« Il se dirige vers la falaise ! On s'occupe de lui, Sirius !
- Ah euh... B-Bien, je vais voir euh... Sur la plage. »

T'as pas du tout l'air con, à hésiter, Sam.
En poussant un soupir, je remets le talkie-walkie à mon bassin. Près de moi, Smaug penche la tête pour me donner un petit coup de museau affectueux contre la joue. Dans une tentative de le rassurer, je caresse doucement son encolure dans l'espoir que ça suffira. Mais mon Dracaufeu n'est pas dupe, il sent bien que quelque chose me tracasse. En effet, je ne peux pas m'empêcher d'être inquiet et frustré. Je n'ai pas pu empêcher Clive d'aller en prison. Je n'ai pas pu le raisonner assez pour le persuader de se cacher. Je n'ai pas pu le convaincre qu'il serait mieux plus à même de s'occuper de son fils que Faust ou Natsume. Cependant, même alors que j'ai tenté de trouver des solutions pour le libérer, il n'a rien voulu entendre. Il a insisté pour purger sa peine, et tout le monde doit faire avec. Moi, Faust, Natsume... et Axel. Je ne connais que peu l'enfant, et si son jeune âge ne lui permet pas encore de comprendre ce qui se passe, cela ne veut pas dire que les choses seront forcément plus simple par la suite. J'espère simplement que ça ira pour Faust, avec son neveu. Pas besoin d'être un génie pour comprendre comme l'emprisonnement de Clive a terriblement du mal à passer, même s'il sera bien mieux traité que lorsqu'il sortait de son enfermement du Régime. Je n'ai pas pu changer la donne à son procès, mais j'ai des possibilité de le rendre visite. Nous savons tous comme c'est hypocrite de se sentir concerné par le cas de Clive alors que nous sommes d'accord pour dire en général que l'on récolte ce que l'on a semé. Ceux qui ont tué doivent expier leurs peines, c'est comme ça ; surtout que le Donovan était un Officier plutôt influent. Mais non seulement je l'aime bien, Clive. Malgré les conditions malheureuses de notre rencontre, j'ai réussi à m'approcher un peu de lui, et ces dernières années, il avait accepté de me prendre comme élève pour me donner des leçons de combat plus intenses. Mais, en outre, je ressens fortement la peine supplémentaire qui accable à la fois mon petit-ami et mon frère de cœur, davantage plus proches de l'ancien Régimeux.

Aujourd'hui, pourtant, je dois me concentrer. Je ne sais pas pourquoi ce fut moi qu'on nomma à la tête de cette traque, mais depuis que Clive n'est plus en liberté, j'ai de plus en plus de mal à rester opérationnel, mes pensées dérivants systématiquement ailleurs. J'ai dû toutefois me séparer du groupe auquel j'étais affilié pour que nos recherches soient plus productives, mais est-ce que cela sert vraiment à quelque chose ? J'ai beau la possibilité de me passer de trois hommes en compensant avec la puissance de mes Pokémons, je parie qu'ils trouveront notre 'proie' avant moi. Quand ce sera fait, je n'aurais plus qu'à les féliciter ensuite, leur dire qu'ils peuvent être fiers de leur boulot, tout le tatouin habituel en somme. Puis soit on me donnera quelqu'un d'autre à chasser, soit je pourrais rentrer chez moi ou rendre une petite visite à Faust si jamais il a envie de se reposer d'Axel. Bon, je ne suis pas expert en garde d'enfants, mais cela me ferait plaisir de reléguer le plus âgé si vraiment il ne se sent pas en état (à condition que ma proposition ne le vexe pas). En soit, ce n'est pas que la traque des Régimeux ne m'intéresse pas, c'est juste que... Je n'ai jamais été un Résistant très extrémiste. Si des gens y trouvent un moyen de se venger, tant mieux pour eux, mais cette chasse à l'homme, mine de rien, a déjà provoqué chez moi plus d'un malaise.

En m'étirant, je me remets sur le dos du Dracaufeu, lui demandant de voleter contre la falaise pour que nous atteignons son pied. Le pied de la falaise, hein, pas celui de mon Dracau-... Bref. Là-dessus, une fois que nous atteignons le niveau du sable, je descends de ma monture et tire un peu sur mon écharpe noire. Bon, d'accord, la prochaine fois, je me ferai faire une tenue de Maître plus légère. C'est pas le tout de vouloir réaliser son rêve de gosse en se déguisant comme un héros de jeux vidéos, mais c'est que je crèverais de chaud, mine de rien, si la température n'était pas clémente aujourd'hui. Ça m'apprendra, à faire le kéké, que voulez-vous... Enfin.
Les yeux baissés sur la plage, j'avance mollement dans les petites dunes, tandis que mon dragon orange regarde le paysage. La main posée contre la roche de l'imposante falaise, j'écoute distraitement le bruit des vagues en me disant, au moins, que le groupe avec moi doit avoir un certain plaisir à traquer cet ex-Régimeux qui, de ce que j'ai compris, nous donne un certain fil à retordre. Préoccupé par le cas de Clive, je ne me suis intéressé que peu au dossier qu'on nous avait fourni sur le gus en question, n'écoutant même pas son nom ou sa photo. Oui, oui, je suis très impliqué dans tout ça. Mais bon, de toute façon, s'ils l'ont devant eux... Je ne vois pas l'utilité de leur prêter main forte. Puis le son de la mer est apaisant, mine de rien.

Un grésillement me fait détourner le regard vers la radio qu'on m'a donné pour contacter les autres, cependant. J'y entends des sons comme des hurlements de détresse, et au moment où je les interpelle, aucun ne me répond. Soudainement paniqué, je fais signe à Smaug de nous faire voler jusqu'en haut de la falaise où étaient censés être mes hommes à l'heure actuelle. Toutefois, mon ami ne bouge pas. Ses yeux reptiliens se sont tout à coup posés au loin, comme s'il fixait un point invisible qu'il était le seul à voir. Il lève sa truffe en l'air, se concentre, puis, après quelques secondes, pousse un grondement. Son expression s'est tout à coup faite plus dure, plus sévères. Il a senti et repéré quelque chose. Ou quelqu'un. Une présence dans tous les cas dont il semble se méfier. Je fronce les sourcils, anxieux. Un mauvais pressentiment a commencé à m'envahir.
Et finalement, mon corps entier se crispe lorsqu'une voix me parvient. Elle m'est vaguement familière, mais les souvenirs qu'elle fait remonter en moi sont tout sauf agréables. J'ai peur de tourner mon visage vers le propriétaire de ce timbre glacial qui fait dresser mon échine.

Non. Assez d'avoir peur. Je ne veux plus avoir peur. Il faut que je le fasse. Si je ne me trompe pas... C'est...
Je déglutis, avant de me lancer. Vivement, je tourne ma tête en direction du bruit, de celui qui m'a appelé par mon pseudonyme. Et je ne sais pas comment j'arrive à rester immobile. Comment mes pieds arrivent à ne pas me fait tressaillir, comment mes mains arrivent à ne pas trembler. Ou peut-être que si, elles tremblent un peu, mais je peux encore les faire bouger lentement sans en perdre le contrôle. Mon cœur, lui, bat à cent à l'heure, quand je reconnais -avec plus de difficultés que je ne l'aurais cru, certes- cet homme blond au regard froid et effrayant qui était là le jour où mon père s'est donné la mort. Qui a hanté bon nombre de mes cauchemars et qui s'y trouvent parfois encore aujourd'hui.
Dio Silvery.
Instinctivement, ma main vient caresser le port de mon arme autour de ma taille. Je ne m'en suis encore jamais servi en tant que 'milicien non officiel', aussi. On aurait pu dire qu'il y a une première fois à tout. Mais... Non. Je tente de contrôler mon bras qui a bien envie de dégainer. J'ai eu ma chance une fois et je ne l'ai pas saisi volontairement ; ce n'est pas pour revenir sur ma parole plus tard. Ce qui a été pensé compte toujours aujourd'hui. Si cet homme doit mourir, ce ne sera pas de ma main, quand bien même il m'a fait subir des douleurs qui ne s'effaceront jamais vraiment. Sur la défensive, mes muscles se tendent pourtant et je suis toujours crispé. Même mon Dracaufeu a senti mon malaise et s'est mis à grogner en direction du nouveau venu alors qu'il ne le connaît pas. D'ailleurs ce dernier... Semble ne pas me reconnaître non plus. Ce n'est qu'après quelques minutes, quand il se présente, que je me souviens du nom par lequel il m'a interpellé. Il croit avoir le Maître de la Ligue en face de lui. Enfin... Bon, techniquement, ça, c'est vrai. Mais là n'est pas la question. C'est une affaire bien plus personnelle qui nous lie tous les deux ; même si je n'étais qu'une victime de plus dans son palmarès et qu'il a dû en faire voir des vertes et des pas mûres à bon nombre de prisonniers avant et après moi.

