J’ai pris ma décision. Une décision pas facile, une décision réfléchie, pensée et retournée dans ma tête à plusieurs reprises. J’ai évoqué toutes les possibilités que j’ai pu trouver, j’ai fait des recherches et j’ai essayé différentes solutions qui se sont toutes montrées inefficaces. J’en suis arrivée à la conclusion que je redoutais : je dois me séparer de Jelly. Il s’est passé beaucoup de choses depuis que j’ai le métamorph. Beaucoup de bonnes choses, de parties de rigolades et de bonheur partagé mais pas seulement, il y a eu des moments difficiles, vraiment très difficiles. Je suis passée à deux doigts de perdre mon travail, j’ai failli être blessée et surtout, ce qui m’a décidé à prendre les mesures qu’il faut, mon pokémon a failli se faire du mal. Le constat était alors clair : je n’arrive pas à élever le métamorph. Je n’ai pas suffisamment de temps à lui accorder, ce n’est pas mon métier, je ne suis pas spécialiste et je n’y arrive pas, tout simplement pas. Je ne crois pas que Jelly soit un mauvais pokémon, il est simplement jeune et inconscient de ce que ses farces et ses initiatives causent réellement. C’est probablement plutôt moi qui suis une mauvaise dresseuse, pour ne pas arriver à prendre soin de lui. A partir de ce jour où il a failli passer sous les roues d’une voiture, il était évident pour moi que ça ne pouvait pas continuer, que malgré tout l’amour que je porte à ma guimauve, ce n’était pas suffisant. J’ai alors essayé plusieurs choses. D’abord, j’ai pris contact avec un spécialiste dans le dressage de pokémons difficiles. Mais ses méthodes n’étaient absolument pas en adéquation avec ma vision d’élever un pokémon. J’ai laissé tomber. Ensuite, j’ai pris dix jours de congé, j’ai passé du temps avec mon métamorph, j’ai essayé par moi-même et résultat des courses : un pneu Michelin passé à moins d’un mètre de mon Jelly. Pas très concluant et plutôt très effrayant. C’est arrivé il y a trois jours et depuis, j’ai longuement réfléchi. J’ai contacté plusieurs élevages dans la région à la recherche d’un responsable qui saurait prendre soin de mon ami, lui accorder du temps, savoir faire preuve de patience pour élever ce marshmallow farceur et surtout me donner des nouvelles régulières. Aujourd’hui, il ne m’en reste qu’un seul à contacter, un éleveur récent qui possède une petite pension près de Vanawi. D’après les quelques photos sur internet, ça a l’air très mignon, il y a beaucoup d’espace et ses valeurs sont semblables aux miennes. En plus, ce n’est pas très loin d’Anula, j’ai l’espoir de pouvoir venir visiter Jelly de temps en temps, quand le travail me le permettra. En attendant, il me reste à juger de l’éleveur en passant un petit coup de fil et à visiter la pension s’il est d’accord. Comme toutes les autres, voilà à quoi j’ai passé mes vacances.

«  Allô ? Bonjour, je m’appelle Kido, j’espère que je ne vous dérange pas. Je vous appelle parce que j’ai un pokémon, un métamorph pour être précise, que je ne parviens pas à élever correctement et pour sa sécurité, je suis à la recherche d’une pension qui pourrait l’accueillir, l’éduquer et lui offrir ce qu’il lui faut pour qu’il soit heureux. Si vous êtes d’accord pour me rencontrer, je peux me déplacer et venir vous voir à la pension. Je suis disponible cette après-midi, oui, je peux partir maintenant. A tout à l’heure. »

En espérant que celle-ci soit la bonne. Comme prévu, je pars aussitôt et j’arrive à la pension en début d’après-midi, un peu nerveuse, comme chaque jour, à chaque nouvelle visite d’élevage. Je me gare sur un petit parking prévu à cet effet et je me rends aussitôt à l’accueil en détaillant les lieux autour de moi que je trouve très joli, grands et verts.

« Bonjour, j’ai rendez-vous avec monsieur Fisher, je suis Kido Tsubomi, pour le métamorph. »

C’est dur et je bute sur presque chaque mot en tâtant nerveusement la pokéball de ma guimauve accrochée à ma ceinture. Cependant, je le sais, c’est la meilleure chose à faire. Il ne me reste qu’à déterminer si cette pension est celle qu’il faut à mon Jelly.

