Quoi de neuf sur l'île d'Enola ?

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L'Elu auto-proclamé des Monarchistes fait son entrée ! La Compétition, Elixir et le Gouvernement sont en crise et les Anarchistes demandent la démission du Chef du Conseil.
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Un blocus Anarchiste est en cours à Vanawi, sous surveillance des forces de l'ordre.

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Tout ira bien (OS)
Lionel Roque-Lartigue

Tout ira bien
Ah, voila, j’y suis. Je viens de me garer devant l’orphelinat, je détache ma ceinture, vais chercher dans mon sac la pochette de papiers administratifs maniaquement triés que j’ai préparé depuis deux mois pour être certain de ne pas me louper… et je me prépare à pousser la portière pour sortir de la voiture. Je peine à faire bouger mes jambes et mes doigts semblent tout engourdis. Je suis tellement excité et terrifié tout à la fois ! J’en ai un peu oublié de manger et voilà que j’ai l’impression d’avoir des palpitations. Ah, j’ai l’air malin !

Ne t’évanouis pas tout de suite, Lionel… tu as tant attendu ce jour, ce serait bête de faire un malaise dans ta stupide voiture.

J’attrape une barre chocolatée pour prendre un peu de sucre et des forces, au cas où. Des milliers de questions assaillent mon esprit de crainte supplémentaires bien inutiles… et si je fais peur aux enfants ? Et si le petit Xavier me déteste en fin de compte et ne veut plus jamais me revoir ? Et si je suis un mauvais père ? Et si, malgré le fait que je sois sobre depuis des mois, je retombe dans l’alcool et deviens horrible à nouveau ? Et si mes problèmes familiaux qui sont loin d’être tout à fait rangés me rattrapent et m’empêchent d’aimer cet enfant comme il se doit ? Si je ne suis pas assez patient… et si je ne veux pas réellement ça… ?

« Ça suffit ! »

Je me giffle mentalement pour faire taire les voix dans ma tête. Ma psy m’a suggéré de me parler à moi-même à voix haute dans les moments ou mes pensées s’emballent trop. Tant pis si j’ai l’air bête, c’est quelque chose qui m’aide beaucoup. En me concentrant sur ma voix, en formulant mes angoisses, elles me semblent bien moins impressionnantes. Ce ne sont que des mots. Que des pensées formulées par habitude. Evidemment que mon désir d’adopter cet enfant est réel. Evidemment que je suis capable de l’aimer et que je veux le voir grandir, assumer cette responsabilité pour le restant de mes jours. Et, surtout, je ne suis pas mon père. Je ne serais jamais mon père.

Je tremble encore et je ne vais pas m’arrêter de sitôt, mais suite à cette séquence de « je parle tout seul dans ma voiture en écoutant Babymetal à fond » je me sens prêt. Mon portable émet une courte sonnerie dans ma poche. C’est un texto de Jill qui me souhaite bon courage. Je souris un peu et sors enfin de la voiture.

Il est vrai qu’il y a encore quelques mois, je pensais que Jill serait à mes côtés, aujourd’hui. Mais beaucoup de choses ont changé l’année passée la concernant et je ne parle pas uniquement de sa transition de genre. Même si, je pense que cela a été un déclencheur pour la Eriksen qui a pris plus confiance en elle, est parvenue à sortir de beaucoup de démons et de blocages qu’elle avait pour finalement, éprouver le besoin d’aller explorer d’autres choses. Evidemment, même si je voyais bien que ma compagne changeait dans son expression de genre et dans sa manière d’être en général, en étant de plus en plus sûre d’elle et bien dans sa peau (elle m’a confié que ça ne lui était jamais arrivé pendant 50 ans, avant ça), je ne l’ai pas vraiment vu venir. Pas que ça ait changé mes sentiments et mon estime à son égard, bien au contraire. Mais j’ai rapidement compris son envie d’aller de l’avant, vers d’autres projets qui ne m’incluaient pas forcément. Si nous sommes toujours très proches, avec tous les évènements récents et les avancées que nous avons eu dans nos vies respectives, nous n’envisageons plus notre vie ensemble comme au début. Et même si ça m’attriste un peu par moments, je pense que nous avons fait le bon choix. Cela m’a fait bizarre d’être seul à la maison de nouveau, ces derniers mois… c’est paradoxal, sachant qu’avant ça, j’avais vécu seul pendant des années sans vraiment ressentir de manque particulier. Enfin, je ne vais pas être seul très longtemps et je ne risque pas de m’ennuyer, les années à venir !

Mais avant ça, encore de la paperasse administrative à régler ! Et après ça, je rencontrerais le fameux Xavier. J’ai bien entendu vu des photos et des vidéos de ce blondin a l’air rêveur. J’ai des centaines de concours à mon actif, mais je n’ai jamais autant eu le trac de toute ma vie. Je suis à moitié absent tandis que l’assistante sociale du foyer parcourt les papiers pendant un moment qui me semble interminable. Je fixe le sol et mes jambes tremblent si fort que mon pied tape par terre. Je dois sortir mon handspinner discrètement pour éviter de me mettre à ronger frénétiquement mes ongles.

Puis, la dame me sourit, se lève et m’indique la sortie du bureau.

« Xavier devrait être prêt dans la chambre. Suivez-moi. »

Mes jambes se sont changées en coton mais je parviens quand même à me lever. On marche le long d’un grand couloir et j’entends des cris et des rires d’enfants partout. Je vois deux bambins qui jouent à se poursuivre et qui se font rappeler à l’ordre de ne pas courir sur le carrelage en chaussettes. Ils boudent et retournent à leurs legos sans tarder. La voix de l’assistante sociale me coupe au milieu de mes divagations.

« Vous savez donc que Xavier est hyperactif, n’est-ce pas ? »

Oh, oui, je l’ai lu dans son dossier.

