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Stress [OS]
Natsume Enodril-Miyano



Stress
Évolution 1 de Kiku

Ce n'est pas tant le son. Le claquement du stylo de l'étudiante du troisième rang,  les mastications régulières et les humectations de lèvres du fayot de la première ligne, les chuchotements insupportablement bruyants des deux cancres du fond qui pensent qu'il ne les entend pas à ricaner dès qu'il a le dos tourné. Ce n'est pas non plus l'odeur. La javel éclatée au sol comme une peinture que l'on étalerait un peu partout, celle de l'encre de son stylo à plume, celle du sandwich saumon-œufs du lunetteux, du parfum hors de prix qu'il ne sait quel élève pense un atout inévitable pour survivre en société. Ce n'est même pas la sensation que tout gratte, que tout brûle. Que ce pull qu'il affectionne pourtant autant d'ordinaire le pique jusqu'à l'arrière de la peau. Que la façon qu'il a de tenir son stylo et d'écrire depuis plusieurs longues minutes a un peu enfoncé sa peau, et qu'il peut presque sentir l'os entrer en contact avec le plastique. Même au goût, sa gorge lui semble sèche, irritée, et le contact de l'eau n'est rien de plus qu'un flot de fadeur insupportable. Le bruit de sa propre déglutition lui ferait presque grincer des dents. Non. Non, le pire, c'est la combinaison de tout ça, l'orchestre de déplaisir qui joue dans sa tête et dans son corps depuis le réveil, qui joue tous les jours à vrai dire, mais qui semble s'être doté aujourd'hui d'un amplificateur.
Ça claque dans sa tête. Ça tape, ça brûle, ça bourdonne, c'est lourd, c'est froid. Ça claque comme une bourrasque, ça claque comme une gifle, une baffe, ça pince, ça tonne, comme un tambour, comme une brique dans la gueule. Tout le temps.

Il veut marcher, mais marcher est pénible, parce qu'il ne sait pour quelle raison. Ce n'est même pas handicapant, il pourrait très bien faire les cent pas dans la salle de TD comme il a l'habitude de le faire. Mais il y a juste ce petit pincement sur son pied droit. Il saurait exactement le situer ; juste à l’extrémité du métatarse, sensible depuis ce matin. Rien du tout, en somme. Un simple coup contre une étagère de la salle de bains en rajustant ses vêtements le matin, et depuis, la petite chaleur brûlante persiste. Elle tape, rogne, comme une morsure de roquet qui ne serait toujours pas relâchée.

Elle aurait fait bien moins mal hier. Il aurait dû s'en douter, puisqu'il l'avait senti dès le matin. C'était un de ces matins. Une de ces journées. Le genre où même les voix de ses pokémon tapent à ses oreilles comme des agressions, des cris, peu importe qu'ils chuchotent ou ne fassent que respirer un peu trop fort. Oh, dans le fond, ce n'est pas juste quelques journées. C'est tout le temps. En permanence, dès le réveil jusqu'au sommeil. C'est juste que des fois, il n'a ni l'énergie, ni l'humeur nécessaire pour ne pas perdre patience au bout d'une ou deux heures à peine. Que des fois, pour il ne sait quelle raison, la journée sera pire.
Ce n'est de la faute de personne, il le sait. Tout au plus, il se dit seul responsable. Car le problème vient bien de lui, non ? C'est son hypersensibilité. Sensorielle, qu'il avait dit à sa mère, le médecin, il y a quelque chose comme vingt ans tout au plus, avec un air embêté de quelqu'un qui vous annonce que votre chien a la rage. Une surdose d'informations, un trop-plein. Quelque chose de courant, lui avait-on dit, chez les gens « comme lui ». Un autre cadeau empoisonné à ajouter à la liste, dirait-il en levant les yeux au ciel si il avait encore quatorze ans. Parce que c'est encore plus sympathique de ne pas comprendre le monde quand est bombardé de signaux, hein ? Non, vraiment, il a du mal à relativiser la chose.