Je regarde un peu curieusement  l’homme à l’accueil qui se présente comme étant le responsable de la pension. Je ne m’attendais pas à ce qu’il soit si jeune, il doit avoir un peu près mon âge, peut-être un peu plus vieux mais pas encore la trentaine, sans aucun doute. Il se présente et malgré moi, je reste un peu dubitative. Il n’est pas trop jeune pour diriger une pension ? Mince, c’est quoi ces préjugés, il n’y pas d’âge pour un métier de passion et le peu que j’ai perçu de l’élevage me plaît énormément. L’environnement serait sécurisé pour ma guimauve et il pourrait être heureux ici. Dès que je suis entrée, il a aussitôt remarqué mon trouble et adopte une attitude pleine de compassion. Je le dévisage avec curiosité, comme si j’avais à faire à une espèce rare… Ah ah. Depuis combien de temps je n’avais pas vu la compassion dans le regard de mes interlocuteurs ? Chaque responsable de pension que j’ai rencontré a à peine croisé mon regard, ils sont restés figés sur le métamorph shiney que je leur présentais, le contemplant avec envie, s’imaginant déjà la popularité que gagnerait leur pension avec mon Jelly, oubliant presqu’avant d’être un objet de reproduction, c’est un pokémon, un pokémon difficile qui se met en danger facilement. D’ailleurs, ma dernière rencontre l’a encore prouvé, quand le marshmallow s’est glissé dans l’enclos des rhinocornes et les a effrayés. Puis ce qui devait arriver arriva, ils ont explosé leur clôture pour fuir le métamorph et ont ravagé toute une partie de l’extérieur de la pension, un vrai carnage. Le responsable m’a instantanément mise à la porte, métamorph shiney ou pas.

« Enchanté, je suis Kido Tsubomi, je travaille comme ranger de la zone centre. »

A peine ai-je terminé ma phrase que j’entends la porte de derrière s’ouvrir et je vois un petite Togetic se diriger vers moi et venir m’offrir quelques câlins. Je souris, incapable de résister à l’adorable frimousse du pokémon du responsable de pension. Je me penche, lui chatouillant le ventre pour m’amuser quelques minutes avec la petite Togetic, oubliant juste un instant la raison de ma présence puis la voix de l’éleveur me tire de mes pensées. Je me redresse, abandonnant le pokémon après une dernière caresse.

«  Il n’y a pas de mal, merci beaucoup. Elle est adorable, elle a l'air heureuse. »

Je prends place sur le siège qu’il m’indique et accepte  avec plaisir un café sucré. Je sens qu’il me ménage, qu’il parle doucement, qu’il s’efforce de ne pas me brusquer, de ne pas accentuer mon malaise et je lui en suis reconnaissante, j’ai envie de le remercier pour ça, de lui dire que j’apprécie ses précautions mais que, quoiqu’il arrive, je sais que ce que je fais est bien, que je prends la bonne décision. Du moins j’essaye de m’en persuader car si mon esprit a accepté ma décision, mon cœur lui refuse d’abandonner Jelly à un inconnu, un inconnu dont je ne connais rien. Pourtant, à la seule vue de sa Togetic, je sais de quoi l’homme est fait. Ça me rassure, ça me rassure plus que n’importent qu’elles paroles ou promesses. On reconnaît un bon dresseur à l’amour que lui portent ses pokémons et cette Togetic en déborde, elle en a même tellement qu’elle en partagé un peu avec moi. J’esquisse un sourire en y repensant et avale du gorgée du café qu’il me serre avant de commencer.

« J’ai trouvé Jelly, mon métamorph, lors d’une visite aux ruines du Titak. Il était seul, se sentait seul et quand je lui ai proposé de rejoindre mon équipe, il s’est montré très enthousiaste alors je l’ai ramené avec moi. Mais… Il a une nature difficile à gérer, il est très farceur et ne se rend pas compte des ennuis qu’il cause. En fait, j’ai l’habitude côtoyer des pokémons difficiles, qu’ils soient sauvages ou qu’ils vivent dans les refuges. Mais Jelly est… Il n’est pas méchant, vraiment pas mais je n’ai pas suffisamment de temps à lui accorder, ni de place, ni d’environnement sécurisé où il pourra s’amuser sans se mettre en danger. C’est un pokémon très affectueux, il a l’habitude de s’endormir dans le creux de mon cou quand nous regardons un film et ne rate jamais une occasion de se faire papouiller mais… Il ne sait pas se gérer, n’arrive pas à se fixer de limites et je n’y parviens pas non plus. »

Je marque une pause, plongeant mon regard dans ma tasse de café, y cherchant un peu de courage. Je prends une grande respiration hésitante avant de poursuivre.