« B-bien sûr. Je me suis renseigné sur la question ! »
« Oh, tant mieux. Vous savez donc que cela peut induire des besoins particuliers au niveau de son éducation… à l’école et pour faire les devoirs, par exemple. »

Je hoche la tête. A vrai dire… je crois être moi-même quelque peu hyperactif. Pas que cela me donne un avantage particulier sur la manière dont je pourrais gérer ça chez mon enfant. Mais je connais un peu mieux le soucis maintenant. Nous avons même abordé le sujet du trouble du spectre autistique avec ma psychiatre, récemment et beaucoup de choses font un peu plus sens, désormais. Même si je ne sais pas toujours quoi penser de tout ça, en ce qui me concerne. Je me contente de hocher la tête pour rassurer la dame.

« Oui, j’en suis conscient. On verra ce qui lui convient le mieux, de toute façon. Moi, je veux juste qu’il puisse grandir à son rythme… »

La dame a l’air un peu rassurée par mes propos. Je suis sincère, j’espère qu’elle peut le ressentir. Notre accompagnatrice ouvre finalement la porte de la chambre et j’aperçois une tête blonde que je reconnais sans mal être celle des photos. En revanche, je n’imaginais pas Xavier si grand pour ses 6 ans ! La dame m’avait dit en rigolant un peu que c’était la grande perche parmi les enfants de son âge.

« Xavier ? M. Lionel est venu te voir. »

Le blondin semble occupé et ne se retourne pas. La dame pince les lèvres et se rapproche.

« Des fois, il n’entend pas ce qu’on lui dit. »

Elle pose une main sur l’épaule du garçonnet qui sursaute et se retourne vers nous. Il a de beaux grands yeux violets, des taches de rousseur, de longs cils et des cheveux blonds et raides qui lui arrivent aux épaules. Il est tellement adorable. Il nous lance un regard intrigué, un peu confus de voir autant de monde débarquer d’un coup.

« C’est qui ? »

Dit-il, les mains prises par des figurines de chevaux à la crinière multicolore.

« Tu sais bien, je t’ai dit qu’aujourd’hui, M. Lionel allait commencer à passer te voir. Tu as bien rangé ton-- »

Elle se tourne vers les coffres de jeux du petit qui devaient surement être rangés à l’avance, mais qui sont finalement ouverts, avec tous les habits et autre babioles dehors.

« Ah, tu as tout sorti. Christelle ne t’a pas dit d’attendre en jouant avec les autres et de ne pas sortir toutes tes affaires ? »

« Mais je m’ennuyais, moi ! Pis je préfère jouer tout seul. »

Il fait la moue. Je le sens un peu tendu. Je peux comprendre. Ce doit être stressant de comprendre qu’il va peut-être bientôt quitter l’endroit où il a grandi, pour changer radicalement d’endroit de vie. Il y a de quoi avoir envie de s’enfermer dans sa bulle. Il a surement pu se préparer à l’avance, mais il doit aussi se sentir un peu déboussolé.

« Oui, enfin… » Notre accompagnatrice nous lance un regard d’excuse ? « Désolée, je ne pensais pas que… »

Je remue la main pour exprimer que je ne suis pas gêné le moins du monde. Puis, la dame regarde le petit à nouveau.

« Tu vas ranger tes affaires, d’accord ? »
« Mais c’est long, j’ai pas envie… »

Il se détourne et s’assoit sur le lit, il a l’air de se braquer reprenant ses figurines équines.

« Tu veux qu’on t’aide, Xavier ? »

Il se tourne vers moi et me regarde de haut en bas. Je me baisse légèrement et sourie doucement. J’espère que je suis rassurant et que j’ai pas l’air d’un vieux monsieur creepy.

« …C’est toi qui va devenir mon papa ? »

Je lutte pour ne pas être trop submergé par l’émotion.

« Ou-oui. Enfin, si-- si tu veux bien. »

Tout hésitant, j’ai peur d’avoir l’air trop cavalier et de ne pas lui laisser le choix. Je ne veux pas qu’il se sente forcé. Visiblement, il est anxieux devant un inconnu et je crains de le brusquer.

« Si tu es d’accord, je vais venir te voir plusieurs fois pour qu’on se connaisse mieux. Puis, si les choses se passent bien, je t’emmènerais avec moi à la maison. Il y aura une chambre pour toi, tu pourras la décorer comme tu veux avec tes chevaux. »

Xavier me fixe, il enregistre les informations sans rien dire. Il rosit un peu, je crois qu’il est intimidé. J’ose finalement me rapprocher un peu.

« Ils sont très beaux, d’ailleurs, tes chevaux. Est-ce que veux bien me les montrer ? »

Je crois que j’ai capté l’attention du blondin. Il se tourne et me montre les petites figurines en plastique.

« C’est pas des chevaux, c’est des poneys magiques ! »
« Oh, d’accord ! »

Je rigole un peu en observant les jouets et en regardant Xavier jouer avec et s’inventer des dialogues entre ses joujoux. Il m’en prête même un, au bout d’un moment, pour que je l’accompagne dans son jeu. J’ai un super poney violet et bleu (les meilleures couleurs) avec une crinière turquoise, maintenant, et il peut partir à l’aventure avec ses amis multicolores, pour se battre contre le Roi des méchantes fées. Pour des raisons mystérieuses et qui me seront sans doute toujours inconnues, Xavier a l’air de ne pas trop aimer les fées. Après un petit moment à s’amuser ainsi, le blondin revient vers moi et me fixe à nouveau.

« Elle est comment ta maison ? »

Je fais mine de réfléchir un peu avec un « hmmmm ! » pensif.

« Alors, ma maison… elle est tout près de la plage, déjà ! On peut aller se baigner quand on veut ! En bas, on fait la cuisine, on mange… il y a aussi un petit jardin avec beaucoup de fleurs, un petit potager et pleins de Pokémon. Et en haut, il y a les chambres. »
« Y’a la mer juste à côté de chez toi ?! »

Ses yeux viennent de s’illuminer. Je sais que je me répète, mais il est vraiment trop mignon.