Mais il soupire et tente de se concentrer sur ses corrections pendant que les élèves s'attardent sur leurs calculs, décidé à s'occuper l'esprit tant qu'il le peut encore. Se plonger là-dedans a toujours été un soulagement, même partiel. Petit, sa mère ne comprenait pas toujours pourquoi il paraissait devenir sourd et aveugle dès lors qu'il se mettait dans une activité qu'il appréciait. Les chiffres ont cet attrait, encore aujourd'hui, malgré la fatigue permanente. Il se fiche bien que ce soit rébarbatif et  répétitif ; il s'amuse tout seul, visualisant dans sa tête avec une aisance tout naturelle. Le nœud dans sa tête se calme. Celui qui tend ses muscles se délie juste un peu. Pendant une seconde, il peut souffler, et cette seconde a un goût bien trop appréciable pour qu'il ne désire pas la faire durer. Un peu comme avec tout, en somme. Les distractions, les moments agréables, sans douleur, qu'ils soient futiles ou importants, il les apprécie tant qu'il tente à les allonger à chaque fois, comme quelqu'un qui n'en aurait pas assez. Puérilement, il se dit que ce n'est qu'une compensation : cela aide à diminuer sa culpabilité quand il se rend compte qu'il se montre trop exigeant. Sûrement qu'il culpabilisera d'avoir plus apprécié le fait de travailler que d'avoir été productif. Sûrement. Mais pour l'instant, il agit comme un gamin capricieux qui a besoin de se rassurer, et personne ne le saura.
Et, inévitablement, quand le charme est rompu, il se crispe comme si l'on tentait de l'attaquer. Parce que c'est comme ça qu'il le perçoit.

« Hé, m'sieur, pour le devoir maison-
- Pas la peine de crier.
- Nan mais j'criais pas, hein. »

L'élève râle un peu, d'un passif-agressif qu'il ne supporte plus depuis un bon nombre d'années déjà, vu le malaise qu'il tend à nouer avec ses intestins. Il ronchonne, marmonnant probablement des reproches qu'il n'oserait toutefois pas faire à haute voix. Si Natsume ne le reprend pas, c'est qu'il ne lui en veut pas, tout simplement. Il ne répond même pas, et marmonne que les détails seront sur les espaces en ligne, comme d'habitude, pour faire taire les murmures agacés des étudiants. Car bon, ce n'est pas le première fois. Ce n'est, et il s'y est un peu résigné, honteusement, d'ailleurs sûrement pas la dernière fois que cela arrivera.
Ce n'est pas comme si il n'avait pas senti que son propre ton n'était pas trop sec, qu'au fond son interlocuteur n'avait rien fait de mal, ou qu'il ne savait pas qu'il était en tort. Il l'est. Il ne comprenait pas, fut un temps. Quinze ans plus tard, peut-être même cinq ou huit ans auparavant, il aurait répliqué, se serait énervé, aurait défendu son point de vue, sa perception. Parce que questionner sa façon de percevoir, c'est un peu trop complexe lorsqu'on a un orgueil de la taille de la lune. Ça fait peur, aussi. Mais là encore, Natsume s'est toujours dit, depuis qu'il a passé l'âge de l'adolescence, que les deux ne sont rien d'autres que des jumeaux aux voix différentes ; il en était bien la preuve vivante, hein.

« Pour le reste de l'heure, vous me préparerez quatre exercices de votre choix parmi ceux sur le polycopié pour me les rendre à la fin de l'heure. Si vous me le rendez, la note pourra compenser les résultats au contrôle d'il y a quinze jours. »

C'est une technique un peu lâche pour s'assurer du silence et d'une relative tranquillité, mais au moins, passé les soupirs satisfaits des étudiants, il n'y a plus rien. Il n'est que dix heures, mais la fatigue s'est bien installée. Encore quatre. Puis d'autres, sûrement, de retour à la pension. En attendant, il se dit avec une amertume un peu cynique qu'au moins, il a la paix.

