Même si Mell était de plus en plus méfiant d’Elixir à mesure que les années passaient et qu’il fréquentait les milieux Anarchistes, il devait reconnaitre qu’en tout objectivité, leur campus avait de la gueule. Les locaux neufs, presque futuristes, avec des jolis parcs, ça faisait un peu rêver le nerd qu’il était… Mais bon, il ne pouvait pas s’empêcher de penser aux quantités de fric qui avaient dû passer là-dedans à l’époque en parallèle avec d’autres problèmes qui auraient dû être, à son sens, prioritaires. Ou alors, il faisait un peu trop la fine bouche et devrait se contenter d’avoir pu participer à un séminaire fort passionnant avec d’autres chercheurs dans des conditions impeccables. Après tout, il n’avait pas refusé de communiquer dans un tel lieu, donc cracher sur l’argent qu’Elixir avait investi dans leur campus était certainement mal venu. Bref, dans tous les cas, il en faudra bien plus au Straum pour envisager de vendre ses recherches à Elixir. Mell restait toujours plus attaché à l’Université d’Amanil où il s’était épanoui dans sa carrière, même si certains locaux commençaient à se faire vieux. Et puis, il n’était pas plus mal loti au Centre de Nuva Eja.

Vraiment, le medecin-chercheur était guilleret, en cet après-midi qui succédait à sa petite conférence où il avait pu parler de ses recherches et de ses récentes études de terrain auprès de Saucisse, sa Simularbre. Cette dernière était d’ailleurs partie se dégourdir les jambes dans le parc avec Lazuli, sous la surveillance attendrie du binoclard occupé à vapotter à l’ombre. La Miaouss au poil bleuté semait facilement le type roche et jouait à se cacher pour surprendre Saucisse, ce qui marchait à tous les coups et résultait en des fous rires de la part du simili sylvestre.

Dans son apaisement, le binoclard n’aurait jamais suspecté qu’on l’espionne de loin. Par ailleurs, il ne connaissait pas grand monde chez Elixir, à l’exception de Tristan à qui il avait envoyé un message pour lui proposer qu’ils profitent de son passage pour se voir, mais c’était apparement mal tombé. Tout ça pour dire qu’il fut assez surpris qu’un type qu’il ne connait pas du tout par son réseau de chercheur vienne engager la conversation avec lui. La tronche du grand châtain à lunette lui revint vite, comme celle d’un ami de Tristan, mais c’était une bonne chose qu’il rappelle tout de même son nom.

Ah, oui, Adam ! Le fameux collègue de Tristan !

En réalité, il l’avait déjà croisé très brièvement mais n’avait pas eu le temps de parler avec lui. Dans tous les cas, le Straum fut tout d’abbord surpris par la politesse presque étrange employée par le plus grand pour s’adresser à lui… personne ne l’appelle « docteur », même dans son milieu, bien que techniquement, c’est vrai qu’il est docteur et qu’il en tire un peu de fierté. Venant de quelqu’un qu’il avait déjà croisé et dont il avait un bon a priori, c’était un peu bizarre. Ou alors, Adam était juste réservé et voulait bien faire ?

« Oh ! B-bonjour ! C’marrant d-d’vous voir ici ! »

Euh, enfin, pas vraiment, il est ranger et c’est pas vraiment bizarre de trouver des rangers sur le campus d’Elixir… enfin bref !

Le chercheur tendit sa main en direction de son interlocuteur vers qui il s’était retourner pour le saluer. Il lui envoya son sourire le plus naturel, soucieux d’avoir l’air sympathique… il ne voulait pas faire mauvaise impression face à l’ami d’une personne qu’il appréciait, d’autant plus que le Straum avait souvent entendu parler d’Adam… D’ailleurs, il s’était demandé de temps en temps s’il n’y avait pas plus que juste de l’amitié entre lui et le Weber. Ça ne serait pas si étonnant, après tout, Tristan et Adam étaient tous les deux plutôt attirants, dans leur genre, maintenant qu'il y pensait, mais il s’égare. Après tout, suite à plusieurs conversations avec l’ancien éleveur, Mell avait cru comprendre que ce dernier n’avait personne dans sa vie en ce moment… quoique, ça aurait pu changer en peu de temps. Enfin, on s’éloigne du sujet.

« Ou-oui, Adam, b-bien sûr ! On s-s’est déjà c-croisé vite fait ! T-Tristan m’a souvent parlé d’vous ! »

Tout de même, ça le gênait quand même que le Gibson l’appelle par son « titre ». Il trouvait ça assez impersonnel. Quand on l’appelle comme ça, il se dit toujours que c’est parce qu’on veut lui demander quelque chose d’ingrat… Quand ça vient d’un.e étudiant.e maladroit.e c’est plutôt attendrissant, mais pas tant quand la personne en face de lui a plus ou moins son âge et n’est pas un.e universitaire.