« Oui, depuis que je suis petit, j’adore nager, alors je me suis installé près d’une plage ! Tu es déjà allé à la mer, Xavier ? »

Pensif, il essaie de se souvenir. Ses yeux pétillent légèrement quand il trouve enfin quoi me répondre.

« … Hm… oui, une fois, mais j’étais tout petit et c’était à Amanil, après y’a eu la catastrophe et la mer elle est devenue toute verte, ça faisait peur… »

Beaucoup d’enfants sont nés durant cette horrible période. Nombre d’entre eux sont sans doute devenus orphelins à cause de l’emergendémie. Je sais que ce n’est pas le cas de Xavier, mais ça n’empêche pas d’avoir été traumatisé, comme à peu près tout le monde, par cette époque de crise dont il a été bien difficile de sortir pour certains.  

« Ah oui… je me souviens. C’est arrivé à Zazambes, à un moment, aussi. Mais je t’assure que maintenant, elle est toute bleue et claire comme avant ! »

Ah, que j’aime la mer. Même si je pense que la mer du sud manque quand même de vagues, parfois. Si on veut voir de vrais rouleaux il vaut mieux aller dans le nord.

« Mais je sais pas nager, moi… »

Xavier interrompt mes pensées et il a l’air tout piteux d’annoncer que la natation n’est pas son truc. Peut-être a-t-il un peu peur de l’eau vu ce qu’il m’a raconté.

« Je t’apprendrais ! Enfin, si tu veux. »

Tout semblait bien se passer mais le blondin est soudain devenu silencieux. Il regarde ailleurs et semble de plus en plus nerveux.

« Qu’est-ce qu’il y a ? »

Dis-je en m’efforçant de ne pas trahir la tension qui m’envahi à l’idée que j’ai pu mettre le petit mal à l’aise.

« Je… je veux pas déménager. J’en ai marre de déménager… »
« Oh… je peux te demander pourquoi ? »

Xavier a les lèvres qui tremblent un peu quand il se remet à parler.

« Bin… quand c’était la crise avec l’émergendemie on arrêtait pas de changer d’orphelinat et d’école et je pouvais jamais me faire d’amis. »

En plus, il me semble avoir lu que Xavier avait du mal à se faire des amis d’ordinaire. Mais en dehors de ça, ça a dû être terrible pour des enfants sans repères familiaux stables, de devoir en plus changer de lieu de vie de manière imprévue.

« Je comprend… tu sais, moi, je ne compte pas changer de maison. Enfin… pas avant d’être un vieux papy. »

Je ne sais pas si ça va le rassurer. Mais--

« …Un vieux papy ? Mais t’as quel âge ? »

…Bon, finalement, on a vite change de sujet. Xavier mes scrute avec curiosité. Je crois qu’il essaie de deviner mon âge.

« J’ai 42 ans. »
« Quoiiiii ?! Mais t’es déjà un vieux papy !! »

Le voila bouche-bée en me montrant du doigt. Entre 8 ans et 42 ans, c’est vrai qu’il y a un monde. Je ne suis pas outré bien longtemps et éclate de rire sans pouvoir me contrôler.

« Ne t’en fais pas, j’ai encore plein de temps, haha ! »

Xavier émet un « ah ouf ! » et fait semblant d’essuyer de la sueur sur son front d’un geste dramatique.

« Mais, tu sais Xavier, si Mme Christelle et tes amis d’ici te manquent, on pourra revenir les voir. »

Le blondin me fixe, m’invite à poursuivre.

« Je sais que c’est dur de changer d’endroit, parfois. Mais… si tu veux que je t’adopte quand le moment sera venu, je t’assure que je ferais tout pour que tu sois heureux. »
Il reste un petit moment sans rien dire, puis se contente de hausser les épaules, d’un air un peu dépité.

« Bof, tu sais, toute façon, depuis que Yara et Josh ont trouvé leur famille, j’ai pu trop d’amis ici. »
« Oh… eh bien, si c’est permis et qu’ils ne sont pas trop loin, on pourra aller les voir aussi. »
Il m’offre un grand sourire. Je n’arrive pas trop à le déchiffrer pour le moment. Est-ce qu’il se réjoui de notre première rencontre ? Est-ce qu’il voudra bien que je revienne le voir ? Tout est allé si vite ! Est-ce que je suis le seul qui a eu l’impression que nous avons très vite cliqué ? Je m’imagine déjà devant les papiers d’adoption, quel égoïste !

Comme cela était prévu au départ, je propose à Xavier de finalement l’aider à ranger sa chambre, comme on en parlait à mon arrivée. Le blondin est plus enclin à faire le tri après notre petite conversation et il en profite pour me montrer là où il range ses affaires, non sans en ressortir encore plus partout. Quand l’assistante sociale revient pour annoncer que Xavier doit bientôt se préparer pour un atelier (et que je peux rester regarder si je veux), elle est amusée de voir que les lieux ne sont pas trop rangé. Alors, Xavier me reproche presque qu’il faut qu’on se dépêche de ranger sinon, il va être en retard. Fort heureusement, nous finissons dans les temps. Il file ensuite à son atelier et me fait un « au revoir Lionel ! » enthousiaste, avec un grand sourire, tandis que je prend un petit temps pour continuer de parler avec la dame qui m’a accueilli. Je reste encore un peu à regarder l’atelier, pendant lequel Xavier est complètement absorbé et ne me calcule plus vraiment. Mais, il est temps que je rentre à la maison, même si je voudrais bien rester, n’ayant aucune envie d’attendre jusqu’à notre prochaine rencontre.

