L'Elu auto-proclamé des Monarchistes fait son entrée ! La Compétition, Elixir et le Gouvernement sont en crise et les Anarchistes demandent la démission du Chef du Conseil.
"Des méthodes de gestion" « Papa, pourquoi tu dors pas ? »
La question de l'enfant me prend autant par surprise que le fait de le voir éveillé. Je tentais de prendre mes affaires le plus discrètement possible, sans faire trop de bruit ou de gestes brusques pour ne pas le tirer de son sommeil et qu'il ne se pose aucune question, mais il faut croire que mes gesticulations quelque peu hachée dans ma chambre n'étaient pas assez discrètes. Je fouillais les tiroirs à la recherche d'habits pour quelqu'un d'autre que moi, sans trop savoir en même temps ce que je devais rapporter précisément. En même temps, vu la tête que je tire actuellement, avec mes traits tirés dans une expression morne et sévère en même temps, simple conséquence du fait que je cherche à avoir l'air stable, comme d'habitude, rien d'étonnant à ce qu'il me fixe avec cet air méfiant. Ce n'est pas vraiment l'expression que je lui réserve d'ordinaire, en plus. Mais j'ai un peu de mal à faire comme si de rien n'était, pour le moment. Enfin, je peux avoir l'air imperméable, ça, oui, mais justement. Axel me cotoie suffisamment souvent pour voir que quelque chose cloche. Je ne pensais pas, toutefois, qu'il se déplacerait jusqu'à ma chambre. Fin, certes, il y a juste un couloir entre la sienne et celle que je partage avec Samaël, mais il est rare, contrairement à ce qu'on pourrait croire, qu'il se permettre de rentrer sans la permission. Il grandit lentement et sûrement, se contentant de toquer quand il veut mon attention, ou d'ouvrir très légèrement la porte quand il veut voir si nous sommes encore réveillés lorsqu'il veut quelque chose. Je me disais donc avec une certaine naïveté que même si il m'entendait, il n'irait pas jusqu'à se rapprocher ; j'ai eu tort, visiblement, vu comment il me dévisage. Et moi, avec la main que j'ai dans un sac de randonnée que je remplis à la-va-vite, j'ai l'air un peu débile.
« Tu vas où ? »
Le gamin fait quelques pas en ma direction. Sa question sonne quelque peu urgente à mes oreilles, comme si il avait le besoin pressant de savoir exactement ce qui se passe. Et en même temps... En même temps, je ne peux pas lui donner tort. Ce que je fais doit avoir l'air particulièrement louche. Je ne comprends d'ailleurs pas tout de suite ce qui pourrait affoler le cadet, alors même que je sens la pression dans sa voix et son inquiétude grandissante. Je me sens quelque peu déconnecté de ses émotions, apathique sans vraiment l'être. Si j'avais une once d'intelligence à l'instant, je me mettrais à lui expliquer la situation calmement, mais je n'ai pas de réaction aussi savamment pensée. À la place je ne fais rien, sur le moment. Je me contente de ranger plus rapidement mes affaires, une boule d'anxiété se formant dans ma gorge et me nouant l'estomac à une vitesse extraordinaire. Mauvaise réaction, évidemment. N'importe quel crétin à peu près fonctionnel, ou ayant cotôyé un gamin pendant trois secondes, aurait pigé avant moi que le silence est plus ou moins la pire des solutions, juste derrière les cris et la violence (mais ça, ça ne m'effleurerait jamais l'esprit). Mais pas moi, évidemment, parce que j'ai deux neurones qui marchent, que je suis stupide, irresponsable, lâche, et que, et que...
« Me laisse pas ! »
Je me gèle, mais je savais déjà sûrement que ça allait se passer comme ça. Ma réaction a quelque chose de mécanique, trop rapide pour ne pas avoir été anticipée, ne serait-ce que par mon subconscient. Mes yeux n'osent pas regarder tout de suite à mes côtés, ni à s'attarder sur le poids qui vient d'un seul coup de s'accrocher à mon bras avec une telle force que je pourrais presque ne pas croire qu'il s'agit de celle d'Axel. Et pourtant, ses petits ongles se plantent dans la manche de mon pull vite enfilé, tellement vite qu'il est à l'envers. J'aurais presque mal, mais je me sens anesthésié, et comme d'ordinaire, je suis assez inexpressif face à la douleur ; et ce n'est pas pour faire l'edgelord, hein, c'est juste que c'est déjà compliqué de me gérer moi, alors je n'ai pas envie de gérer les réactions des autres en plus de ça. En réalité, c'est plus ou moins comme ça que je gère tout, et surtout ce qui me touche. C'est également la même méthodologie qui me pousse à être particulièrement inexpressif à l'heure actuelle : je me dis, à tort, qu'un gamin fonctionne comme un adulte. Que moins de questions seront posées si j'agis ainsi. Sauf que j'ai tort. Je le vois bien, lorsque, passant au delà de ma lâcheté après quelques secondes d'un égoïsme total, je relève les yeux vers le visage d'Axel, et que je laisse mon cerveau comprendre les sons qui arrivent à mes oreilles. C'était facile, pendant plusieurs secondes, de faire comme si je supposais qu'il avait le nez bouché, ou comme si il se plaignait simplement de son manque de sommeil. C'était très, très facile. Mais bon. La réalité, heureusement, me claque le visage avec une force telle que j'en suis un peu sonné sous le coup. Difficile pour moi de rester insensible à son visage rougi de larmes, à ses traits plissés sous le coup de la tristesse, à la crainte que je vois geler dans ses yeux, aux reniflements nombreux qui, par leur force, accompagnent de petits sursauts les hoquets qui font déjà soulever sa poitrine.