C'est un peu idiot d'utiliser son vrai nom plutôt que son pseudonyme, d'ailleurs, mais après tout, il n'est plus à ça près. N'est-il pas le grand vainqueur de la 101ème Compétition du côté dresseur, après tout ? Je n'ai pas eu à attendre longtemps avant de connaître sa véritable identité, et pour le coup, je dois avouer que je l'ai cru plus malin que ça. Ou alors, pour une raison quelconque, il l'avait fait exprès. Mais peu importe. Il ne sait pas qui je suis réellement, fort bien. Cela pourrait, d'une façon ou d'une autre, jouer à mon avantage. Ce que je ne comprends que trop tard, néanmoins, c'est qu'il s'agit en vérité du Régimeux qu'ils sont censés traquer aujourd'hui. Plus tard, quand je l'aurais capturé, je pense donc lui demander ce qu'il a fait de ceux qui étaient avec moi. Mais pour l'heure, je dois m'assurer qu'il finisse hors d'état de nuire.
Aussi surprenant que cela puisse être, je considère sa proposition. Si je suis assuré de ma victoire, elle est intéressante. J'y songe encore davantage quand Silvery rapproche de lui une équipe entière de Pokémons, qui n'ont en plus pas l'air d'être faibles. Il a l'air pressé de savoir ce que Sirius lui réserve. Le prendre par surprise pour l'emmener serait trop compliqué, il a l'air d'avoir une team solide. Avec les alliés que je possède avec moi, je ne m'en fais donc pas trop. Pour une fois, j'ai pleinement confiance en mes capacités. Alors j'essaye tout de même de reprendre le contrôle de moi-même, espérant retrouver un souffle et un rythme moins saccadé afin qu'il ne puisse pas remarquer le malaise qui m'a envahi depuis plusieurs minutes. Il ne doit pas savoir qu'une partie de moi tremble toujours en le voyant, cela ne me serait d'aucun secours. Après quelques minutes, j'ose enfin prendre la parole, en jouant avec une Poké Ball dans ma main gauche.

« Soit, Alexander, j'accepte ton défi. »

J'ignore s'il sait qu'il n'est pas en position de m'obliger à quoi que ce soit, en réalité. En principe, mes Pokémons devraient être assez forts pour réussir à battre les siens. Je sais qu'il est mauvais de trop se reposer sur ses capacités, mais mon sang bouillonne déjà à l'idée de l'affronter. Je me demande toutefois si ce sera très à la loyal, tout ça. Je ne fais pas confiance à ce type pour ne pas tenter de tourner le match en sa faveur, puisqu'il s'agit de quand même sa liberté, qui est en jeu. Et si je le laissais s'échapper, je ne saurais comment l'annoncer aux autres ; ma fierté, en outre, en prendrait un sacré coup.

« Mais quand j'aurais gagné, je me ferais un plaisir de t'emmener au poste et tu me diras ce que tu as fait de mes compagnons de mission ! »

Car il n'est définitivement pas question de perdre. Je n'aurais la conscience tranquille que lorsque ce sadique se trouvera derrière les barreaux. Voilà après tout quelques temps que je rêve de le combattre d'une manière ou d'une autre, et un match Pokémon est l'occasion parfaite pour lui montrer que je ne l'ai pas volé, ma place de Maître. Mon Dracaufeu est alors excité par le combat et la détermination dont je fais preuve semble l'atteindre également. Smaug n'a aucune idée de quel genre de personne il s'agit, mais il a senti les mauvais sentiments qui émanaient de moi dès lors que je l'ai aperçu et depuis, il montre les crocs. Observant également mon hésitation, c'est lui qui s'avance d'un pas, voulant montrer sa puissance.
Bon, il n'est pas obligé de se croire supérieur, non plus.
Je ne savais pas encore quel Pokémon utiliser, mais pour Smaug, le choix était déjà tout fait. Le reptile ailé s'approche d'un pas décidé, reniflant même d'un air de défi pour montrer qu'il n'avait aucunement peur de nos rivaux, pas même du Ohmassacre qui pourrait pourtant le mettre assez mal à cause de son double type Vol. Je ne sous-estime jamais les dresseurs contre lesquels je me bats, pas même Silvery qui possède une équipe qui peut faire mal et une expérience qu'il a acquise mine de rien. On pourrait dire tout ce qu'on veut, mais je sais que c'est sans tricher qu'il a pu gagner contre Sunny ; et si je n'ai pas grand chose à lui envier de ce côté-là, je ne peux considérer la victoire comme déjà mienne quand bien même j'aimerais me convaincre du contraire.

« Je te laisse le choix du nombre de Pokémons à vaincre pour gagner. Pour ma part, mon premier Pokémon sera donc Dracaufeu. »

Puisque je ne sais pas quel team choisir entre celle que j'utilise pour les matchs de Ligue et celle qui m'accompagne au quotidien, Smaug fait un peu office d'intermédiaire. En théorie, puisque je me présente sous l'identité de Sirius, peut-être que mon fameux fugitif s'attend à ce que je lui envoie mes Pokémons les plus puissants que je devrai montrer aux Compétiteurs qui me défieront. C'est déjà un miracle que j'arrive à ne pas laisser la nervosité contrôler mes mouvements alors qu'elle me parcoure et manque d'aggraver mon agitation. Un geste de travers et il découvrira qui je suis, si seulement il se rappelle de moi. Après tout, j'étais juste un random gamin paumé lorsque je l'ai rencontré (et ça n'a pas changé, vous m'direz).

« Je n'aurais qu'une seule condition à imposer : aucun de nous deux ne doit retenir ses coups. »

C'était sans doute ce qu'il avait déjà prévu, mais je préfère l'alerter à ce sujet : hors de question que nous nous battions comme s'il ne s'agissait que d'un jeu. Cela a davantage de signification pour moi, et peut-être, qui sait, j'arriverai enfin à clore ce chapitre de ma vie et ces souvenirs arrêteront de me hanter définitivement.

Je maudis les frissons qui s'emparent de moi alors que j'entends de nouveau sa voix. Un fantôme... Ce pourrait être le mot, oui. Un fantôme du passé qui n'a, visiblement, pas fini de me hanter même après quatre ans d'absence. Je l'ai laissé survivre en toute connaissance de cause lorsque j'avais une occasion de mettre fin à ses jours, mais ce n'est pas pour ça que je suis ravi de le voir aujourd'hui. Une sensation froide me parcoure alors que je tente de faire cesser les tremblements de mes doigts. J'essaye de me rassurer. De me dire que je suis devenu plus fort. Que je ne suis plus le gamin terrorisé qu'il pouvait briser aisément. Le fait est que, même si j'ai grandi, le malaise reste toujours aussi intensément présent. Je pourrais encore me revoir, recroquevillé contre moi-même dans cette cellule sordide et glacée, à laisser couler toutes les larmes de mon corps jusqu'à ce que je n'en puisse plus, craignant la prochaine visite que j'aurais. Le sait-il, qu'il continue quand même à me faire peur ? Que je ne suis pas du tout serein en le voyant en face de moi alors qu'il est pourtant dans un état plus que médiocre ? C'est au point que, même dans un combat à mains nues, il y a des chances que j'aie l'avantage. Cette perspective, si elle est censée me rasséréner, n'arrive pas à enlever la boule d'angoisse qui s'est formée dans ma gorge. Son sourire, qui plus est, ne m'aide pas à retenir les soubresauts de déplaisir qui remontent mon échine. Qu'il est sans doute dangereux d'accepter un défi de ce genre, mais pour ma fierté, mon devoir, et pour ce qui s'est passé entre nous, je me devais de l'accepter. Et de le gagner. Une défaite face à lui serait probablement la pire des humiliations.