« M’fin, ap-pellez-moi Mell, le « docteur » c’est un p’tit peu gênant, hahaha… »

Dans son embarras, il remonta ses lunettes sur son nez et jeta un œil vers le parc pour vérifier que ses alliées ne s’éloignaient pas trop, mais elles étaient toujours en train de jouer sans avoir l’air de s’épuiser.

« Oh, je, euh, p-pas exactement ! J’tais là pour un séminaire de r’cherche… celui sur les études de t-terrain au sujet des capacités d’app-prentissages des Pokémon ! »

Avec son sens de l’orientation tout pourri, le chercheur n’avait pas osé s’aventurer plus que ça dans les bâtiments, de peur de s’y perdre. Il n’aurait pas dit « non » à une visite guidée non plus, en soi, comme il était poussé par son insatiable curiosité.

« Mais n-non, j’ai pas eu cette oc-ccasion et j’allais p-pas y aller t-tout seul : j’me s’rais perdu ! »

Il se remit à rire bêtement pour détendre l’ambiance. Son regard revint vers l’autre lunetteux. Celui-ci avait entamé la conversation, cela signifiait certainement qu’il avait du temps pour lui pour bavarder et Mell aurait aimé en savoir un peu plus au sujet du Ranger. Après tout, il n’avait pas de raisons de ne pas essayer de faire copain-copain avec l’ami de Tristan !

« Et vous, alors qu-qu’est-ce qui v-vous amène… ? V’z’êtes en p-pause entre deux rapports d’exploration ? »

Peut-être que Mell devrait arrêter de sourire et ricaner pour avoir l’air sympa, des fois. Ou du moins, être moins insistant avec ça et se modérer car ce ne serait pas la première fois qu’on penserait qu’il se fout de la tronche de son interlocuteur quand il tente juste d’être sympa et camoufle un léger malaise.

Cette entrée en matière n’a apparemment rien d’étrange et pourtant, Mell sent une sorte de tension dans l’air (et ce n’est pas le genre de tension qu’il aime). Le binoclard n’étant pas très perspicace, il ignora une fois de plus son pressentiment en s’imaginant que cela devait juste être dû à l’aspect inattendu de sa rencontre avec Adam. Après tout, aborder quelqu’un de manière spontanée est toujours un peu stressant, donc, ceci devait expliquer le côté légèrement malaisant de la situation. De plus, le ranger n’avait pas l’air de lui vouloir le moindre mal et lui était plutôt sympathique (pas qu’il ait vraiment d’avis préconçu qui aille contre cette affirmation vu comme Tristan lui avait parlé en bien de son ami et collègue).

Non sans hésiter, Adam confia à son interlocuteur qu’il venait de terminer sa journée et confirma que le fait qu’ils se soient croisés était tout à fait fortuit.

Rien d’étrange à ça donc, ça arrive, des fois (rarement, certes) que le hasard fasse bien les choses !

Le binolard ne fit pas de commentaire quand à la gêne apparente de l’autre qu’il trouvait décidément un peu trop poli. Après tout, il lui arrive aussi d’être intimidé devant des inconnus donc il se contenta de sourire avec bienveillance au plus grand. Il voulait faire en sorte de mettre Adam à l’aise (et donc, de se mettre à l’aise aussi), mais il n’était pas vraiment au bout de ses surprises. Ce dont le jeune homme à la peau mate lui fit part ne manqua pas de prendre Mell de court.

« Euh… ah bon ? »

Cette fois-ci, il n’avait pu s’empêcher d’arquer un sourcil de manière interloquée. Fausse modestie mise à part (et même si l’idée que Tristan l’admire le flattait un peu), le chercheur ne voyait pas trop le rapport entre cette admiration et le fait qu’il soit docteur. Enfin, si, il pouvait l’imaginer mais il était à peu près sûr que si Tristan aimait passer du temps avec lui, ce n’était certainement pas pour ses diplômes.

« ‘Fin, euh… j’pense p-pas que mes di-diplômes aient grand-chose à voir là-d’dans, m’fin, ok. »

Mouaiiiis. Je reviens sur ce que je pensais… ça commence à être un peu chelou, cette histoire.