Sur le coup, je ne sais pas exactement quoi faire. Il a l'air sincèrement effrayé, et il me faut quelques minutes pour additionner deux et deux. Je comprends lentement que me voir en train de faire des affaires, sans raisons particulière, en plein milieu de la nuit et sans l'avertir ou le réveiller doit avoir clairement l'air d'un abandon. Enfin, pour un enfant avec son passif, surtout. Bon sang, mais quel idiot je suis, sérieusement... Je m'accroupis un peu plus, tentant de me mettre à son niveau comme on m'a déjà dit de le faire par avant, bien que je ne sois pas sûr de ce que je fais en réalité. Je me contente, plus ou moins comme avec tout, d'improviser en fonction de ce que j'ai vu et de ce que je crois savoir, et non en fonction de ce que me disent mes tripes, qui sont pourtant bien plus douées que moi pour comprendre les choses, mais bon, héhé. Depuis quand est-ce que j'ai confiance en moi-même, n'est-ce pas ? Mon incertitude, mon anxiété et ma difficulté à simuler un rien d'assurance transparait pleinement dans mon ton : faible, hésitant, balbutiant.
« Je ne te laisse pas, j-je... Je reviens, c'est juste un peu de temps et- - Tu vas pas me laisser avec lui, hein ? »
J'hésite durant quelques secondes, ne comprenant pas tout de suite de quoi il parle. Je plisse les yeux, confus, jusqu'à ce que je refasse dans ma tête le parcours d'Axel pour envisager tout ce qu'il a pu voir. Je me rends compte qu'il a peut-être entrevu Faust, qui m'attend en bas, par le biais de l'ouverture permise par l'escalier en colimaçon qui se trouve au centre du couloir. Sa crainte, soudainement, fait sens. Faust n'a jamais maltraité Axel, en soi. Il l'aime, et n'a jamais eu de comportement mauvais envers lui, mais dire qu'il était un tuteur responsable serait un mensonge que je n'aurais même pas l'audace de dire. Sans surprises, l'enfant a gardé un très mauvais souvenir de cette époque et considère toujours, à raison selon mon regard subjectif et quelque peu rancunier, que ce dernier ne devrait pas s'en occuper. Je ne peux pas vraiment, dans ce contexte et avec mon propre passif, lui reprocher son impolitesse ou son inquiétude. Je me force d'ailleurs, cette donnée maintenant en tête, à lui expliquer calmement la situation. Enfin, j'essaie.
« Non, non, Axel, écoute... »
Je manque de mots, pourtant. Durant plusieurs secondes, j'hésite, restant silencieux, incapable de dire les choses comme il faudrait les dire. Je repense brièvement à ce que faisait maman quand j'étais petit. Elle savait me rassurer et me calmer par quelques phrases bien choisies, et un sourire toujours doux et simple, qui m'assurait que tout irait bien. Même quand l'incertitude brillait dans ses prunelles, il me suffisait de la voir pour me douter que tout irait bien. Je suis bien implacable de répliquer ne serait-ce que l'ombre de son illusion. Je ne suis pas un bon acteur quant à ce genre de choses. Un oral de fac, une négociation, je sais plus ou moins gérer la façade, mais alors un autre être humain... C'est tout autre chose.
« Je, enfin... Samaël est malade, tu comprends ? Je dois aller le voir. Mais je reviens dans très peu de temps, d'accord ? - Non, tu vas me laisser tout seul ! »
Le voilà qui s'accroche à ma jambe d'un coup, l'air effrayé, comme quelqu'un qui croit sincèrement au scénario catastrophe qu'il a imaginé. Je m'immobilise, ne sachant pas tout de suite comment réagir, si ce n'est que je l'observe bêtement, sans rien dire. Après quelques longues secondes, toutefois, je baisse les armes, et pose ma question.
