Tsundere et scorpion.

C’est assez souvent qu’Angarade passe par la fourrière temporaire du commissariat lors de sa pause café. C’est une habitude qu’elle a prise il y a maintenant quelques mois, afin de ne pas trop croiser de gens dans les couloirs. La compagnie d’Ajax n’est pas insupportable, certes, mais elle le côtoie déjà toute la journée et tous les jours de la semaine. La fourrière n’est pas non plus le lieu le plus calme ni reposant, remarquez, mais ces derniers jours, la brune a remarqué dans les cages un curieux arthropode bleu qui attirait son attention. Bien entendu, il attira comme les autres dans peu de temps, peut-être est-il déjà parti, d’ailleurs. Ainsi, la lieutenante fut surprise de le voir encore dans sa cage, aussi stoïque et impassible que les autres jours. Angarade salua son collègue occupé à remplir les registres de la fourrière et se planta devant la cage de son « chouchou » tout en sirotant son café. Le petit scorpion bleu s’approcha de quelques pas en voyant la policière arriver et la dévisagea, comme à son habitude.

« Qu’est-ce qu’il fout encore là, ce petit gars ? »

Interrogea la policière, interpellée par le fait que l’arthropode ne soit pas encore parti avec les autres.

« De quoi tu parles ? »
« De… Le Pokémon, là, qui ressemble à un scorpion bleu. »

Elle désigna l’objet de ses interrogations du doigt.

« Ah, le Rapion ? »

L’homme aux cheveux grisonnants feuilleta ses papiers et haussa les épaules d’un air indifférent tandis qu’il expliquait la situation à sa collègue.

« J’en sais rien, c’est des Rangers qui nous l’ont rapporté parce qu’il trainait dans les poubelle d’un lotissement bourge. Il a foutu une trouille pas possible à une vieille dame qui se promenait, à ce qui paraît il lui courrait après d’un air féroce. »

En voyant le flegme apparent du Rapion, pourtant, difficile pour Angarade de croire qu’il pourrait courrir après qui que ce soit. Ce petit arthropode violet auquel la fan d’araignées ne peut s’empêcher de trouver un certain charme a surtout l’air fatigué et triste. Elle se doute que la faim peut pousser des Pokémon adorables vers des comportement plus agressifs, mais l’insecte enfermé dans une petite cage, posé au calme dans un coin, n’a pas l’air féroce. Mais, en un sens, Angarade n’est pas spécialiste des attitudes des Pokémon sauvages. C’est un insecte, elle pourrait demander à Miyano une prochaine fois… Mais ce n’est peut-être pas très pro.

« L’est pas dans les fichiers, j’imagine ? »
« Si, si… Il... Enfin, "elle", a même une bague et tout. Elle s’apelle Fang. »
« Bah alors ? »

Angarade fronça les sourcils, interpellée. Peut-être attend-t-il seulement qu’on retrouve son ou sa dresseur.se ? Ou alors, c’est plus probable, il y a une mauvaise nouvelle là-dessous.

« Ben… En fait, son maître est mort y’a quelques années et personne ne l’a recueillie. »

Voila. Angarade s’en doutait un peu. Ce genre de cas est encre tellement fréquent qu’elle ne soupire plus vraiment. Dans le cas présent, ça lui fait un peu de peine car elle craque toujours pour les arthropodes moches et aux tronches patibulaires, mais bon, vous rêvez si vous pensez qu’elle ne va pas demeurer impassible pour autant.

« Ah, ouais, c’est encore une rescapée d’après-guerre, quoi. »

Finit-t-elle par dire pour se donner l’air indifférent, en finissant son café. Pourtant, le vieux à ses côté ne semble pas vraiment dupe lorsqu’il la voie quitter la fourrière, non sans que le regard de la Rapion ne la suive.

« T’inquiètes, elle va partir dans un refuge demain avec les autres. »

Lui lança-t-il alors qu’elle ne compte pas se retourner et qu’elle ne répondit que d’un « Hm-hm. » censé faire croire qu’elle ne se sentait pas un peu soucieuse, justement.

***

Les jours d’après, Angarade se garda bien de parler à qui que ce soit de son excursion au refuge dans lequel son ami Rapion avait été déposée. Il ne faudrait pas que des gens se disent que la Dufresne peut se prendre de sympathie et se dérider pour un petit scorpion bleu tout mignon. Dire qu’elle s’était montrée toute gaga de Tank, sa Galekid, sous les yeux de son ami d’enfance et de son fils qui ont désormais des dossiers sur elle… C’est pas dramatique mais Angarade est quelque peu coincée du bulbe quand ça concerne ses émotions, voyez-vous.