Pour signaler non-verbalement son scepticisme (pas sûr qu’Adam comprenne pour autant), Mell tira longuement sur sa cigarette électronique. Il laissa le châtain reprendre la parole, ne sachant pas trop quoi lui dire d’autres et aussi un peu curieux de découvrir ce que l’autre allait lui sortir ensuite. Ce n’est pas que le lunetteux doutait des bonnes intentions d’Adam, en soi. Il suspectait juste un peu, qu’avec tous ces compliments censés le mettre à l’aise, l’autre n’ait pas quelque chose à lui demander. Peut-être devrait-il lui poser directement la question. Mais avant, ça, il laissa l’autre se remettre à parler.

« P-pas tout à fait mais z’êtes sur la bonne voie. C’est p-plutôt que j’étudie les capacités qui leur permettent d’apprendre d’autres ca-capacités qu’y connaissent p-pas. C-comme copie, par exemple. Et, ou-ouais, c’est vachement fascinant m-même s’y n-nous reste p-pleins d’choses à découvrir. »

Il avait pris l’habitude d’expliquer le sujet de ses recherches en donnant un peu toujours les mêmes exemples. C’était devenu un peu machinal, avec le temps, ce qui ne voulait pas dire que cela lui faisait moins plaisir que d’autres s’intéressent à son travail. Mais dans le cas présent, les questions d’Adam ne parvenaient pas vraiment à lui faire oublier l’étrangeté de la situation. Mell soupira en se préparant à poser la question qui fâche.

Rah, bon sang de bonsoir, que c’est gênant...

« Arhem… Vous, euh… j’suis ptet t-totalement à c-côté d’la p-plaque, m’fin… z’attendiez quelqu’chose de m-moi ? Non, p-parce que j’trouve l’amb-biance un p-peu zarbe là, en fait. »

Il n’allait pas relever les « courbettes » gênantes de l’autre ni jouer sur les mots, ça ne ferait pas avancer le shmilblick et en plus, Adam risquait de prendre ça pour une attaque personnelle. Ce n’est pas exactement dans les habitudes du nerd de se mettre des gens à dos.

« V’vouliez m’demander un truc ? Ça a rap-p-port avec Tristan… ? »

En prononçant ces derniers mots, Mell commençait un peu à s’inquiéter.

Ouais, euh, j’espère qui lui est rien arrivé, quand même…

Pour une fois, on ne pourra pas vraiment lui reprocher d'avoir osé mettre les pieds dans le plat. Aussi, c'est bien vrai que Mell est sensible aux compliments mais il se vexerait presque qu'on le prenne à ce point pour une pomme. Quoiqu'il lui est arrivé de tomber dans le panneau pour bien moins que ça. Probablement qu'Adam était juste vraiment pas discrêt, après tout, ça arrive. Mais le fait est qu'après que le binoclard ait fini par poser ses questions en recommençant à tirer sur sa vapote d'un air suspicieux, le ranger eut l'air embarrassé.

Mais qu'est-ce qu'il me veut alors ? Franchement, c'est pas rassurant de faire ce genre de trucs, j'ai rien fait de mal, me semble-t-il. S'y veut m'emmener à son poste de ranger, attention, je crie !

Et même s'il n'avait pas fait de sport depuis un bail, Mell était aussi prêt à se mettre en garde de manière totalement improvisée afin de se défendre. Mais n'empêche que malgré sa maladresse, il était difficile de se dire que le Gibson était vraiment capable de faire des saloperies à l'encontre du scientifique. Ses explications ne passèrent pourtant pas si bien que ça auprès du Straum.

Différent de ce qu'il imaginait... ? Keuwa ?

« ..Ça v-veut dire quoi ç-ça ?! »

S'il devenait un peu sec, son interlocuteur, lui avait vraiment l'air de ne plus savoir où se mettre et se justifia en disant qu'il ne pensait pas du mal de lui. Le rouflaqueux haussa les sourcils et pinça les lèvres d'un air signifiant « oh vraiment ? ».

Ça me fait une belle jambe, ce que tu me racontes, Adam.

Enfin, visiblement, le ranger était désolé d'avoir eu une attitude un peu louche et le chercheur commença à se calmer en retour. Le voir aussi piteux ne générait aucune espèce de plaisir sadique chez lui, au contraire, il avait un peu pitié de voir l'autre s'enfoncer un peu plus à chaque fois qu'il parlait.

« Roooh... C-c'est bon arrêtez d'vous j-justifier, ç'bizarre là... »

Ce que Mell venait de dire avait empiété sur la dernière phrase de l'homme à la peau mate en face de lui. IL arqua un sourcil sans être sur d'avoir bien entendu. Le Straum commençait à se dire que la conversation n'était pas tant à propos de lui qu'à propos de leur ami commun. A propos de Tristan, donc.