« … Tu veux venir avec moi ? »
Tant pis. Si il faut le gérer, je le gérerais. Je crois que je ne suis plus à ça près ; même si je suis débordé, j'ai juste envie d'en finir avec les pleurs, car je les sens venir à bout de ce que j'ai mis en face pour tenir moi-même le coup. Il hoche timidement de la tête, et si je soupire, je n'en dis pas plus, me contentant de m'activer. Ce n'est qu'après un long instant que la voix interrogée du petit me rappelle à la réalité.
« Il est beaucoup malade ? »
Une bonne réponse, encore une fois, aurait été de dire non, et de le rassurer, car il est clairement très inquiet. Mais, pour être sincère... Pour être sincère, franchement, je crois que je n'en sais pas grand chose moi-même. J'opte pour un hochement négatif de la tête rapide, sans grande conviction, la gorge rendue lourde par le nœud qui s'y est formé. Je gère peut-être déjà mieux qu'il y a une heure, mais franchement, je ne saurais dire de ce qui adviendra plus tard.
–
J'avais honnêtement hâte à cette éclosion. Je le voyais traîner depuis un moment, cet œuf de Cheniti. Si Ayaka et Yamato, comme Tetsuya et Sayuri, étaient parents d'une grande fratrie, le petit dernier de leur production (bien que l'exprimer ainsi soit un peu mécanique, je l'accorde) semblait particulièrement en retard, ce qui m'étonnait quelque peu. Tous les signaux semblaient parfaitement alignés pour que cet insecte sorte de son œuf, mais ce dernier était si lent que je commençais à me demander si le petit ne refusait tout simplement pas de sortir. Un phénomène rare, mais qui pouvait arriver de temps à autre, et se révéler quelque peu problématique. Craquer soi-même la coquille n'est après tout jamais une bonne idée ; de une, le bébé se révélerait alors souvent non-viable, et de deux, le traumatisme psychologique engendré lors d'un cas comme celui-ci serait tel que, vraiment, honnêtement, mieux vallait ne jamais tenter le diable. Mais, comme un gamin avant Noël, j'avoue que je devenais impatient.
Alors oui, je n'aurais peut-être pas dû rester éveillé jusqu'à si tardivement au soir. Pour mon excuse, je me disais que puisque mon copain n'était toujours pas rentré, je pouvais bien rester au chevet de l'oeuf ; cela me forçait à ne pas débouler dans la tour d'un instant à l'autre pour lui tirer les oreilles. Et en même temps, plus honnêtement, cela me permettait de ne pas y penser. Puisque j'ai l'impression de ne rien pouvoir face à son acharnement à s'épuiser, je me rachète une conscience en faisant des trucs de mon côté, ce qui est... Pathétique. Et même un peu égoïste. Je n'irais pas prétendre que mon comportement est le bon, vraiment, car je sais que c'est faux. Mais... Mais je ne sais pas, je crois que j'étais un peu frustré, fatigué, et un peu énervé, aussi, au fond. J'ai préféré rediriger mon attention vers l'oeuf ; j'aurais peut-être dû, ce soir-là, m'acheter du cran et me déplacer.
Ce dernier commençait même à bouger, de ce que j'en voyais. J'étais d'ailleurs pleinement occupé à vérifier ses signaux vitaux, couvert dans l'obscurité de la pouponnière durant la nuit, sous le son des ronflements sonores de ma Bouldeneu profondément endormie, quand le premier mouvement pré-natal (c'est à dire celui qui se différencie des mouvements habituels par sa force et sa vigueur) attira mon attention. Relevant mes lunettes pour me permettre de mieux voir, si j'esquisse un faible sourire sur le moment, c'est avant tout car je ne m'attendais pas à une telle vélocité. Pour je ne sais quoi, d'ailleurs, je suis un peu déçu. Au fond, j'aurais sûrement aimé qu'il ne naisse pas tout de suite pour avoir une excuse afin de ne pas bouger, ce soir. Je ne m'attendais vraiment pas à ça. J'avais à peine commencé à éplucher les prénoms à donner, tiens ! Je m'assis pourtant docilement à côté de l'oeuf lorsque ce dernier se met à éclore. Attentif, je ne rate pas une seule miette du spectacle, comme à mon habitude. Chaque nouvelle addition à la pension, après tout, est supervisé par moi-même, ou par Maxime lorsque je suis indisponible, et j'essaie de tenir cet engagement autant que possible. Je remplis les fiches de suivi, prépare les dossiers, et m'assure que leur arrivée en ce monde ne soit pas trop froide ou solitaire, et que la sociabilisation primaire avec le.s parent.s se fassent aisément. Quand ce n'est pas le cas, ce n'est pas un souci, de toute façon ; j'ai toujours quelques couples de pokémon du même sexe qui attendent impatiemment de se voir confier un.e petit.e. Yuri et Yuna, d'ailleurs, se montrent quelque peu intéressées ces temps-ci, je crois. Mais bon, ce Cheniti aura à coup sûr une famille aimante qui les attend ; Yamato m'avait bien accordé un regard lourd quand je lui avait proposé de mettre son œuf sous surveillance !