Je regarde l’heure sur mon téléphone en rejoignant ma voiture. Jill m’a envoyé un texto et me proposé de passer chez elle pour le début de soirée et me détendre un peu. Ce n’est pas de refus, je vibre sur mon siège tant je suis à la fois euphorique et anxieux et je pense qu’elle sait que je vais avoir besoin de tout raconter à quelqu’un… il est aussi clair que je ne pourrais pas m’empêcher de mentionner la chose pendant mes pauses au travail dès demain, aussi. J’ai envie  que le monde soit au courant. Enfin, façon de parler, je ne vais évidemment pas tout raconter sur internet comme un vieux boomer gênant. A vrai dire, je me réjouis tellement de faire tout ça sans même avoir une pensée pour mes parents. Je ne peux même pas exprimer à quel point le fait qu’ils ne soient plus (du moins plus autant) « dans ma tête » est libérateur, même si ce n’est pas facile tous les jours.

***


Grâce à Tuxedo Kamen, j’arrive rapidement dans la périphérie de Cayagane et sur le terrain en friches et la maison que Jill est en train de rénover pour y ouvrir son futur garage. Elle est sur sa terrasse en train de vapoter et de boire sa Monster en m’attendant, les jambes et ses grosses bottes posées sur la table. En me voyant arriver tout guilleret, la Eriksen m’interroge de son habituel air narquois et je lui raconte tout du début à la fin. J’ai tellement enchainé qu’elle a à peine eu le temps d’aller me chercher une boisson dans sa cuisine. Elle a profité que je sois là pour me montrer l’avancée de ses travaux, ce à quoi je ne pouvais que faire des « ooooh » et des « aaaaaahhh » impressionnés… je ne saurais rien faire de tout ça, moi. Quand nous revenons sur la terrasse pour nous poser, je marque une pause et soupire. Evidemment, je ne peux pas m’empêcher de m’emballer et commence à lui confier mes craintes. Peur que Xavier me déteste, de ne pas avoir été à la hauteur, d’être un adulte effrayant et creepy qui s’attache trop vite aux enfants, toutes ces peurs qui pourraient tout à fait être raisonnées et que Jill prend en roulant des yeux et en tirant sur sa vapotte.

« Ohlala, ouais, tu es en train de t’attacher à ce gamin qui a l’air vraiment adorable… what a monster. »

Hm. Mais euh… est-ce que j’en ai vraiment le droit ? J’ai le droit de vivre quelque chose d’aussi merveilleux ?
…Quel andouille, bien sûr que j’ai le droit. Pourquoi est-ce que je me pose ce genre de questions ? Huh… ma psy dirait que c’est parce que je me suis habitué à recevoir du mépris ou de la ridiculisation quand j’étais sincère… ou que, quand je faisais quelque chose d’important pour moi, on me disait que je pouvais faire mieux, même si les résultats étaient déjà à la hauteur de mon « mieux ».

« Ça ira. C’est clair qu’y voudra que tu revienne. »
« …tu crois ? »

Jill a vu que je faisais la moue. Je ne devrais pas me servir d’elle comme d’un bureau des pleurs comme ça.

« Bah oui, les enfants t’adorent. T’as toi-même un peu une face de gamin donc… »
« Hééééé… ! C’est ma fête ou quoi ? »
« Roh, jeez. J’suis contente pour toi. »

Elle fait bien de m’envoyer quelques piques, je suis un peu ridicule à douter et à sur-analyser mon bonheur ou mon prétendu karma. Je n’aime pas trop ces effets secondaires de ma thérapie : être en ultra-vigilance sur toutes mes actions afin de m’assurer de ne pas retomber dans mes vieux travers, me surveiller en permanence (même si des fois, il le faut bien, notamment pour rester sobre) ; aussi, je suis toujours en train de remettre en question toutes les choses positives qui m’arrivent… comme si elles cachaient forcément quelque chose d’horrible ou pire… que je sois heureux aux dépens de quelqu’un d’autre. C’est très auto-centré, comme manière de penser, j’en suis bien conscient, mais des fois, je me dis que si je vais bien, quelqu’un d’autre sera malheureux à cause de moi quand même. Bref. Ça n’a aucun sens, mais une partie de moi ressent ce besoin malsain de me trouver des raisons de douter de tout ce que je fais et apprécie, de toujours me surveiller si je ne me comporte plus comme l’enfant modèle de service.

Je souffle pour évacuer mes pensées intrusives et sourie à mon interlocutrice.

« Oui, je suis content aussi. »

J’observe le jardin de ma comparse dont elle ne s’est pas encore occupée. Je suis sûr que cet endroit sera super une fois qu’elle aura terminé les travaux et qu’elle aura le droit de pratiquer comme garagiste. C’est ce dont elle a longtemps rêvé, après tout. C’est fou comme entamer sa transition a changé sa vie en peu de temps. Je me perds un peu en fixant mon regard sur la Eriksen qui s’embellit vraiment de jour en jour. Enfin, je la trouvais déjà belle avant, mais la voir bien dans sa peau, ça la change du tout au tout, de manière positive.

« Tes cheveux sont vraiment jolis aujourd’hui ! Tu as fait quelque chose avec ? »

Mes propos ont l’air de la sortir de quelque pensée captivante. Elle m’observe en biais, surprise. Elle tire ensuite sa petite moue embarrassée habituelle et je vois ses joues rosir légèrement.

« Euh… juste ma teinture… »

J’emets un « ooooh » compréhensif. Le silence revient. Ce n’est pas que ça me dérange, Jill m’a appris à apprécier les silences, à vrai dire. Et j’ai aussi moins peur du vide maintenant que je commence à savoir ce qu’est « mon » vide, d’où il vient, pourquoi et comment je cherche à le combler… bref. La Eriksen me semble tout de même un peu hésitante. Elle fronce légèrement les sourcils en émettant des des « hmm » préoccupés presque inaudibles. Peut-être que je devrais cesser de la fixer ainsi ou de la dévisager.

« Lio, euh… »

J’hausse les sourcils en percevant l’hésitation dans sa voix. Je ne suis pas inquiet mais je sens qu’elle a besoin de se soulager un peu le cœur.