« Euh... O-kayyyy... »

C'est juste ça ? Attends, c'est hyper louche d'aller stalker le pote de son pote pour savoir des trucs sur lui... apparement, on est proches avec Tristan, j'imagine que parmi mes amis, il serait assez proche de moi, oui. Mais c'est pas la question, je comprends juste pas pourquoi Adam se préoccuperait des fréquentations de son... Oh.

« Proches... ? Hm... et ç'peut vous faire q-quoi, en fait ? »

Le Straum rangea sa vapotte dans sa poche comme il fallait qu'il se modère même s'il se sentait nerveux. Quelque chose lui disait qu'Adam devait avoir un certain interêt pour Tristan pour essayer de voir qui sont ses amis.

Hem... c'est pas glorieux cette histoire mais j'avais un ex comme ça, qui allait voir mes collègues pour leur demander quelle relation y avaient avec moi. C'était un vrai con et cette relation craignait mais... je crois pas qu'Adam soit comme ça, m'enfin, je peux pas m'empêcher de penser que...

Mell se pencha un peu vers l'avant en se rapprochant du plus grand, puis reprit, un peu plus sur le ton de la confidence.

« Sinon, on est « p-proches » mais p-pas « ensemble », hein. Pas d'conf-confusion. »

Sous entendu, « si c'est ça qui t’intéresse », m'voyez.

La réaction de l'autre ranger lui indiquerait sûrement si son intuition était encore un peu valide où s'il était complètement à côté de la plaque.

Mec, arrêtes, t’es plus rouge que ma Darumacho quand elle est vénère.

Avait-il vraiment envie de dire à son interlocuteur dont les joues venaient de s’empourprer. Il haussa les sourcils, ne sachant pas vraiment quoi répondre à Adam qui refusait d’admettre qu’il était tellement transparent que même Mell arrivait à lire en lui. Enfin, si le Ranger ne voulait vraiment rien dire, alors le binoclard ne pouvait pas le forcer à avouer. Ça lui faisait de la peine de le voir ainsi, en fait, c’est compliqué quand on a un crush et qu’on est trop intimidé pour avouer ses sentiments à la personne concernée. Mais bon, en même temps il continuait de nier avec une attitude un peu péteuse et un peu irritante.

« Pfff… d-d’accord, d’accord, s'vous l'dites... »

Mell n’allait pas insister, et se contenta de lever les yeux au ciel. Il n’eut pas a affronter le potentiel silence gênant qui aurait pu suivre, parce que Tristan arriva pile poil au bon moment. Ou au plus mauvais moment, selon les points de vue, ça pouvait varier.

Dans tous les cas, il a le sens du timing, cet andouille.

« Ah bah t-tiens, salut ! On p-parlait d'toi avec Adam. »

Le Straum appuya sur le prénom de son interlocuteur, qui s’était fait royalement ignorer par Tristan au premier lieu. Avec ce qu’il savait, ça lui faisait franchement de la peine. Lui-même il n’est pas doué pour remarquer lorsqu’il plait à quelqu’un, m’enfin, tout de même. Le pire, c’est que le Weber ne se rendait visiblement même pas compte qu’il enfonçait encore plus le pauvre Adam avec chacune de ses interventions. Mell commençait vraiment à plaindre le ranger à la peau matte et se sentait presque mal d’être de nouveau le centre de l’attention. Avant qu’il ne puisse trouver quelque chose à dire dans cette situation inconfortable, Adam leur donna une excuse un peu bateau (enfin, ça en avait tout l’air) et s’eclipsa plus vite que l’éclair.

« Hein ? M-mais ! Att-attendez-- ah, il est d’jà parti... »

Ainsi se terminait son étrange entrevue avec le Gibson. Aussi bizarrement qu’elle avait commencé. Mais si Adam avait vraiment des sentiments pour Tristan, alors, Mell pouvait voir d’où venait son comportement. Lui-même avait déjà fait des trucs vraiment chelous devant ses crush. Sans parler des fois où il évitait Etienne au lycée car il était trop intimidé par ses sentiments, il avait aussi fait la scène de « oups j’ai renversé ma bière sur ton pote oh bah quel hasard nous voila seuls pendant que la personne à qui tu causais est allé se nettoyer ! ». Non, vraiment, le chercheur compatissait au sort d’Adam plus qu’il ne le trouvait « bizarre ».

« M’ouais… j'trouve il avait l'air un p-peu véxé. »

Moi j’dis ça, j’dis rien.

Marmonna le Straum en croisant les bras. Il regarda Tristan d’un air blasé, souligné d'un longue aspiration dans sa vapotte. Non, la subtilité, il ne connaissait pas trop. Ça n’allait pas forcement aider Adam, en plus, qu’il réagisse ainsi. Tristan lui demandait comment s’était passé le séminaire et le binoclard haussa les épaules avec un sourire en coin. En voyant Tristan de loin, Saucisse avait rejoint son dresseur et sautillait en espérant avoir de l’attention de la part du Ranger qu’elle avait déjà vu plusieurs fois. Lazuli, la Miaouss à la robe grise-bleue, restait pour sa part aux pieds du scientifique et fixait les deux humains.

