Enola est loin d'être en paix. Ce n'est pas tout de suite que nous réglerons les conflits de l'île quand bien même j'en rêve. Pourtant, même si je tente en général de faire honneur à mon travail, il m'arrive de penser à moi de manière égoïste. Et dans ma vie personnelle, les jours sont beaux. Je suis parvenu, enfin, à trouver un certain équilibre dans ma vie. Du moins, c'est ce que je pense. J'ai un emploi stable avec lequel je peux vivre sereinement sans me soucier du lendemain. J'ai un partenaire qui a accepté de m'épouser. J'ai une famille qui compte beaucoup pour moi. J'ai un toit confortable au-dessus de ma tête. J'ai accompli mon rêve d'enfant. Il y en a peu qui ont la chance d'avoir la même chose. Alors bien sûr, je suis heureux. Très heureux, malgré la politique encore fragile de notre pays. On se demanderait bien ce que je désirerai en plus. Il y a bien une dernière chose, en effet, que je souhaiterais. J'ai fêté mes vingt-huit ans il y a peu. Dans deux ans, j'aurai la trentaine. Ça me fait bizarre de me dire ça. Mais je n'ai pas peur de gagner en âge. Je sais ce que je veux. Et j'ai besoin à présent de savoir si Natsume le voudra aussi.

J'ai attendu que nous soyons tranquilles le soir pour lui en parler, après que nous ayons dîné et que Axel se soit couché. Me préparant mentalement dans notre chambre quant à ce que je voulais lui dire, je descends finalement pour rejoindre le salon où je peux l'y trouver, allongé en train de bouquiner un livre sur le canapé. Je souris instinctivement avec douceur en l'apercevant, même si je demeure nerveux. Il ne devrait pas y avoir de soucis, je pense, mais... C'est délicat, comme sujet. Poussant une brève expiration, j'arrive en bas des escaliers et le rejoint sur le canapé. Relevant ses bras, je me place sur lui en me blottissant contre sa poitrine, reposant ma tête au creux de son cou. Mon visage affiche une expression tranquille, éclairée par quelques lumières tamisées que nous ne mettons qu'en fin de soirée pour ne pas que Natsume ait mal aux yeux. Je reste un petit moment comme ça avant de redresser ma tête.

« Tu aurais une minute ?.. Il faut que je te parle de quelque chose d'important. »

Je me redresse un peu plus, m'asseyant sur le bord du canapé. Pour ne pas l'inquiéter, je lui adresse un sourire serein.

« Rien de grave, ne t'en fais pas. Je réfléchissais juste... au futur. Mais j'ai quand même besoin de ton avis. »

Mon regard doré se pose sur l'alliance de la même couleur qui se trouve à mon annulaire. J'ai cessé de la contempler autant de fois par rapport aux quelques jours suivant notre cérémonie de mariage, mais elle m'apporte toujours autant de bonheur à chaque fois que je la vois. Cela me permet de me détendre et me donne du courage pour la suite. Mon cœur bat plus fort dans ma poitrine.

« Est-ce que... Tu te verrais élever des enfants... D'autres enfants que Axel... avec moi ? »

Mes yeux se détournent ensuite pour le regarder.

« Est-ce que tu... voudrais d'autres enfants ? »

Il va peut-être sentir ma nervosité, mais... Bon, c'était attendu, ça, et il me connaît mieux que personne. Je tente de ne pas trop montrer l'inquiétude qui passe dans mes iris, mais c'est peine perdu. Je veux savoir ce qu'il aura à me dire, et ce qu'il a prévu, lui, de son côté pour notre avenir.

Quand nous sortions déjà ensemble il y a quelques années, je disais, pour rêver, que nous fonderions une famille quand nous serions plus âgés. Pour autant, je n'avais pas pensé au fait que ce jour arriverait vraiment. Mais le mariage servait aussi un peu à ça : à faciliter le fait que nous ayons des enfants par la suite. C'était d'ailleurs un des arguments que j'avais sorti pour le persuader. Je ne savais pas ce que j'aurais répondu à ma mère, au final, s'il avait dit ne pas vouloir d'autres enfants que Axel. Auparavant, même si ce n'était la faute de personne, j'aurais trouvé ça injuste qu'il s'occupe d'un gamin dont il n'avait pas la responsabilité à la base mais qu'il refuse d'en avoir avec la personne qui partage sa vie depuis une dizaine d'années à présent. Mais si sa décision, aujourd'hui, avait été toute autre et qu'il aurait préféré se contenter d'Axel, j'aurais compris. Ça m'aurait fait de la peine, mais... Je tiens trop à Natsume pour me séparer de lui à cause de ça, et je ne me voyais pas élever des enfants de mon côté. Je rêvais que nous le faisions ensemble.

« Tu... Tu avais dit que si tu en voulais, tu... Tu voudrais en avoir avec moi. Mais ça ne disait pas que tu en voudrais forcément un jour, c'était juste... Euh... Une hypothèse. »

Je me souviens de ce qu'il m'a dit ce jour-là, lors de notre sortie en bateau. Et difficile de l'oublier, puisque, comme il le rappelle, c'était lorsqu'il a accepté ma demande en mariage. Une soirée heureuse. Le sujet des enfants n'était néanmoins pas le principal à ce moment-là que nous avons traité, alors c'était un peu flou à cet égard, je trouve. Enfin... Il aurait fallu parler des démarches un moment donné, et je devais avoir un accord officiel de sa part avant que nous nous lancions là-dedans. Et, s'il voulait des enfants, je devais savoir quand est-ce qu'il aurait voulu les avoir et par quels moyens.