« Je… je me sens mal de t’avoir laissé tomber. Avec ces histoires d’adoption. D’avoir dit que je serais là, puis de m’en aller car j’avais d’autres trucs à gérer. »

…Ah. Je… je n’imaginais pas que ce sujet-là reviendrait maintenant sur la table. Quoique, c’est logique mais… enfin, je ne pensais pas que ça travaillait encore Jill à ce point. J’ai du mal à trouver mes mots pour lui répondre. Evidemment, je ne lui en veux pas et je ne veux pas qu’elle se sente mal pour moi.

« Non, non, ne t’excuses pas… ! Tu… tu découvres enfin qui tu es et je trouve ça formidable ! Ce serait moche de te retenir quand tu-- »

Je n’ai pas le temps de finir, mais je pourrais ajouter que dans cette histoire, j’ai aussi ma part de responsabilité. A la base, je ne l’ai pas prévenue dès le début que je voulais adopter.

« Je sais mais j’te parle de toi, là. »

Je pensais que nous avions déjà… peu importe ce que je ressens, non ? Je veux dire… qui suis-je pour l’empêcher de faire de qu’elle veut depuis si longtemps ?

« Je sais que… j’ai bien vu, que ça t’a blessé. »
« Bléssé… ? Je sais pas, c’est pas vraiment… »

Je ne crois pas que « blessé » soit vraiment le terme juste. Je ne me sens pas blessé. Je n’ai pas de rancœur. Mais je ne peux pas prétendre que je n’ai pas été affecté. Pour rien cacher… je me nous ai plusieurs fois imaginé, un moment, comme une gentille petite famille avec Jill et l’enfant qu’on aurait adopté ensemble. J’ai un moment cru que nous en arriverions là, après un temps et il m’arrive encore d’y penser, d’en rêver. Donc, oui, quand Jill m’a annoncé qu’elle ne se sentait pas de faire tout ça avec moi, je ne peux pas dire que cela m’a mis bien ou que je ne me suis pas senti me refermer. Elle ne pensait pas à mal. Mais est-ce que… est-ce que je ne l’ai pas un peu piégée là-dedans au départ aussi ?

« J’suis désolée de pas avoir assuré de ce côté-là. J’tais… vraiment ailleurs, la plupart du temps. »
« Jill, c’est… ne t’en fais pas pour moi. Je- enfin- c’est aussi ma responsabilité de ne pas t’en avoir parlé dès le départ. J’en suis désolé, je… je me suis imaginé beaucoup de choses. J’avais parfois des attentes un peu démesurées alors que.. »

J’ai été seul un long moment avant notre histoire, avec Jill. Et je ne parle pas seulement du fait que je n’avais pas été avec quelqu’un (de manière romantique, j’entends), depuis Shérylle. D’un point de vue amical, également, de mon entourage proche, c’était un sacré désert émotionnel. J’ai l’impression que je n’étais pas loin de commencer à perdre une part de mon empathie, par manque d’habitude et à force d’égocentrisme. J’ai probablement projeté sur la Eriksen mes manques affectifs et un retard que je voulais combler, en grillant les étapes.

Evidemment, Jill n’est pas la seule qui m’a poussé hors de cette zone de confort qui était devenue toxique pour moi et mon entourage, mais elle a assurèment participé… elle m’a aidé à me rappeler que je pouvais être apprécié pour ce que j’étais et pas pour la version formatée de moi-même qu’on m’a appris à être. C’est bien mièvre et simpliste, dit comme ça, mais, à la fin de la journée, c’est tout ce qui compte.

J’ai la gorge un peu serrée en me remémorant ma rencontre avec la Eriksen et où elle nous a mené.e.s, ces dernières années. Je ne sais pas trop où on va, avec cette conversation. Enfin… si, j’ai bien une idée. Ce n’est pas très joyeux mais je crois qu’on l’avait senti venir, ces derniers mois.

« …tu n’as vraiment pas à t’excuser. Je pense que les choses sont mieux ainsi… non ? »
« I guess. »

Je ne sais pas si elle désire que la situation évolue autrement. Elle a vraiment l’air d’aller bien et moi aussi, je me sens serein. Je sais que nous nous aimons toujours… plus amicalement que romantiquement, ceci dit. Des fois je me demande si je suis réellement attiré par l’amour au sens romantique, d’ailleurs… mais c’est un sujet pour une autre fois. De toute façon, l’essentiel, c’est qu’il y ait de l’amour, non ? Bon, c’est un peu mièvre, tout ça, je sais.

« Tu voudrais que les choses soient autrement… ? Entre nous, je veux dire ? »
« Hmmm… »

La Eriksen prend un petit moment pour réfléchir. Elle n’a pas l’air mal à l’aise ou d’omettre quelque chose. Je la sens détendue, comme moi.

« I don’t think so. It’s fine. »
Je souris doucement. Je sais qu’on pourra dire quelque chose comme « pas la peine d’en parler des heures non plus ou d’en faire des tonnes »… mais je n’en fais pas des tonnes, si ? Enfin… je pense que c’est important d’en parler.

« Tu sais… au final, je ne regrette rien, hein ! Je ne serais pas la personne que je suis aujourd’hui si je ne t’avais pas rencontrée ! »

Jill sourit doucement.

« Me too. »

Elle tire un peu sur sa vapotte et sourit en coin. Un silence passe et je ne sais pas trop comment enchainer.

« Well, so… On est en train de rompre là, où… ? »

La plus âgée met les pieds dans le plat. Bon, elle n’a pas tout à fait tord. Je tournais autour du pot sans trouver les mots et je suis un peu rassuré qu’on se soit compris.e.s. Pas que j’avais prémédité cette conversation aujourd’hui… mais je sentais qu’elle s’en venait à un moment où à un autre, ces temps-ci. Certainement que Jill aussi.