« Ah, ouais, c'tait sympa, intéressant, t-tout ça. J’ai croisé Adam en s-sortant, 'fin, l’est venu m'parler. Y voulait parler d't-toi, en fait, c’tait un peu chelou, m’fin… l'a vraiment l’air de bien t-t’aimer, en fait. »

Ouais, ouais, me voila avec mes gros sabots, me voici. Critiquez pas, c’est qu’il m’a fait pitié le Adam, là, hein, rien d’autre.

Il prit une pause avant de directement sortir la carte « hé mais pourquoi tu sortirais pas avec lui en fait, hinhinhin wink wink ? », tel un gros relou. Avant ça, il essaya d’imaginer les deux Rangers ensembles. Ça lui faisait bizarre, en fait. Il n’imaginait pas vraiment Tristan avec quelqu’un. C’est qu’il ne l’avait jamais vraiment vu ou entendu manifester beaucoup de ce genre d’intérêt pour une autre personne. Il ne savait même pas s’il avait eu des copines ou des copains depuis son exe, en fait, là, Adé… Adé-quelque chose. Bref. Peut-être est-ce qu’ils ne sont pas si complices que Mell ne l’imaginait, en fait. Si Tristan n’avait pas été avec quelqu’un depuis longtemps, ça expliquerait aussi son « ignorance » vis-à-vis de l’attirance d’Adam. Lorsque le binoclard lui parlait de ses rencards, le brun ne semblait pas toujours très à l’aise non plus.

« Z'avez l’air p-proches avec Adam, il a l’air de tenir à toi et t-tout. »

Enfin, euh, je crois ?

« C’marrant qu'tu m’aies jamais di-dit qu’il était si b-beau gosse ! T’as peur que j'te l'pique, c’est ça ? »

Pour l’approche plus subtile, on repassera. Toujours bien lourd, le Mell, en tout cas. Pour tempérer,   il donna un coup de coude amical au Weber et se mit à rire de bon cœur en espérant détendre l’atmosphère. Plus sérieusement, il était tout de même curieux de la réaction de Tristan.

Bon, ce n’est pas très glorieux tout ça. Mell pensait vraiment être assez lourd et mettre suffisament les pieds dans le plat pour que Tristan comprenne où il voulait en venir. Mais non.

Pauvre Adam. Paix à ton âme, poto.

Le Straum ne put retenir un soupir las en constatant que le ranger à la peau matte était totalement dans le coin « super poto pour le vie » de l’esprit de son interlocuteur. Pas que ce soit un mal, mais, vu le comportement du Gibson un peu plut tôt, le binoclard se disait que peut-être, il  voulait être un peu plus que ça. Vu le nombre de fois que ça lui était arrivé, Mell ne pouvait que compatir, au point d’être un peu trop déterminé à faire en sorte qu’Adam ait une chance avec l’autre elixirien.

M’enfin, autant parler à un cul constipé depuis 3 mois, là, j’ai l’impression.

Il retroussa les lèvres en entendant les réponses de son ami, plus gêné qu’autre chose. C’est peut-être mieux qu’Adam ne soit pas là pour entendre ce que dit Tristan, tout compte fait. Là où le Straum se retrouvait largué, par contre, c’est que le Weber n’envisageait pas du tout que son collègue et ami puisse être attiré par lui, mais maintenant, il s’imagine que c’est le scientifique qui est intéressé.

« Mais n-non. c’est p-p-pas c’que j’voulais... »

Évidemment, comme il bégaie toujours, on dirait qu’il hésite et nie, mais en réalité, il est plutôt blasé. C’est vrai, il a dit qu’Adam n’était pas moche, mais bon, s’il était intéressé par tous les hommes qu’il ne trouve « pas moche », alors sa vie serait un enfer.

Oui, haha, c’est pas du tout mon genre, hein… hein… accordez-moi un peu de crédit s’il vous plaît.

Dans tous les cas, Tristan était lancé dans son délire, maintenant. Mell leva les yeux au ciel en parlant de rencard arrangé et secoua négativement la tête.

C’est plutôt toi qui aurait besoin d’un coup de main !

Bon, certes, l’idée du rencard n’était pas débile. Il pourrait s’arranger pour que Tristan et Adam se retrouvent au même endroit ou juste les inviter tous les deux puis trouver une excuse pour s’éclipser. M’enfin, si le Weber n’est vraiment pas intéressé, alors il n’allait pas lui forcer la main, non plus.

