Altair ne peut pas dire qu'il se souvient de son père. Il n'en a qu'un mirage, dans son esprit. Une vague image, aux traits déformés, qu'il ne parvient jamais vraiment à fixer. Le souvenir d'une voix, peut-être, car cela aurait pu être celle d'un des pokémon du dresseur de sa mère. Il n'a même pas la certitude de l'avoir déjà rencontré, à vrai dire. L'ombre dans son esprit pourrait tout autant être une création très sordide de son imagination. Thalie ne s'était jamais montrée très expressive à ce sujet. Elle souriait, souvent, en lui disant qu'il aurait été fier de lui, ou qu'il était d'une gentillesse incroyable, et tout un tas de commentaires mélioratifs qu'il pensait biaisé par l'affection profonde que lui portait la Gardevoir. Au delà, pourtant, rien. Pas un mot sur ce qui est advenu de lui, sur ce qui l'a éloigné de ses trois fils.
Merlin, tellement vieux qu'il était, ce Gallame, devait forcément l'avoir vu, du moins Altair le supposait, en faisant quelques calculs. Le Tarsal supposait, peut-être erronément, qu'il avait une raison de ne rien dire, mais la jeune fée n'aurait pas su si c'était par volonté de protéger les sentiments de leur mère, ou par raison personnelle. Inutile de chercher à lui soutirer des informations, pourtant. L'aîné de leur fratrie était encore plus têtu et ferme que lui, quand il le voulait. Et c'était peu dire. Castiel, quant à lui, eh bien... Le Gardevoir de Clive n'était plus vraiment d'humeur à ressasser les souvenirs, depuis que son dresseur s'était fait enfermer. Plus timoré et solitaire qu'avant, et remontant très doucement la pente au fil des années, il était peut-être trop tôt, aux yeux d'Altair, pour qu'un tel sujet soit abordé. En outre, au vu du fait qu'il avait longtemps été éloigné de leur mère, le Tarsal se doutait que ce dernier ne devait avoir que des bribes d'informations. Rien à faire, donc. Sa famille ne lui serait d'aucune aide à ce propos.
Mais bon, c'était quelque chose auquel il s'était habitué, bon gré malgré. Il faisait avec, malgré la sensation dérangeante et persistante dans sa poitrine. Il ne saurait rien, c'était une donnée qui s'était inscrite dans son esprit au fil du temps. Il n'a jamais espéré beaucoup, alors que ce soit le cas ne lui briserait pas tant le cœur que ça : il survivrait, évidemment. Il n'était pas sot au point d'accorder l'importance à de pareils sujets, hein ? Oui, bien sûr que non. Altair se pense suffisamment solide pour ne pas être dérangé par ce fait. Mais cela ne fait pas disparaître le creux étrange dans sa poitrine lorsque sa mère détourne encore une énième fois le sujet, le regard distant, lui faisant craindre une réponse qu'il a peut-être déjà accepté au fond de son être, même si la honte du sentiment froid que cela lui inspire remonte alors en houles.
Lorsque Alice était venue à lui, il aurait dû lui dire non, si ce n'était pas si important. Faire comme si elle ne pouvait pas, au pire. Mais non, son regard sincèrement suppliant et la façon dont sa voix avait trembloté lorsqu'elle lui avait décrit sa requête après l'avoir appelé en pleine nuit dans sa chambre. Les yeux rougis, un peu tremblante, sûrement à cause d'un cauchemar, elle avait marmonné sa requête. Altair s'était immobilisé, au début.
C'était quelque chose de... Compliqué, pour n'importe quel pokémon psy. Bien sûr, la formation de sa mère en tant que spécialiste des souvenirs avait permis certaines choses, mais il n'était encore qu'un petit Tarsal, et ce que Alice lui demandait était sûrement au delà de ses capacités. Il avait failli refuser, le visage neutre, mais le désir de la jeune fille était sincère. Sincère, et peut-être corrompu par sa tristesse, mais c'était quelque chose sur lequel il ne s'attarderait pas à poser un jugement. Alors il avait hoché de la tête, faisant comme si il en était capable.