« …Yes… euh, oui… ? D-désolé, c’est pas ce que je— je suis pas venu te voir en préméditant tout ça, hein… enfin… »
« Bah… It’s ok. I mean… moi, en tout cas, j’voulais t’en parler à un moment. »

Ses paroles me soulagent. On a beau dire qu’on s’entend bien et qu’on arrive à bien communiquer, ces sujets restent difficiles à aborder sans craindre de manquer de tact. Evidemment, je suis quand même embarrassé par le silence et je me sens obligé d’ajouter :

« C’est vrai… mais… tu sais que je t’aimerais toujours hein ? Enfin, je veux dire… tu es mon amie la plus proche et tu le resteras ! »

Par Arceus, ce que je peux être dramatique. Jill n’a peut-être pas besoin que je m’éternise là-dessus jusqu’à demain. Elle a toujours son sourire calme mais regarde ailleurs, un peu embarrassée.

« I know. C’est juste… awkward, là. »
« Ahaha, oui, pardon. »
Je n’arrête pas de m’excuser tout le temps, ces temps-ci. J’espère que ça me passera. J’ai l’impression que c’est plus gênant pour moi et les autres que l’inverse. Enfin. Je laisse le silence envahir la pièce tranquillement. Je respire. Je me sens bien. Apaisé.

Après un petit moment, cela dit, je regarde à nouveau Jill et j’en viens à me demander si après cette conversation, elle ne préfère pas être tranquille.

« Hm tu veux que je—je peux m’en aller si tu préfères. Ou… tu veux qu’on joue à la console ? Ou qu’on joue au Scrabble ? Qu’on tire le Tarot ? »
Tant qu’à faire, je peux soit m’en aller, soit lui proposer de penser à autre chose. Son air malicieux marque à nouveau son visage et elle m’adresse un rictus plus mesquin.

« J’veux bien te ré-écraser à Smash. »

Ah ! Elle ne manque pas d’air !

« Ben voyons ! La dernière fois, tu as gagné car tu as triché ! »

C’est vrai, en plus. Elle a une tactique assez infaillible : elle se lève en gardant la manette dans les mains et se plante devant l’écran et remue les jambes pour être sûre que je n’y voie plus rien. Imparable. Je n’ai plus qu’à apprendre à jouer les yeux bandés pour faire face à ce genre de stratégie.

***


Quelques temps plus tard

Et voilà, on y est. Xavier vient de prendre place sur la banquette arrière de la voiture. Il me semble nerveux mais également impatient d’arriver à la maison. Nous aurons l’occasion de revenir voir les gens de l’orphelinat, ne serait-ce que pour faire le point sur la situation les premiers mois. J’ai l’impression de vivre dans un rêve en démarrant la voiture et en regardant le petit en train de parler à ses poneys magiques sur la banquette arrière. Il me semble détendu, montre le paysage à ses jouets en commentant tout ce qu’il voit passer sur notre chemin. Il est tellement mignon ! Nous nous sommes vite attachés l’un à l’autre lors de mes visites régulières et Xavier a formulé le premier qu’il aimerait bien que je l’adopte au personnel de l’orphelinat. Tout ça me semble surréaliste et évident à la fois. Il y a 3 ans, jamais je n’aurais osé ne serait-ce que penser que cela m’arriverait un jour… être parent. Être seulement capable de l’envisager, franchir le pas pour annoncer que oui, j’étais capable de changer, d’être heureux, d’être moi-même, d’être sobre et assez lucide pour élever un enfant.. ça me semblait inaccessible et pourtant nous y sommes.

« Lionel ! On arrive quand ?! »

Xavier s’agit à l’arrière et ne tient pas en place. Je lui dis en rigolant un peu de ne pas détacher sa ceinture tout de suite car il nous reste 15 minutes de route. Si je n’étais pas en train de conduire, j’aurais aussi envie que lui de détacher ma ceinture pour sauter partout et crier ma joie !  

Dès qu’on arrive à la maison, Xavier sort en courant, sautille devant le portail en attendant que je lui ouvre et commence à gambader dans le jardin jusqu’à la petite plage de sable en contrebas.

« Aaaaaahhh ! J’ai du sable dans les chaussures ça graaaatte ! »
« Retires-les ! »

Lui lançais-je tandis que je décharge ses affaires de la voiture afin de les ranger à l’entrée de la maison. Les Pokémon qui faisaient leur sieste à l’extérieur ont été réveillés par les exclamations du petit blondin en train de courir partout. Je leur avais bien entendu expliqué l’arrivée imminente de Xavier dans notre vie quotidienne et je ne vais pas cacher que certains d’entre eux ont réagi plus ou moins bien… il y a clairement eu des jaloux dans le lot, Kotetsu et Moloch les premiers. Shamshir et Draupnir ont en revanche très hâte de pouvoir jouer avec le blondin qui ne fait pour le moment pas très attention à eux. Xavier est désormais pieds nus sur la sable et crie que ça brûle un peu avant de filer vers la mer.

« Euh, attends-moi avant d’aller te baigner, quand même ! »

Lui lançais-je en sortant pour le rejoindre. Le gamin est déjà en train de courir sur la grève en laissant les vagues refroidir ses petons. Il s’arrête pour regarder la mer et les vagues et dessiner un peu dans le sable mouillé avec son doigt. Je finis par le rejoindre en trottinant et il m’adresse un grand sourire et me donne la main pour m’entrainer avec lui en longeant un peu l’écume et en criant pour faire « coucou » aux bateaux. Depuis peu que je le connais, j’ai vraiment l’impression que cet enfant n’est jamais épuisé, je ne risque pas de m’ennuyer dans les années qui viennent !

« Tu veux que je te présente aux Pokémons ? »
« Ouiiiiii ! »
Et le voilà reparti vers le jardin pour remettre ses chaussures en vitesse. Ses pieds sont englués de sable mais ça n’a pas l’air de l’ennuyer outre mesure. Gandiva la Haydaim est déjà sortie de sa cachette avec Shamshir et Zorin sur son dos. Le Shaofouine et le Dimoret font la fête à Xavier qui a l’air ravi d’être le centre d’attention de toutes ces créatures. Quand les plus grands nous rejoignent, cependant, il courre pour aller se cacher derrière moi. Une Tortank, une Ekaiser et un Moufflair qui surgissent comme ça a de quoi être assez peu rassurant quand on est pas habitué. Moloch, le vieux chat rose n’aide pas beaucoup, il faut dire, je viens de l’entendre feuler à l’égard du gamin.