« Laisses tomb-ber, T-Tristan. J’m’en p-passerais. »

Et la conversation aurait pu juste s’arrêter là. Mell aurait juste fait le deuil de son « OTP » et aurait changé de sujet sans plus tarder. Mais l’autre continuait à faire des remarques qui donnaient juste envie au Straum d’essayer de lui remettre les yeux en face des trous.

« Ah, bah ça… c’bizarre. »

Ironisa le scientifique en remontant ses lunettes sur son nez. Il se baissa pour prendre sa Miaouss d’Alola dans ses bras, ces derrière réclament des câlins puis se remit à marmonner.

« C’comme s’il était soit p-pas intéressé par les f-femmes, ou c-comme s’il avait d’jà q-quelqu’un en vue. »

En appuyant sur le « quelqu’un », Mell arqua un sourcil en regardant dans la direction de Tristan.

« ‘Fin b-bref. »

A force, ça le fatiguait un peu ce dialogue de sourd.

« D-dans tous les c-cas c’ballot qu’y soit p-parti, on aurait p-pu aller s’boire un t-truc tous les trois. Ou juste s’balader. T’veux aller faire un t-tour ? »

En attendant d’avoir l’approbation de Tristan, le chercheur rangea sa vapotte et remit son sac en bandoulière sur son épaule. Puis il se mit à marcher tranquillement reposant Lazuli à ses pieds. Saucisse était toujours aussi jouasse et marchait en souriant aux côtés de Tristan. En regardant la scène, le Straum se remit à sourire en coin.

« T’étais sur le terrain, ‘taleur ? T’as des trucs p-prévus si t’as fini ta journée du c-coup ou tu dois rentrer à Zazambes ? »

Maintenant qu’il y pense, ça fait une petite trotte à parcourir tous les jours après le boulot. Enfin, il connaît le soucis, les jours où il ne travaille pas à Nuva Eja.

Mell s’inquiéta que Tristan prenne mal son désir de parler d’autre chose mais le ranger ne lui en tint pas rigueur. Au contraire, il eut l’air de comprendre qu’il valait mieux changer de sujet. Il lui parla donc de sa journée et de ses idées de balade. Le Straum se mit à sourire spontanément à son ami lorsque celui-ci lui parla de la réserve où il était demandé et des Pokémon qu’il retrouvait. Leur dernière conversation a prouvé que le Weber n’est pas spécialement doué avec les humains, néanmoins, le chercheur a plusieurs fois constaté son aisance avec les Pokémon. Probablement que ce sont  simplement ses habitudes d’éleveur qui le rendent aussi à l’aise. Le Straum ne peut pas en dire autant.

Le binoclard s’aligna avec les décisions de son pote, la côte marine n’étant pas bien loin. Ils aimaient décidément bien se balader sur la plage, mais, en même temps ils habitent sur un île, alors… enfin bref. Tristan joua un peu sous le regard attendri de son accompagnateur avec Saucisse qui se faisait affectueuse et quémandait des caresses. La Simularbre était toute fière d’avoir des bras pour faire des câlins depuis qu’elle avait évolué et en profitait un peu trop, ça attendrissait drôlement Mell de la voir aussi désinhibée.

Tandis que les humains et leurs alliés progressaient en direction de la plage, leurs conversations continuèrent d’aller bon train. Le ranger semblait tout de même pensif depuis qu’il avait abordé le sujet de sa fameuse réserve. Apparemment, son aide là-bas était appréciée, peut-être un peu trop, au point que ça donnait potentiellement du travail supplémentaire au Weber. Le rouflaqueux pensa en premier lieu que Tristan s’apprêtait à lui dire qu’il ne savait pas bien comment dire « non » à ses collègues de la réserve. Mais c’était autre chose qui turlupinait son ami. L’ancien éleveur aimait visiblement toujours beaucoup s’occuper des Pokémon comme il le faisait avant et Mell en fut un peu surpris car il pensait que Tristan aimait vraiment son boulot de Ranger.

« Ah ouais ? B-bah… c’est b-bien, ça, nan ? »

Comme il aime son travail de manière générale, le chercheur a tendance à partir du principe que si les gens ne disent pas de mal de leur boulot, c’est qu’ils en sont satisfaits. Enfin, lui-même a envie de mettre son bureau sans dessus-dessous et d’en avoir marre de crouler sous les papiers et les deadline par moments. Mell ne prend pas vraiment le temps de s’interroger sur « est-ce que c’est vraiment le travail de mes rêves », car il s’estime très heureux d’être à sa place actuelle. Pour revenir aux questions que se posait Tristan, il ne sut pas tout de suite quoi lui répondre mais cela lui faisait plaisir que son interlocuteur ose un peu s’ouvrir et se confier, pour une fois.