Comme si ça ne suffisait pas, il continue de me provoquer en me parlant des subordonnés dont j'avais la charge, et un léger hoquet d'horreur me surprend tandis que le Scorvol de mon ennemi semble, en effet, s'être plus que régalé. Et il refait encore ce rictus narquois et supérieur. Mes dents se serrent, je me retiens de grogner. Heureusement qu'il y a ce masque pour dissimuler un temps soit peu mon anxiété et ma colère, mais les insultes fusent dans ma tête à son encontre, bien que ce ne soit pas non plus très mature.
Ordure.
Oui, je sais, c'est méchant pour les déchets que d'y associer ce monstre, et bien évidemment que j'ai des noms d'oiseaux bien plus fleuris en tête (quoique là c'est aussi c'est méchants pour les oiseaux, ils ont rien demandé à personne). Je me sens quand même un peu mal pour ces pauvres bougres qui m'accompagnaient car j'imagine facilement comme ça doit être horrible et frustrant de finir dans le ventre d'un Pokémon. Je n'ai pas à m'inquiéter de cela personnellement pour l'instant car j'ai une équipe au complet qui empêchera cela d'arriver, mais je ne suis pas très friand du regard que me lance la chauve-souris Sol et Vol. Mais puisqu'il me parle de 'restes'... Ne serait-ce que pour les familles de ces types, je devrais probablement les ramener avec moi, même si la vision risque de me faire vomir. Je ne peux pas non plus décemment laisser des morceaux de corps pourrir ainsi que des flaques de sang en pleine nature.

Mais c'est qu'il est poète, en plus...
Le nombre de Pokémons à utiliser me va, comme s'il s'agissait d'un match officiel normal, en somme, mais mon silence fait office d'approbation. J'ai confiance en mes Pokémons, mais le tout se décidera sur ma façon de les diriger. Ils sont forts si j'arrive à tirer profit de leurs capacités pour avoir l'avantage sur mon adversaire. Je n'ose pas penser ce qui se passerait si... Si je perdais. Le laisserais-je... S'en aller ? Demanderais-je une revanche ? Moi qui ne suis pas mauvais perdant, je ne peux pas le regarder s'enfuir sans rien faire, et pourtant... Ce ne serait pas 'juste' techniquement alors qu'il m'a battu à mon propre jeu. Ma prédécesseure avait bien dû s'avouer vaincue devant lui au moment où il est arrivé jusqu'à la Ligue. Ici, il est question de savoir si ce meurtrier ira en prison ou si je lui donnerais une chance de s'échapper ; et dans ce cas-là, je ne m'en remettrai difficilement. Il faut que je gagne. Mais je sais que m'emporter et stresser durant le match ne me rendra pas service. Je dois me contrôler. Me contrôler.

Je me déteste pour avoir changé d'expression au moment où j'aperçois le Flambusard de Nagel, en revanche. Mes yeux n'ont pas pu s'empêcher de contempler l'oiseau de feu qui vient d'apparaître dans toute sa splendeur. Je suis décidément bien trop faible, mais rival ou pas, le Pokémon double types qui va se mesurer à nous est splendide. Smaug, quant à lui, renifle d'un air peu impressionné, impatient de débuter le combat et, tout comme moi, de faire ravaler sa fierté à ce malotru. Oui, le terme est faible, certes, mais je ne suis pas doué pour ça, moi. L'oiseau au plumage flamboyant s'élance dans les cieux, tel un Vaututrice qui attendrait le moment propice pour se fondre sur sa proie. Maître des cieux, je ne sais pas si le titre me sied assez en dehors de mon équipe Vol et de mon amour pour la voie des airs, mais... Je ne dois pas flancher. J'ai une réputation personnelle à tenir, même si elle tient à vraiment peu de choses. Mais il a raison sur un point toutefois : les vents pourraient jouer à sa faveur plus qu'en la nôtre puisque son Pokémon est plus léger que le mien et que les courants pourraient être un bénéfice non négligeable. Et pour cause, Nagel semble décider à l'utiliser, justement.

« Envole-toi ! »

Flambusard arrive à prendre une vitesse considérable en prenant le souffle qui s'en vient, mais mon compagnon ne doit pas se laisser distraire par la petite taille de son ennemi par rapport à la sienne. Caligula renferme une grande force malgré tout, et il a dû la sentir lui aussi. Un peu pataud toutefois, il met du temps avant de quitter le sol mais arrive à décoller suffisamment tôt pour éviter les coups de bec qui lui sont adressés. Cela faisait un moment que Smaug n'avait pas eu à être aussi rapide, mais il reprend peu à peu ses habitudes. Plutôt brute d'ordinaire, la rapidité peut être son fort quand il se concentre vraiment, mais Flambusard est plus vif que lui sur le coup. Pour le moins gros, toutefois, cela semble plus être un jeu qu'autre chose, ce qui énerve mon Dracaufeu, malheureusement. Il faut pourtant qu'il reste focalisé sur son adversaire et pas se laisser distraire par colère. S'il s'emporte, il ne pourra pas le remporter. Déjà, il n'arrive pas à esquiver à temps l'attaque Acrobatie qui se dirige droit vers lui et se trouve touché au niveau du flanc. Le coup est douloureux, mais il profite de l'élan que cela lui a donné pour se retourner d'un geste vigoureux et donner un violent coup de queue à l'oiseau dans l'espoir de le sonner.

« La falaise, vite ! »

Smaug fait de son mieux, je le sais, mais il doit être plus rapide que l'ennemi. Le dragon secoue la tête et cligne des yeux, ralenti par l'Acrobatie qui a été bien plus rude que ce qu'on aurait cru, mais bat férocement des ailes pour se donner de la vitesse et ainsi se rapprocher de Caligula. Arrivé à la hauteur de ce dernier, le Dracaufeu tente de le saisir avec ses pattes avant. Au départ sans succès, une de ses griffes parvient toutefois à s'accrocher à l'une de ses ailes, et il profite de cette prise pour ramener l'oiseau contre lui. Puis, il enserre l'autre contre son ventre en le prenant avec ses bras, et fonce en direction de la falaise pour pouvoir s'écraser dessus. La douleur toutefois le lance et je le vois grimacer. Un moment, je crois même qu'il lâchera sa prise, mais il tient bon et ne dévie pas de sa trajectoire. Cependant, le rapace est assez menu pour se glisser hors de ses bras. Leur combat, au moins, me fait oublier la peur que je ressentais à l'encontre de l'assassin situé quelques mètres plus loin. Je m'autorise d'ailleurs, pour ma grande surprise, à entamer cette fois-ci la conversation, car je suis déconcerté malgré tout.

« Se jeter droit dans la gueule du Lougaroc juste pour me défier... C'est de l'inconscience ou juste de la très grande stupidité ? »

Oui, je sais, c'est moi qui parle. J'en ai pourtant fait, des erreurs de toutes sortes, allant même jusqu'à me mettre en danger à plusieurs reprises. Je ne compte plus le nombre de Pokémons sauvages dangereux que j'ai eu le malheur d'énerver et qui ont bien failli avoir ma peau. Aujourd'hui encore, surtout devant lui, je ne devrais pas faire le malin. Je le sais, que c'est seulement pour camoufler mon trac. Que je ne fais ça que pour dissimuler la nervosité qui me parcoure, mais que ce soit un avantage ou pas, le port du masque ainsi que celle de mon déguisement, selon moi, peut déjà m'autoriser à être un peu plus confiant. D'une certaine façon, je ne suis plus le garçon qu'il a eu comme prisonnier. Ce n'est, après tout, pas Samaël qu'il est venu défier.

« Ai-je si grande réputation pour qu'un Officier aussi recherché daigne sortir de sa cachette ? »

Tous les moyens sont bons pour que je force mon corps à contenir mon calme. Ma respiration, au moins, est un peu plus sereine, même si mon cœur bat toujours de manière folle. Je suis le premier à me voiler la face et il va probablement le découvrir tôt ou tard. S'il y a bien une chose que je ne me permettra pas de faire, c'est bien de le sous-estimer.

