Je... Je dois faire mieux. Plongée dans mes pensées, je n'ose pas parler au gamin, craignant sans doute sa réaction. J'hésite vraiment à oser lui adresser la parole, pour le coup. C'est lui, pourtant, qui brise le silence entre nous.
« Je t'aime, Alice, tu sais. »
Étonnée, je le fixe bêtement, sans savoir quoi dire. Il sourit tout naturellement, comme si c'était normal, comme si il ne venait pas de vivre quelque chose de tout bonnement terrifiant pour n'importe qui, encore plus pour un gamin. Et j'en étais responsable. Mais malgré ça, il m'affirme quand même son affection, avec toute l'innocence et la bonne volonté d'un gamin. Même si je suis moche et que je pue. Alors je me force à sourire, parce que j'en ai envie, et le serre maladroitement contre moi. Ouais, en vrai, je l'aime bien, ce gamin. Même si c'est une andouille.
« Moi aussi, Axel, moi aussi. Pardon, mon grand. »
Mais ça ne sera pas suffisant. J'ai un peu de travail à faire sur moi-même, n'est-ce pas ?