L'éclosion se passe relativement bien, étonnamment. Je crois que le Cheniti attendait juste le moment désiré, en fait, vu qu'aucun souci ne semble se montrer à première vue. Je ne crois pas apercevoir de déformation, ou de mauvaise sortie, et si je suis attentif, je ne remarque rien. Trop inquiété par le fait que tout se déroule bien, j'en manquerais presque de saluer le petit lorsqu'il sort la tête de son œuf. Il a l'air quelque peu perdu, et je vois d'un coup d'oeil que celui-là risque fort d'être un.e... Oh, un, enfin, voilà, un timide. Je me permets un sourire doux, calme et sans pression, étonnamment très à l'aise dès qu'il s'agit de pokémon. Je crois que cela l'apaise en partie, d'ailleurs.
« Oh, mais... »
Je me suis mis à marmonner à voix haute, les yeux soudainement plus vifs alors que je détaille du regard la coloration du jeune mâle. Curieux, et un peu excité puérilement je l'avoue, j'attrape rapidement le dossier d'Ayaka qui trainait dans le coin, et en sort une photo d'il y a quelques années. Dessus, on y apperçoit la femelle alors qu'elle était encore à son stade d'évolution inférieur, et moi en train de comater avec une tisane verveine à la main, mais ça on s'en fiche. Ce qui m'intéresse, c'est la ressemblance frappante et saisissante entre les couleurs de la mère et du fils. Je mets quelques instants à le reconnaître, et glousse quand c'est fait ; rien à faire, ce sont les mêmes. Ayaka vient de mettre, à ma grande surprise, au monde un Cheniti chromatique, comme elle. Même si ce n'est pas très important (je ne suis pas de ceux qui ne prennent un pokémon que parce qu'il l'est, hein), cela me fait un peu plaisir, je l'avoue, de me dire que je tiens là le premier papillon chromatique de mon élevage. C'est une étape à laquelle j'aurais forcément été amené, et qu'il me plait d'atteindre maintenant.
C'est alors que j'étais occupé à habituer doucement l'insecte au contact de mes mains que mon téléphone se mit à sonner si brutalement que j'en fus surpris. Plissant les yeux, je repose le petit dans la couveuse, sans m'éloigner, et saisit l'appareil dans ma poche, curieux. Qui donc pouvait me contacter par téléphone, surtout à une heure pareille... ? Mon premier suspect n'était pas le bon, néanmoins. C'était le second, au final. ... Faust, t'es lourd, il doit être une heure du matin.
Je viens te chercher dans une demie-heure, prends des affaires. Confus, je m'attendais à lui renvoyer un message acide pour lui expliquer qu'il serait sympathique de ne pas confondre mon numéro avec celui de ses partenaires divers et variés, quand j'ai distraitement relevé la conversation en la lisant. Ma gorge s'est serrée d'un coup. Je crois, quelque part, que je m'attendais à lire ça un jour. Mais le voir écrit noir sur blanc, froidement, aussi simplement, me fit prendre la réalité des choses dans le visage à une vitesse hallucinante. Une vague de peur me passant par le corps, j'oubliais instantanément ce que je voulais dire à mon cousin, et comprenit soudainement bien mieux le sens de son second message. Non, sur le moment, il n'y avait que cette peur, cette culpabilié, cette inquiétude, et l'amerturme de leur mélange qui me laissait dans la gorge un arrière-goût qui devait sûrement être celui de la douleur sourde dans ma poitrine. L'oeuf, d'un coup, était tout oublié.
–
J'avais oublié de remercier Faust lorsque ce dernier m'avait dit qu'il garderait Axel dans la voiture avec lui le temps que je monte à l'hosto, mais je m'étais dit, une fois dans le bâtiment, que je le ferais plus tard, sûrement par message. Pourtant, lorsque je franchis les portes des urgences avec rapidité, j'ai déjà oublié qu'il fallait le faire. La brusquerie de mes pas, d'ailleurs, alerte mon cousin, qui m'attendait en bas. Il semble surpris de me voir, et cligne des yeux, une lueur confuse dans son regard perplexe.