Je poursuis des yeux mon Dracaufeu qui continue sa course vers le sol, le Flambusard entre ses griffes. Raté. L'oiseau arrive à s'extirper de mon allié et s'est remis à battre des ailes pour lui échapper. Je ne suis pas déçu, je m'attendais seulement à ce que ce combat se termine plus vite, même si ça me fait un peu de challenge. Je n'ai pas eu de concurrent cette année, après tout, alors faute que la Compétition puisse se faire, c'est en beauté que j'espère remporter le défi qu'il m'a lancé, même si je reste affreusement anxieux et que je stresse à l'idée de perdre ce match qui signifie bien plus qu'il ne le pense, pour moi. Il voulait juste pouvoir se mesurer à moi, à défaut de ne pas pouvoir participer à la prochaine Compétition à cause de sa traque, cela voudrait dire ? Je ne comprends pas pourquoi il désirait tant un combat. Simplement pour tester le nouveau Maître ?.. Quoique cela a l'air de lui ressembler, puisque j'y pense. Il veut savoir ce que je vaux. Ce que Sirius vaut. J'espère bien qu'il sera surpris s'il découvre qui je suis réellement. Mais ça, ça devra attendre.
En attendant, même si Caligula s'est libéré, les deux Pokémons volants ont bien plus de mal qu'au début. Le Flambusard semble toutefois garder l'avantage grâce à sa vitesse. La preuve, il arrive à asséner un nouveau coup vif et brutal à mon Dracaufeu qui perd du temps à anticiper une esquive. Plus lent que l'oiseau rouge, il se prend l'offensive de plein fouet et perd encore de l'altitude, haletant. Son adversaire, quant à lui, ne tient plus en l'air après ça et retombe au sol dans un atterrissage difficile. Je déglutis, espérant quand même que le Pokémon de mon ennemi ne soit pas grièvement blessé. Ses alliés ont beau ne pas avoir l'air très commode non plus (tel pokémon tel dresseur, dit-on) mais ils ne sont en aucun cas responsables de ce que l'Officier a fait. Ce dernier a au moins la décence de se préoccuper de ses camarades. Et à vrai dire, son comportement ne m'étonne guère. Ils ne seraient assurément pas si puissants s'il n'en prenait pas soin. Des Pokémons maltraités sont des Pokémons mal dirigés ; ça se voit, quand un dresseur ne fait pas attention à ses compagnons.

Après avoir donc rappelé son camarade dans sa Poké Ball, j'appelle le mien, qui redescend doucement en voyant qu'il a, semblerait-il, remporté ce round-là. Je sais que nous ne sommes toutefois pas au bout de nos surprises et je vois bien, aux guerriers qui l'entourent, qu'il peut encore allégrement nous faire baver si nous ne restons pas sur nos gardes. J'ai beau avoir envie de lui foutre la raclée de sa vie, ce n'est pas une raison suffisante pour que je perde mon sang-froid. J'ai déjà bien plus de mal que je ne pensais à contenir mon identité secrète, et il a sans doute peut-être remarqué le malaise qui m'entoure. Je dois pourtant conserver les apparences coûte que coûte, ne serait-ce que pour conserver le peu d'assurance que j'aie ; car oui, même après quatre ans, il y a certains souvenirs qui me hantent, et ils sont en train de me revenir en pleine face, plus douloureux que jamais. Je dois cependant les combattre en même temps que ce type si je veux pouvoir enfin avoir la paix que je mérite. Pour ça, il faudra d'abord néanmoins qu'il ne me grille pas avant la fin. Renseigné je le suis, et pas qu'un peu, mais il ne doit pas savoir pour le moment d'où je le connais. Il joue avec mes mots en croyant probablement être sur le point de découvrir quelque chose, mais je dois masquer ma nervosité au maximum. Son ton insupportable n'aide rien, en revanche. Il veut me faire craquer, je le sens. Mais je ne tomberai pas dans son piège. Pas cette fois.

Je crois pourtant, pendant un instant, qu'il a flairé ce que je tente de lui cacher. Une hypothèse qui disparaît quand il ne semble pas décidé à continuer à parler plus longuement pour l'instant, car sinon il me l'aurait peut-être dit, s'il m'avait reconnu. Cela me fait étrangement bizarre de me retrouver seul face à lui, maintenant que j'y pense. Ce n'était pas ce que j'aurais envisagé. Il y a quelques années, je serais resté immobile, tétanisé par la peur. Je me serais montré ridicule (comment ça, le costume de Batman fait déjà bien l'affaire ?), il aurait pu m'humilier de nouveau, me blesser de nouveau, s'il l'avait voulu. Et je n'aurais rien pu faire. Plus tard, je serais rentré en larmes, énervé contre moi-même et terrifié à l'idée que je ne pourrais jamais me montrer à lui sans que l'effroi ne me paralyse. Alors lorsque Smaug touche enfin la terre ferme et vient me laisser voir ses blessures, je sais que je ne suis pas non plus réellement seul. Ils sont là, eux, et c'est tout ce qui importe. Ils me donnent du courage, de l'audace. Oui, quand j'y pense, il est possible que Silvery m'ait complètement oublié de sa mémoire. Je ne fus pour lui qu'une victime parmi d'autres. Des centaines, des milliers de victimes, même. Je n'aurais jamais sur lui l'impact qu'il a sur lui. Qu'il aura toujours sur moi. Ces souvenirs-là, difficile de les effacer complètement. Mais au moins, quand il sera derrière les barreaux, je sais que justice aura été rendue. Et je serai définitivement libéré de lui.

Devant nous se dresse désormais un Steelix plutôt... Imposant. Enfin les Steelix sont imposants de base par leur taille (une dizaine de mètres quand même) mais je n'en ai pas vu très souvent en vrai. En vrai et juste devant moi. Je remarque à son sourire toutefois que son appartenance à Nagel ne laisse assurément aucun doute. Mais rien n'impressionne Smaug, et ce dernier grogne déjà contre Harald, prêt à en découdre. Son état est toutefois alarmant, et je ne sais pas s'il tiendra bien longtemps. Il a beau avoir l'avantage par son type, le Pokémon adverse est loin d'être faible ou en mauvaise posture. N'ont-ils pas, en plus de ça, une défense non négligeable ?.. Il faudrait que je rappelle mon Dracaufeu. Il ne peut plus combattre, c'est impossible.

« Smaug... Tu devrais te reposer. »

Mais le concerné secoue la tête en grognant, refusant de laisser la relève alors qu'il a encore une once d'énergie de disponible. Mon côté têtu a déteint sur lui, y'a pas à dire. Mais ce n'est pas nécessairement une bonne chose. Cependant, je ne peux m'empêcher de comprendre Smaug. Je serais, à sa place, également frustré de ne pas avoir pu mener un défi jusqu'au bout. Ce n'est pas une excuse pour le laisser continuer alors qu'il est à bout, mais ce n'est pas comme si c'était un combat à mort non plus. Le but de notre adversaire n'est pas de nous achever. Ses chances resteraient minimes si jamais il s'y essayait. Je soupire, imaginant qu'il faut qu'il comprenne par lui-même qu'il ne sortira cette fois-ci pas indemne de ce tour. Au mieux, il arrivera à lui asséner une attaque suffisamment efficace. Au pire, il sera KO et je pourrais enfin le faire rentrer dans sa boule et il finira par s'avouer vaincu. Je me contente donc de lui souffler des mots d'encouragement et tapote affectueusement son encolure. Puis, je me tourne vers Silvery et mon sourire disparaît. Je n'ai jamais posséder un réel talent d'acteur, mais je dois me montrer le plus crédible possible.

« Nous savons ce que nous recherchons. Nous ne partons pas à la traque sans la moindre information. Sache que nous possédons un dossier pour chaque soldat. Et figure-toi que les Officiers sont les moins épargnés. »

Il lui en faut sûrement beaucoup plus pour le convaincre, mais c'est tout ce que je peux faire pour l'instant. Ce n'est pas vraiment faux, en plus, ce que je lui raconte. En l'occurrence, je n'ai pas lu le dossier ce matin, mais évidemment que nous devons au moins savoir qui nous chassons pour éviter les erreurs et les quiproquos. Ce serait cocasse pour notre réputation si jamais nous nous trompions. Cas particulier ici, cependant, car je le connais de bien avant. Mon expression, si tant est qu'elle peut se lire, se faire plus sévère, mais une pointe d'ironique arrive quand même à faire son chemin.