--

Natsume n'aime pas vraiment les transports en commun. Ce n'est pas surprenant, en même temps. Les odeurs, le manque d'espace, la proximité des autres, l'insupportable crispation de ses muscles à chaque fois que quelqu'un le frôle. Le pire, peut-être, doit être les voix et les murmures incessants. Lorsqu'il le peut, il profite des talents de Kaito pour faire une bonne partie du voyage jusqu'à la pension, même si l'Alakazam sacrifie une grande partie de son énergie pour l'occasion. Le concerné ne lui en veut pas, mais comme d'habitude, la culpabilité remonte, et l'éleveur se force donc des fois à prendre le bus. Et à chaque fois, il s'étonne de perdre patience au bout de quelques minutes à peine. Les écouteurs aident, évidemment, mais Natsume n'aime pas trop la musique, alors il se contente de les utiliser comme bouchons. Au moins, il n'a pas le droit aux regards étranges.
Il exhale de fatigue en constatant qu'il reste encore quelques stations avant qu'il n'arrive à l'endroit le plus proche de chez lui. Une heure de transport, en tout. Dans les bons jours, encore, en comptant la demie-heure de marche plus ou moins pénible en fonction de l'asthme ; c'est toujours un plaisir de faire le chemin avec le goût du sang dans la gorge et des pics dans la poitrine, après tout. Un joli bonus, bien sympa. Avec la fatigue, il craint quelque peu cette éventualité, et ses pensées vaquent pendant une ou deux secondes. Une ou deux secondes où le chauffeur freine brutalement, probablement pour ne pas rater un arrêt, et des secondes qui suffisent pour que sa poigne se desserre momentanément de la barre qu'il tenait. Des secondes suffisantes pour perdre l'équilibre et s'écraser temporairement sur un type quelconque, auquel il ne faisait jusque là pas intention. Le contact n'est ni désiré, ni apprécié du tout : il recule vivement, bafouillant une excuse qui n'a pas l'air d'avoir grand effet. Agacé et énervé, peut-être à raison, son interlocuteur prend vivement la parole.

« Non mais, faites attention, merde ! Tenez-vous, un peu ! »

Des trucs comme ça, ça arrive tous les jours. Évidemment, personne ne s'en formalise, ça n'a rien d'exceptionnel ou même de particulièrement blessant. Ça ne le toucherait pas en temps normal non plus, mais le ton est fort. Il n'a fait que le hausser un peu, mais il le ressent comme un cri ; et il s'est fait suffisamment crier dessus par le passé pour avoir des réactions épidermiques à la moindre fluctuation de la voix. En soi, ce n'est même pas le seul qui pourrait lui donner cette impression. Il se rappelle de fois où un vague reproche un peu fort, ou une note de passif-agressif dans une phrase le faisait cracher avec acidité.
Le langage physique de l'homme qui lui parle déborde d'agressivité, et le regard noir porté sur lui lui fait hausser les épaules comme un chat prêt à feuler pour se défendre. Pour l'instant, même si ce ne sont que des mots, il perçoit ça comme une agression. Comme une attaque. C'est un mauvais jour : l'un de ceux où ce genre de choses noue un nœud de crainte dans sa poitrine et dans son ventre, et où il laisse sa propre agressivité prendre le dessus. Les dents serrées, il le regarde le plus froidement possible pour ne pas exprimer son malaise, comme d'habitude, il réplique comme si l'on venait de le frapper. C'est sur-réagir, oui. Mais tout dans sa tête lui ordonne de se défendre, et son orgueil blessé est le premier à prendre les rênes. Il saute sur l'occasion de se défouler, comme un gamin avec un trop-plein, et qui ne parvient plus à garder dans la marmite quelque chose qui ne cesse de déborder.