« Lionel !! Le gros chat il est méchant ! »

Chouine-t-il en s’accrochant à ma chemise et en pointant Moloch du doigt qui souffle des naseaux avant de s’en aller en battant rageusement de la queue.

« C’est Moloch, il est comme avec tout le monde mais il est gentil en vrai, ne t’en fais pas. »

Je guide Xavier vers Aegis l’Ekaiser qui le fixe avec curiosité et emmène sa main sur les écailles de la dragonne qui se met rapidement à ronfler joyeusement. Inutile de préciser que les reste de mes compagnons sont venus renifler Xavier tour à tour. Je les sentais tendus au début, mais le calme revient rapidement. Le blondin demeure plutôt terrifié par mon Tenefix un peu mesquin camouflé dans les ombres, en revanche. Le pauvre, j’espère qu’il finira par s’habituer. Quand il s’y sera fait, ce ne sera surement plus qu’une question de temps avant qu’il veuille avoir ses propres Pokémon… et bien évidemment, je dirais « oui ». Ça va vraiment être compliqué d’apprendre à lui dire « non », à cet enfant, mou comme je suis.

Xavier se remet à visiter le jardin, commente le contenu du petit potager quand il passe devant, puis demande à voir l’intérieur de la maison. Je lui fais visiter en lui annonçant qu’on va en profiter pour poser ses affaires dans la chambre. J’ai décoré la deuxième chambre du haut en vue de son arrivée, j’espère qu’elle lui plaira. Je lui montre la cuisine, la salle à manger et lui propose quelque chose à boire mais Xavier semble plus intéressé par la décoration. J’ai un peu changé la disposition du rez-de-chaussée. Avant, la majorité de l’espace était occupé par une grande table à manger qui prenait clairement trop de place et dont je ne me servais que lors des réunions de famille avec les parents… chose qui n’aura plus lieu désormais, héhéhé ! Et Diantre, ce que mettre de côté cette table inutilement encombrante a créé comme espace. Je me disais que c’était bien que Xavier ait de l’espace au rez-de-chaussée aussi (même si la maison est loin d’être petite) donc j’ai rajouté un canapé et libéré des étagères (ça ne m’a pas fait grand mal de me débarrasser de la plupart des vieux trophées qui prenaient la poussière sur le buffet)… faut dire que j’avais quelques photos à retirer de là, aussi.

« Ah ! C’est Nadia !! »

Justement, les photos attirent le blondin tout de suite. Il a reconnu sa future cousine, car je lui avais déjà montré quelques photos en allant lui faire des visites. J’espère qu’il y aura bientôt des photos de nous pour compléter les quelques espaces vides laissés par le retrait de la sale tète d’Agamemnon. Xavier essaie de se rappeler pour nommer les gens sur les photos dont j’avais pu lui parler, pour le coup il a surtout été marqué par Nadia et Samson.

En montant à l’étage, Xavier visite ma chambre et passe un moment sur mes figurines, à demander qui est qui. Puis, nous montons enfin jusqu’à sa chambre. Elle manque encore un peu de décoration mais je sais que le blondin saura en faire son espace à lui. D’ailleurs, il veut déjà ouvrir sa valise pour tout installer et me demande de l’aide. Il oublie néanmoins bien vite le rangement pour jouer et je laisse faire. Je trouve tout de même quelques instants pour lui montrer où et comment ses vêtements seront rangés dans sa commode. Il a l’air plutôt attentif mais je le sens agité, évidemment. Avec tout ça, je ne lui ait même pas demandé quelque chose de plutôt important :

« Hm… ça te plait ? »

Xavier fait les cent pas dans la chambre. Il a l’air un peu nerveux et se tortille les doigts.

« Oui, oui, c’est bien. »

Il a l’air ailleurs, tout d’un coup.

« C’est la première fois que je vais dormir dans une chambre tout seul… »

Je n’y pensais plus, mais c’est vrai qu’il a toujours été dans un petit dortoir avec quelques camarades. Il doit avoir aussi du mal à réaliser que sa chambre sera peut-être bien complètement la sienne, sans partage et… eh bien, sans autres enfants ici. Le blondin était plutôt en retrait des autres et n’a apparemment pas exprimé son refus de quitter ses camarades. Mais le changement d’environnement est tout de même radical, brutal, même, quand j’y pense. A son pas plus saccadé et sa respiration qui se fait moins régulière je peux sentir que le petit se met vraiment à réaliser où il se trouve et ce que cela implique. Je laisse ses affaires de côté et l’invite à s’asseoir sur le lit avec moi. Xavier est devenu très silencieux, son regard est fixe tandis qu’il balance les jambes dans le vide au bord du lit.

« Je… je… je me sens pas très bien… »

Je fais de mon mieux pour rester calme alors qu’intérieurement, je suis plutôt à 200 à l’heure sur l’autoroute de la panique du « oh mon dieu qu’est-ce que j’ai fait abruti tu l’as brusqué quel monstre ». Je ne me voyais pas garder aussi bien mon sang froid en apparence mais j’imagine que la situation l’impose. J’espère tout de même que mon malaise n’est pas trop contagieux et que Xavier ne le ressent pas par empathie. Il a l’air soudain gêné et tend ses épaules, son regard se fait fuyant alors qu’il a habituellement plutôt tendance à me fixer droit dans les yeux (c’était un peu déstabilisant au début, d’ailleurs).

« P-pardon… »

Il contemple ses pieds qui se tortillent nerveusement.