« Mais aurais-tu oublié la célébrité que tu t'es toi-même forgé ? Tu as remporté une Compétition, eh bien bravo. Peut-être aurait-ce seulement été plus judicieux de masquer ton visage à défaut de ton nom, qui sait ? »

Je ne vais pas vous décrire la colère qui bouillonnait en moi quand j'ai su qu'il avait réussi là où j'avais échoué un an auparavant. Je n'arrivais pas à croire qu'il puisse connaître une telle gloire et profiter de la vie pendant que je devais le regarder me voler mon rêve de toujours. Mais j'ai redoublé d'efforts suite à ça. Je ne voulais plus être faible. Je voulais m'améliorer pour atteindre un niveau supérieur au sien. Cela me rassurait, quand je suis devenu Maître de me rendre compte que je n'étais en réalité pas si mauvais. Mais je l'aurais cru plus rusé que ça, à vrai dire. Il faut croire que sa victoire lui était trop montée au nez pour qu'il soit conscient du reste.
Sous le coup de mon sifflement, Smaug finit par s'élancer de nouveau. Ses ailes ont néanmoins un peu plus de mal à le porter, et je le vois qui peine à voler aussi haut que tout à l'heure. Il n'arrive à être qu'à la moitié du Steelix ; ses performances sont considérablement amoindries. Pas de chance quand il se retrouve devant un Pokémon contre qui il a l'avantage alors qu'il n'est même pas à la moitié de ses capacités. Pour le coup, j'ai été bien bête de décider de mon Pokémon en premier. Mais ce n'est pas le moment de revenir là-dessus.

« Eh oui, Alexander... Nagel, c'est bien ça ?.. Tu n'es pas inconnu au bataillon. Cela fait trois ans mais on a pu voir ton visage sur tous les médias de l'île pendant un moment. Un sourire perfide comme le tien ne s'oublie pas facilement. »

Là encore... Je peux dire que je ne mens pas. Que je peux essayer d'être concluant parce que c'est en partie la vérité. Je n'ai pas encore dit que je ne l'avais jamais vu avant aujourd'hui. En omettant ce détail, j'évite une occasion de mentir inutilement. Mais s'il y a en effet quelque chose que je n'avais jamais oublié de lui, c'était son expression fourbe et malsaine, orné d'un sourire froid et d'un regard tout aussi peu chaleureux. Il réussissait à m'intimider et à faire de moi sa victime. Je ne veux plus que ce soit le cas. Aujourd'hui, j'ai grandi.
Le faux dragon orange rassemble ses dernières forces pour lancer une attaque Lance-Flamme. Au vu de l'air pataud et mou qu'il arbore, toutefois, j'ignore même s'il atteint sa cible. Cette dernière, néanmoins, finit par le mettre KO seulement quelques secondes après. Je pousse un hoquet quand je vois Smaug tomber lourdement sur le sable, pour rouler jusqu'à moi. Je m'approche de lui, caressant son flanc meurtri.

« Allez, mon grand, c'est fini. Tu as bien combattu. »

Je le ramène enfin dans sa Poké Ball pour qu'il puisse se reposer. Il le vaut bien, après ça. Mon second choix, de toute façon, est déjà trouvée. Et il va être raviiii de retrouver notre tortionnaire. Je scrute la sphère de mon prochain compagnon, un sourire discret aux lèvres. Lui aussi, a bien évolué. Et il est temps de le lui montrer. D'un geste simple, j'appelle donc mon meilleur ami de toujours sur le terrain. Et le Tortank apparaît dans un rugissement déterminé, ses canons bien en place sur sa carapace.

Je crois que mon bluff marche, puisqu'il ne pose aucune question supplémentaire sur l'origine des informations que je possède sur lui. Je dois toutefois me retenir de grimacer quand il me montre sa blessure à la main. Elle est bien vilaine, en effet. Je n'ose pas imaginer la douleur, mais il a sûrement dû la mériter, ce jour-là, pour la trace qui en résulte. Je suis surpris qu'il ait affronté Solène, mais c'est vrai que les deux se connaissent, après tout. Il semble bien fier de me montrer sa cicatrice, alors ce combat, malgré tout, a dû le marquer. 'Elle m'aimait pas', sans blague, mais qui l'aime, au juste ? Je veux dire... à part ses sbires, peut-être, ou les quelques soldats qui devaient le considérer comme un modèle, car mine de rien, le grade d'Officier n'était pas à prendre à la légère, au Régime. Mais bon, là où il sera dans peu de temps, plus personne ne l'aimera.
Je ravale ma salive, me contentant de grincer des dents alors que je crains qu'il ne découvre que j'en sais un peu plus sur lui que ce que je ne devrais. J'aimerais être parfaitement en contrôle de moi-même, mais je ne suis pas un robot. Il est assez difficile de me retrouver face à mon pire ennemi et de demeurer stoïque, vous pourrez me comprendre. Je ne représente certes rien pour lui, mais il m'a laissé des traces indélébiles que je ne pourrai jamais totalement effacer mais dont je peux au moins atténuer la douleur. En silence, j'inspire, expire, reprends mon calme peu à peu, mais mon cœur ne peut pas arrêter de tambouriner. Je stresse à l'idée de perdre. Pour la première fois, j'ai vraiment envie de gagner. Même si... Même si j'ai peur de douter de mes capacités, tout à coup.

« Je ne suis ni l'un, ni l'autre. Pour toi, aujourd'hui, je suis le Maître de la Ligue. Et celui qui t'arrêtera pour de bon. »

Ma voix a manqué de trembler. C'est parce que je n'y suis pas encore tout à fait habitué, à mon nouveau rôle. 'Maître de la Ligue'... C'est une chose de l'être, mais une autre de me présenter ainsi. Je ne peux pas lui dévoiler mon vrai nom, cependant. Pas encore. Je dois conserver cette apparence pour le moment. Il a voulu un combat contre Sirius, et bien soit. Sirius était prêt à l'accueillir. Mais personne ne m'a bourré le crâne. La rancune que je lui réserve, elle ne concerne que moi, et moi seul. C'est moi qui cherche vengeance. Et il ne doit pas le découvrir. Il pourrait aisément en profiter, sinon.
Je lève les yeux au ciel même devant son compliment, si tant est qu'il puisse en faire en étant sincère. Mais ses propres alliés, en vérité, ne sont pas en reste question puissance, et ça me tue déjà de l'admettre. Bien sûr, je ne lui avouerai jamais, mais je le respecte en tant qu'adversaire, c'est un fait. Ce n'est certainement pas Kame qui serait amadoué par ses belles paroles, toutefois. C'était il y a quatre ans maintenant, mais le Tortank a quelques souvenirs, lui aussi. Bien peu, en comparaison, mais il se rappelle du regard que lui avait lancé le tortionnaire pour m'obliger à le ramener dans sa Poké Ball, et même de mon état après la libération. Alors il n'est pas prêt de lâcher l'affaire, et comme Smaug avant lui, je me doute qu'il combattra jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus. Je ne peux que le comprendre. J'en ferais autant, à sa place. Et moi-même je ne vais pas abandonner Silvery comme ça, même s'il remporte le match. Ce dernier d'ailleurs est celui qui lance l'attaque la plus rapide pour ce second round. D'un geste brutal de sa queue de pierres, le Steelix de notre adversaire frappe contre la roche de la falaise pour en faire tomber des morceaux qui tombent dangereusement sur la plage. Et accessoirement sur nous.

« Repli, repli ! »

Je n'ai pas le temps d'appeler un de mes compagnons pour m'envoler. Je dois m'écarter de là le plus vite possible avant de finir écrabouillé, même si ce n'est pas le but de notre opposant. Du moins, je pensais qu'il attendrait de savourer sa victoire avant de m'achever. Je m'enfuis donc, ou du moins m'éloigne le plus possible des rochers, tandis que Kame, plus lent, ne peut pas se permettre la même option. Mais il possède une carapace qui ne sert pas qu'à faire jolie, heureusement. Une fraction de seconde de trop aurait pu lui infliger de sérieux dommages, mais il a tout juste le temps de rentrer tête et pattes à l'intérieur de sa 'maison' pour se protéger lorsque Harald envoie ses pierres sur lui. Les carapaces des Tortanks sont extrêmement résistantes : c'est un de ses forts atouts en plus des célèbres canons de son espèce qui lui valent son nom. Je regarde certaines pierres rebondir sur la paroi écaillée, mais est assez fort quand ça tape, cela ne laisse aucun marque, et j'ose espérer que mon ami n'a pas trop mal. Lorsque vient la fin de l'attaque, j'attends un peu pour être sûr que ce soit à notre tour.

« Maintenant, Kame, fonce ! »

Mon allié ne me le fait pas dire deux fois. Il sait à quoi je pense, il n'a pas besoin de détails supplémentaires. Toujours dans sa carapace, il se met alors à tourner sur lui-même, d'abord lentement puis de plus en plus rapide, avant de partir d'un coup vers le Steelix, lancé comme une toopie (Beyblade). Je me rapproche de quelques pas pour mieux voir la scène. Il tente de toucher le Pokémon ennemi, avant de retomber au sol et de se remette sur ses pattes. Il sort de sa carapace et n'hésite pas davantage. Après s'être réceptionné et avoir fait basculer son poids sur ses pieds pour qu'il ne perde pas l'équilibre et se stabilise, il prend appui sur ces derniers pour charger ses canons et balancer deux féroces jets d'eau en direction de l'autre. Là, je recommence à esquisser un léger sourire, fier de son coup.