« Euhm… j’sais p-pas trop en fait. J’crois p-pas que les trucs du genre « le m-métier d’mes rêves » ça existe. M’fin, j’tais pas mauvais à l’école et pour b-bachoter, pis en entrant à l’univ-versité j’trouvais s-super cool de déc-couvrir pleins d’nouveaux t-trucs, j’ai commencé à chercher des trucs et pis c’est allé super vite après ça. Ça m’a m-mis sur la route de c’que j’fais aujourd’hui, quoi. Et ça m’va. »

Son parcours n’a rien de bien extraordinaire à ses yeux, surtout qu’il se rappelle avoir pas mal galéré. C’est à ses yeux une raison de plus de se satisfaire de ce qu’il a aujourd’hui.

« J’suis juste un gros nerd en fait, héhé ! »

Finalement, il n’a peut-être pas « toujours voulu être chercheur », mais il a toujours bien aimé découvrir des choses dans les livres et surtout sur internet.

« Pis… ‘fin, t’vas ptet trouver ça c-con mais… disons que, euh, ma famille était vachement limite sur les sous quand j’tais gamin. Mon p-père c’tait l’genre… bon c’tait un gros c-con et c-clairement y croyait pas en nous. P-pis à l’école c’tait pas hyper facile non plus, t’vois. »

Mell ne parle pas très souvent de tout ça. Enfin, il en a déjà causé avec Natsume plusieurs fois, comme leurs expériences avec le milieu scolaire et le milieu de la recherche se recoupent parfois beaucoup. Par extension, Samaêl sait quelques trucs aussi, mais sinon, le sujet de sa famille et de ses « galères » n’est pas quelque chose qu’il ose souvent aborder souvent. Il ne veut pas faire de misérabilisme, mais il est clair que les soucis qu’il a rencontré jusqu’à ce qu’ils soient à peu près stables financièrement avec Leanne l’ont poussé dans une mentalité où il sentait obligé de « faire ses preuves ».

« J’crois qu’y’a p-pas mal de gens comme moi qui f-font des grosses études comme ça parce que… c’est un p-peu une revanche en fait. P-parce que j’ai pas vraiment gagné à la l-loterie de base, en f-fait, que j’ai galéré, alors j’voulais aussi un peu montrer que… bah, moi aussi, j’pouvais chopper le doctorat et être chercheur. »

Le scientifique se re-concentra sur le chemin menant vers la côte. Un peu gêné par sa confession devenue plus longue que prévu, il se sentit rougir légèrement et détourna le regard pour que Tristan ne le voit pas trop dans cet état.

Pfff… je me suis étalé comme un Grotadmorv alors que Tristan se questionnait, j’suis un peu con moi aussi.

« M’fin… euh… p-pourquoi tu voulais dev’nir ranger, en fait ? Après… b-bah, si c’est ptet pas ton truc au final, c’pas grave. T’avais ptet b’soin de ça pour t’rendre c-compte que, bah, tu préfères l’elevage ? ‘fin, j’sais pas, euh, ptet. »

Le binoclard reporta encore une fois son regard vers la mer moins lointaine que tantôt, craignant d’avoir mis les pieds dans le plat. Lazuli réclama de nouveau de  se faire porter par son dresseur et ce dernier obeit sans discuter, grattant machinalement la tête de la Miaouss mauve bien contente d’être trimballée comme une princesse.

Parler de soi, c’est pas facile. En tout cas, pas de l’expérience de Mell ou de Tristan. L’ambiance est devenue un peu bizarre, mais pas malaisante pour autant. Ce n’est pas souvent que le Straum ose se confier donc ça lui fait du bien de voir le Weber si attentif à ses paroles. Il a également la sensation que certains de ses dires surprennent un peu Tristan et résonnent parfois en lui. Lorsqu’il termine sa grosse tirade, le Straum retrouve le ranger dans un état pensif. Derrière ses lunettes, il cligna des yeux… est-ce que ses paroles faisaient tergiverser Tristan à ce point, ou bien avait-il mis les pieds dans le plat avec ces dernières questions ?  