« C'était un accident ! Vous ne voulez pas non plus que je vous lèche le cul pour dire pardon ?! »

Ce n'est pas nouveau qu'il peut avoir une voix tonitruante quand il le veut. Si il n'aime pas l'utiliser, car arceus qu'on lui avait assez souvent dit qu'il tenait ça des Shimomuras, c'est aussi car c'est la garantie que tous les regards se posent sur eux, tantôt blasés, tantôt légèrement inquiets, tantôt amusés. La sensation de toutes ces paires d'yeux fixées sur lui lui donnerait presque des frissons, tant il déteste ça. Il peut les sentir, entendre les gloussements, les soupirs. L'empathie n'est pas la chose la plus aisée au monde dans ces situations. La honte et l'humiliation lui remontent jusqu'à la gorge, et il serre la main sur la poignée du bus pour tenter de se détendre.

« Non mais oh ! Tu vas te calmer, le razmocket ?! »

Et allez. L'insulte était de trop, même si il sait au fond de lui que sa propre vulgarité n'a en rien aidé. L'envie de répondre est forte, mais d'un coup, le bus s'arrête, à il ne sait quel arrêt. Plus jeune, il aurait sûrement continué à parler, pour compenser sa fierté blessée, mais il est fatigué. La journée est à peine entamée, et il sent déjà venir l'envie de rentrer et de se cacher dan sa chambre pour qu'on lui foute la paix et ne plus avoir à supporter quiconque. Alors il ravale sa frustration, attrape son sac, et descend du bus en claquant les talons.
En grommelant, il peste et se met à marcher rapidement, espérant par là se calmer, quitte à agresser le sol et empirer la douleur dans son pied. Tant pis si il faut rattraper trois ou quatre stations à pied : il a au moins la certitude qu'on ne l'approchera pas.

--

« Tiens, bois-moi ça. Tu m'en diras des nouvelles, je l'ai fait venir exprès de Cayagane. Il est corsé, mais honnêtement, je crois que c'est un meilleur fournisseur que celui qu'on avait avant.
- Merci. »

Yann ne se formalise jamais trop de ses remerciements marmonnés. Il se contente d'un sourire tranquillement, piquant dans son assiette quelques bouchées d'omelettes qu'il enfourne dans sa bouche. Natsume n'ira pas lui dire que le parfum qu'il a dû s'acheter il y a peu lui laisse une odeur infecte dans les narines. Il n'a plus cinq ans, âge où il ne se gênait pas pour se plaindre des goûts des gens qu'il croisait dans la rue, et dont les flagrances artificielles le laissaient toussotant. Il avait toujours détesté les parfums, et son asthme n'avait jamais aidé, même si c'était supportable à petite dose, ce qui était le cas de Yann. Mais aujourd'hui, il puait, voilà tout. Pas que c'était des choses qui se disaient, en soi.Il n'a plus vraiment l'envie de faire remarquer ce genre de choses, et se contente de supporter, un poil agacé malgré lui.
Le thé apporté fera une distraction, se dit-il. Il en prend une gorgée, et le goût affreusement amer le fait toussoter, sous les gloussements amusés de son ami. Non, il ne s'attendait pas à un pareil arôme, et il avale difficilement le liquide aqueux, une grimace sur le visage. Sur ses genoux, sa Larveyette sursauta, prise par surpris et un peu inquiète pour lui.