Je crois que nous avons réussi à prendre nos adversaires de court. Il est vrai que Kame ne brille pas par sa vitesse sur la terre ferme. Dans l'eau, il est déjà bien plus rapide. Mais avec de l'entraînement, il peut désormais faire en sorte de dégainer ses jets d'eau dès que l'ordre est donné. Un enchaînement auquel le Steelix ne s'attendait certainement pas et qu'il le met bien mal. Fier que son attaque ait pu le toucher, mon Tortank n'est toutefois pas du genre à se reposer sur ses lauriers et se prépare au moindre contre-coup. Le serpent de pierres, après tout, cache une grande défense et je ne doute pas de son agilité. D'ailleurs, ce dernier se débat comme il le peut, tant et si bien qu'il finit par réussir à plonger dans le sable. Je fronce les sourcils, rendu moins à l'aise par cette tactique qui empêche à mon Pokémon de prévoir ses mouvements. J'en ai parmi mon équipe qui peuvent ressentir les vibrations du sol, mais pas mon plus vieil allié. Ce n'est pas une de ses particularité. Pour compenser cela, je le vois surveiller le moindre mouvement étrange du sable, toujours sur ses gardes. Cela m'ennuie de l'avouer, mais je crains le pire. Je déteste les effets de surprise comme ça, faut dire. C'est le genre de truc qui peut me stresser rapidement et m'empêche parfois de réfléchir comme je le voudrais. J'ai un Sablaireau, pourtant, alors je devrais être familier avec ça, mais... Ma spécialité à moi, c'est tout ce qui touche les cieux, après tout. Alors pas la peine de dire les attaques souterraines... Bah c'est l'exact opposé.

Bon, par contre, s'il pouvait juste éviter de parler, des fois... J'vous avoue que ça m'arrangerait bien. Il ne l'ouvre que pour faire son intéressant puisque c'est dans sa nature, mais juste... Pas la peine, quoi. Oui, c'est trop demandé de sa part, je sais, on ne change pas les gens comme ça (et surtout c'est pas moi qui pourrait faire la différence). Le silence le dérange-t-il à ce point ? Je suis le premier à vouloir un peu d'animation, mais je peux pas dire que je vois ce qu'il essaye de faire, même moi je suis confus. Le fait qu'il m'appelle par mon pseudo, aussi, me fait tiquer. Je vais pas dire non plus que j'ai l'habitude qu'il me connaisse par ma véritable identité parce qu'on s'est pas croisé tant de fois que ça, mais c'est ainsi que je l'ai rencontré (pour mon plus grand déplaisir). J'ai tendance à oublier encore de temps à autre le port de mon masque, car je n'ai jamais été accoutumé à me cacher sauf au sein de la Résistance. Mais en tant que Résistant, cela me semblait plus naturel, car j'y étais préparé. Devant quelqu'un que je connais, je dois encore me faire à l'idée qu'on puisse ne pas me reconnaître, même si j'ai bien sûr fait exprès. Est-ce qu'il tente de me déstabiliser, en faisant n'importe quoi ? Ou veut-il juste se donner en exemple car il n'a pas appris à faire autrement ? En un sens, je devrais pas me poser de questions, vu qu'on parle quand même d'un taré. Ce qu'il fait n'a pas toujours à être logique, mais tout ce cinéma juste pour faire la diva avec sa tignasse ? Sérieusement ?
Que quelqu'un me rappelle ce que je fais là.

« Derrière... ?! »

Mon cœur rate un battement quand je me rends compte qu'il est trop tard. Cela ne prend au Steelix, malgré les dommages qu'il a reçu, que seulement quelques secondes pour surgir de terre en ouvrant sa gueule menaçante pour plonger sur Kame. Celui-ci tente d'éviter son adversaire comme il le peut, mais ses grosses pattes l'empêchent de se déplacer assez vite pour ne pas se faire prendre. Il réussit à esquiver une attaque, deux attaques, durant lesquelles le sol se met à trembler légèrement, ce qui ne me rassure nullement. La montagne, elle aussi, semble gronder en rythme avec le Pokémon acier et ses offensives. Au bout du troisième coup, Steelix parvient malheureusement à attraper mon allié dans son énorme bouche en surgissant une énième fois du sol.

« Kame ! »

Je ne peux pas cacher davantage mon inquiétude alors que mon meilleur ami se retrouve entre les crocs acérés de ce Pokémon que je devine agressif, quand on sait qui est son dresseur. Il a même l'air de prendre plaisir à serrer sa mâchoire autour de la carapace de mon compagnon de toujours, qui grimace de douleur et rugit même sous la pression infernale. Il bat des pattes, de la queue, et de la tête pour se débarrasser de son opposant, mais la prise est si forte qu'elle se resserre sur lui à chaque fois qu'il se débat. Kame grogne encore, perdant de l'énergie à chaque seconde. J'ignore quoi faire, pour la première fois depuis le début de ce match. Je n'ai pas envie qu'il se retrouve KO maintenant ; ce serait, dans ce cas, mon ennemi qui aurait alors l'avantage. Mon cerveau en ébullition, je réfléchis à un moyen de le sortir de là. Mais les idées manquent, et j'ai mal au crâne. Sous le coup de la panique, je me mets à perdre mes moyens.
Rien ne me vient à l'esprit, jusqu'à ce que j'aperçoive une aura bleutée entourant mon ami. C'est son talent qui s'active. En me rappelant de ce qu'il fait, je crois alors trouvé une parade pour le sortir de ce pétrin. Mon regard se tourne alors vers mon adversaire.

« Tu n'aimes pas être mouillé ?.. Comme c'est dommage. Ils ont prévu de la pluie, aujourd'hui ! »

Avec chance, mon Tortank comprend le double sens de la phrase. Avec peine, toutefois, il fait sortir de la fumée noire de ses canons qui se rassemblent au-dessus de nos têtes et ne tardent pas à former des nuages épais et pas si rassurants que ça. De ces derniers s'échappent ensuite, en quelques secondes, de la pluie fine mais torrentielle qui s'abat sur nous. Voilà qui n'arrangera pas le brushing de Monsieur. Mais cette pluie a le mérite, je l'espère, d'affaiblir Harald mais pas seulement. Les capacités Eau de mon Pokémon sont également accrues et viennent ajouter de la puissance que Torrent confère déjà. Et je vois, enfin, mon allié qui profite de la présence de la pluie pour accumuler et enrouler de l'eau autour de sa queue.

« Maintenant ! »

Kame balance une attaque Hydroqueue sur son adversaire. Heureusement, l'emprise se relâche sur lui et il retombe enfin sur le sol dans un choc assez lourd. Il est très affaibli et a du mal à se relever, mais a parcouru le plus gros. Dans ses yeux brillent toujours cette lueur de détermination qui ne le quitte jamais et que je n'ai jamais vu aussi vive dans son regard depuis notre ultime combat à la Ligue. Moi aussi, je me sens de nouveau motivé.