« Il a besoin d’espace, de quelqu’un pour l’encadrer, lui imposer des limites et je n’ai pas l’environnement qu’il faut pour ça. Si je le garde, j’ai peur qu’il finisse par se blesser… »

Ma voix se brise sur la fin de ma phrase et je prends une minute pour me ressaisir, pour me faire violence, pour me rappeler que c’est la bonne décision. Sans attendre la réponse du jeune homme, j’attrape la pokéball à ma ceinture et fait apparaître sur la table, entre nous deux, ma grosse guimauve turquoise qui ondule de plaisir en me voyant et vient se jeter dans mes bras, ignorant le lieu dans lequel nous nous trouvons. Il pousse quelques cris de joie, se niche dans le creux de mon cou, adoptant la forme idéale pour y tenir et pousse un bruit qui ressemble fort à un ronronnement.

« Voilà la bête, rien de très impressionnant pas vrai ? »

J’esquisse un sourire nerveux en caressant machinalement le corps enroulé du métamorph.

Je souris quand, bienveillant, l’hôte de pension comprend et accepte ma décision, revenant sur le courage qu’il faut pour accepter de laisser son pokémon dans les mains d’un parfait inconnu. Si je ne doute pas du professionnalisme de monsieur Fisher, je ne le connais pas et ça me demande d’autant plus de volonté pour ne pas me lever sur le champ et rentrer chez moi. Je dois me répéter sans arrêt que c’est pour Jelly que je fais ça mais en réalité, je me sens hypocrite, je suis la seule responsable de mon incompétence à m’occuper de ma guimauve. J’esquisse un sourire léger en réponse à celui, compatissant que m’offre l’hôte et l’écoute me parler avec humour de sa togétic qui semble, elle aussi, être une sacré petite boule d’énergie avec plein de bêtises en tête. Elle s’entendra bien avec Jelly, c’est certain.

Rassurée par cette pensée, j’encourage le métamoprh à s’approche de l’hôte de pension. D’abord réticent, il accepte finalement de s’approcher et de le saluer avant de très vite se laisser distraire par le nosférato et la togétic dont il prend la forme avant de s’envoler pour les rejoindre, manquant de renverser ma tasse et s’élançant et bousculant le plafonnier en passant. Je soupire de soulagement quand rien ne tombe et m’excuse auprès de l’hôte, un peu gênée.

« Oui, ce serait parfait. Même si il ne semble pas avoir envie d’attendre pour s’amuser… »

Je le regarde dessiner des ronds et des loopings au plafond entre les deux compagnons de l’hôte avant d’emboîter le pas de ce dernier en direction de l’extérieur de la pension.

« Dites-moi, est-ce que je pourrais profiter de cette visiter pour faire sortir un autre de mes pokémons ? Une petite femelle pikachu, extrêmement timide et craintive qui a besoin de rencontrer et de se sociabiliser avec d’autres pokémons. Je n’ai pas souvent cette occasion alors… Mais si ça pose problème, je comprendrai ! »

Je baisse aussitôt le regard, me cachant instinctivement derrière les mèches de mes cheveux verts, gênée par ma demande. Je ne suis pas là pour ça mais l’idée m’est venue en regardant les trois pokémons s’amuser dans les airs. Rencontrer les compagnons de monsieur Fisher sera un très bon moyen pour elle d’apprendre à se comporter normalement avec ses congénères car si elle n’a plus peur de mes amis, elle continue d’être terrorisée dès que nous rencontrons un pokémon ou un humain qu’elle ne connaît pas. Je n’ai aucune espèce d’idée de ce qui a pu lui arriver avant qu’elle ne soit accueillie par le refuse, même si je me doute que cela doit certainement impliquer des violences physiques et même morales, pour l’aider il va me falloir lui consacrer du temps. Et puis, Jelly sera là, elle aura un point de repère, c’est une bonne occasion. Après tout, le métamorph veille attentivement sur elle, bien plus que sur les autres, comme si lui connaissait exactement la profondeur de sa peine. La séparation risque d’être difficile pour ces deux-là mais elle permettra aussi à Volt d’avancer, de ne plus se reposer systématiquement sur Jelly et d’essayer d’accorder sa confiance aux autres également.