« T'es déjà-... ? - Apparemmennt, j'ai pas assez de seins. »
Ma remarque le prend par surprise. Voilà qu'il ouvre la bouche, l'air paumé, avant de reprendre la parole d'un ton intrigué.
« … De quoi ? »
Je m'attendais à cette réaction, je crois. J'en profite puérilement pour déverser toute mon angoisse et ma frustration dans une voix dégoulinante d'acidité. Les épaules carrées, serrées, mon visage s'est enfermé dans une expression dure. Je sens quelque chose me passer par le corps, sans réellement pouvoir dire quoi. Je ne sais pas si c'est de l'inquiétude, si c'est de la colère, si c'est de la... Non, non, je sais gérer ma peine. Je dois savoir la gérer, ou du moins c'est ce que j'aime penser, sans trop réaliser que je saute sur la moindre opportunité de me défouler comme un gamin en crise. Cela faisait un moment que ça ne m'était pas arrivé, vraiment. Pas dans cette proportion, du moins. Si je me voyais dans la glace, je me giflerais sûrement un bon coup, tiens.
« Oh, rien. Juste qu'apparemment, l'entrée en pleine nuit est réservée à la famille et à la conjointe et il me manque une paire de seins pour ça, un certificat et le bon genre. - ... Ah, merde. T'as tenté avec un certif de résidence ? - Pardon, j'avais oublié de ramener ma facture de gaz en venant à l'hôpital, comment ai-je pu ? »
Je lève les yeux au ciel, exaspéré. Je sens Faust se tendre et me dévisager. Si il reste silencieux sur le moment, je ne remarque pas que c'est au prix d'un self-control remarquable, vu la manière dont il serre sa manche pour se détendre. Je ne réalise pas que mon comportement est stupide et mesquin ; ou du moins, si je réalise, c'est dans un tréfonds de mon subconscient qui me force à rester dans mon coin, replié contre moi-même, avec mes bras croisés contre mon torse et mon regard vaguant un peu partout. Le conseiller, de son côté, semble faire de son mieux pour gérer la sitation, et lui-même par l'occasion. En soupirant, d'un mélange de fatigue et de lassitude que je devine empli d'une amertume acide, il passe une main de ses cheveux avant de prendre le parole d'une voix plus calme et mesurée, comme si l'on était en train de discuter d'un truc simple.
« Bon, écoute, au pire je passerais des coups de fil et- »
Mais je ne l'écoute pas vraiment, à vrai dire. Enfin, je donne cette impression tout le temps, certes. Pas ma faute si je ne regarde jamais (et je dis bien jamais) les gens dans les yeux quand on parle, ou même leur visage, des fois. Je déteste, et j'ai toujours détesté faire ça. Il y a beaucoup d'émotions, d'informations et de messages dans le regard de quelqu'un ; au delà, j'ai toujours trouvé ça trop intime, et au vu du stress que cela m'infligeait, j'ai préféré me prendre quelques commentaires que me soumettre à cette pratique sociale. Tant pis pour les mauvaises impressions. Faust le sait, ou du moins, il a dû le deviner, puisqu'il ne m'a jamais fait la moindre remarque, alors il sait bien que ce n'est pas car je ne le regarde pas que je l'ignore. Au contraire, souvent, je fais extrêmement attention aux tonalités et aux fluctuations des voix. De même, ma nervosité caractérisée par mes tics ne veut rien dire non plus. L'anxiété, ce n'est pas un chien galleux qui vient quand ça arrange de faire du drama à faire pleurer les chaumières, c'est le chiot moche et perpétuellement en train de vous prendre votre attention en pleurat. En revanche, ce qui cloche sincèrement, c'est le soulèvement plus fréquent que d'ordinaire de ma poitrine, et plus particulièrement, de la région de mes poumons qui sont de plus en plus agités par des petits piques brûlantes et douloureuses. L'arrière-goût de sang dans ma gorge, tellement habituel qu'on pourrait se dire que moi et Hannibal Lecter partageons quelques habitudes. De même que le fait que je jette des regards agités entre le sol et la voiture, à deux ou trois mètres, où dort Axel, profondément endormi sur son siège auto, la tête couchée contre la partie douce du siège auto. Généralement, quand je suis particulièrement sous pression, j'ai le réflexe de vérifier en permanence où est le môme. Je ne sais pas trop pourquoi, mais bon. J'ai pas toute la nuit pour réfléchir. Faust, en revanche, semble décidé à lancer la conversation.