L’agent de police en civil rentra en essayant de se faire la plus discrète possible dans le refuge. Elle salua la personne chargée de l’accueil des visiteurs qui lui indiqua le chemin à suivre. Pour sûr, les Pokémon sont mieux lotis ici qu’à la fourrière et font moins de peine à voir. Leurs enclos sont plus spacieux, les barreaux ont été remplacés par des vitres trouées avec des accès plus larges pour transmettre la nourriture, et donnent même sur l‘extérieur. Parmi tous ces Pokémon souvent triés par espèces ou par types, dans tous les cas, en groupes « sûrs » où il ne risquerait pas d’avoir d’agression entre les membres. La brune se surprit à repérer presque immédiatement la Rapion de l’autre jour en passant devant un enclos mélangeant Escargeaumes et Rapions. Il lui fallu calmer son cœur en voie de partir en sucette lorsque son insecte favorite du moment trotta jusqu’à la vitre et grimper un peu plus dessus afin de mieux fixer l’humaine. Fang n’a pas non plus l’air euphorique : elle est calme, l’état dans lequel Angarade l’avait vu ces derniers jours. Mais dans tous les cas, elle a bien reconnu la lieutenante.

« Hé, euh… Fang ? »

Fit-elle à voix basse, peinant à camoufler un sourire quelque peu gaga. Angarade oublia un instant le regard des autres et s’accroupit devant l’enclos, posant ses doigts contre la vitre de plexiglace pour saluer la Rapion. Son cœur se serra de nouveau quand l’insecte lui répondit de quelques petits coups de mandibule contre la vitre. Le cerveau et le cœur de la policière sont actuellement envahis de « haaaaaaaaaaaaaaannnnwwww… » et de « doooooooooowwwww… » tout à fait niaiseux.

La grosse brute fana d’insectes fut brutalement ramenée à a réalité lorsqu’une employée du refuge s’arrêta près d’elle et commença à l’interroger.

« Vous vous connaissez ? »

La réponse baragouinée d’Angarade, tout en « euh, ah, oh, oui-non, eheh, euh, hm » fit sourire discrètement l’employée. Faisant mine de ne pas remarquer l’embarras un peu ridicule de la brune, la dame entama ses explications.

« C’est-à-dire que, jusqu’à maintenant, elle n’avait pas été très sociable. Elle restait dans son coin, mais elle est sorti de son trou en vous voyant arriver, on dirait. »

Quelque peu flattée et touchée par ce récit qui ne fait pourtant qu’exposer l’évidence, Angarade pince les lèvres en rosissant un peu, ne sachant que répondre.

« Ah… »

Comme elle se sentait ridicule et bête, elle s’obligea à se justifier pour reprendre un peu de contenance.

« Bah, euh, j’allais le voir quand elle était de passage au commissariat, en fait. »
« Oh, donc, elle vous a reconnue. »

La policière bloquée des sentiments articula un « gmrbl voui… » tout à fait pataud devant les faits. Mais elle n’était pas préparée à ce qui va suivre.

« Elle a l’air heureuse de vous revoir. »

Cette fois, elle ne put camoufler son sourire mièvre lorsque Fang renchérit en tapottant de nouveau la vitre qui les séparait. Mais, tout de même, il lui faut des preuves un peu plus concrètes, qu’elle soit certaine de ne pas embêter l’arthropode bleue.

« … Comment vous voyez ça ? »

L’employée lui désigna le Rapion et les parties de son corps remuant infimement sous le coup de l’enthousiasme, tout en lui livrant des explications.

« Elle n’est pas sur la défensive et il accepte que vous l’approchez… Elle n’a pas peur de vous, même si les Rapion sont des bêtes farouches. »

Wah. Bien entendu, la policière ne savait pas grand-chose de tout ça. Enfin, elle connaît bien les côtés peureux et casaniers de certains arthropodes et le fait qu’ils sont toujours sur la défensive ou sur le point de fuir pour se protéger derrière leurs carapaces… Hm. C’est drôle, ça rappelle quelqu’un, ce comportement, non ?

« Hm… »

L’employée constata que l’agent de police s’était mise à réfléchir et à s’interroger sur ce qui pouvait advenir de Fang après cette entrevue. Visiblement, une connexion s’était faite entre Angarade et la Rapion, ce serait dommage de gâcher ce moment en parlant de procédure administratives. Mais, la brune fit son choix plus rapidement que prévu, tandis que la gardienne s’apprêtait à la laisser avec son amie scorpion.

« Et… Il faut faire un dossier pour… Enfin… Je sais qu’elle a pu de dresseur et… »
« Vous voudriez l’adopter ? »

Lui demanda l’employée du refuge avec un sourire encourageant. Après quelques secondes de réflexion, Angarade se tourna une dernière fois vers Fang et ses lèvres formèrent un nouveau sourire discrêt.

« Euh… Ben, ouais. J’crois bien. »

Elle eut l’impression que de l’autre côté de la vitre, la Rapion pourtant impassible lui avait rendu son sourire.