Dans le doute, le chercheur attendit de voir si le Weber voulait lui répondre ou non. Il ne lui en tiendrait pas trop rigueur, ce n’est pas comme s’il l’avait interrogé afin que l’ex-éleveur lui raconte toute sa vie non plus. Tristan finit par évoquer ce qui lui avait fait arrêter d’être éleveur, non sans avoir hésité avant. Le petit nerd avait plus ou moins compris que le sujet de la famille était complexe à aborder pour le Weber et avec raison… parler des morts, surtout quand ils nous étaient chers (et même quand ils ne l’étaient pas mais qu’ils nous ont marqué d’une manière ou d’une autre), c’est loin d’être évident. Tristan ne lui avait jamais parlé frontalement de la mort de ses parents, mais avait laissé assez d’indices (que ce soit conscient ou non) pour que le Straum comprenne petit à petit. Si ce n’est pas pour l’absence ou la mort de ses proches, ce n’est pas non plus nécessaire d’avoir un doctorat en psychologie afin de comprendre que le zazambien porte pas mal de casseroles. Des traumatismes, certainement, qui le rendent aussi secret et parfois complètement impulsif et imprévisible. Malgré tout ça, Mell continuait de s’attacher au ranger, le découvrant progressivement.

Attentif à son tour, le Straum s’appuya dos à la rambarde devant laquelle Tristan s’était arrêté et croisa les bras. Il ne savait pas trop quoi dire au plus grand, mais, sa démarche faisait sens, il n’y avait rien d’étrange là-dedans, de l’avis du chercheur. C’est humain de s’éloigner des choses qui nous font souffrir, à un moment donné, c’est instinctif. Après le Régime et le cataclysme, beaucoup de gens se sont sentis ou retrouvés livrés à eux-même et avaient certainement le besoin, comme Tristan, de se diriger vers Elixir ou la Compétition. Car ce serait toujours mieux que le Régime ou même la Résistance. C’était toujours mieux que retourner se faire la guerre. Pour sa part, Mell avait pris un autre chemin consistant à rejeter toute institution qui lui semblait un peu trop autoritaire et sa méfiance est toujours bien présente. Il ne regrette pas vraiment, vu où ses choix l’ont mené.

« J’sais p-pas si c’est étrange… J’crois pas… ? »

Le Straum qui avait toujours les bras croisés tripota un peu le tissu de sa chemise à manches courtes. Il ne savait pas tant de choses sur la situation de Tristan et ne voulait pas en rajouter en lui parlait du reste de sa famille. Plus ça va, plus Mell a la sensation que le Weber n’a que peu de soutient de leur part. En un sens, le Nuva-Ejien est bien placé pour savoir que la famille n’est pas nécessairement le meilleur endroit pour trouver le soutient qu’on désire… si c’était toujours le cas, alors il ne saurait expliquer pourquoi son père se comportait comme le dernier des connards immature avec Leanne et lui, leur demandant sans cesse des comptes et de l’argent en plus, tout en les traitant comme des moins que rien.

Bref… revenons à Tristan, plutôt.

Le médecin-chercheur resta pensif un petit moment avant de re-diriger son regard vers le visage de son interlocuteur. Des fois, on change de vocation sans trop savoir pourquoi. On ne comprend pas toujours pourquoi on a envie de telle ou telle chose, telle ou telle personne… mais il est souvent difficile de lutter dans ces cas-là. Des fois, le bon choix pour se sentir plus heureux et d’aller vers les choses qui nous attirent.

« J’vais d-dire un truc méga niais m-mais, des fois, le cœur sait c’qu’y veut. Si l’élevage ça t’a marqué à ce point et que t’y reviens malgré toi, bah… »

Un peu gêné par la dimension mièvre de son discours, Mell se contenta d’émettre un bref rire et haussa les épaules avec une certaine nervosité.

« J’dis pas que c’est forcément ça qui t’c-convient, hein ! M-mais… ‘fin, c’est à t-toi d’y réfléchir. C’pas une honte d’ch-changer d’avis d’temps en temps. »

Il se retint de sortir un énième cliché du style « y’a que les imbéciles qui changent pas d’avis, héhé ! », car il lui sembla que le message était clair. Cette conversation faisait un peu vibrer le Straum en son fort intérieur, il y avait pas mal d’émotions dans ce qu’ils s’étaient dits. D’habitude, les émotions, c’est pas le truc du binoclard, enfin, il a du mal avec ça, il trouve ça effrayant. Cela dit,  des fois, ça ne fait pas trop de mal d’essayer de mettre des mots dessus, d’être un peu honnête (pas qu’il suive cet exemple très souvent lui-même, mais bon).

« ‘F-fin… c’est…’fin, ça m’fait p-plaisir que, euh, qu’tu m’parles de ça. ‘Fin, euh, t’sais, que tu peux, euh… bah, tu vois, qu-quoi ! »

Pour le coup, ça avait bien commencé, mais le razibus s’embrouilla la seconde suivante avec ce qu’il voulait dire à la base. Ce n’est pas bien grave mais il se sent bête, maintenant.