«... Tu souffles, un peu ? - Entre ton neveu et ton imbécile de frangin, moyennement, non. »
Cette fois-ci, le ton était peut-être de trop, effectivement. Je m'en rends compte sans avoir besoin qu'il me le dise ou me le fasse remarquer, ce qui est suffisamment inhabituel pour être admiré (ahaha non du tout ne faites pas ça les enfants on ne s'apitoie pas sur les comportements de merde). Je me ravise donc en baissant un peu la tête et me rétractant, le ton nageant entre un certain caracère piteux et un agacement contenu.
« Laisse-moi. Je suis fatigué, c'est tout. - Tu m'as l'air plutôt tendu, oui. - Oh, merci, j'avais pas deviné. »
Sa remarque n'avait rien de désagréable ; c'est moi-même qu'il l'ait vu comme une agression. J'a réagi du tac au tac. Je suis en tort, et le remarque tout de suite : ce n'est pas parce que je me suis senti attaqué comme le dernier des paranos que ma réponse était justifiée. J'aurais pu l'exprimer autrement, comme n'importe quelle personne un tant soit peu décente, mais non. Et je ne m'apitoie pas sur moi-même non plus. J'ai juste conscience de ma connerie, et détourne un peu le regard quand je vois les yeux du plus vieux se froncer sous le coup d'un agacement qu'il peine maintenant clairement à cacher.
« Hé, oh, épargne-moi l'agressivité, Natsume. J'suis pas ton chien, que je sache. Et t'es pas le seul à être angoissé, merde, hein. »
Lui aussi est fatigué, en effet. Lui aussi est stressé, inquiet, et tout à fait légitimement, en plus. Dans mon égoïsme, j'oubliais ses émotions à lui et justifiais mon propre comportement par les miennes. Imbécile. Son ton rigide me fait bien saisir que j'ai franchi une ligne, même si il ne se montre absolument pas colérique ou quoi que ce soit d'autre. Sa posture est plutôt ferme, mais pas du tout dans l'agressivité. Pourtant, je me tends, et réprime comme je le peux le nœud de malaise qui me monte au corps par le résultat de sa réaction, reste tout naturel d'une crainte que je ne peux pas vraiment contrôler malgré mes affaires. Je la dissimule comme je le peux, ne souhaitant pas y céder, et je crois qu'il la remarque, vu la manière dont il se force à se détendre, cherchant mes yeux du regard pour confirmer ce qu'il pense sur l'origine de mon comportement. N'étant pas d'humeur à réveiller des démons vieux de six ans, je hausse les épaules pour lui faire signe de laisser, et hoche un peu la tête pour signifier que j'ai compris son intervention. Il ne semble pas satisfait, toutefois, puisqu'il reprend la parole.
« J'suis inquiet, c'est tout. Tu tournes en rond depuis que le petit dort dans la voiture, et tu m'feras pas croire que c'est à cause du vomi sur mon siège avant. »
Son comportement pourrait être touchant si j'étais du genre à être touché par ça. J'aimerais bien l'être, hein, et je n'ai pas envie de me montrer plus désagréable que je ne le suis déjà. Je sais qu'il s'inquiète pour moi, et qu'il veut bien faire, mais je me sens déconnecté, presque. Un peu... Un peu apathique, et maintenant que j'y pense, c'est souvent le signe annonciateur d'une... Enfin, des... Des rechutes de, enfin, je... Bref. Non, je n'ai pas envie de m'avouer la vérité à moi-même, ça serait trop simple. Je préfère donc ne pas l'exprimer clairement, ce qui explique ma formulation ambiguë et mon ton vague.
« Tu sais très bien pourquoi. »
Je veux dire, comment veut-il que je réagisse, hein ? Je ne vais pas être d'excellente humeur en apprenant que Sam est à l'hôpital, qu'il a fait un malaise vagal, et qu'il est pleinement enfoncé dans un burn-out bien avancé dont je me doutais auparavant, mais que je n'ai pas abordé à temps. Un mélange de culpabilité et d'une inquiétude brûlante me tordent l'estomac depuis tout à l'heure, et encore plus depuis qu'on m'a refusé l'entrée. Je bout intérieurement, impuissant, et coléreux en même temps. Je ne sais pas vraiment contre qui je suis en colère. Moi-même, c'est quasiment certain. Peut-être que je lui en veux un peu, aussi, d'avoir autant poussé le bouchon, mais c'est une colère illégitime que je contiens en me rendant compte qu'il m'est déjà arrivé plus d'une fois d'avoir ce comportement par le passé. C'est moi, qui aurait dû agir. Je ne me suis pas vraiment comporté comme un partenaire digne ; si j'avais été dans cette foutue tour au lieu de me distraire avec cet œuf... Nous n'en serions pas là, c'est quasiment sûr. Je ne dirais pas que j'ai l'impression d'avoir « failli à la tâche » car qualifier le fait de faire attention aux gens qu'on aime de « tâche » est assez sale, mais on s'en approche, oui. Cette frustration couvre un ensemble triste bien plus massif, encore dormant, qui se réveillera sûrement à un moment, mais pas maintenant. Je n'arrive pas à pleurer, tout simplement. Pour l'instant, il n'y a que l'anxiété, la frustration et l'inquiétude. Le reste arrivera sans doute plus tard, mais je n'en suis pas plus rassuré. Depuis tout à l'heure, je tente de contrôler mon apathie pour me donner un semblant de façade. Je ne peux pas, après tout, faire ça. Il n'y a pas que moi. Je pense à Axel, qui serait bien plus anxieux qu'il ne l'est déjà (le nombre de questions qu'il m'a posé sur le chemin en disait déjà long sur le fait que l'idée le dérangeait), ou même juste à l'autre imbécile qui me sert de copain, que j'espère plongé au pays des songes par le miracle de la médecine, car il en a besoin. C'est une manière de penser,qui sert peut-être aussi à m'aider moi-même, car elle me permet de rester calme. Et je crois que Faust est plus lucide que ça sur moi, vu comme il soupire, l'air fatigué.