« Hé, crève pas. Qui va m'payer, sinon ?
- Ta mère. »

Sa réponse grommelée entre deux toussotements pathétiques a au moins le mérite de faire rire son interlocuteur, et il mentirait si il disait que c'était entièrement le but. Il est plutôt soulagé de voir qu'il a pu mettre de l'humour dans son ton et le faire passer pour rien d'autre que ça, alors même que l'agressivité était encore présente au creux de son ventre. Ou, du moins, si Yann le remarque, il ne dit rien ; Natsume ne peut jamais vraiment jauger, dans ce genre de cas.
En soupirant, il tapote contre le bord de son bureau, jaugeant d'un air agacé les contrats qu'il doit éplucher, signer et lire attentivement pour être sûr que ces accords ne soient pas en sa défaveur d'une façon ou d'une autre. Honnêtement, c'est la partie la plus pénible de son travail à ses yeux, et il n'a certainement pas envie de s'y mettre. L'idée de passer des heures sur cette pile de papiers soporifique le frustre tant qu'il met un peu trop de force dans ses gestes en voulant écrire, et arrache une partie d'une feuille. Énervé par sa propre bourde, il peste par le biais d'un juron très vulgaire, qui fait froncer les sourcils au réceptionniste.
Ce dernier finit d'ailleurs sa bouchée et pose son assiette sur la table, en lui jetant un regard insistant. Au début, Natsume ne comprend pas. Ou du moins, il espère qu'il ne comprend pas. Il défie presque son interlocuteur du regard, comme pour tenter de lui interdire ce qu'il pense venir voir arriver.

« Tiens, je te laisse le reste de mes œufs. J'ai plus faim, et puis, t'as rien avalé, non ?
- J'ai pas faim, Yann.
- Oui, enfin, je vais pas te faire la morale mais-
- Yann. »

L'accusation l'avait déjà tendu, et la honte d'avoir été pris en flagrant délit avait fait monter le déni aussi sec. Et ce n'était pas comme si il ne savait pas être en tort, ou que ce n'était pas la première fois, même si la faim était ô combien plus pénible lors de ces journées-là. Il espérait, peut-être en sachant que c'était en partie mal barré, que l'autre lâche l'affaire. Mais le barbu hausse les épaules, un poil moqueur.

« Mange ça, où je te jure que je commande quelque chose dans le restau le plus cher et péteux du coin, comme ça on aura à la fois de la pollution ET un truc qui pue le fric dépensé pour rien. »

Natsume soupira, conscient qu'il avait déjà perdu. Deux points faibles d'un coup, et voilà qu'il jetait un vague regard agacé au plus vieux, n'y croyant pas trop lui-même. Il reprit l'un de ses stylos en main, ne serait-ce que pour donner l'impression qu'il contrôlait bien la situation et ne venait pas d'être fait avoir comme un bleu.

« … Ramène-moi au moins le poivre long.
- Compris, patron !
- Je t'ai déjà dit de ne pas m'appeler patron, tu le sais.
- Ouip, désolé patron ! »

L'éleveur leva à peine les yeux au ciel en le voyant sortir. Tout au plus essaya-t-il de penser à autre chose, et il envisagea pour se lever afin de boucler quelques dossiers et factures à préparer, mais quand il amorça un mouvement de lever, un piaillement aigu l'arrêta tout net. Pris par surprise, et un peu craintif en la voyant tomber de ses jambes, il saisit la Larveyette dans ses bras. Confus, sa voix exprima immédiatement un grand regret, et il caressa la tête de la chenille avec douceur, les sourcils froncés en une expression peinée.

« Oh, excuse-moi, je t'avais oubliée. »

Mais quel con, mais quel con...
La femelle ne lui en tint pas rigueur longtemps, toutefois, se collant un peu plus dans ses bras et contre son corps, ardemment désireuse d'affection. Ce déluge d'attention l'étonna au début, mais maintenant qu'il y réfléchissait cinq secondes, ce n'était pas si étonnant que ça, quand il repensait a fait qu'il ne l'avait pas regardé depuis son arrivée. Exaspéré, énervé et fatigué émotionnellement, il s'était contenté de claquer la porte de son bureau et de s'y installer. Les épaules haussées, les sourcils froncés et le regard maudissant le premier venu, il n'avait sans doute pas eu l'air très accueillant, mais elle était venue malgré tout, et il se sentit sincèrement désolé. Même si ce n'était pas grand chose, il tenta de se faire pardonner par des caresses sur le sommet de sa tête.