« J'espère que tu as savouré ta liberté, dans tous les cas. Car sa fin est proche. »

L'effet est immédiat. Le Pokémon adverse tombe bien inerte sur le sol. Et je sens, enfin, de l'appréhension venant de mon ennemi. Je reçois pour toute réponse à cette provocation qu'un mutisme qui ne lui ressemble pas, mais qui veut tout dire. S'il me sous-estimait, j'imagine qu'il a arrêté. Il a fini de jouer. Pour ma part, je n'ai jamais commencé. J'ai toujours pris notre match au sérieux en sachant ce qu'il impliquait. Évidemment que je ne pouvais pas prendre ce combat à la légère. Sur ce point, il devrait être satisfait. Le Maître ne s'est pas retenu. Je ne me suis pas retenu, et mes compagnons non plus. Nous avons fait et nous terminerons de faire le nécessaire pour que justice soit rendue. Pour que ce barbare qui a fait tant de mal se retrouve enfin derrière les barreaux. Et ce n'est que maintenant qu'il semble se rendre compte de la sentence qui menace de s'abattre sur lui s'il continue ainsi. Je lui proposerais bien de capituler, mais ce n'est certainement pas maintenant qu'il voudrait le faire. Je porte sur Nagel un regard sombre, le défiant d'achever ce que nous avons entamé alors que je sens que l'ambiance s'est tendue d'un seul coup. Il ne rit plus. Ne joue plus de son air hautain. Comme cette fois où mon père s'est donné la mort sous ses yeux sans lui laisser le loisir de s'amuser davantage avec lui. Je me souviens de sa frustration, du déplaisir qui le parcourait alors qu'un de ses 'jouets' l'abandonnait sans sa permission. J'étais trop effrayé, choqué, et détruit pour réagir alors. Pendant un temps, que ce soit Dio Silvery ou Alexander Nagel, cet homme me faisait peur. Aujourd'hui encore, les marques qu'il m'a laissé me le font craindre encore un peu, mais je me sens moins invulnérable qu'à l'époque. J'ai pris en maturité, en force... J'ai atteint le sommet alors que lui se retrouve à être traqué car l'empire tout puissant du Régime a été anéanti, et le pouvoir qu'il possédait avec. Et si ses Pokémons me menacent à présent d'affaiblir encore leur cher dresseur, je ne peux rien pour eux. Je ne les prendrai pas pour responsables des actes atroces que Nagel a commis ou qu'il aurait même pu potentiellement leur faire commettre. Je ne peux pas les blâmer pour s'être attaché à lui, n'est-ce pas ?

C'est une Granbull qui s'avance vers nous désormais. Ce sera donc elle, son ultime alliée. Fort bien. Pour ma part, je compte rappeler Tortank à sa Poké Ball. Mais, comme je m'y attendais, ce dernier m'arrête. Au bout de ses forces, mon allié peine à tenir debout. J'aurais voulu garder Kame pour notre dernier round, mais face au Steelix, je l'ai trouvé le plus adapté. Et il a fièrement tenu, comme un vrai guerrier. S'il mérite largement son repos, il ne compte pas être ramené tout de suite dans sa sphère. D'un geste de la patte avant et d'un mouvement de tête, il me supplie de le laisser jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus. En le considérant quelques secondes, je finis par accepter. S'il y tient tant que ça... Je sais que je n'aurai qu'à l'amener plus tard au Centre Pokémon pour qu'il soit remis comme neuf. Face à notre adversaire, il aurait été attristé que je ne le fasse pas tenir jusqu'au KO. Ce n'est pas un combat à mort, alors je peux bien lui laisser ça. Je me recule donc pour que le duel se termine, même si je sais déjà quel résultat est attendu. Kame est solide, mais il ne résistera pas à un dernier coup, je le sais. Surtout en entendant l'ordre qui est donné à la chienne rose. Ah... Crocs-Eclair. Avec la pluie, en plus... C'est donc comme ça qu'il sera fini. Je demande à mon ami de se préparer à recevoir le choc, quand bien même il sait autant que moi qu'il ne pourra pas tenir. Alors quand la fée charge puis bondit sur lui, ses crocs à découvert, il tente de se protéger. Mais la vitesse de l'autre le prend de court, et la mâchoire de la Granbull claque et se ferme sur la nuque de la tortue géante. Kame, dans un râle de douleur, se reçoit ensuite une puissante décharge électrique qui, enfin, le met hors d'état de nuire.

« Kame !.. »

Tortank retombe avec lourdeur sur le sable mouillé. Granbull a gagné pour ce tour. Je me précipite vers le Pokémon Eau. Celui-ci lève sur moi un regard fatigué, mais je discerne néanmoins un léger sourire. Il me fait confiance pour la suite. Je ferai en sorte qu'il ne se soit pas battu en vain.

« Repose-toi, Kame. Je m'occupe du reste. Il aura le sort qu'il mérite. »

Du moins, il le faut. Du moins, je l'espère. C'est la dernière ligne droite, après tout, je n'ai pas le droit à l'erreur. Je m'en voudrai toute ma vie, sinon. Ou alors je continuerai à le défier jusqu'à ce que j'arrive à le coincer, car laisser ce fou dans la nature... Il en est hors de question. Kame se laisse aspirer dans sa boule blanche et rouge, plaçant ses espoirs sur son successeur. Je ne dois pas le choisir au hasard. Beaucoup de mes compagnons ont atteint un niveau suffisant, en soit, pour obtenir la victoire. Mais ce n'est qu'en théorie. Je ne doute pas de leur capacité, néanmoins je dois faire ma sélection avec précaution. Je m'en mordrai les doigts, si jamais j'éprouve du regret. Je veux tellement gagner.
Je sens, tout à coup, quelque chose bouger au niveau de ma ceinture de balles. Une, en particulier, s'agite. Je la reconnais sans mal pour m'attirer tout de suite une grimace incertaine. C'est celle de Gatsby. Il est le plus logique à sortir en prenant en compte son type qui a l'avantage contre celui de la Granbull. L'Ectoplasma possède une puissance que je ne peux pas négliger. Son talent, ses attaques, ses statistiques... Il est idéal en tous points. Mais... Je ne peux pas. Je ne peux pas terminer ce combat avec lui, quand bien même ce serait le plus judicieux à faire. Je pourrais vaincre Alexander avec une telle facilité... Mais je ne m'offrirais pas ce plaisir. Je ne peux pas laisser ce Pokémon sur ce terrain, là, aujourd'hui, à cause de tout ce qu'il représente. Il a symbolisé mon côté Résistant, la part sombre de moi qui réclamait justice et vengeance. Celle qui me faisait commettre l'irréparable, qui laissait échapper ma colère, ma haine, ma peine.

Alors non, je ne le considère même pas. Je n'ai pas envie de tomber ainsi. Si je dois gagner... Ou même si je dois perdre... Ce ne sera pas avec lui. J'ai, en outre, une alliée qui attend avec impatience dans sa propre Poké Ball, je le sais. Je ressens son envie d'aller combattre, car elle s'agite aussi. Plus calmement, mais avec plus de force. Alors c'est elle que je choisis. Je décroche sa sphère au détriment de celle du spectre et la libère enfin, dévoilant devant la chienne rose une autre chienne. Plus imposante, avec un pelage semblable à celui d'un tigre, Windie se dévoile dans toute sa splendeur, malgré la pluie qui commence à se calmer progressivement. Mais ça ne la dérange pas, aujourd'hui. Je l'ai habitué à s'entraîner dans ce genre de condition. Elle grogne dès qu'elle sent l'odeur âcre du blond en face de nous. J'ignore si elle le reconnaît, mais elle n'a pas l'air enchantée de le voir, dans tous les cas. Elle dévisage la Granbull, prête à en découdre. Ses attaques feu ne seront pas utiles pour l'instant, mais j'ai d'autres projets pour elle, de toute façon.

« Vengeance. »

Je n'essaye plus de cacher mes enchaînements pour espérer piéger l'adversaire. Désormais, c'est quitte ou double. Alors mon Arcanin s'élance d'une traite pour lier ma parole au geste. Il me semble que y'a un effet particulier, quand un Pokémon est mis KO juste avant, non ?..

Windie mène toujours ses combats avec le plus grand sérieux. Si faible il y a quelques années quand nous avons arpenté pour la première fois la route ensemble, elle est devenue grande, puissante, et surtout rapide. L'odeur qu'elle sent envers notre ennemi sous la pluie qui devient de plus en plus fine, c'est celle qu'elle a senti cette fois-là sur moi, lorsque je revenais de la prison. Une odeur étrange qu'elle ne connaissait pas, mais qu'elle a appris à craindre, à détester, lorsqu'elle a vu mon état et qu'elle a compris, par mon comportement, qu'il n'appartenait pas à quelqu'un de bien. Enfin de 'bien'... Vous voyez. Sans parler de manichéisme, c'est simplement pour dire que le tortionnaire était une personne dont mes compagnons devaient se méfier, même si je ne leur en ai pas beaucoup parlé. Il n'y a vraisemblablement que Kame qui a pu l'apercevoir, et j'imagine qu'il a dû avertir le reste de l'équipe. Pas à tous, mais à ceux qui étaient déjà présents avant la rafle du nouvel an 2014. Quant à ses Pokémons, le seul que je connaissais était son Scalproie, mais je ne le vois pas à ses côtés. Il a de toute façon déjà assez de monstres sans que je n'ai à me préoccuper d'un de plus. En outre, sa Granbull me paraît suffisamment redoutable pour que nous ne la sous-estimions pas. Ses grognements de colère annoncent la couleur : elle défendra son dresseur jusqu'au bout, et je peux au moins admirer son dévouement même si j'ignore comment il a pu la gagner. J'imagine que même lui peut dresser des Pokémons et acquérir leur loyauté en retour. N'a-t-il pas remporté la Compétition avant moi ? Cela expliquerait sa victoire, dans tous les cas. Il n'aurait pas été en symbiose avec ses Pokémons, il n'aurait pas réussi à triompher. Mais je ne peux pas le laisser aller plus loin. Pour moi, pour mon père, pour tous ceux qu'il a torturé et tué, je ne peux pas le laisser s'enfuir. Et cela rajoute d'autant plus une pression sur ma poitrine que je ne suis pas certain de réussir même si je le désire ardemment, car son alliée à lui est coriace et résistante, et que les quelques mots qu'il lui glisse, même si je ne les comprends pas (bah oui je parle pas cinq ans à vingt ans), doivent être décisifs pour la chienne rose.