« Bien sûr, que je sais, crétin. J'étais en train de te proposer implicitement d'en parler si tu le voulais, sans faire de mal à ta fierté. Mais bon. - J'ai pas envie. - Ouais. Tu vas faire quoi, donc, shooter dans des cailloux pendant trois heures comme un gosse de cinq ans ? Non parce que tu vas te faire mal, à force, là. »
Je roule des yeux bien visiblement pour lui faire comprendre mon agacement, qui se pointe dans ma poitrine sous la forme d'une pique chaude.
« Faust, tu me soules. - Je sais. Désolé. »
Il n'a pas vraiment l'air désolé. Mais en revanche, il a l'air plutôt réfléchi, ou du moins, il a l'air de mesurer ses propos et ses actes pour ne blesser personne, ce qui confirme mon impression d'être l'égoïste de nous deux, dans cette situation. Je ne réponds pas tout de suite, et le silence s'installe dans le mutisme religieux de cette nuit étrangement calme. Le voilà qui vient s'accouder avec moi contre le mur, à une disstance suffisamment raisonnable pour que je ne lui fasse aucune remarque. Il souffle un coup, et j'en profite pour m'asseoir, me laissant glisser contre le mur, les genoux repliés, mon visage se posant dessus avec lassitude. Mon visage est fermé, et mes traits ne laissent entrevoir qu'une expression plutôt dure et peu chaleureuse. Quelques longues secondes s'écoulent, durant lesquelles je tripote nerveusement le bas de mon manteau, alors que Faust, lui, préfère regarder vers le haut. Le ciel est dépourvu de nuages, ce soir, alors je ne lève même pas les yeux au ciel quand je le vois regarder les étoiles comme le dernier des cuculs la praline. J'sais pas, j'suppose que ça fait du bien à des gens, donc bon. Je ne m'attendais en revanche pas à ce qu'il reparle.
« J'suis stressé aussi, tu t'en doutes bien. Et, bah... J'suis vraiment désolé pour toi aussi. J'm'en veux, tu vois. »
Je m'attendais, à vrai dire, à le laisser parler sans rien dire. Si il voulait déverser son sac, qu'il le fasse, je n'en écouterais juste probablement pas la moitié. En revanche, une partie de ce qu'il dit me fait tiquer. Je ne dis rien, et je crois qu'il voit ça comme une incitation à continuer.
« Je le voyais venir, je veux dire. Je sentais que ça allait mal se passer, mais, bah.... J'sais pas. Je me suis mal comporté, j'aurais dû réagir, j'ai pas d'excuse à la con à sortir, je crois. »
Un rictus jaune se dessine sur son visage où sont apparues quelques premières rides, et qui me paraît fatigué, sur le moment. Je me surprends à fouiller dans ses yeux tant que ces derniers sont occupés à l'observation des constellations, et y remarque des lueurs lassées dont je ne saurais définir le sens. Il glousse un peu, comme on le veut quand on veut se tirer d'une situation gênante qu'on ne comprend pas trop par la même occasion. Je suis surpris, toutefois, quand ses yeux croisent les miens d'un coup. Il a l'air curieux.