« Désolé, Kiku. Je sais que je ne fais pas très attention à toi, pour l'instant. »

C'était ironique, pourtant. Les pokémons avaient toujours été son refuge personnel. Un peu comme les livres, en sorte. L'élevage était sûrement une forme de bibliothèque géante pour lui, et son bureau, bien caché des yeux, n'était rien de plus qu'une seconde chambre. Des fois, il se demandait avec cynisme si il avait tant progressé que ça, quand il voyait la facilité avec laquelle il tendait à se réfugier dans son bureau lorsque arrivaient des clients et qu'il les laissait lâchement à Yann.
Un autre jour, il se serait sûrement suffit à penser qu'il avait déjà bien progressé en huit ans, et que ces choses prenaient du temps, qu'il fallait se laisser respirer. Mais dans ces jours-là, un rien le frustre, et encore plus lui-même. Car ça ne suffit jamais, dans ses yeux. Il s'en demande toujours plus, tout le temps, avec des exigences plus drastiques encore. Jusqu'à même se montrer indifférent à l'inquiétude des autres, probablement davantage par lâcheté, ne voulant pas reconnaître les dégâts que peuvent causer son comportement. Car il n'a pas envie de se plaindre, et il n'a pas envie qu'on le plaigne. Parce qu'il n'estime ne plus avoir le droit de le faire.

Car à force, il a bien compris qu'il ne pouvait pas. Parce que bon, il exagère forcément, n'est-ce pas ? C'est ce qu'ils disaient tous, plus ou moins directement. Parfois sans l'avouer, dans le creux des yeux, avec cette lueur de fatigue, cette variation dans le ton, cet affaissement fatidique des muscles, dans le regard qui fuit pendant juste une seconde. Dans le silence d'accord lorsque quelqu'un ose dire ce qu'il pense. Natsume ne les compte plus vraiment depuis un moment. Les enseignants, sa famille, Nagisa même souvent, encore maintenant, les inconnus. Les médecins même des fois, quand ils lèvent les yeux au ciel en le voyant se tendre à ce point face à une douleur « négligeable », comme si il pouvait contrôler l'hypersensibilité pour n'en retenir que les points positifs. Comme si il pouvait aller mieux en se forçant un peu, et puis, sincèrement, il pourrait faire un effort pour les autres, non... ? Les autres savent toujours mieux, après tout. Bah oui, c'est vrai, après tout, comme dit Jean-Foutre numéro 514, le fils de la tante du cousin par exemple, il était juste difficile. C'est bien, de simplifier les soucis des autres à un manque d'efforts et de ramener sa science ; ça épargne les doutes. Ne serait-ce que pour éviter que ses yeux ne soient brûlés par la vision de tant d'auguste sagesse, il s'épargne le fait d'expliquer.

La Larveyette, pourtant, ne lui en veut pas. Elle ne va pas le juger, et sa présence ne lui est pas épuisante à supporter. Elle se love tranquillement contre lui, frottant sa tête contre son ventre comme pour tenter de le rassurer, et il se permet un maigre sourire en la caressant, car elle lui rend son contact. C'est agréable, et c'est bien l'une des seules choses sympathiques. Si les sensations négatives sont amplifiées, les positives le sont aussi. Ce n'est pas toujours sympathique, d'avoir l'impression qu'on vous hurle dans les oreilles, ou que les odeurs agressent vos narines. Mais il admet des fois que le son du vent entre les arbres, le fumet agréable de la nourriture bien préparée, ou la douceur du toucher des pokémon qu'il apprécie est peut-être l'un des meilleurs réconforts, quand il le faut. Il se sent reprendre de l'énergie, très doucement. Sûrement qu'il se calmera en se noyant dans un bain chaud ce soir, ou en avalant une pinte de glace devant la télévision avec Axel. L'un ou l'autre lui va très bien. Mais il n'a pas vraiment envie de laisser la Larveyette tout de suite, et il ne semble pas être le seul dans cette situation, car elle s'accroche lorsqu'il tente de la faire descendre. Surpris, flatté et un peu amusé, il profite de la sensation de chaleur dans sa poitrine en souriant doucement.