Alors les deux femelles s'élancent avec vivacité. Chacune veut faire pencher la balance, car chacune est notre dernier espoir. L'espoir de réussir, d'achever quelque chose. D'enterrer pour ma part un passé qui m'a hanté trop longtemps et de pouvoir, enfin, tourner une page de ma vie qui fut maudite et désastreuse, qui m'a plongé en enfer. Vision que certains trouveraient dramatique, mais je l'ai vécu comme telle et même pire encore, alors qu'à peine avoir retrouvé mon géniteur, je devais lui dire non pas au revoir mais adieu. Je n'ai pas pu lui sauver la vie. Elle m'a filé entre les deux avec autant de facilité que dans ceux de notre tortionnaire qui n'a pas vu venir non plus ce qui allait arriver. Sous le choc et dévasté, j'ai gardé dans ma mémoire ces images ô combien effrayantes qui m'auront poursuivi pendant des années jusqu'à ce que je puisse de nouveau avoir des nuits complètes sans trop de cauchemars au moment où j'ai remonté la pente, très lentement mais sûrement. Je ne suis pour lui qu'une victime parmi tant d'autres, mais il est pour moi un meurtrier à part au milieu de tous ceux que j'ai pu croisé. J'ai même voulu le tuer, fut un temps. J'ai cru que je pourrai prendre ma revanche comme ça. Que j'aurai pu venger papa en prenant la vie de cet enfoiré. Mais j'ai appris que ça ne marchait pas ainsi. Que la vengeance pouvait prendre plusieurs traits et que la mort n'était pas nécessairement la meilleure. Ce n'est pas pour que je devienne comme ça que papa s'est sacrifié. Il a voulu me sauver. M'éviter de la torture supplémentaire. Me donner une chance de m'en sortir. Je ne sais même pas si le tuer arriverait à me satisfaire. Mais probablement pas. Pour ça, j'ai décidé que de le voir derrière les barreaux serait une punition qu'il mérite déjà assez. Et cela me rendra heureux au moins de le savoir enfermé, incapable de faire davantage de mal.

La vengeance de mon Arcanin frappe son opposante de manière puissante. Mais l'autre résiste. Windie ne se laisse pas faire face à la défense de son ennemie, toutefois, et force encore plus. Elle veut gagner. Elle veut remporter ce match et c'est avec toute sa férocité qu'elle se bat aujourd'hui. Parce qu'elle se rend compte que c'est important pour moi. Parce qu'elle doit sentir le fort sentiment d'anxiété qui s'est emparé de moi. Elle sent ma peur, ma colère, ma nervosité, tout. Et je ne sais pas si ça lui donne de la détermination supplémentaire ou au contraire si ça la déconcentre. Mais je ne suis pas un robot insensible, je ne peux pas taire mes sentiments comme ça quand bien même j'aimerais apprendre à les maîtriser. Sur le moment, pour l'instant, j'en suis incapable. L'enjeu est beaucoup trop important. Je crains seulement que les éclairs et la pluie fassent un mélange assez ardue pour nous. Mais Windie fait de son mieux et tient tête à son adversaire. Cette dernière fait jouer de ses mâchoires pour lui donner du mal, et... J'ai l'impression qu'elle y arrive, du moins assez pour que ma partenaire doive se donner à fond. Elles échangent les coups, tentent de prendre l'avantage sur l'autre, sans toutefois parvenir à décider de qui prend le dessus. Mais au moins, je vois que la pluie cesse peu à peu. Elle n'est pas totalement finie, mais demeure beaucoup moins intense que tout à l'heure. Bientôt, elle s'arrêtera tout à fait. Pour le moment, la chienne de feu doit supporter l'eau qui lui tombe dessus et en même temps les attaques de Granbull qui sont rapides. Mais l'attaque Colère qui nous tombe dessus est si vive que nous la voyons à peine et elle frappe Windie avec une efficacité colossale.

« Windie ! »

J'entends assez clairement malheureusement son poids qui vient frapper le sol et roule contre le sable humide suite au coup extrêmement rude qu'elle vient de recevoir. Je sens une boule d'angoisse se former dans mon ventre alors qu'elle... ne se relève pas. Par Arceus, je ne sais pas ce qui arrivera si elle tombe KO maintenant. Enfin si, je sais exactement ce qui arrivera. Et c'est pour ça que je ne veux pas laisser ça se produire. C'est pour ça que je continue de l'appeler, de répéter son nom en l'encourageant pour se relever. Ma Windie... Elle ne peut pas perdre maintenant. Je sais qu'elle est plus forte que ça. Mais Colère est une attaque si puissante... Va-t-elle réellement rester à terre ? Il ne faut pas. Elle doit se relever ! Est-ce que j'ai vraiment sous-estimer notre ennemi, cette fois-ci ? N'ai-je pas été assez méfiant ? Je ne peux pas croire que ça pourrait vraiment se terminer ainsi. Que je pourrai vraiment le laisser filer aussi facilement alors qu'il est là, juste devant moi, et qu'il a en plus abattu froidement trois des gars qui m'accompagnaient. Je ne peux pas rester ce crime impuni en plus de toutes les cruautés qu'il a pu faire dans sa vie. Mais je stresse. Je stresse de ne pas y arriver. Je stresse parce que c'est le dernier round et que j'ai peut-être placé trop d'espoir sur les épaules de mon Arcanin. Elle fait son maximum, je le sais. Je ne lui porterai pas le blâme, mais... Peut-on réellement échouer là, maintenant ?..

« Qu-... »

Je cligne des yeux pour être certain que je ne rêve pas. Tandis que la pluie s'arrête enfin de tomber, j'aperçois Windie qui bouge peu à peu ses pattes pour prendre appui dessus et se relever lentement, péniblement, de manière pataude et maladroite. Elle ne cache pas la gaucherie que son état critique lui donne, mais je peux malgré tout sentir cette détermination qui brûle en elle ainsi que le feu qui embrase son regard. Ce même feu dont elle est le type et... qui semble la consumer. Une aura rougeoyante est apparue autour d'elle pour l'enlever pendant qu'elle tente de se redresser pour montrer que le combat n'est pas encore fini. Elle halète, peine à grogner aussi férocement qu'avant, mais elle a réussi à se mettre debout.

« Windie... »

Un bref instant, elle me lance un regard. J'ai l'impression qu'elle sourit. Un sourire un peu cassé à cause de sa santé, mais... Elle essaye quand même. Sans doute veut-elle me rassurer. Ou peut-être qu'elle a une idée derrière la tête. En silence, je le lui rends quand même, ce sourire, et la laisse s'ébrouer avant de faire quelques pas malhabiles. Puis, enfin... Je retiens ma respiration en la voyant repartir au triple galop en direction de Sophie. J'écarquille les yeux, qui s'agrandissent comme des soucoupes, et ouvre légèrement la bouche, surpris. Assez alarmé, aussi, parce qu'elle ne devrait plus avoir autant d'énergie pour lancer une nouvelle attaque. Mais en voyant les flammes rouges qui l'entourent, je reconnais l'offensive qu'elle mène avec autant d'acharnement.

« Boutefeu... »

Alors, dans ce cas, c'est quitte ou double. Elle a, en effet, profité du moment de confusion de son adversaire pour lancer sa plus terrible attaque alors qu'elle est à bout et que la pluie a arrêté de freiner son type feu. Mais j'en ai le souffle coupé. J'ai soudainement très peur du dénouement de ce match. Après ça, je sais qu'elle sera au plus mal. Il y a des chances qu'elle ne se relève même pas.