La nuit commence à tomber alors que j’arrive à mon point d’observation, au sommet des falaises. Je pose mes affaires, m’installe confortablement et je regarde le soleil se coucher derrière les nuages et peindre le ciel de teintes rouges orangées. Le silence s’installe petit à petit avec la déclinaison du soleil et je guette les alentours du haut de mon promontoire naturel. Des archéomires volètent autour de moi avant d’être chassés par des roucools sauvages très territoriales qui se disputent également entre eux. Des spoink passent en groupe en dessous de moi en sautillant sur leur ressort, l’air joyeux. Je souris en les regardant passer alors que leur perle illumine la pénombre d’une légère lueur rosée qui se reflète sur les parois humides des rochers, offrant un véritable spectacle de nuances colorées de rose de la teinte la plus claire à la plus foncée. Ils disparaissent progressivement entre les roches et il ne reste derrière eux que la nuit, bien installée. Pourtant, il n’est pas difficile de voir cette nuit-là, la pleine lune baigne le ciel d’une douce clarté qui permet de distinguer les formes et de confondre les ombres. Le Lougaroc, couché contre moi, bat lentement l’air de sa queue mais sous son attitude calme et posée, il y a loup qui meurt d’envie de courir et de hurler à la lune. Bien que de forme diurne, il entend les appels de ses congénères, les hurlements sauvages qui déchirent la nuit et je peux sentir son désir de les rejoindre.  Pourtant, il reste contre moi, à me tenir chaud et à me protéger des prédateurs dangereux.

Nous restons ainsi, l’un contre l’autre plusieurs heures, en têtes à têtes avec la lune et les étoiles. Seuls les hurlements des lougarocs sauvages rompant le silence de la nuit. Parfois, quelques bruits m’indiquent le passage d’un animal sauvage mais rien de dangereux ou d’inquiétant puisque le loup ne bouge pas et se presse même un peu plus contre moi. Je plonge ma main dans son épaisse fourrure et je commence à lui parler, de lui, de nous, du temps passé ensemble, des astres, de mes recherches. Et il m’écoute ainsi jusqu’à ce que je m’endorme à la belle étoile, sous un ciel clair et apaisant. Cette petite escapade, nous la faisons régulièrement, c’est comme un petit rituel qui existe depuis notre retour à Vanawi, depuis que je lui ai promis de lui montrer les montagnes. Dès que les beaux jours commencent à revenir, nous venons passer environ une nuit par mois au cœur du massif, une sorte de communion avec la nature mais c’est surtout parce qu’il en a besoin. Et à chaque fois, malgré son envie de courir, de voir ses congénères, de faire connaissance avec la meute, malgré tout ça, il reste calmement près de moi, comme un remerciement silencieux, comme si venir ici lui suffisait. Il ne demande pas plus, il est juste là, avec moi et c’est tout.

Pourtant, cette nuit-là, alors que l’aube n’a pas encore pointé le bout de son nez, un grognement me tire du sommeil. Je me redresse, un peu engourdi par le froid et effleure une oreille du lougaroc qui semble en alerte, la fourrure complètement hérissée. Sa posture m’alarme et je me dresse accroupi sur mes jambes, au cas où il faille fuir. D’un geste de la truffe, il m’indique la direction dans laquelle regarder et ce que j’observe me laisse perplexe. Une grandbull à la carrure impressionnante s’avance silencieusement entre les rochers, un œuf coincé entre ses deux pattes avant. Elle semble un peu amaigrie mais de là où je suis, c’est difficile d’en être certain. Elle continue à se rapprocher quelques mètres puis, bien en évidence, elle dépose son œuf rose claire tâché de ronds d’une teinte plus foncée sur le sol et elle repart, aussi silencieusement qu’elle est arrivée. Alarmé, je me lève et saute de mon petit promontoire avant de courir dans sa direction en l’appelant. Alertée par ma voix, la grandbull se fige et se retourne pour me faire face.  Elle grogne et montre ses immenses crocs dans ma direction, se dressant sur ses pattes arrière pour paraître la plus intimidante possible. Ayant bien capté le message je m’arrête et je la détaille de plus près, elle a le regard éteint et comme observé de plus haut, elle est un peu amaigrie mais elle n’a rien perdu de sa force et de sa férocité. Je ne veux pas risquer de m’y frotter et pourtant, elle vient d’abandonner un œuf et au vu de sa couleur, sans nul doute possible, son œuf.

« Tu es sûre de toi ? »

La chienne m’ignore et après un dernier grondement menaçant qui me dicte de rester à l’écart, elle s’en va comme elle est venue, en slalomant entre les rochers, sous l’aube qui se lève. Je ne peux m’empêcher de crier pour lui promettre.

« J’en prendrai soin ! »

Elle ne se retourne pas, ne m’accorde pas un regard mais je sais qu’elle m’a entendue. Ça me suffit. Je rebrousse chemin, le loup est déjà auprès de l’œuf, à le couver du regard. Avec délicatesse je le ramasse et je remonte pour l’emballer d’une couverture polaire où il sera au chaud le temps de redescendre jusqu’à la voiture. Je me dépêche de ranger mes affaires  et sous un soleil naissant, nous redescendons les falaises, les pensées voyageant entre le futur chiot qui allait partager ma vie et l’absence de vie dans les prunelles furieuses de la grandbull.