« Je... Je ne sais pas si on peut dire maintenant maintenant, mais... Je me posais la question de plus en plus ces derniers temps. »

Je me triture nerveusement les doigts, ne m'étant pas attendu à ce qu'il me demande si j'en voulais 'maintenant' comme quelque chose que je voudrais là, tout de suite. Cela m'a fait un peu paniquer sur le coup, mais je vois où il veut en venir.

« Te voir avec Axel... Je crois que ça m'a conforté dans cette envie de fonder une famille avec toi. »

Mes joues chauffent très légèrement sous le coup de la timidité. C'était un rêve que je caressais autrefois sans trop oser aborder ça avec lui, mais je suis rassuré de savoir qu'il n'a pas l'air contre du tout. Je ne crois pas toutefois l'avoir déjà entendu dire explicitement qu'il voulait élever d'autres enfants. Il est déjà... 'père' d'une certaine manière, mais Axel est un cas très particulier, alors que je parle de quelque chose qui nous concerne plus intimement tous les deux en tant que couple.

« Mais donc... Dans les jours qui suivent... Si on fait les démarches... Alors... »

Un sourire mièvre et léger s'installe sur mes lèvres, tandis que mes mains viennent prendre les siennes. L'idée me rend à la fois impatient et fébrile. Mais plus que tout, je veux être assuré de ne pas faire la route seul, même s'il vient de plus ou moins l'affirmer. Comment arrive-t-il à être aussi calme, alors que c'est censé être le lapin nerveux du duo ?! Je crois que je ne comprendrai jamais comment il fonctionne.

« Tu seras parent avec moi ?.. »

Je le fais répéter, je sais. Et je dois avoir l'air d'un idiot à m'en faire une montagne alors que j'aurais dû comprendre depuis le début que le problème n'était pas les enfants mais la peur qu'il avait de mal s'en occuper. Mais... Mais on ne peut pas me reprocher de prendre autant de précautions. Vaut mieux ça que l'inverse... Non ?..

Je manquerais presque de bouder à sa petite vanne si je n'étais pas dans mon mode sérieux. Mais au moins, je suis soulagé de voir qu'il a l'air maintenant très à l'aise avec le sujet (voire plus que moi) alors que ce n'était pas simple de l'aborder il y a quelques temps. Je remarque ne pas être le seul qui ai changé ces derniers mois. Si je l'avais déjà vu par rapport au mariage sur lequel il n'était pas très friand au début, ce n'est que maintenant que je me rends compte de la différence. Et c'est déjà énorme, je trouve, compte tenu de ses réticences au début et surtout sa peur de mal éduquer des gamins. J'ai pu voir cependant, au fil des années, le merveilleux travail qu'il a accompli avec Axel. Ce n'était pas simple au début, mais Natsume a réussi à quelque chose alors qu'il a eu le jeune Donovan à une période où il n'était clairement pas prêt à prendre en charge un enfant. Mais il s'est débrouillé, plaçant son bien-être avant le sien, et Axel est aujourd'hui un petit garçon en pleine forme avec une grand cœur dont son parrain (et père) peut être fier.

Le monde entier sait que je ne pourrais jamais tarir d'éloges à l'égard de l'éleveur. Je l'admire sur beaucoup de plans et je ne pourrais pas être plus amoureux qu'à l'instant présent. Je n'aurais pas pensé toutefois avoir le droit ce soir à un compliment de sa part. Et pourtant, il arrive à me prendre par surprise. Les mains dans les siennes, je relève mon regard vers lui, profondément touché par ses mots. Mon cœur tambourine au fond de moi, battant avec passion. Comme j'attendais ce moment. Il ne pouvait pas me faire plus plaisir que de me dire tout ça. Il précise en plus que ça fait un moment qu'il le pense. En sachant que son géniteur ne lui a clairement pas donné une bonne expérience de la parentalité, je suis d'autant plus flatté des tendres mots de mon partenaire. Mes joues chauffent et rougissent, en même temps que mes yeux qui se laissent progressivement aller à l'émotion. J'ai un peu honte d'être aussi transparent face à lui, mais il est vrai que je n'ai qu'une hâte sur le coup : le serre contre moi et pleurer à chaudes larmes. Par esprit de contradiction, dans un moment différent, j'aurais sans doute fait mine que je n'étais pas aussi prévisible, mais exceptionnellement, peu m'importe.

« Oh, Natsu... »

Sur mon visage perlent des gouttes salées que je ne prends pas la peine de chasser ou de retenir. Après tant de temps, j'avais cruellement besoin de les laisser s'échapper. Je sais que cela ira mieux après. Alors je me jette dans les bras de l'Hôte de Pension qui a conquis mon cœur il y a des années. Me blottissant contre lui, je sens sa prise se refermer autour de moi pour que sa chaleur et son odeur viennent m'envelopper. Je ne sais pas de quoi j'avais peur, au fond. Pas d'un rejet, non... Lui, je lui ai toujours fait confiance pour s'occuper d'enfants. C'est moi, qui m'inquiétais. Je craignais ne pas être apte à éduquer des gamins ; mais si Natsume dit que je ferai un bon père, alors j'y crois. Je veux y croire. Alors dans quelques jours, nous ferons ce que nous devons faire, en choisissant la méthode que nous voulons. Et notre vie en sera changée par ce fait. Mais ce, pour le meilleur.