« Tu veux rester avec moi aujourd'hui, c'est ça... ? »

Elle hoche de la tête timidement. Elle se blottit davantage, et ferme les yeux. Kiku aimerait bien pouvoir faire mieux, des fois. Elle rêvasse un peu, et se demande si elle pourrait être d'une plus grande aide, un jour. Si seulement son corps n'était pas si petit...
La pensée lui était passée bêtement par la tête, mais l'idée était restée. Et sans qu'elle ne s'en rende compte, du moins sur le moment, elle se mit à grandir, prenant petit à petit la forme d'une Couverdure sous les yeux étonnés et surpris de son dresseur. Sa première réaction fut d'observer avec un étonnement non négligeable sa nouvelle forme, et surtout, les deux épaisses feuilles qui la protégeaient maintenant du froid et des potentiels risques. Une forme qui lui permettrait d'être plus autonome. Une forme, qui, maintenant qu'elle y pense, pouvait aussi avoir une autre utilité.

« Bravo, Kiku. Je- »

Il n'eut pas le temps de venir sa phrase, que la Couverdure s'était déjà mis à envelopper sa taille et une partie de son corps avec ses feuilles, comme pour lui servir de véritable couverture. Pris de court, l'éleveur ne termina pas sa phrase, mais une once de rouge passa sur son visage. Flatté, et un peu ému, il se mit à renifler quelque peu bruyamment.
Rah, non, c'est pas vrai...
Qu'il déteste ça, aussi. Le fait de pleurnicher pour un rien, de s'émouvoir trop vite des actions gentilles, d'être aussi touché par des petits rien et de ne plus savoir quoi faire de toutes ces émotions après. Natsume les voit comme des flots étouffants, et il en a toujours eu plus ou moins peur. L'empathie et la sensibilité, il a toujours tenté de les rejeter, de les noyer, car elles laissaient trop d'ouvertures, de déceptions, de fatigue. Bien sûr, ce n'est pas simple, et accepter cette partie de lui avait été pénible : combien de fois s'était-il rendu compte que ce n'était pas possible, de les repousser complètement... Mais là, il n'a pas vraiment à le faire. Kiku ne dira rien. Kiku ne jugera pas. Alors il renifle stupidement, essuyant la morve avec le premier mouchoir qu'il trouve.

En expirant un coup, son regard s'en va se perdre par la grande fenêtre à l'arrière de son bureau. Lorsqu'il l'avait fait installer, il s'était pris quelques regards amusés de la part de Maxime et Yann, qui lui avaient fait remarquer, à raison, que cela donnait vraiment à ce bureau déjà très péteux un air bien mégalomaniaque, digne d'un nanar. Mais en vérité, Natsume l'aime beaucoup. La lumière transparaît clairement, et la vision sur le petit court d'eau ainsi que les parterres de fleurs a un il ne sait quoi d'apaisant.
La journée sera encore longue, pourtant, il le sait. Probablement qu'il reperdra bien vite le peu d'énergie gagnée, et qu'il perdra patience pour une raison ou une autre. Il n'ose d'ailleurs même pas imaginer sa tolérance pour s'occuper d'Axel ce soir. La journée sera pénible, c'est sans doute comme ça que ce sera. Mais il y est quelque peu résigné, et soupire en caressant distraitement la Couverdure collée contre lui. Il faudra faire avec, c'est tout.
De toute façon, c'est comme ça.
9 Mars 2023
Natsume Enodril-Miyano
Natsume Enodril-Miyano
Eleveur
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Dim 11 Mar 2018 - 1:54
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