La première tentative est totalement infructueuse, et ce n'est pas étonnant. Alice est encore agitée, perturbée, et tenter de lui extirper un souvenir, quelque chose d'aussi intime et personnel, alors qu'elle est reclus et perturbée, encore plus depuis plusieurs mois, est complexe. Perturbé par le rejet brutal, le Tarsal cherche une réponse dans les yeux de sa dresseuse. Cette dernière baisse le regard, honteuse, et renifle.
« J'te promets que je veux vraiment voir maman. Je vais faire des efforts, c'est promis... ! »
Le Tarsal soupire. Encore une fois, tout cela lui semble étrange, mais il a toujours été très tolérant envers les caprices de sa dresseuse, quels qu'il soit. Altair voit dans la promesse de la jeune fille de faire de lui un Gallame puissant une caution de réciprocité, alors il est prêt à l'accompagner, même si il n'est pas sûr de l'intelligence de ses idées. Ce n'est pas à lui de juger, du moins c'est ce qu'il se dit pour ne pas se poser trop de questions ; Altair a toujours été un Tarsal très pragmatique.
La seconde tentative est plus aisée. Alice a fermé les yeux, et sa respiration semble plus calme. Agir ainsi demande toutefois une énorme concentration au Tarsal, qui grimace devant l'énergie qu'il sent s'évaporer en lui-même. Alice essaie, il le voit bien. Elle tente de penser à une figure, à un visage, légèrement maigre, plutôt pâle. Altair est presque sûr d'y voir un peu de roux. Quand il tente de soulever le souvenir et de le faire revenir à la surface, pourtant, il résiste. Malgré la persistance du Tarsal, car même si Altair puise dans ses réserves de force, il n'y parvient pas. Et Alice doit le remarquer, car sa voix s'imprègne d'un peu de panique. Après tout, elle ne pourrait demander ça à personne d'autre.
« Allez, Al, j't'en prie ! »
Le Tarsal grogne. Ce n'est pas simple, bon sang. Mais malgré tout, il pousse, difficilement, et il se sent expirer plus durement. Son corps se rétracte sur lui-même. Cela commence à devenir douloureux. Non, vraiment, ce n'est pas dans ses capacités. Il savait bien qu'un Tarsal n'en serait pas capable.
Si seulement j'étais...
D'un seul coup, une force nouvelle lui fait bomber le corps. Sa force psychique lui semble plus malléable, plus fine. Plus précise. Il ne fait même pas attention à son corps plus grand, plus gracieux, plus fort. Son évolution ne lui importe pas dans l'immédiat.
Ce qui brillait dans les pensées de la jeune fille, Altair l'attire à lui. Il souffle, et d'un coup, une image leur apparaît à tous les deux. Un visage fin, souriant. Des cheveux rouges flamboyants, et de petits yeux verts fatigués, dans lequel Altair croit percevoir un peu de douceur. L'image est claire, d'un coup. Alice a arrêté de respirer pendant une seconde, et un sourire se dessine petit à petit sur son visage : ce n'est que lorsqu'il est plein que le Kirlia se permet de laisser l'image se dissiper.
Fatigué, ses jambes s'écroulent et il tombe assis sur le lit, grandement fatigué. Ce n'est pas quelque chose qu'il fera tous les jours, ou même toutes les semaines. Son corps lui paraît lourd, et son esprit est fatigué. Mais il est persuadé, dans les derniers moments où leur lien psychique était encore solide, d'avoir senti un sursaut de joie et de bonheur, bien différent de la peur et de la tristesse de tout à l'heure. Alors Altair soupire, et ferme un peu les yeux.
Sur le lit, Alice sautille presque sur place, les yeux humides, et bien plus enjouée que tout à l'heure. C'est tout ce qui compte pour lui.
« Je... Je l'ai vue ! T'as vu ça, Altair ?! T'as vu ! Bon sang, t'es trop fort ! E-et trop beau, wow ! »
Le Kirlia soupire un peu, un sourire doux sur le visage alors que sa dresseuse, émue, le serre contre elle en riant bêtement, folle de joie devant cette image dans sa tête. Peut-être s'est-il trompé. Peut-être a-t-il mal reconstitué l'image, peut-être que ce qui la rend aussi joyeuse maintenant n'est qu'un mensonge. Mais elle a l'air sincèrement heureuse. Altair comprend que c'est peut-être le simple fait d'avoir un souvenir, même si il n'est pas forcément vrai.
Et cela, il le comprend.