«... C'est ce que tu ressens, aussi, c'est ça ? - J'en sais rien, Faust. »
Ma réponse est un peu sèche, mais c'est parce qu'il m'a percé à jour, et mis mal à l'aise en même temps. Je reporte immédiatement mon attention sur le sol, décidemment très intéressant pour du béton. Honnêtement, je ne sais pas si je veux y réfléchir tout de suite. Oh, je vais le faire, forcément. Ce petit démon appelé anxiété ne va très certainement pas me laisser dormir jusqu'à l'aube, et je vais à coup sûr me torturer l'esprit avec les pourquoi/quand/comment/qui a tué le colonel moutarde dans le salon avec le chandelier toute la nuit. Mais je n'ai pas envie de fixer une réponse. Il dit la vérité, pourtant, mais... Là, pour l'instant, je crois que c'est trop pénible. Ma poitrine se soulève déjà assez comme ça. Quand je repose ma tête sur mes genoux, je l'entends souffler un peu. Il s'éloigne très légèrement, et à sa démarche portée vers la voiture, je crois au départ qu'il s'en va chercher quelque chose. Il ne fait que regarder, pourtant, du côté d'Axel. Lorsqu'il se retourne, il me gratifie d'une expression neutre, preuve qu'il ne me fait pas l'affront, ce soir, de forcer des sourires et des blagues pour jouer au clown et arranger tout le monde. Il sait que ça me hérisse le poil, de toute façon, quand il fait ça. Je déteste les gens qui se forcent, donc... Mais en même temps, il a l'air d'être pensif, comme si il imaginait quelque chose, dont il me fait part d'ailleurs une fois parvenu à un mètre de distance de ma personne.
« Tu veux faire un tour ? Je te garde le môme, si il faut. De toute façon, on ne te laissera pas entrer avant l'horaire d'ouverture de l'hôpital. - Qu'ils essaient de me sortir. - Natsu, allez... »
Il soupire, l'air exaspéré, et un peu amusé par ma remarque qui est on ne peut plus sérieuse. Quoi, il ne m'en croit pas capable... ? Je me tais, toutefois. Je dois savoir dans le fond de ma tête que jouer à la grenouille imitant le bœuf pour faire croire que je maîtrise la situation est foutrement ridicule et que ce n'est pas vraiment adapté au comportement que je devrais avoir. Surtout avec Axel, en plus. J'aurais l'air fin, tiens, à faire des crises comme un ado à mon âge. D'autant plus que ça n'aiderait personne. Cette pensée en tête, je me montre plus enclin à l'écouter et considérer sa proposition. Lorsqu'il s'accroupit pour me tendre le main, j'envisage presque de la saisir, mais reste méfiant pour je ne sais quelle raison, et l'examine attentivement pour me donner des raisons de l'écouter.
« Viens. On va faire un tour, j'ai une idée. Tu vas pas gagner de trophée de participation à rester là en pleine nuit, et l'autre con va s'inquiéter si il apprend que tu es resté dehors toute la nuit tout seul car t'étais inquiet. - Pas besoin qu'il l'apprenne. - Et par là, je t'indiquais encore une fois plutôt subtilement que j'allais le dire et que tu avais donc tout intérêt à m'écouter et me suivre. »
Euhm. Je ravale ma salive, étonné, et ne trouve pas grand chose de très intelligent à dire, encore moins avec un ton à l'antithèse même du charisme.
« Ah. - Toujours du mal avec l'implicite, à ce que je vois. - Parce que c'est le moment de jouer à l'inspecteur Poirot, je suppose ? - Ah, donc tu les as regardé, mes DVD ! »
Son ton victorieux me fait claquer de la langue. Non mais sérieux... Je soupire un peu, exaspéré. J'ai toutefois conscience que ces gags ridicules sont sa manière à lui d'aller bien, alors je ne lui fais pas de remarque. Tout naturellement, je me relève, et le suis jusqu'à la voiture. J'ai beau avoir une tronche de zombie et être têtu comme un idiot, je réalise qu'il a raison et que je ferais sans doute bien de faire un tour plutôt que de rester là. Quand on ouvre la porte, d'ailleurs, je l'entends parler de nouveau. Son ton est plus léger ; il fait un peu le show pour un public inexistant, là, mais bon. Encore une fois, je ne suis pas le psy de Faust, clairement. Moi, je vais juste... Je vais juste le suivre, là, jusqu'à demain matin, et ensuite, j'irais au chevet de mon copain dès que l'heure sera bonne.
« Allez, monte dans la tuture. On va te défouler un grand coup, chercher des trucs, et comme ça t'auras une bonne bouille de-pas-trop-un-zombie à montrer demain, et tu tenteras pas d'égorger une pauvre infirmière qui ne fait que son taff. - Je n'aurais pas- - Je disais que ça t'empêcherait de te comporter comme un gros con. »
Tandis que je m'assois dans le siège passager et qu'il enclenche le moteur, une petite voix fluette résonne à nos oreilles surprises.
« … Papa, tonton il a dit un gros mot. »
Et sur le coup, honnêtement, je crois avoir gloussé jaune.