« Mais non voyons, ce n’est pas grave. »

Avec un sourire doux, j’espère que ma voix ne tremble pas autant que mon corps secoué par mon affolement cardiaque. J’inspire profondément avant de reprendre :

« C’est normal que tu sois un peu angoissé, tu sais, c’est un sacré changement qui est en train d’arriver. Moi aussi je suis un peu angoissé, d’ailleurs ! »

Pas qu’un peu, d’ailleurs. Je n’ai jamais été aussi nerveux de ma vie (certes, je dis ça tout le temps, en ce moment et ça perd un peu de sa gravité mais bon), mais ça, Xavier n’a pas forcément besoin de le savoir. S’il n’a pas trop l’air de se détendre, c’est d’une voix hésitante qu’il tente de verbaliser ce qui le turlupine.

« Et si… et si j’arrive pas à dormir… ? Et si… et si je suis pas bien ici ? »

Oh… je ne sais pas trop quoi lui dire. Est-ce normal qu’il se pose ces questions-là ? J’imagine que oui. Je ne suis plus un enfant et je n’ai pas été adopté, je ne sais pas ce que c’est, ce doit être vraiment particulier de se retrouver dans sa situation.

« Si je suis pas bien et que rentre à l’orphelinat après c’est vraiment que je suis nul… »

Quoi ? Mais je ne veux pas qu’il rentre à l’orphelinat pour si peu ! Jamais ! Le pauvre… qu’est-ce qui lui fait penser qu’il serait nul s’il était angoissé ou… a-t-il si peur que je le laisse pour si peu ?

« Bien sûr que non ! Tu n’es pas nul… et puis… c’est moi qui serais nul, de te forcer à rester si tu veux partir. »

Qu’est-ce que je dis, moi. Je vais l’embrouiller.

« Mais… mais tu veux pas que je m’en aille, hein ? Tu vas… tu vas m’adopter pour de vrai, hein ? »
« Xavier… bien sûr que je veux t’adopter. Pour de vrai. Je t’aime beaucoup, tu sais ? »

Je réponds, au tac au tac, sans le moindre instant de réflexion. Comment ai-je pu avoir le moindre doute depuis toutes ces années, en pensant que je ne serais pas capable de faire ça ? Je n’ai plus aucun doute.

« Tu… c’est pas grave si tu ne me considères pas tout de suite comme ton papa. Ou que tu ne te sens pas tout de suite comme chez toi ici. Prends ton temps. »

Et même s’il ne m’appelle jamais « papa » eh bien… ben, peu importe, en fait, tant qu’il est heureux. Evidemment, j’espère quand même un peu égoïstement que ça arrivera un jour. Et j’ai bon espoir. Huhu.

« On pourra parler de tout ça avec l’assistante sociale ensemble. Je te promets que tout ira bien. »

Je vois que le blondin se détend. Il demeure silencieux mais me fixe avec un visage plus détendu et des yeux un peu brillants, pleins d’espoir.

« Et si tu ne dors pas bien tout seul, eh bien, je mettrais un matelas dans ma chambre pour toi, le temps de t’habituer. Ça te rassurerait ? »

Il hoche la tête, se frotte le bras nerveusement, puis sourit faiblement.

« Oui… j’aimerais bien ça. »

Je lui rend son sourire et laisse passer un silence, pour le laisser s’exprimer.

« Moi… moi aussi je t’aime beaucoup, Lionel. »

Cette fois c’est moi qui suis un peu submergé par mes émotions. Je reste un instant paralysé sans vraiment réaliser. Je me demande si je nage en plein rêve jusqu’à ce que Xavier fronce les sourcils et m’interrompe dans mon émerveillement.

« … tu veux pas me faire un câlin… ? »
« Ah-- Oh ! Si, si bien sûr ! »
Oui ben je… j’allais pas le câliner sans lui demander ! Même si j’en avais envie. Je ne peux retenir un petit rire en lisant une certaine sévérité enfantine dans son regard. Comment ai-je osé ! En prenant enfin le blondin dans mes bras, je ne peux m’empêcher de sourire comme un grand idiot. Il me serre fort et soupire, probablement soulagé. Je regarde l’heure sur ma montre, m’aperçois que le temps file et qu’il sera bientôt l’heure de diner.

Le temps va passer plus vite encore dans les années à venir. Je sais que mon enfant va grandir à une vitesse que je ne pourrais peut-être pas toujours suivre, que je serais surement dépassé par moments. Même si j’ai un peu peur, je sais que désormais, je suis ancré grâce à de solides piliers, qui m’aideront à ne pas sombrer à nouveau. Un nouveau sens à ma vie que j’ai mis des années à chercher alors qu’il n’était finalement pas bien loin. Je compte bien profiter des congés que j’ai posé pour les passer avec Xavier avant la rentrée des classes. J’espère que je ne serais pas trop demandé pour le travail sur ce temps. J’ai hâte que Nadia et Samson rencontrent leur cousin et peut-être, bientôt, Hanson aussi.

Dans les jours qui ont suivi, j’ai reçu une lettre d’excuses assez formelle et étrange de la part de maman à mon égard. Sixtine m’a dit être désolée et être heureuse pour moi et Xavier. Qu’elle aimerait le rencontrer un jour si je le veux bien. Qu’elle comprendrait si je ne veux jamais qu’il rencontre Agamemnon. Mitigé, j’ai laissé ce message de côté pour le moment et l’ait vite oublié. Xavier me posera sûrement des questions sur ses grands parents un jour et il faudra que je me prépare à lui répondre. Pour le moment, je n’ai pas envie que de mauvais souvenirs me hantent à nouveau, surtout pas maintenant que, quelques mois plus tard, les dernières étapes administratives ont été bouclées et que Xavier est officiellement mon enfant. Je veux simplement aller de l’avant. Si cela implique de ne plus jamais revoir les visages de mon ancien monde qui m’ont autant esquinté, eh bien, tant pis. Je m’en sors bien mieux sans eux, pas vrai ?
Zazambes - Printemps 2025
Lionel Roque-Lartigue
Lionel Roque-Lartigue
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Dim 3 Juil 2022 - 14:31
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